Critique: Stephen King, La Petite Fille qui aimait Tom Gordon


 Couverture

Paris, Albin Michel, 2020, 358 p.

Du Stephen King pour toute la famille!

On n’associe pas spontanément Stephen King aux lectures pour enfants… J’étais donc curieuse de découvrir cette nouvelle facette de l’auteur quand Albin Michel a annoncé la réédition de La Petite Fille qui aimait Tom Gordon, un roman paru en 1999, présenté comme de la littérature jeunesse. Et je n’ai pas été déçue! Évidemment, on est loin des univers de Ça, Misery, Simetierre et autres, mais on y retrouve la même efficacité, le même talent indéniable pour raconter.

L’histoire se passe en juin 1998. Trisha McFarland, neuf ans, va faire une randonnée dans la piste des Appalaches avec sa mère et son grand frère Pete, treize ans. Comme chaque fin de semaine, surtout depuis la séparation des parents un an plus tôt, la mère de Trisha s’évertue à proposer des activités aux enfants, le grand frère ado fulmine de devoir y assister au lieu de passer sa journée à jouer à l’ordi et Trisha tente de compenser en manifestant un enthousiasme démesuré. Ce samedi du début juin commence comme tous les autres : à peine ont-ils mis les pieds dans le sentier que les disputes entre Pete et sa mère deviennent rapidement intolérables. Trisha, fidèle à son habitude, marche derrière, plus discrète, se réfugiant dans mille et un scénarios pour fuir la scène, en imagination du moins. Après un moment, une envie pressante la tenaille. Elle tente bien de demander à Pete et sa mère de faire une pause, mais pris par leur querelle, ils n’entendent pas. Qu’à cela ne tienne : Trisha s’arrête, quitte le sentier et va faire pipi dans le bois… décision qu’elle regrettera amèrement par la suite, puisqu’elle s’avère incapable de retrouver sa famille. La voilà perdue dans la forêt, seule, à neuf ans, avec un sac à dos contenant un dîner, une gourde, un manteau de pluie, un walkman…

C’est tout! Le reste du roman nous raconte les longues journées qui suivent, pendant lesquelles Trisha tente de son mieux de survivre dans les bois. Quel terreau idéal pour une histoire de peur : une enfant si jeune complètement seule, les bruits et craquements de la forêt, les animaux, les moustiques qui ne lâchent pas prise, les incidents et blessures, la noirceur, la faim, la soif, la fatigue, l’envie de renoncer… Tout ce que Trisha voit est susceptible de lui faire peur, et ce qu’elle ne voit pas est pire encore! Se réfugiant dans son imaginaire fertile, Trisha se met à discuter avec son joueur de baseball préféré, Tom Gordon, des Red Sox, qu’elle imagine là, à ses côtés, dans ce périple initiatique. Au-delà d’une histoire de survie en forêt, Stephen King nous propose un personnage de petite fille éminemment sympathique et attachante, crédible, dotée d’un sens de l’humour inébranlable. On prend beaucoup de plaisir à accompagner Trisha dans son introspection, ses émotions, ses angoisses et frayeurs, ses constats. Le roman, poussant le thème du baseball jusqu’au bout, est divisé de façon très originale en manches et en mi-temps et il saura plaire autant aux ados qu’aux adultes! L’auteur nous raconte, en 350 pages, l’histoire d’une fillette en forêt… Ce pourrait être ennuyeux, long, manquer d’action… eh bien non! C’est une histoire toute simple, d’une grande efficacité, qui fait qu’on referme le roman en se disant une fois de plus : ce Stephen King, quand même, quel conteur!

Martine Latulippe