Critique: Roy Bravermann, Manhattan Sunset


 Couverture

Paris, Hugo (Thriller), 2021, 363 p.

Du riffifi à Manhattan

À New York, déjà sévèrement traumatisé par la mort de deux de ses coéquipiers (Pfiffelmann, abattu en service, il y a trois semaines, et Novak, il y a quinze ans), l’inspecteur Donnelli est confronté à la mort atroce d’une jeune fille dont le corps supplicié a été retrouvé dans une casse de ferrailleurs du quartier mal famé de Flushing. L’enquête qu’il mène avec l’inspectrice amérindienne Mankato, le met sur la piste d’un gang de Lithuaniens qui opère, entre autres, un trafic d’êtres humains (des orphelins).

Par ailleurs, quelqu’un se met à assassiner des personnes qui lui sont chères, parmi lesquelles son ex-femme dont le cadavre est retrouvé dans le fleuve.

Voilà, exposées dans les grandes lignes, les prémisses d’une intrigue captivante, menée à grand train par un auteur qui ne cesse de nous surprendre. Manhattan Sunset est le quatrième polar de Roy Braverman (pseudo du prolifique Patrick Manoukian, alias Ian Manook) et c’est un de ses meilleurs.

C’est une histoire à la fois originale, très noire, poétique et captivante. Originale parce que l’un des protagonistes est un fantôme, le spectre de l’inspecteur Pfiffelmann abattu en service et qui hante Donnelli qui se sent responsable de sa mort. Les deux amis dialoguent à haute voix, ce qui ne manque pas d’étonner à l’occasion les collègues, les passants et autres témoins éventuels des « délires » de l’inspecteur. Roman noir parce que l’action est parfois très brutale, les cadavres se ramassent à la pelle, et les adversaires des policiers, les truands des pays de l’Est, sont des types redoutables, impitoyables et d’une incroyable férocité. Ils n’ont pas hésité à mettre le feu à un orphelinat en brûlant vifs vingt-deux gamins et quelques employés.

Mais Braverman n’est pas qu’un simple « polardeux », c’est aussi un écrivain et un poète, un styliste qui s’adapte aux circonstances. Pour l’action et le suspense, les phrases sont courtes, le rythme nerveux, voire saccadé et enlevant. Pour les descriptions, par contre, le rythme est plus lent, et son style devient un mélange unique de noir et de poésie qui fait revivre l’ambiance unique de certains quartiers de New York : l’opulence et le kitsch obscène des secteurs friqués, ou l’aspect sombre, sordide, crasseux et menaçant de certains ghettos ethniques, zones de non-droit où l’herbe en repousse pas sous les pieds des riverains enragés !

Une scène, qui fait écho au titre du roman, est tout simplement magnifique et chargée d’émotion brute : la description de l’alignement flamboyant, dit du Manhattanhenge, quand le soleil couchant prend en enfilade la 42e rue. Installé avec un ami sur le toit d’un building, Donnelli assiste, émerveillé et profondément bouleversé, à ce spectacle unique. Pendant quelques instants privilégiés, il peut

Le dénouement est à la hauteur du reste : jouissif !

P.S. La phrase qui tue (si on peut dire…) :

Donnelli réplique au fantôme de Pfiffelmann qui a dit une sottise : « La mort rend vraiment aussi con que ça ? »

 

Norbert Spehner