Paris, Actes Sud (Lettres hispaniques), 2021, 308 p.
VENGEANCE ET RÉDEMPTION EN CATALOGNE
Quand un auteur de littérature dite « blanche » ou générale s’aventure dans les eaux noires du polar, le résultat n’est pas toujours à la hauteur des attentes des amateurs, car il n’est pas donné à tout le monde de faire oeuvre originale ou d’être à l’aise avec les « codes » d’un genre populaire.
Mission accomplie (et réussie) pour l’écrivain Javier Cercas, une des pointures littéraires d’Espagne. Il a décroché le Prix Planeta 2019 pour son excellent polar TERRA ALTA qui est, avec L’ANGE DE MUNICH de Fabio Massimi (Albin Michel), mon favori de la première moitié de 2021, parmi les 60 polars lus jusqu’à présent.
A la fois roman d’enquête et polar historique, le récit se passe à Terra Alta, une région pauvre et aride de la Catalogne (une terre de western, selon l’auteur) et haut lieu historique de la guerre d’Espagne. C’est là, qu’en novembre 1938 eut lieu la bataille de l’Èbre, un tournant décisif du conflit qui sonna le glas de la République et la victoire des Franquistes.
L’histoire commence par le meurtre horrible d’un couple de riches nonagénaires, des propriétaires d’une cartonnerie, et principaux employeurs de la population locale, massacrés méthodiquement. L’enquête est menée par les autorités locales, appuyées par des éléments venus de Barcelone, dont Marin Melchior, le personnage principal, un jeune policier avide de justice, au parcours semé d’embûches et dont on suit la jeunesse, puis la carrière.
Fils d’une prostituée, élevé dans les bas-fonds de Barcelone, avec un passé de délinquant, c’est en prison que Melchor trouver son salut et sa vocation grâce à la lecture et surtout en lisant Les Misérables, de Victor Hugo, qui devient son livre fétiche.
Dès lors, il s’identifie au policier Javert dont il admire le sens de la justice, son respect scrupuleux des lois, son obstination de limier. Dès sa sortie de prison, il s’engage dans les forces de police pour traquer les assassins de sa mère. Héros involontaire lors d’un attentat islamiste (il abat quatre terroristes), il devient une cible, et les autorités le transfèrent à Alta Terra pour le protéger.
Hommage à la lecture et d’une grande richesse thématique (rédemption, valeur du droit, légitimité de la vengeance, cicatrices douloureuses d’un passé qui hante toujours certains protagonistes), Terra Alta, un roman des plus captivants, est l’exemple parfait du polar « complet » avec des personnage forts, crédibles, une intrigue solide et un double arrière-plan historique captivant : les conséquences désastreuses, meurtrières de la guerre civile, et la situation actuelle en Catalogne avec ses déchirements, notamment au sein des forces de police. Très fortement conseillé…
Notes supplémentaires :
Terra Alta est le premier polar d’une trilogie annoncée.
Le Prix Planeta (l’équivalent d’un Goncourt) n’est pas spécialisé en polars. Il est le mieux doté de l’industrie littéraire espagnole avec une récompense de 601 000 euros ! Il est intéressant de noter que si ce prix exceptionnel a parmi les lauréats des noms prestigieux de la littérature générale comme Mario Vargas Llosa, Antonio Munoz Molina, et autres pointures, on retrouve aussi quelques auteurs de polars comme Manuel Vasquez Montalban, Francisco Gonzales Ledesma, Eduardo Mendoza, Dolores Redondo.
Norbert Spehner