Paris, JC Lattès, 2022, 333 p.
Dans l’œil du cyclone
John Grisham se passe de présentation. Auteur à succès, ses livres sont traduits partout dans le monde et très souvent adaptés au cinéma. Il a fait du thriller judiciaire sa marque de commerce, mais ce n’est pas ce qu’il nous propose dans Le Cas Nelson Kerr, son plus récent suspense. Il choisit plutôt de nous ramener dans un univers déjà présenté dans Le Cas Fitzgerald, celui de Bruce Cable, libraire sur l’île de Camino.
Cette île américaine est habituellement assez bien protégée contre les intempéries sévères grâce au Gulf Stream, qui forme une sorte de barrière naturelle. Mais voilà que Léo s’amène, passant du statut de dépression à celui de tempête, puis devenant un ouragan de catégorie 4, presque 5. Cette fois, Camino n’est pas épargnée! Léo balaie tout sur son passage, multipliant les ravages, faisant de considérables dégâts matériels en plus de faucher quelques vies… dont celle de Nelson Kerr, un ancien avocat devenu écrivain, qui habite seul, un homme secret qui a eu accès dans le cadre de son travail à des informations sensibles pour lesquelles il a joué au lanceur d’alerte.
Bruce Cable, le dynamique libraire de Camino, fait partie des irréductibles qui ont refusé de quitter l’île malgré la catastrophe annoncée. Une fois les éléments calmés, il évalue les dégâts dans les environs et découvre que son ami Nelson Kerr fait partie des victimes. Il a été frappé à la tête, dehors, sur son terrain. Immédiatement, Bruce et Nick, un de ses jeunes employés amateur de romans policiers, ont la puce à l’oreille : que faisait Nelson à l’extérieur, en pleine nuit, pendant un ouragan? N’importe qui de sensé serait resté à l’abri. À leurs yeux, il ne fait aucun doute que Nelson a été assassiné. Les autorités ont du mal à prendre leur théorie au sérieux : déjà, elles ont en ont plein les bras avec les ravages causés par Léo, mais en plus difficile de croire que quelqu’un aurait pu se rendre chez Nelson en plein ouragan, le tuer et repartir, mine de rien…Bruce n’en démord pas : il s’agit d’un homicide, quelqu’un a profité des éléments déchaînés pour agir discrètement. Et si la police ne veut pas s‘en occuper, qu’à cela ne tienne, Bruce enquêtera lui-même! Convaincu que la clé du meurtre se trouve dans le dernier roman écrit par Nelson Kerr, pas encore publié et que personne n’a lu, le libraire se retrouve vite mêlé à une histoire qui le dépasse largement…
Après un départ plus lent, histoire de bien mettre en place la petite communauté littéraire qui habite Camino et les dégâts faits par Léo, John Grisham revient à une grande préoccupation qui définit souvent ses ouvrages : traquer l’inacceptable et le dénoncer. Il le fait cette fois à travers des personnages sympathiques et colorés, soit le groupe d’amis qui entourent Bruce, qui ont en commun l’amour des livres, de même qu’à travers le regard porté sur une île fortement ébranlée par la catastrophe naturelle survenue. Il décrit avec précision comment Léo a dévasté Camino, mais aussi la lassitude qui suit, ce qui arrive une fois que le quotidien reprend ses droits, que les secours repartent et que les habitants doivent tenter de tout nettoyer, reconstruire, de reprendre pied. En nous racontant tout ça d’un ton plus léger que de coutume, il nous entraîne tout doucement vers l’inacceptable, justement, vers une fin qui aborde un sujet grave et dérangeant – je vous laisse évidemment le soin de découvrir lequel…
Martine Latulippe