Encore dans la mire
de Jean Pettigrew, Christian Sauvé, Norbert Spehner, François-Bernard Tremblay
Exclusif au supplément Internet (Adobe Acrobat, 1 018Ko) d’Alibis 7, Été 2003
Délit de sale gueule…
Le « délit de sale gueule » est une expression bien française qui indique que quelqu’un peut être soupçonné de toutes sortes de méfaits, de mauvaises intentions, voire de crimes, pour la simple et unique raison qu’il aurait un drôle de faciès ! Par exemple, avoir une bouille arabisante aujourd’hui aux États-Unis n’est pas toujours une situation très enviable, et pour cause !
Le Crime de John Faith, un thriller exceptionnel de Bill Pronzini, est entièrement conçu sur ce thème. L’action se déroule à Pomo, un bled paumé et plutôt tranquille de la Californie. Hormis la saison de pêche, on y voit aucun touriste. Mais voilà qu’apparaît John Faith, un costaud à l’allure pas très rassurante: il a un visage repoussant, couvert de cicatrices. Son arrivée déclenche aussitôt les inévitables ragots, les rumeurs et les spéculations les plus folles se mettent à circuler alors qu’il n’est encore rien arrivé de spécial. On imagine sans peine ce qui va se passer quand un meurtre aura lieu et que tous les soupçons se porteront sur le pelé, le galeux, le métèque, le nouveau venu, John Faith.
Avec un sens du suspense remarquable, Pronzini, un auteur souvent sous-estimé, nous entraîne dans la descente aux enfers de ce malheureux Faith dont le seul crime, finalement, c’est d’avoir une sale tête (qui excite tout de même quelques bonnes femmes!) Sa présence agit comme un révélateur de toutes les tares, de tous les petits secrets sordides de ce patelin, soporifique en apparence, mais dont les habitants cachent de très vilains secrets. Dans les placards de la municipalité, des squelettes fort nombreux se mettent à improviser une danse macabre frénétique. Il y aura du sang, des larmes, des cris, de la fureur quand tous les préjugés se retourneront contre l’étranger et que la chasse à l’homme sera ouverte.
Bill Pronzini a commencé sa carrière d’écrivain avec la rédaction de romans érotico-pornographiques écrits sous divers pseudonymes, puis s’est consacré à divers genres dont le roman noir, le roman d’aventures, le western et même la science-fiction. Il est le créateur d’un personnage culte du roman noir, le détective Nameless (Sans nom). Le Crime de John Faith est une illustration parfaite de ses grands talents de conteur… et de fin psychologue ! (NS)
Le Crime de John Faith
Bill Pronzini
Paris, Folio (Policier 277), 2003, 430 pages.
Du rififi à Düsseldorf
D’abord un agacement… Je n’aime décidément pas les affreuses couvertures de la Série Noire et celle-ci ne fait pas exception. Je dois donc me faire violence à chaque fois pour me lancer dans la lecture de certains titres parce que la présentation générale du livre et l’illustration de couverture sont pour moi des facteurs importants dans le choix de mes lectures (il y en a d’autres, mais ceux-là sont majeurs). Oublions donc le look un peu minable de Coups doubles (Horst Eckert) pour nous concentrer sur le récit.
Il s’agit du premier roman de cet auteur allemand à paraître dans la Série Noire et, ma foi, j’espère qu’il y en aura d’autres. Je n’essaierai pas de résumer l’intrigue, qui est fort complexe. Il se passe pas mal de choses et sachez qu’il ne faut pas trop se fier à la quatrième de couverture qui évoque un massacre dans un Fitness Club de Düsseldorf. Certes, massacre il y aura, mais pas avant cent cinquante pages… Avant ça, il y a bien d’autres choses.
En fait, l’intérêt de ce livre se situe plutôt au niveau des personnages, eux aussi fort nombreux, mais dont on retiendra surtout Ela Bach, une jeune commissaire sexy, ambitieuse et intègre qui a fort à faire pour défendre sa place au soleil dans ce monde de flics machos et mal embouchés. Ensuite, il y a Léo, un as des unités spéciales, champion de tir qui voit sa vie professionnelle basculer quand il est atteint de la maladie de Parkinson, et enfin Zander, un ripou sympathique, très efficace sur le terrain. Ce trio improbable en arrive à collaborer dans des conditions difficiles pour résoudre de manière dramatique une affaire bien embrouillée où le crime est une affaire de jeux politiques mafieux, de perversions diverses et multiples. Bref, un bon roman de procédure policière qui ne brille pas nécessairement par son originalité, mais qui procure quelques heures de lecture agréable en compagnie de protagonistes intéressants.
Horst Eckert n’est pas le premier venu dans le krimi allemand. Il a déjà six romans à son actif. Fidèle à la stratégie bordélique de l’édition française, l’éditeur publie ici son cinquième (paru en 2000) qui a remporté le prix Friedrich Glauser 2001. (NS)
Coups doubles
Horst Eckert
Paris, Gallimard (Série Noire), 415 pages.
Quand la réalité s’emmêle !
Pas facile d’être un écrivain de techno-thriller ces temps-ci, car lorsque les données géopolitiques changent d’une saison à l’autre, les conflits imaginaires disparaissent dans la poussière de l’histoire. Goliath, par exemple, est et restera un roman publié entre le 11 septembre 2001 et la fin du régime de Saddam Hussein. Si, au début du mois de mars 2003, certains lecteurs auraient pu être amusés par la destruction atomique de Bagdad telle que décrite dans ce roman, il en était tout autre à la fin du mois alors que de vraies bombes tombaient sur la ville.
Mauvais calcul d’Alten, donc, puisque Goliath se déroule en 2009 dans un monde un peu plus calme que celui d’aujourd’hui. Calme jusqu’à ce qu’un sous-marin furtif construit par des ingénieurs chinois (à partir de plans américains top secrets dérobés par un renégat d’origine russe) détruise une unité aéronavale américaine. Une seule personne survit à l’événement grâce à une évasion terrifiante d’un porte-avions emporté au fond de la mer. Cette séquence choc ouvre le livre et annonce les couleurs : si Alten n’est pas un maître du réalisme, il sait construire une séquence d’action dans laquelle le spectacle l’emporte sur la plausibilité.
Ce côté plus spectaculaire que vraisemblable se reflète aussi dans les idées abordées dans ce livre moitié techno-thriller moitié SF, puisque Goliath mélange sans broncher des tas de concept disparates, allant de la nanotechnologie à l’intelligence artificielle aux recherches sur les armements nucléaires. Ce fouillis a certainement un intérêt ludique, mais n’aide en rien la vraisemblance du livre. Le développement du thème de l’intelligence artificielle « Sorcière », par exemple, n’apporte rien de neuf et son exécution s’approche parfois du ridicule. Pour les amateurs de science-fiction plus rigoureuse, le livre atteint un paroxysme d’hilarité lors d’une séquence inspirée de Frankenstein, alors que « Sorcière » profite d’un orage électrique pour se donner la vie.
Ce manque d’authenticité déteint également sur les séquences où les idées ne priment pas. Goliath est le genre de roman où les quelques personnages principaux se connaissent tous : la survivante de l’anéantissement du porte-avions est la fille d’un amiral important, l’ex-conjointe du vaillant protagoniste et l’ex-collègue du terroriste à vaincre… Les revirements dramatiques se font à coups de traits grossiers et l’intérêt de l’intrigue fléchit aussitôt que ralentit le rythme du roman.
Ceci dit, on aura beau rigoler autant que l’on veut au sujet du manque de réalisme de Goliath, il n’empêche que, pour un techno-thriller, l’auteur montre quand même une bonne connaissance des éléments inhérents à ce genre, et malgré une baisse du rythme vers la fin, l’affrontement entre héros et terroristes aura de quoi retenir l’attention.
La lecture, truffée d’une stupéfiante quantité de termes militaires et d’acronymes, n’est pas simple. La traductrice Marie-Claude Esten s’en tire tout de même bien en préservant le rythme souvent endiablé de la version originale, bien que les lecteurs devront composer avec de nombreuses notes en bas de page ajoutées afin de clarifier les termes moins familiers aux lecteurs francophones.
Techno-thriller dépassé par l’actualité mais d’une audace presque charmante, Goliath s’adresse bien sûr aux férus de gadgets et aux amateurs hyperactifs de Tom Clancy. La réputation de Steve Alten s’est largement bâtie à partir de Meg, un thriller sous-marin qui parlait d’un requin gigantesque à peine crédible; les lecteurs de Goliath ne seront donc guère dépaysés puisque le sous-marin éponyme est construit… en forme de raie géante. (CS)
Goliath
Steve Alten
Paris, Du Rocher, 2003, 492 pages.
Attention ! Blonde, sans peur… et brillante
Voici une nouvelle série parue au Fleuve noir : Fearless, de Francine Pascal, traduit de l’américain évidemment. Les droits de télévision seraient déjà achetés et vous pourriez voir cette nouvelle série pour ados débouler prochainement sur votre petit écran… à moins que le mal ne soit déjà fait. Si c’est le cas, zapper ailleurs, et vite ! Bref, ça ne vole pas haut et pour l’originalité et l’intérêt, on repassera, vous allez voir pourquoi.
Épisode # 4 : La Prochaine sur la liste, avec en sous-titre : « Cette fois, la proie, c’est elle ! »
Un tueur en série rôde dans Washington Square et fait de nouvelles victimes. Gaïa enquête et essaie de le coincer pour lui foutre une raclée. D’un autre côté, il semble que la très belle Gaïa Moore, dix-sept ans, vienne d’obtenir son premier rancard. Cependant, ce n’est pas avec le beau Sam Moon comme elle l’espérait ; ce dernier sort avec Heather Gannis, une petite garce qui lui fait des vacheries. Gaïa accepte donc l’invitation au restaurant de David, un nouveau venu, et ce au détriment d’Ed, son pauvre ami en chaise roulante – qui était aussi l’ex petit ami de Heather alors qu’il était encore sur deux pattes -, beaucoup trop timide pour l’inviter à sortir. Une journée avant son premier rendez-vous, Gaïa prend le meurtrier du parc en chasse, le rattrape, le touche presque, mais doit le laisser filer pour porter secours à une jeune femme victime d’une agression. Finalement, Gaïa traque le meurtrier qui, soudainement, la traque à son tour. Il suffisait donc de se chercher à qui mieux mieux pour se retrouver à la fin avec un bel affrontement.
Épisode # 6 : La Revanche, avec en sous-titre : « Il ne faut jamais provoquer Gaïa… »
Gaïa se fait finalement inviter pour une sortie… à un party en plein lundi soir. Ce qui fait hurler sa tutrice Ella qui, on l’apprend dans cet épisode, est engagé par un dénommé Loki – là, il me manque des données – pour nuire à la charmante héroïne. Bref, quelques filles se font violer et agresser sexuellement par un groupe de jeunes hommes qui n’hésite pas à coter les filles sur une échelle de valeur et à établir des classements. Évidemment, Gaïa est première sur la liste. Ed, le type en chaise roulante, la met au courant des agressions – Heather, la petite copine du beau Sam Moon, a été violée – et soupçonne le beau Charlie, le type qui invite Gaïa. Cette dernière ne le croit pas et dit à Ed de se mêler de ses affaires. Mary, l’amie cocaïnomane de Gaïa, est, elle aussi, agressée par la bande. Gaïa passe à l’action et tend un piège aux agresseurs.
Voilà donc la magnifique histoire d’une jeune fille de dix-sept ans avec de gros muscles. Gaïa n’a rien de féminin, mis à part un romantisme cul-cul et un corps à faire rêver tous les mecs du collège. Pourtant, elle attend encore le premier baiser. Ce qui, avouons-le, ne semble guère sérieux. Elle se trouve laide – bien sûr – et elle s’habille comme les garçons : baskets, jeans, chandail d’équipe sportive, etc. Un vrai tomboy ! Une Wonder Woman sans le costume moulant des grandes occasions. En plus, c’est une catastrophe ambulante, du genre Bridget Jones. Le pire, c’est qu’on n’y croit pas une minute. Une fille de dix-sept ans qui arpente Washington Square en pleine nuit pour y faire la loi… ben voyons ! Et vous vous doutez bien que ce sont les garçons qui l’ont invitée à des sorties qui sont les opposants à sa quête. Comment une fille comme Gaïa, qui n’a qu’un seul ami, en l’occurrence Ed, ne sait-elle pas pourquoi ce dernier a perdu l’usage de ses jambes ? Comment Sam, qui ne cesse de courir après elle et de la chercher du regard, n’a-t-il pas encore touché le cœur de la jeune fille qui ne cesse de penser à lui à toute heure du jour ?
La série, quant à elle, nous prépare à un mélange de Beverly Hills et de Buffy contre les vampires.
Ah oui ! Pourquoi Fearless ? Il s’agit en fait d’un groupe de musique dont Gaïa entend les chansons de temps à autre à la radio. Une prédiction ? On en fera un band qui jouera dans toutes les soirées dans la série télé ! Pour faire court, dans ce que j’ai lu, ça ne justifie pas le titre de la série.
C’est vrai, je ne suis pas le public cible de Fearless. J’ai beau faire des efforts, je trouve cela pitoyable. J’espère que nos ados auront d’autres choses à se mettre sous la dent que ces vieux stéréotypes, sinon… j’vous dis pas ! (FBT)
La Prochaine sur la liste
Francine Pascal
Paris, Fleuve noir (Fearless 4), 2002, 223 pages.
La Revanche
Francine Pascal
Paris, Fleuve noir (Fearless 6), 2002, 222 pages.
Le sommeil et son frère
Je me faisais un plaisir de lire ce roman. De un, ce serait ma première rencontre avec l’inspecteur Pibble, dont les précédents exploits avaient permis à son auteur, Peter Dickinson, de recevoir le Grand Prix de littérature policière 2002 (Retour chez les vivants). De deux, le bouquin était inséré dans une collection que j’aime beaucoup puisque ses deux pères, Claude Chabrol et François Guérif, lui ont donné comme mission de présenter des textes anciens d’auteurs trop souvent oubliés, mais toujours pertinents, je pense ici à Thomas Owen, bien sûr, mais aussi à Augusto De Angelis (voir Alibis 6), Jacques Futrelle, Algernon Blackwood, etc. De trois, la quatrième de couverture me disait que Donald Westlake avait avoué avoir été « émerveillé, envoûté et bouleversé » par ce roman. Enfin, de quatre, l’intrigue, toujours selon la quatrième, versait manifestement dans un certain fantastique. Et patatrac! À trop avoir d’attente, il arrive souvent que l’on soit déçu. Et déçu je fus.
L’histoire n’est pourtant pas inintéressante, voyez par vous-même…
Pibble, inspecteur à la retraite de Scotland Yard, est appelé à la fondation McNair, située dans un ancien manoir recyclé en hôpital pour « cathypniques ». Les enfants qui souffrent de cette maladie ont toujours froid, somnolent sans arrêt, manifestent de l’embonpoint chronique et semblent jouir de pouvoirs télépathiques. Il rencontre la directrice, Pausey Dixon-Jones, un psychologue étrange, Ram Silver, qui s’avérera être un usurpateur, Rue Kelly, le médecin – que Pibble connaît déjà puisqu’il prend quelques pintes avec lui au pub du coin -, Doll, une jeune fille qui est la descendante des anciens propriétaires du manoir, et l’énigmatique monsieur Thanatos, richissime donateur qui inonde de son argent la fondation. Mais Pibble n’est pas le bienvenu dans ce décor, même s’il apparaît comme quelqu’un qui stimule beaucoup le sens télépathique des jeunes. C’est d’ailleurs en raison de sa présence – mais aussi parce qu’un serial killer vient de s’évader et qu’il est le beau-père d’une des petites patientes de l’établissement – que les événements se précipitent : les enfants craignent quelque chose, un feu ravage le manoir, Dixon-Jones y trouve la mort, l’instigateur de tout ça sera découvert par Pibble, mais ce dernier ne peut rien divulguer.
Certes, il y a de l’atmosphère. Ce manoir avec tous ces petits (gros !) enfants endormis ici et là, ce n’est pas banal, et puis les personnages sont assez fascinants, Pibble y compris. Mais, il faut bien le dire, l’action ne lève pas. Pibble, justement, se promène inutilement dans les couloirs du manoir pendant les deux tiers du volume, lui-même ne sachant trop que faire, ne serait-ce que pour justifier sa présence sur les lieux. Et puis les enchaînements sont plutôt lâches, peu convaincants – la rencontre avec Thanatos, entre autres, voire la présence même de ce personnage dans l’intrigue générale, est particulièrement mal amenée -, les liens entre l’intrigue du serial killer et celle du manoir sont bien ténus et on a d’ailleurs l’impression que l’auteur, devant la minceur de son premier propos, a ajouté cette histoire d’évasion pour donner un peu plus de coffre à l’ensemble.
Reste donc l’atmosphère. Et cet inspecteur à la retraite qui fait inévitablement penser à Maigret tant il essaie de « sentir » l’atmosphère, de « connaître » les gens.
Une déception, donc, qui ne me fait cependant pas conclure que La Mort et son frère est un mauvais livre, loin de là, mais qui me permet de vous rappeler que le titre original anglais est bien… Sleep and His Brother. (JP)
La Mort et son frère
Peter Dickinson
Paris, Rivages/Mystère 49, 2003, 309 pages.
Petites villes et grands péchés
En Europe, la Deuxième Guerre Mondiale a laissé des cicatrices profondes dont certaines refusent toujours de guérir. Il faudra certainement encore attendre une ou deux générations avant que les événements tragiques des années 1939-1945 ne suscitent plus autant de passions, de discussions passionnées, voire de déchirements cruels ou de règlements de compte. L’Holocauste, l’Occupation, la Collaboration sont autant de sujets tabous, toujours explosifs dans une France rongée d’histoire.
Dans La Honte leur appartient, Maud Tabachnik aborde un thème qui n’est pas très original en soi, mais qu’elle traite avec beaucoup de talent pour en faire un récit plein de tension et de (mauvaises) surprises. Elle nous convie à une sombre plongée dans le passé répugnant d’une province française. Un homme revient. Il se nomme Walter et prend en charge le cabinet d’un notaire. Autrefois, pendant la guerre, il a vécu ici, avec ses parents. Il a survécu. Ses parents juifs ont eu moins de chance : dénoncés par des notables locaux, ils ont été arrêtés par la milice et livrés à la Gestapo. La suite, tragique, on la devine : la déportation, les camps, les mauvais traitements puis la chambre à gaz ! Alors, pourquoi Jean-Pierre Walter est-il revenu après toutes ces années ? Les (méchantes) langues vont bon train, on spécule, on complote, on essaie de comprendre. Et s’il avait de mauvaises intentions ? Et s’il était revenu pour retrouver ceux qui ont dénoncé ses parents, ceux qui n’ont rien fait pour empêcher l’irréparable ? Dans la petite ville, il y en a qui dorment mal depuis le retour de Walter.
Peu à peu, alors que rien ne le justifie vraiment – Walter ne menace personne -, la tension monte d’un cran, puis d’un autre… La méfiance à son égard, puis l’animosité aussi. Tous ces bons bourgeois aisés ont quelque chose à se reprocher, la paranoïa s’installe jusqu’à atteindre le point de non-retour. Walter voit se dresser devant lui le mur de l’argent et la force du mensonge.
Tout cela est amené fort astucieusement par une romancière habile dans la conduite d’une intrigue dans laquelle la psychologie joue un rôle essentiel, certes, mais qui n’exclut pas non plus l’action : le bilan sera lourd ! (NS)
La Honte leur appartient
Maud Tabachnik
Paris, Le Masque, 2003, 322 pages.
L’état du monde après le 11 septembre…
On n’entre pas dans un roman d’espionnage comme dans un autre type de roman… à moins d’être un adepte, évidemment. Les auteurs du genre et leur lectorat utilisent un même code pour se comprendre, code que doit assimiler rapidement le néophyte s’il ne veut pas rater le bateau. La CIA, l’ONU, l’OTAN, l’Appareil, le Centre, Moscou, Berlin, le Kremlin, l’ex-URSS, l’Islam… tous les noms et prénoms de ceux qui dirigent ces organisations et ces pays… tous leurs représentants qui possèdent des patronymes à faire peur ou à coucher dehors… Le Système Boone est ce genre de roman. Mais Percy Kemp a la faculté de placer ces pions de manière à ce que, après une trentaine pages, l’intrigue nous tienne en selle jusqu’à la fin.
À Beyrouth, Harry Boone coule le parfait bonheur. Il a à son bras la superbe Maria, un bel appartement qui jouxte son lieu de travail et un système parfait, le système Boone, qui le garde à l’abri de tous. Du moins le pense-t-il. En fait, Harry Boone a quitté l’Angleterre et travaille pour le Club House, le Service secret de Sa Majesté. Mais voilà que le gros morceau, celui que tout agent secret normal voudrait avoir un jour dans sa cour, se présente : une taupe à l’interne qui vous fera passer pour un génie et qui vous vaudra toutes les félicitations et les accolades de vos collègues envieux. Mais Harry Boone n’est pas de ces agents secrets là : Boone veut préserver son intimité, sa tranquillité, son système qui lui permet de se la couler douce, de garder un profile bas… mais on lui livre Le Charif sur un plateau d’argent et il s’avère que les informations fournies par celui dont le nom de code est Tiger Woods sont privilégiées et servent à sauver La France de quelques bombes et de centaines de morts.
L’Angleterre redore son blason au niveau mondial et crée des attentes pour d’importantes informations que Le Charif donne maintenant au compte-gouttes. Guy Fennell, qui est parmi les hommes les plus en vue du Club House, est aussi un arriviste et l’importante source qu’est Le Charif commence à le décevoir. Il propose rien de moins que l’exfiltration du Charif en dehors de l’Appareil. Briggs et Boone unissent leurs efforts pour convaincre leur source. À la suite du coup monté de l’attentat à la voiture piégée contre sa propre limousine, Le Charif, que tout le monde croit mort, est rapatrié en Angleterre via Chypre. Mais a-t-il caché des choses aux membres du Club House? Une guerre interne s’ouvre entre arrivistes : Fennell d’un côté et Briggs de l’autre. Lequel des deux clans découvrira la vérité sur Le Charif ?
Le Système Boone est un thriller bien construit qui donne un portrait réaliste des enjeux géopolitiques tels qu’ils nous sont apparus après les attentats du 11 septembre. C’est évidemment une vision bien européenne que nous donne Percy Kemp, qui réussit le tour de force d’éviter de parler des Américains. Dans un autre ordre d’idée, le roman nous présente aussi les dessous pas toujours reluisants du monde des agents doubles, avec ses rivalités, ses manipulations faites par des espions arrivistes et opportunistes. On ne s’ennuie pas avec ce troisième roman de Percy Kemp, de culture britannique par son père et libanaise par sa mère qui, encore une fois, a réussi à livrer la marchandise et ce, en écrivant dans la langue de Molière. (FBT)
Le Système Boone
Percy Kemp
Paris, Albin Michel, 2002, 346 pages.
Disparition banale
Présenté comme un thriller alors que c’est bien plus un roman à suspense, Disparition fatale, de David Morrell, a pour thème une vieille recette du polar contemporain: le retour de la personne disparue (on la croit morte). Quand Brad Denning avait treize ans, son petit frère Petey, neuf ans, a disparu. Une partie de baseball avec les copains après l’école ; Brad, agacé par ce petit frère qui le suit partout, lui ordonne de « dégager » ; plus jamais on ne reverra l’enfant. Depuis, Brad supporte le poids d’une atroce culpabilité. Vingt-cinq ans plus tard, à la suite d’une émission de télévision qui lui est consacré, Brad reçoit la visite d’un inconnu qui se présente comme étant Petey. L’inconnu a une connaissance intime de leur ancienne vie familiale. Il réussit à convaincre Brad qu’il est bien le frère disparu. La joie des retrouvailles sera de courte durée, car l’homme que la famille entière a adopté disparaît en enlevant la femme et le fils de Brad (après avoir tenté de tuer Brad). Qui est-il donc vraiment, ce personnage qui a fait irruption dans sa vie? Son frère autrefois disparu ou un imposteur, comme le prétend la police, qui ne croit pas au retour de l’enfant prodige. Tout cela se joue en quelques pages, au début du roman dont l’action principale est la quête désespérée de Brad pour retrouver sa famille et cet homme énigmatique et dangereux qui prétend être son frère.
David Morrell a écrit de nombreux thrillers, près d’une douzaine dont plusieurs ont été des best-sellers. Disparition fatale n’est pas son meilleur, loin de là. C’est l’exemple type du thriller « fabriqué » qui exige du lecteur qu’il avale de nombreuses couleuvres, dont certaines nous restent en travers de la gorge. On a beaucoup de mal à embarquer dans ce récit qui est trop souvent à la limite du vraisemblable et qui ressemble davantage à un médiocre scénario de film qu’à un roman. Bien avant que la lumière se fasse dans la tête du malheureux Brad Denning, qui en voit des vertes et des pas mûres, le lecteur, lui, a compris de quoi il en retournait avec l’inconnu surgi du passé.
Bref, il ne faut pas trop se poser de questions, faire taire son esprit critique pour embarquer dans cette aventure pas très bien ficelée. À noter cependant que Morrell réussit sa sortie : la fin est soignée et crédible. Pour voir ce qu’un auteur talentueux peut faire avec un thème semblable, il faut plutôt (re)lire les deux romans de Harlan Coben, Ne le dis à personne (Pocket) et Disparu à jamais (Belfond). Du grand art !
Petite anecdote pour terminer : David Morrell est le créateur de John Rambo, un personnage qui est devenu l’incarnation même du militarisme américain. Ce qui est assez paradoxal, soit dit en passant, Morrell étant né… au Canada ! (NS)
Disparition fatale
David Morrell
Paris, Grasset (Thriller), 2003, 342 pages.
Imagination à revendre
David Beck n’est pas un médecin comme les autres. Depuis huit ans, le pédiatre travaille pour Médicaid comme un forcené dans les milieux ouvriers et fortement défavorisés dans un seul but : oublier. Oublier qu’il y a huit ans, sur les bords du lac Charmaine, se joua le drame de sa vie. Ce soir-là, un serial killer du nom d’Elroy Kellerton, alias Killroy, a enlevé sa femme Élisabeth pendant qu’on le matraquait à coup de batte de baseball. Le jour de leur anniversaire de mariage, il ouvre sa boîte de courrier électronique et trouve un drôle de message dans lequel on le convie à un rendez-vous secret vers une webcam avec la mention : « Ne le dis à personne ». Au moment où il croit à une mauvaise blague, il aperçoit un code connu uniquement d’Élisabeth et lui. David n’a pas du tout le goût de rigoler. S’il en parle à ses proches, on va encore l’accuser de paranoïa… Mais lorsque Élisabeth, disparue depuis huit ans, surgit devant la caméra en temps rée, tout le passé revient.
On ne peut pas accuser Harlan Coben de manquer d’imagination. En fait, il en a peut-être même un peu trop et ce pourrait être le plus grand défaut de Ne le dis à personne… Si j’utilise ici le conditionnel, c’est que la lecture et l’appréciation de ce roman peuvent se faire à deux niveaux : Ne le dis à personne… est un roman haletant et fertile en rebondissements auquel le lecteur se cramponne et s’accroche jusqu’à la fin. Les droits cinématographiques seraient déjà achetés par les Studios Canal+/Universal Pictures, selon Claude Mesplède, critique pour le site mauvaisgenres.com. Mais pour le lecteur plus exigeant, Ne le dis à personne… pourrait manquer de vraisemblance avec ce veuf éploré qui joue les héros, déjoue les policiers, se bat avec eux, s’acoquine avec la racaille de la ville, vire cette dernière et tout le passé de son couple à l’envers afin de connaître la vérité sur le meurtre de son épouse et de sa soudaine réapparition sur Internet.
La fin est couci-couça, avec une information que nous avait caché tout au long du récit le narrateur à la première personne, mais qu’il nous livre sans remords dans la dernière page du roman pour provoquer un dernier rebondissement, ce dont on aurait bien pu se passer. (FBT)
Ne le dis à personne…
Harlan Coben
Paris, Belfond, 2002, 354 pages.
Des amis qui vous veulent du mal
Depuis plus de quinze ans, chaque mois, Mary Higgins Clark réunit les plus grands maîtres américains du roman noir et du suspense chez Adams, le célèbre restaurant new-yorkais, afin d’élaborer les intrigues de nouvelles qui paraissent ensuite en recueils sous-titrés The Adams Round Table, dont six sont parus en version originale et deux en traduction. Après Meurtres en cavale, voici Meurtres entre amis, onze nouvelles de suspense inédites sur le thème de l’amitié, réunies par Justin Scott. C’est Lawrence Block qui ouvre le bal avec « Le Dessous des cartes », une enquête amusante, pas très morale, de Matt Scudder. Mary Higgins Clark signe « Vous souvenez-vous de moi ? », récit dans lequel elle nous prouve qu’elle n’a pas perdu son sens de l’intrigue tordue et du rebondissement. « Une nuit au Manchester », de Stanley Cohen, est un des meilleurs récits du recueil. De cette petite histoire diabolique, on retiendra qu’il faut parfois être très prudent dans le choix de ses amis…
De manière générale, tous les textes de cette anthologie témoignent du solide métier de leurs auteurs parmi lesquels on retrouve Dorothy Salisbury Davis, Mickey Friedman, Judith Kelman, Warren Murphy, Justin Scott, Peter Straub et Whitley Strieber. Une exception : Susan Isaacs, dont la nouvelle « Avec les compliments d’une amie » est aussi son premier texte publié. J’ajouterais que le thème de l’anthologie, soit l’amitié, est exploité très largement, avec toutes sortes de nuances et de variantes, comme il se doit. La palme de l’originalité revient cependant au texte de Justin Scott, « Le Ciel a faim », qui met en scène… des animaux. (NS)
Meurtres entre amis
The Adams Round Table
Paris, Albin Michel, 2003, 339 pages.
Du grand art
Le collègue Spehner vous a dit, en page 137 de la version papier de cette revue à l’occasion de la reparution en poche de Ainsi saigne-t-il, tout le bien qu’il pensait de Ian Rankin et de son inspecteur Rebus. Je joins ma voix à la sienne en signalant ici la sortie en poche d’un des meilleurs opus du célèbre inspecteur, L’Ombre du tueur, un roman qui a la puissance d’un coup de bélier et le souffle d’une baleine bleue. Ni plus ni moins qu’un des textes marquants des années ’90 (parution originale en 1997) et qui a justement valu à son auteur le Mystery Writers Award du meilleur polar.
Outre une formidable enquête sur deux tueurs en série – Johnny Bible et Bible John, le premier copiant l’autre, qui a sévi dans les années ’60 -, vous apprendrez plein de choses sur l’Écosse, ses habitants et l’insondable profondeur de la nature humaine.
Du grand art, ni plus ni moins. (JP)
L’Ombre du tueur
Ian Rankin
Paris, Folio (Policier 293), 2003, 642 pages.
Revue Alibis – Mise à jour: Juillet 2003