Paris, Albin Michel, 2021, 652 p.
LES PROMISES, ou
LA TRAQUE D’UN TUEUR DANS LES CERCLES DE L’ENFER DANTESQUE NAZI
Je suis un fan très « conditionnel » de Grangé, ce qui signifie qu’il y a des romans que j’aime beaucoup, d’autres un peu moins, et certains pas du tout. Par exemple, au commencement de sa carrière, je trouvais qu’il avait l’art de rater ses finales (Aah… le truc facile des jumelles des Rivières pourpres !), puis peu à peu, ça s’est emmieuté, avec des thrillers de plus en plus captivants (mais parfois d’intérêt inégal).
Qu’en est-il de sa nouvelle brique de plus de 600 pages intitulé Les Promises ? Disons euphémistiquement que j’en suis sorti épaté (Grangé est un conteur « naturel »), fasciné, époustouflé, ébranlé, parfois écœuré (violence graphique à répétition) et soulagé (une mini-lueur d’espoir perçue dans un océan de noirceur !). Bref, j’ai beaucoup aimé ça et le recommande vivement, à condition toutefois (attention cliché) de ne pas avoir le cœur trop sensible : c’est très dur, noir, parfois glauque à l’extrême ! Or donc…
L’action de ce polar historique commence en 1939, à Berlin, alors que Hitler s’apprête à envahir le Pologne. Un tueur mystérieux assassine des grandes dames du Reich, des épouses de dignitaires du régime, toutes membres d’un même Club, retrouvées atrocement mutilées. Comme la Kripo (police criminelle allemande) s’avère impuissante à trouver un coupable et pour d’obscures raisons politiques, l’enquête est confiée à Franz Beewen, un colosse de la Gestapo, un être brutal sans pitié, un ancien tueur des Sections d’assaut qui n’a aucune idée de comment mener une affaire criminelle. Pour ce faire, il va devoir collaborer avec Simon Krauz, un psychanalyste surdoué, qui faisait chanter ses patientes (les victimes du tueur) avec lesquelles il couchait, et la baronne Minna Von Hassel, une riche héritière et psychiatre (auteur d’une thèse sur les tueurs psychopathes), une alcoolique et une droguée, dirigeante d’un asile d’aliénés, de malades incurables et d’estropiés, qui s’efforce de sauver les oubliés du Reich. Toute une équipe !
Ces individus très dissemblables, réunis par un destin fatal, forment sans doute ce qui est probablement le trio d’enquêteurs le plus original et le plus improbable de la littérature policière contemporaine.
Je n’entrerai pas dans le détail de cette enquête époustouflante au cœur de l’empire nazi, enquête pleine de bruit, de fureur, de violence et de sang, mais disons qu’en cours de route, au détour des nombreux rebondissements, l’auteur va plonger ses enquêteurs dans des mondes et des univers pour le moins singuliers :
– les gueules-cassées, ces survivants miraculés de la Der des Ders, et leurs faces atrocement mutilées (on pense à Au revoir, là-haut, de Pierre Lemaître) fantômes inquiétants qui hantent les rues et les nuits de Berlin.
– les studios allemands de la UFA ou Universum Film AG où se tournait un des premiers films de science-fiction avec un être monstrueux qui inspire le tueur !
– les Totengräbers, ces unités de charognards chargées de récupérer dans les rues de Berlin les cadavres des misérables morts de faim ou de froid, ou abattus en masse par la Gestapo ou l’armée lors de séances de « nettoyage ».
– les établissements « médicaux » des Lebensborn, concept utopique de Heinrich Himmler, à la fois cliniques, laboratoires et bordels pour SS, dans lesquels pratiquaient de sinistres docteurs Frankenstein et dont le but était la création d’une race aryenne pure de surhommes blonds aux yeux bleus, susceptible de peupler les territoires conquis par les armées du Reich (ce qui supposait aussi l’élimination des sous-hommes habitant ces régions)
– le monde singulier des Tsiganes, leurs mœurs, leurs légendes… et leur éradication brutale.
– les fronts de l’Est (trois ans plus tard, en 1942) dont les camps de concentration de Pologne, un hôpital pour blessés à Stalingrad et un champ de bataille du Caucase.
Bref, une traversée mouvementée des différents cercles de l’enfer nazi, en compagnie de personnages exceptionnels aux prises avec deux monstres : un tueur de femmes et une sorte de Dr Mengele à la puissance dix, incarnation de tous les vices et de toutes les folies meurtrières du régime. Mais attention, le Mal n’est pas toujours où on l’attend ! Incontestablement un de mes « Grangés » préférés.
Norbert Spehner