Critique: Marc-André Chabot, Dis-moi qui doit vivre…


 Couverture

Montréal, Libre Expression, 2021, 382 p.

« … LETS KILL ALL THE LAWYERS ! »

(Henry VI, acte 4, scène 2, de Shakespeare)

Après Dis-moi qui doit mourir…, un premier polar bien apprécié, Marc-André Chabot récidive avec Dis-moi qui doit vivre…, où l’on retrouve Antoine Aubin et le lieutenant Donald McGraw, une fois de plus impliqués dans une affaire des plus tordues. Gilles Fradette, un psychopathe meurtrier en phase terminale refuse d’avouer le meurtre et le viol d’une jeune femme dont le corps n’a jamais été retrouvé. Ayant demandé l’aide médicale à mourir, persuadé d’échapper à un procès et à la vindicte populaire, il se vante de ses exploits meurtriers auprès d’une infirmière qui va le dénoncer. Commence alors une étrange course contre la montre qui oppose le criminel et les enquêteurs (en plus d’Antoine et du père de la jeune victime) qui veulent à tout prix que la vérité éclate publiquement avant la disparition de l’homme et de ses innommables secrets.

C’est cet épisode, pourtant secondaire, dans lequel il est question de l’aide médicale à mourir, de morale, de justice et des arcanes administratives d’un système kafkaïen, qui nous apparaît comme la partie la plus originale de ce roman, celle qui justifie et explique le titre.

Par ailleurs, McGraw est aussi impliqué dans ce qui apparaît comme étant l’intrigue principale : la traque d’un tueur qui élimine des criminalistes d’une manière horriblement originale. A priori rien de bien neuf sous le soleil, puisque le thème des juges ou des avocats qui sont éliminés par des parents de victimes enragés ou des justiciers autoproclamés révoltés, insatisfaits d’un verdict, est un cas de figure exploité dans grande nombre de polars passés et présents. Suspense à rebours, à la Columbo, le tueur est connu des lecteurs dès le départ, et la question est plutôt de savoir comment les membres de l’escouade Turquoise (une équipe mixte SQ et SPVM) vont faire pour l’identifier et l’arrêter. La chasse va être palpitante, le dénouement dramatique !

Impression générale : grâce à ses indéniables talents de conteur, Chabot n’a guère de mal à nous embarquer dans ce roman à la structure très particulière : deux histoires que rien ne relie à priori (ni à posteriori, d’ailleurs), sinon quelques personnages qui évoluent dans les deux, et un thème commun : l’indignation face aux dysfonctionnements nombreux, flagrants et choquants d’une justice plus aveugle que jamais !

Le style est fluide, (le langage du narrateur et des personnages est plutôt « populaire »), l’intérêt est constamment relancé et on se laisse prendre au jeu de ce polar catharsis, non dénué d’humour, où la révolte de l’auteur face aux agissements indignes de notre système judiciaire est plus que palpable.

Bref, j’ai bien aimé ce deuxième polar, malgré quelques pinailleries, critique oblige… la principale étant que ce récit aurait mérité d’être plus « édité », plus travaillé, notamment au niveau du langage : trop d’expressions anglaises dans les dialogues (ça finit par lasser), gommer quelques vulgarités inutiles ou mal placées, éviter les petites joutes oratoires « cutes » se voulant comiques pendant certaines des réunions les plus importantes des flics (ça détonne !), etc. Bref, on aurait pu raboter, limer et balayer quelques scories.

La critique du système judiciaire et ses dérapages souvent spectaculaires est un peu lourde. Certes, comme lecteur, on a tous été choqués, bouleversés, et en colère à cause de verdicts aberrants (i.e. l’affaire Turcotte), mais comme le dit l’adage « Qui trop embrasse mal étreint » et un peu de retenue dans la harangue trop répétitive n’aurait pas nui.

Dernier point : la structure binaire du récit basé sur deux lignes narratives bien distinctes multiplie le nombre de personnages.

Précisons que, même si ce roman est la suite du premier, il peut se lire en toute indépendance.

Quoique très « thrillant » et parfois humoristique, ce récit pose quand même quelques questions fondamentales sur le droit à la vie, la morale et la justice.

P.S. l’indignation de l’auteur ne concerne pas que la justice : il n’aime pas Saint-Lambert ! Mystère…

P.S.S. Dans ce nouvel opus, l’inspecteur McGraw vole la vedette à un Antoine, plus en retrait, plus adjuvant que protagoniste. Cela ne nuit pas à l’intérêt, bien au contraire…

Norbert Spehner