Critique: Donna Leon, En eaux dangereuses


 Couverture

Paris, Calmann-Lévy (Noir), 2021, 340 p.

Les ennuis du commissaire Brunetti

Si le nom de Donna Leon vous est familier, alors vous connaissez sans nul doute son personnage principal, le commissaire Guido Brunetti, dont les enquêtes se situent à Venise, ville où l’autrice vit depuis plus de trente ans. Le roman En eaux dangereuses, vingt-neuvième aventure de Brunetti, nous présente un commissaire fatigué, ennuyé par le tourisme envahissant, accablé par la canicule qui sévit à Venise, préoccupé par la pollution atmosphérique de plus en plus alarmante… Mais un autre souci vient s’ajouter à la liste de Brunetti quand Benedetta Toso demande à parler à la police.

Benedetta est très malade, hospitalisée aux soins palliatifs. Elle sait que sa fin est proche, elle laissera dans le deuil ses deux fillettes, bientôt orphelines puisque son mari, Vittorio, est mort quelques semaines auparavant d’un accident de moto. Cette femme a demandé expressément à voir les policiers. Brunetti et sa collègue Claudia se présentent à son chevet, s’attendant à ce qu’elle leur avoue un crime. Mais ils apprennent plutôt qu’elle est convaincue que la mort de son mari n’est pas accidentelle. Il a été assassiné. Hélas, elle n’a pas le temps de leur en dire beaucoup plus avant de décéder à son tour…

J’ai lu plusieurs livres de Donna Leon au fil des années, toujours avec plaisir. Mais je dois admettre que si vous êtes amateurs d’émotions fortes et de poursuites haletantes, ce livre n’est pas le plus indiqué… J’ai l’impression que plus ça va, moins les enquêtes prennent de place dans les aventures de Brunetti! Dans ce plus récent titre, En eaux dangereuses, il faut attendre plus de cent pages avant que l’enquête se mette en branle (et le roman en compte 340 au total!). On ne s’ennuie pas entre-temps : on retrouve avec plaisir le quotidien du commissaire, son indispensable épouse, Paola, avec qui il discute littérature et opéra, l’incroyablement efficace signorina Elettra, qui sous le couvert d’un emploi de secrétaire accomplit un travail fou dans les diverses recherches de chacun au commissariat, etc. On retrouve aussi cet attachement viscéral de l’autrice (et de son personnage) à Venise, en dépit des inconvénients de la ville.

Tout ça est agréable à lire, mais l’enquête peine à débuter. D’abord, parce que Brunetti et sa collègue ne sont pas convaincus qu’il y a bel et bien matière à enquêter sur la mort de Vittorio, il leur faut un certain temps pour se mettre au travail. Quand ils le font, le lecteur a droit à une enquête assez bureaucratique, somme toute, essentiellement composée d’entrevues de collègues de travail de Vittorio. Donna Leon s’attarde davantage aux ambiances, à la ville, aux rencontres entre ses personnages qu’aux péripéties policières. À défaut d’un thriller palpitant, on se voit tout de même offrir le plaisir de suivre le commissaire Brunetti, un homme bon, humain, qui nous propose une escapade en sol vénitien. On a un peu l’impression d’y être, de sillonner un canal en vaporetto, de boire le café bien noir que Brunetti s’offre, de déguster la glace qu’il partage avec Paola… En ces temps où les voyages se font plus rares, ce n’est pas rien!

Martine Latulippe