Critique: Qiu Xiaolong, Un dîner chez Min


 Couverture

Paris, Liana Lévi, 2021, 248 p.

L’INSPECTEUR CHEN ET LE JUGE TI

Un dîner chez Min, de Qiu Xiaolong, est le douzième roman de l’intéressante (et exotique) série des enquêtes de l’inspecteur chinois Chen Cao, flic à Shanghaï. Comme je le dis souvent à propos des volumes d’autres séries, il est tout à fait possible de lire un épisode sans avoir lu les autres, mais pour une compréhension optimale, il est toujours préférable de suivre l’ordre, surtout dans les cas où il y a de nombreux personnages récurrents et quand la série s’inscrit dans une chronologie stricte.

L’intrigue commence alors que Chen a quelques ennuis politiques. On l’a mis en congé de maladie (forcé) et comme on est en Chine, il ignore quand il pourra retrouver son poste car selon la méthode chinoise « ce n’est pas au médecin de me déclarer apte à reprendre mes fonctions. Vous savez bien que c’est au Parti de dire au médecin quel diagnostic poser ». Comme son « emploi » au Bureau de la réforme du système judiciaire lui laisse beaucoup de temps libre, il s’intéresse aux enquêtes du juge Ti et envisage même d’écrire un roman inspiré par le personnage.

Par ailleurs, il ne peut s’empêcher de fourrer son nez dans une affaire qui secoue le tout Shanghaï : l’arrestation de madame Min, une belle courtisane qui ouvre sa table (très) privée aux éminences et pontes friqués de la ville. Elle est accusée d’avoir assassiné sa cuisinière qui menaçait de la quitter, et soumise à un régime carcéral strict inusité.

Tout ça sent le coup fourré, le scandale sexuel et politique. Chen va enquêter discrètement à l’aide de sa très efficace secrétaire, la jolie Jin, ce qui les amènera, entre autres, à s’intéresser au commerce des antiquités chinoises, aux activités louches de la Sécurité intérieure et aux magouilles de certains membres du Parti. Deux meurtres supplémentaires vont singulièrement compliquer les choses.

Chen est fasciné par l’époque du juge Ti (la dynastie Tang), ses enquêtes, et l’affaire de la poétesse Yu Xuanji, accusée de meurtre, affaire dans laquelle il voit des parallèles intéressants avec celle de Min et dont il va s’inspirer pour ses propres recherches de la vérité.

Une fois de plus, l’auteur nous entraîne avec bonheur dans le monde un peu étrange de cet inspecteur poète chinois, grand amateur de littérature et de bonne chère (que de visites au restaurant et de descriptions de plats pas toujours alléchants !), limier exemplaire, incorruptible, mais très dérangeant pour le système. Spécialiste des enquêtes indiscrètes, il met en lumière les turpitudes des puissants, ce qui lui vaut son lot d’ennui et ce repos forcé dont il aura largement profité secrètement pour mener à bien une affaire des plus délicates et démasquer un meurtrier !

Polar « reposant » (si une telle chose existe) et de lecture agréable, avec ce qu’il faut d’énigme criminelle, d’allusions littéraires, de détails culinaires, et de personnages attachants. Une série à suivre ou à découvrir !

Ed. or. : Inspector Chen and Judge Dee, 2020 Trad. : Adélaïde Pralon

P.-S. En 2020, les éditions Liana Lévi ont publié Une enquête du vénérable juge Ti, de Qiu Xiaolong, 144 pages, roman historique dans lequel l’auteur reprend l’affaire de la poétesse accusée de meurtre.

« En un temps d’âpres luttes pour le pouvoir, dans la Chine du IXe siècle, un messager impérial vient demander au célèbre juge Ti d’enquêter sur un meurtre dont est soupçonnée la poétesse-courtisane Xuanji. Alors que la belle et talentueuse jeune femme croupit dans une geôle en attente de la sentence, l’enquête du juge le mènera à des secrets qu’il est préférable d’ignorer. »

Norbert Spehner