Critique: Arnaldur Indridason, La Pierre du remords


 Couverture

Paris, Métailié (Noir), 2021, 345 p.

Un présent conjugué au passé

Quand on pense à Arnaldur Indridason, on songe immédiatement à son personnage d’Erlendur Sveinsson. Ce n’est toutefois pas de cet enquêteur dont il est question dans le roman La Pierre du remords. Indridason, écrivain islandais maintes fois primé dont l’œuvre a été abondamment traduite, nous propose plutôt une troisième enquête mettant en vedette Konrad, un ex-policier retraité de l’escouade des crimes majeurs du Service de police de Reykjavik qui continue de mener ici et là ses propres enquêtes.

Valborg, une dame de 69 ans, a contacté récemment Konrad pour le prier de retracer un enfant qu’elle avait dû abandonner à la naissance, une cinquantaine d’années plus tôt. Toute sa vie a été marquée par cet abandon et elle aimerait retracer son enfant. En raison de circonstances que nous apprenons au fil du récit, la femme avait même refusé de voir le bébé à la naissance, elle ignore donc s’il s’agit d’un garçon ou d’une fille. De plus, l’accouchement n’a pas eu lieu à l’hôpital et il ne semble pas avoir été noté dans aucun registre. Malgré l’insistance de la dame et ses nombreuses demandes, Konrad juge qu’il est irréaliste de tenter de retracer cet enfant avec les maigres informations dont il dispose et il refuse d’aider Valborg. Surtout qu’il est déjà aux prises avec ses propres soucis, puisqu’il mène une enquête pour découvrir qui a assassiné son père, des années plus tôt. Peu de temps après sa rencontre avec Valborg, celle-ci est retrouvée assassinée, dans son appartement qui a été saccagé. Rien ne peut expliquer le meurtre de cette dame d’un certain âge, discrète, qui a porté son chagrin en silence durant des années. Pourquoi cette mort violente ? Konrad s’en veut de lui avoir refusé l’aide demandée et il se résout, après le décès de Valborg, à retrouver l’enfant de celle-ci, découvrant du coup la triste histoire qui a mené à son abandon…

C’est donc un Konrad rongé par le remords que l’on suit à travers les deux enquêtes : il regrette de ne pas avoir aidé Valborg, et il s’en veut d’avoir attendu si longtemps pour tenter de retracer le meurtrier de son père, ce père qui était un escroc et qui a donné à Konrad de bien mauvaises bases dans la vie. En fait, tout tourne beaucoup autour des remords et de la culpabilité dans cette histoire, tant chez l’enquêteur que chez les autres personnages impliqués : Valborg s’en veut d’avoir abandonné l’enfant, Eyglo, l’amie de Konrad, tente de comprendre et réparer les erreurs de son père, etc. À travers ses personnages, Indridason se livre à une réflexion sur la manière dont chacun des gestes de notre présent est teinté par le poids du passé, par ce qui a précédé. Le récit porte beaucoup sur la fin de vie, sur ceux qui restent, et même sur l’au-delà, à travers quelques passages plus mystiques.

Il en résulte un roman humain, sensible, dont le personnage principal, Konrad, est attachant, minutieux, tenace. Ses deux enquêtes avancent petit à petit, sans grand coup d’éclat. On est évidemment loin des romans multipliant les meurtres en série et poursuites haletantes. Ici, on suit plutôt Konrad dans ses réflexions, dans ses entretiens, dans ses contacts avec les gens issus de son passé. S’il ne s’agit pas du roman le plus palpitant d’Arnaldur Indridason, La Pierre du remords est néanmoins un livre fort agréable à lire, que l’on peut aisément apprécier sans avoir lu les deux tomes précédents mettant Konrad en vedette.

Martine Latulippe