Critique: Robert Galbraith, Sang trouble


 Couverture

Paris, Grasset (Roman), 2022, 926 p.

Du quotidien des détectives privés

J. K. Rowling a beaucoup fait parler d’elle récemment, pour toutes sortes de raisons que je n’aborderai pas ici (l’information est facile à trouver). Mondialement connue pour son célèbre sorcier Harry Potter, l’autrice a aussi donné vie, depuis, à une série policière signée du pseudonyme de Robert Galbraith. Sang trouble est la cinquième aventure du détective privé Cormoran Strike et de son associée, Robin. Sans surprise, les romans de la série se sont vendus par millions dans le monde et ont donné naissance à une série télé.

Cormoran Strike est de plus en plus célèbre grâce à ses affaires résolues précédemment – ce qui n’est pas nécessairement un avantage quand on est détective et qu’on doit faire des filatures en toute discrétion… Heureusement, son agence compte maintenant quelques employés, en plus de Robin et lui. En visite dans les Cornouailles, au chevet de la tante qui l’a élevé comme son fils, Strike est abordé par une femme qui veut lui parler de sa mère, une médecin disparue depuis près de quarante ans. Le corps n’a jamais été retrouvé, mais à l’époque un tueur en série, Creed, sévissait dans les parages et on lui a attribué le crime, en raison notamment d’une camionnette vue sur les lieux et de quelques autres indices plus ou moins concluants. Affaire classée, donc. Pourtant, Anna voudrait savoir une fois pour toutes ce qui est réellement arrivé à sa mère, la docteure Margot Bamborough. Strike hésite mais, intrigué, il finit par plonger et accepte de mener l’enquête. Il a un an devant lui pour faire la lumière sur cette affaire.

Il s’agit donc d’une histoire de cold case, ce qui impose certaines difficultés supplémentaires au détective et à son équipe : comment reprendre une enquête quarante ans après les faits? Beaucoup de ceux qui ont connu Margot ou qui ont été impliqués, de près ou de loin, dans sa disparition sont aujourd’hui assez âgés, souvent même décédés. Cormoran et Robin reprennent néanmoins toute l’affaire, étape par étape, à partir du dossier de police. Ils interrogent plusieurs suspects de l’époque, plusieurs témoins aussi qui, à rebours, modifient leurs témoignages ou reviennent carrément sur ce qu’ils avaient dit, maintenant que l’affaire a été bouclée et qu’ils n’ont plus peur des conséquences (crainte de perdre leur emploi, d’être soupçonné, etc.). En résulte un récit assez lent, résolument long (plus de neuf cents pages), qui n’est pas tellement dans l’action (on réexamine les faits du passé), mais beaucoup plus dans l’analyse, la relecture des documents de l’époque, l’introspection aussi puisque la vie personnelle de Cormoran et de Robin occupe une grande partie du récit. Robert Galbraith continue de broder autour de leur attirance mutuelle, présente au fil des derniers titres de la série, qui donne lieu à beaucoup de réflexions de la part de nos deux personnages, mais qui décidément se développe à bien petits pas. On nous raconte aussi, en filigrane de la trame principale, toutes les autres enquêtes sur lesquelles l’agence travaille. On accède ainsi au quotidien des détectives privés et aux différentes affaires qu’ils doivent mener de front. C’est intéressant, c’est évidemment un récit bien mené (l’auteur n’a plus besoin de prouver qu’il sait raconter une histoire!), les personnages principaux sont attachants et étoffés, mais le tout aurait gagné à être resserré, quitte à couper sur les longues analyses astrologiques, les multiples témoignages visant à mener le lecteur sur des fausses pistes ou les dizaines de pages explicatives de la fin, cette fin qui s’éternise un peu et est plus ou moins satisfaisante…

Martine Latulippe