Critique: Frank Thilliez, 1991


 Couverture

Paris, Fleuve noir, 2021, 500 p.

1991 ou la première enquête de Sharko

1991, de Franck Thilliez est le 12e roman dans la série des enquêtes de Franck Sharko, mais, chronologiquement, il s’agit du premier. En 1991, tout juste sorti de l’école des inspecteurs, Sharko débarque au prestigieux 36 quai des Orfèvres où on le conduit aux archives. Première mission : il doit reprendre une affaire non résolue, celle des Disparues du Sud Parision : trois femmes enlevées, violées et tuées, entre 1986 et 1989. Le prédateur court toujours et Sharko se met en chasse.

Dans la première partie du roman, le jeune inspecteur doit faire ses preuves, tenter tant bien que mal de s’intégrer à un groupe de flics tricoté serré mais dont il observe très vite les failles et les manques.

Puis commence l’enquête principale, une affaire d’une rare complexité, bizarre à l’extrême, au menu de laquelle le lecteur gavé trouvera les ingrédients suivants (pas nécessairement dans cet ordre) : des meurtres multiples, des résurrections, des rites vaudous, des substances toxiques mortelles, Houdini et ses tours de magie pour moins insolites, des pervers sexuels et des médecins tarés, des troubles de la personnalité, des allusions à Dr Jekyll et Mister Hyde, des poèmes de Baudelaire, le Horla, de Maupassant, et des flics pas toujours nets. Le tout, assaisonné comme il se doit de quelques rebondissements spectaculaires.

Au niveau de la narration, c’est du Thilliez à son meilleur, qui nous embarque dès les premières pages, pour nous plonger dans les arcanes de deux enquêtes complexes menées de front. De la très bonne procédure policière, agrémentée de petites et de grandes énigmes qui relancent constamment l’attention.

Deux bémols cependant :

Les auteurs de polars font très souvent dire à leurs protagonistes flics qu’« ils ne croient pas aux coïncidences ». Par contre certains d’entre eux n’hésitent pas à inventer des « coïncidences heureuses » qui font que, par exemple, le redoutable tueur recherché a un lien amical, sentimental ou carrément familial avec un des flics de l’équipe ! Ce qui n’est guère « fair play », artificiel et peu crédible. Je dois avouer que je déteste ce cas de figure, trop répandu, à la limite du cliché.

Par ailleurs, les Grands Anciens du polar classique, notamment S.S. Van Dine, ou Ronald Knox et d’autres, ont tenté de codifier le genre en promulguant un certain nombre de règles et d’« interdits » notamment celui de faire intervenir le surnaturel… ou des jumeaux ! Quoique jugées désuètes, ringardes ou trop contraignantes, ces règles reflétaient le désir des auteurs de l’époque de respecter un certain « fair play », d’éviter de tomber dans la facilité.

D’une certaine manière, Thilliz a « enfreint » deux de ces règles, mais s’en tire honorablement en les recyclant de manière plausible. Dans le premier cas, il plonge son protagoniste dans un dilemme moral et éthique dont l’issue est… fort intéressante ! Dans le deuxième cas, contrairement à Grangé qui m’avait fait hurler à la fin des Rivières pourpres avec un « deus ex machina » artificiel, Thilliez en fait un élément crédible (quoique que très bizarre et assez surprenant) de son intrigue un peu tarabiscotée sur la ligne d’arrivée, quand arrive le temps des explications.

Au total, un bon thriller, à la fois divertissant et instructif, avec quelques scènes pas mal glauques, genre cote 8/10 sur une échelle de Richter de la violence !

Norbert Spehner