Paris, Gallimard (Série noire), 2021, 636 p.
PETITS MEURTRES EN FAMILLE
Tout comme son remarquable Macbeth (Série noire, 2018) Leur domaine, de Jo Nesbo est un hors-série, sans l’inspecteur Harry Hole, une œuvre fascinante, avec une intrigue digne des pièces de Shakespeare les plus sanglantes, des drames psychologiques de Faulkner ou des romans noirs comme Le Facteur sonne toujours deux fois de James M. Cain !
Au cœur de l’intrigue : la relation fusionnelle des frères Roy et Carl Opgard qui demeurent à Os dans une modeste ferme de montagne. Quand leurs parents meurent dans un accident, Roy s’installe comme mécanicien dans une station-service du bourg voisin et Carl file au Canada pour tenter sa chance.
Les choses commencent à déraper quand, des années plus tard, Carl revient au pays avec Shannon, sa trop ravissante épouse, une voiture de luxe, et un grand projet utopique : construire sur le terrain inexploité de la ferme familiale un hôtel spa de luxe qui devrait faire leur fortune et celle de la communauté, sur laquelle il compte un peu trop pour financer l’ambitieux projet, une entreprise risquée que son frère Roy (le narrateur) juge irréaliste ! Mais bon… Quoi qu’il fasse, Roy a toujours soutenu son « petit frère », même dans les pires moments, et dieu sait qu’il y en a !
Mais ce retour de Carl a de multiples conséquences, la plupart néfastes : elle réveille de vieilles rancœurs, et de terribles secrets de famille (inceste, meurtres, liaisons dangereuses), remontent à la surface. Chapitre après chapitre, on découvre les haines, les jalousies, les turpitudes et les crimes, alors que le lecteur ébahi est confronté à toute la perversion des principaux protagonistes dont certains n’hésitent pas à tuer pour se protéger ou arriver à leurs sinistres fins ! Les frères Opgard ont le chic pour se tirer des situations les plus épineuses, (elles ne manquent pas) au grand désarroi des autorités locales, alors que les accidents suspects et les cadavres se multiplient,
Très subtilement, Nesbo nous entraîne dans cette histoire de crimes, de sexe, de fric et de mort, sans jamais tomber dans le spectaculaire ou l’invraisemblable. Chaque partie amène son lot de surprises, dévoilant soit une nouvelle facette toxique de ses protagonistes, soit un nouvel élément des multiples drames en train de se jouer dans ce bled de bouseux.
Attention, cette brique de 636 pages (petits caractères) se mérite ! Ça commence lentement et j’avoue, qu’au début, j’avais un peu de mal à embarquer, jusqu’au moment où une première révélation troublante a piqué ma curiosité, et dès lors, ce diable d’auteur m’avait accroché. Le pêcheur était ferré !
Formidable roman psychologique, avec des protagonistes d’une rare perversion, mais totalement fascinants, des retournements inattendus, ce récit de Jo Nesbo est d’une puissance rare, une œuvre très différente, plus proche de son Macbeth que des délires éthyliques et autres problèmes existentiels d’un Harry Hole vieillissant.
J’ai failli être bluffé, pour ne pas dire découragé, par le titre, insignifiant et peu inspirant, et par la quatrième de couverture plutôt terne en regard de la puissance toxique de cette histoire. Un authentique roman (très) noir assurément, mais pas un thriller, le rythme étant plutôt lent (ce qui ne gâche rien, soit dit en passant !).
Ed. or. : Kongeriket, 2020
Trad. : Céline Romand-Monnier
Norbert Spehner