Paris, Calmann-Lévy (Noir), 2020, 322 p.
Que c’est triste, Venise…
Il y a quelques années déjà, j’avais lu plusieurs titres de Donna Leon mettant en vedette le commissaire Guido Brunetti, qui vit à Venise. J’avais délaissé le sympathique commissaire depuis, pas par manque d’intérêt, simplement pour aller vers d’autres personnages, mais j’ai eu envie de le retrouver en lisant le récent roman de l’autrice, Quand un fils nous est donné (ne vous laissez pas rebuter par ce titre qui peut sonner comme un guide parental un peu mystique!). Je savais donc à quoi m’attendre en renouant avec cet univers : un polar bon enfant, quasi réconfortant, marqué par les petits plats de Paola, l’épouse du commissaire, par l’humanité de Brunetti, par leurs conversations littéraires à tous deux. Le tout sur fond italien, puisque les enquêtes de Brunetti se déroulent à Venise. Je ne me trompais pas : tout cela était au rendez-vous, au fil d’une enquête plutôt tranquille, puisque le crime au cœur du récit survient à la page 212… (Le roman en compte 322 au total!) Décevant? Non, parce que quand on lit Donna Leon, on ne s’attend pas à un thriller haletant, ni à une tension insoutenable. On la lit beaucoup pour ses personnages attachants, son univers familier, sa façon de raconter le récit tout en finesse.
Quand un fils nous est donné s’ouvre sur une demande singulière du beau-père de Brunetti : le comte s’inquiète parce que son meilleur ami depuis 60 ans, Gonzalo Rodriguez de Tejeda, veut adopter son jeune amant, afin que celui-ci devienne son unique héritier. Dans l’entourage de Gonzalo, tous se font du souci : le jeune homme en question ne leur est pas sympathique, on craint qu’il n’en ait qu’après l’argent de Gonzalo. La situation dérange beaucoup et Brunetti s’interroge : si Gonzalo souhaitait adopter une fille de 40 ans plus jeune que lui, est-ce qu’on serait aussi prompt à s’alarmer autour de lui? Ses proches ont beau tenter de le dissuader de procéder à l’adoption, rien à faire, il s’entête. Le comte Falier, beau-père de Brunetti, lui demande de s’informer officieusement sur ce jeune homme. Brunetti hésite : il n’aime pas mélanger famille et travail, mais le comte, haut placé dans l’aristocratie, lui a souvent été utile dans ses enquêtes… Sans compter l’affection qu’il lui porte. Bref, difficile de lui refuser ce service. Comme le dit la sage Paola, « l’amour l’emporte sur les principes ». L’enquête commence, sans flamboyance : on assiste au travail tranquille de Brunetti, on accède à sa vie de famille, il nous propose ses réflexions tant sur le végétarisme de sa fille que sur le vieillissement, tant sur la violence faite aux femmes que sur l’homosexualité. C’est intéressant, c’est intelligent, parsemé de petites touches d’humour et enrobé de charme suranné. Derrière les allures de carte postale de Venise, on découvre une aristocratie vieillissante, avide de commérages, qui semble se préoccuper davantage de savoir qui aura l’argent une fois Gonzalo mort plutôt que d’entretenir son amitié. Pas de grandes surprises, ni pendant l’enquête ni pour le dénouement, mais Brunetti est égal à lui-même et il répond tout à fait aux attentes de son lectorat.
Martine Latulippe