Critique: Harald Gilbers, Les Exfiltrés de Berlin


 Couverture

Paris, Calmann-Lévy (Noir), 2021, 396 p.

Quand les rats quittent le navire nazi

Berlin, novembre 1947. Ravagée par les bombardements alliés et les troupes de Staline, la capitale allemande est divisée, morcelée en quatre secteurs par les troupes d’occupation soviétiques, américaines, anglaises et françaises. La population manque de tout, et chacun survit comme il le peut dans ce décor d’apocalypse !

C’est dans ce contexte difficile que le commissaire Oppenheimer est appelé sur les lieux d’un crime banal : un cambrioleur a été tué par le locataire de l’appartement. Légitime défense ? Oppenheimer a des doutes, et plus il creuse et plus l’affaire se complique…

Pendant ce temps, son collègue et ami Billhardt disparaît ! Il enquêtait sur la mort d’un voleur à la tire retrouvé avec d’étranges documents sur lui, documents qui mènent à un réseau secret d’exfiltrations d’anciens nazis vers l’Argentine. Quand Oppenheimer reçoit des menaces de mort, il comprend que les deux affaires sont liées, que des traîtres opèrent au sein des forces de police et que lui et sa famille sont devenus des cibles… Ça va être compliqué, dangereux et plein de surprises !

Les Exfiltrés de Berlin, de Harald Gilbers, est un polar historique, dans lequel des personnages réels côtoient les êtres de fiction. C’est le cinquième volet de l’excellente série des enquêtes du commissaire Richard Oppenheimer. Solidement documenté, le roman nous plonge dans l’univers chaotique de l’Allemagne vaincue, pendant les débuts de la guerre froide, alors que face à une Russie de plus en plus menaçante, les Occidentaux prennent leurs marques. La chasse aux dignitaires et responsables du Troisième Reich bat son plein et si on recrute volontiers des scientifiques de haut rang, on cherche aussi à arrêter et condamner les criminels du régime qui se servent de filières d’exfiltration (les fameuses « ratlines ») pour déguerpir à l’étranger.

On ne manquera pas de comparer les romans de Gilbers à ceux de Philip Kerr. Si la comparaison vaut pour certains thèmes et le contexte historique fidèlement reconstitué, elle ne s’applique en aucun cas aux personnages principaux. Oppenheimer, un policier juif « enrôlé » par les SS, puis retourné à la Kripo (police criminelle) n’est pas un Bernie Günther. Moins coloré, sans être ennuyeux, il a ses propres qualités et faiblesses, et n’en demeure pas moins le protagoniste intéressant d’une série remarquable pour qui s’intéresse un tant soit peu à l’histoire de cette époque troublée. Fortement recommandé !

 Ed. or. : Hungerwinter (l’hiver de la famine) Trad. : Joël Falcoz

Les romans de la série : Germania (Kero, 2016), Les Fils d’Odin (Kero, 2017), Derniers Jours à Berlin (Calmann-Lévy, 2018), La Vengeance des cendres (Calmann-Lévy, 2020). Tous disponibles en livre de poche : collection 10-18.

Un sixième volume, dont l’action se passe en 1948, pendant le blocus aérien de Berlin, et intitulé Luftbrücke, a été publié en 2021 (encore inédit en français).

Sur le même thème des exfiltrés nazis : Ratlines, de Stuart Neville (Rivages, 2015).

Norbert Spehner