Martine Latulippe, Simon Roy, Norbert Spehner
Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 0.8Mo) d’Alibis 43, été 2012
À Rome, enquête comme les Romains !
Le premier roman de l’auteur Conor Fitzgerald vient de paraître en traduction française. Doté de l’étrange titre Kompromat, ce récit était paru en anglais en 2009 sous le titre beaucoup plus intéressant de The Dogs of Rome… Tiens, pendant que j’y suis et que je critique les choix éditoriaux, un mot sur cette couverture, accrocheuse peut-être mais sans aucun lien avec l’histoire ! Étranges choix de Rivages, donc, tant pour le titre que la couverture. Enfin.
Conor Fitzgerald est né aux États-Unis et il vit aujourd’hui à Rome, tout comme son personnage principal, le commissaire Alec Blume, d’origine américaine mais installé en Italie depuis ses dix-sept ans. Même s’il y vit depuis des années, le commissaire est très critique de plusieurs façons de faire romaines, spécialement quand il est question de jeux politiques et de corruption. Il aura donc fort à faire lorsqu’il se retrouve en charge de l’enquête sur la mort d’Arturo Clemente, un militant bien connu pour les droits des animaux assassiné chez lui, et marié qui plus est à une importante politicienne, membre du sénat. Ça ne s’annonce pas facile, et ça n’arrange rien quand Blume découvre qu’une des dernières personnes à avoir vu Clemente vivant est la fille d’un des plus importants parrains du crime organisé, qui était la maîtresse de la victime.
Alec Blume tente de mener l’enquête à sa façon, intègre et sans compromis, mais des jeux politiques se mettent aussitôt en branle : la veuve a droit à des traitements de faveur qui font en sorte que Blume a du mal à la rencontrer pour l’interroger, le Ministère fait disparaître des preuves et l’oblige à travailler avec D’Amico, un ex-partenaire qui l’exaspère, on tente de lui « imposer » un coupable… Dans les hautes sphères, on ne veut surtout pas entendre parler d’un crime politique, quitte à accuser le premier suspect potentiel un peu vite… Le meurtrier est de toute évidence un amateur : il a laissé des traces partout dans la résidence de Clemente et il n’est fiché nulle part.
Le rythme est bon, l’enquête est vite sur ses rails et on la suit dans les moindres détails. On reverra le commissaire Alec Blume puisque Kompromat est le tout premier titre d’une série. Le personnage est ferme, rationnel, intéressant, mais aussi assez peu sympathique, arrogant. Il aime bien faire cavalier seul, on apprend à le connaître un peu, à petites touches, mais il est loin de se lancer dans de grandes introspections !
L’essentiel du livre est vraiment constitué d’une série d’interrogatoires, sans grandes révélations. Kompromat est un premier roman correct, mais qui compte malheureusement quelques irritants. On espère que les titres suivants de la série gagneront un peu en profondeur, que les motivations de chacun des personnages seront moins vagues et aussi, avouons-le, que le commissaire sera moins méprisant… Le roman comporte néanmoins quelques éléments prometteurs, mais qui demandent encore à être peaufinés. Je ne crie pas à la grande découverte, mais j’aurai probablement envie de lire le suivant pour voir comment évolue le commissaire Alec Blume. (ML)
Kompromat
Conor Fitzgerald
Paris, Rivages (Thriller), 2011, 510 pages.
La femme, parfait bouc émissaire
Un autre texte sur la réconciliation avec le passé ? Rien d’étonnant chez un auteur qui fut dans une autre vie professeur d’histoire… Certes, il s’en trouvera peut-être pour reprocher à Thomas C. Cook une trop grande parenté entre ses deux plus récentes œuvres traduites en français au Seuil, soit Au lieu-dit Noir-Étang et Les Leçons du Mal (œuvres parues en anglais respectivement en 1996 et 2008, où l’on retrouve, telle une obsession accablante, cette idée d’expiation d’une faute lointaine). Temporalité et structures narratives éclatées aux traitements similaires, exploitation de thèmes que l’on pourrait qualifier de récurrents. Mais peu importe, car si vous avez aimé l’un vous raffolerez forcément de l’autre.
Dans une atmosphère digne des romans de Henry James, voilà une œuvre critiquant la bourgeoisie anglo-saxonne et l’hypocrisie d’une communauté prête à sacrifier l’étranger pour préserver sa placidité coutumière. À cet égard, Au lieu-dit Noir-Étang décrie subtilement les tares d’une société raciste, sexiste et rétrograde, et qui a du mal à concilier ses valeurs avec celles, modernes, que l’on considère subversives si l’on porte les œillères du bon citoyen honnête et droit. Depuis Les Sorcières de Salem, force est d’admettre que peu de choses ont réellement bougé dans certains coins de la Nouvelle-Angleterre…
C’est Bukowski qui écrivait que « [l]a majeure partie des morts l’étaient déjà de leur vivant. » Il ajoutait, sublime dans le sarcasme poignard : « Le jour venu, ils n’ont pas senti la différence. » Récipiendaire d’un prix Edgar pour ce roman intitulé à l’origine The Chatham School Affair, Cook actualise un sujet classique de la littérature américaine (Hawthorne, Miller, Kerouac) en puisant à la source des conflits entre le froid puritanisme sclérosant et la séduction que procurent les fantasmes de liberté et de vie nouvelle. Ce faisant, l’écrivain revisite une dynamique connue mais toujours efficace, celle de l’intemporelle image romantique du héros incompris qui cherche à pulvériser bornes et carcans afin de réaliser tout son potentiel.
Véritable vent libérateur dans ce lieu côtier du Cape Cod aux horizons paradoxalement bouchés, Miss Channing appartient à cette race de gens libres qui tiennent pour vérité que « [l]a vie ne vaut d’être vécue qu’au bord de la folie ». Gageons sur l’hypothèse que Bukowski lui aurait payé, à la passionnée institutrice Channing, un double bourbon en lui caressant, grossier personnage, le genou.
Les habitants bien-pensants de Chatham auront tôt fait de Miss Channing le parfait bouc émissaire des troubles qui perturbent le calme de cette petite communauté du Cape Cod. Comme dans ces romans du XIXe où des écrivains misogynes rejetaient la faute sur ces femmes nouvelles et affranchies, inspirant à la fois de la crainte et une forme perverse de fascination, Cook dépeint un drame qui a connu son dénouement dans les ténèbres saumâtres du Noir-Étang, dans les eaux duquel sommeillent des secrets lourds de conséquences.
En semant çà et là les indices d’une tragédie ayant frappé Chatham il y a de ça nombreuses années, Cook met au point un mystère stratifié dont il se plaît à lever une à une les couches, comme un voile que l’on retire doucement sur un paysage polaroid qui se définit progressivement au fur et à mesure que les grains du sablier s’écoulent. (SR)
Au lieu-dit Noir-Étang
Thomas H. Cook
Paris, Seuil (Policiers), 2012, 355 pages.
Tuer les invalides
Comme pour son précédent roman, l’excellent Sous les bruyères (paru en 2010 en traduction française), l’action de L’Appel des ombres se déroule dans le sud-ouest de l’Angleterre, dans l’Exmoor, là même où Belinda Bauer avait imaginé il y a quelques années les tiraillements d’un adolescent essayant de vivre avec les séquelles laissées sur lui et sa famille par un tueur en série pédophile.
Cette fois encore, un drame humain, une sensibilité et une proximité avec les personnages de la petite communauté de Shipcott imprègnent ce texte pas si éloigné à certains égards de la manière de faire d’un Simenon. S’impose alors une enquête davantage intuitive que cohérente ou rationnelle aux inspecteurs dépêchés sur les lieux de meurtres singuliers. Des gens vulnérables, malades ou en perte d’autonomie (qu’ils soient vieillards, handicapés ou déficients) sont exécutés par une main peut-être aussi libératrice qu’assassine. La douleur de vivre de certains personnages, comme cette femme nommée Lucy, atteinte d’une maladie dégénérative, offre un contrepoids émotif aux considérations criminelles de l’intrigue à la base de ce roman de Belinda Bauer.
Les motifs de ce meurtrier aux allures de Grande Faucheuse demeurent un mystère pour les services de l’ordre, qui semblent bien incompétents face à cette menace. Il en eût moins fallu pour que Shipcott ne sombre dans un climat de terreur et de suspicion invivable. « Les gens continuaient de vaquer à leurs affaires. Ils travaillaient, faisaient leurs courses, promenaient leur chien. Mais c’est l’atmosphère de Shipcott qui avait changé, et tous ceux qui vivaient ici inhalaient désormais les toxines à chaque respiration. Méfiance, peur et confusion se mirent à envahir leurs êtres et tous se toisaient d’un œil neuf, guettant des indices sur l’identité du tueur. » (page 157)
L’agent Jonas Holly représente bien toute l’impuissance de la police locale : antihéros pathétique par excellence, il finit même par devenir attendrissant dans ses maladresses. Méprisé en raison de son incompétence crasse par l’intransigeant inspecteur Marvel, appelé avec son équipe en renfort de la grande ville, Holly subit les pires humiliations de la part de son insupportable supérieur hiérarchique. Ce regard interne sur les rivalités entre services de police ménage des plages d’un humour décalé et savoureux, grâce notamment au caractère irascible du drôlement nommé Marvel, qui se désespère, lui, de ne pas dominer une situation bien particulière dont tous les détails semblent s’amuser à lui échapper. Pour tenter d’élaborer des hypothèses quant aux mobiles possibles, les développements ne peuvent souvent se fonder que sur les qu’en dira-t-on et les actions passées des personnages. Commérages du coin de la rue et téléphone arabe ajoutent à la complexité du contexte rural de cette enquête qui ne fait que progresser lentement, au rythme du dévoilement de l’intimité de l’âme de ces villageois.
Malgré un dénouement quelque peu décevant (on foule un sentier maintes fois battu avec un revirement de situation qui commence à être usé tellement il a été sur-utilisé depuis quelques années), Belinda Bauer continue avec L’Appel des ombres ce qu’elle avait brillamment amorcé avec son roman Sous les bruyères, soit d’amener avec beaucoup d’aplomb et de pertinence le récit policier vers les zones marécageuses du drame psychologique. (SR)
L’Appel des ombres
Belinda Bauer
Paris, Fleuve Noir (Thriller), 2012, 409 pages.
Western slow-motion
Étant depuis toujours un fervent amateur de westerns (cinéma et littérature), j’ai évidemment une affection particulière pour les séries policières qui se déroulent dans les décors sauvages et majestueux de l’Ouest américain, notamment celles signées par C. J. Box, Tony Hillerman, Peter Bowen et quelques autres. On y retrouve souvent certaines caractéristiques ou thématiques du western traditionnel, transposées à notre époque. Parmi toutes ces œuvres, j’apprécie particulièrement les romans publiés par les éditions Gallmeister qui, en plus d’être de bonnes histoires, ont une présentation d’une rare élégance. En plus d’être des romans de qualité, ce sont aussi de « beaux » livres !
Enfants de poussière, de Craig Johnson, est, je crois, le quatrième volet des aventures du shérif Walt Longmire. J’adore cette série, mais dans ce cas, je dois avouer que j’ai été déçu et que j’ai eu un peu de mal me rendre jusqu’à la fin.
Explications… Dans le comté (fictif) d’Absaroka, dans le Wyoming, comté le moins peuplé de l’État le moins peuplé des États-Unis, on ne rencontre pas beaucoup de Vietnamiens. Pourtant, la police locale fait une étonnante découverte : au bord d’une route, on trouve le corps d’une jeune Asiatique étranglée. À proximité des lieux du crime, les policiers arrêtent un colosse indien frappé de mutisme qui est en possession du sac à main de la jeune femme. Dans le sac de la victime, Longmire trouve une vieille photo de lui, prise quarante ans plus tôt alors qu’il était en mission au Vietnam. Qui est cette fille ? Quel lien a-t-elle donc avec Walt ? Est-elle une « enfant de poussière », une gamine de père américain et de mère vietnamienne, conçue pendant le conflit et abandonnée par la suite ? La fille de Walt et d’une prostituée qu’il avait connue là-bas ?
L’affaire s’annonce complexe et plonge notre shérif favori dans un abîme de réflexion qui nous vaut une double intrigue : l’enquête sur la mort de la jeune fille (Walt Longmire ne croit pas à la culpabilité de l’Indien) et, dans une série de flash-back, le récit de son aventure vietnamienne. Une histoire de cow-boy combinée à un récit de guerre ? J’aurais dû être comblé… Mais non ! J’ai eu du mal à accrocher et surtout à persévérer parce que ce roman manque de rythme, s’enlise parfois dans des bavardages inutiles et comporte quelques longueurs.
Bref, ça manque d’action, d’élan. On cherche en vain ce petit quelque chose qui fait qu’on a envie de continuer. Contrairement aux romans précédents, je me suis vite ennuyé et j’ai failli laisser tomber en cours de lecture. Ceci dit, et en toute justice, je me dois de mentionner que ce livre a reçu un très bon accueil, autant aux États-Unis qu’en France ou ici (lire par exemple la critique élogieuse de ma collègue Morgane sur son blogue Carnets noirs), mais pour moi, cette fois, ça n’a tout simplement pas fonctionné malgré la superbe galerie de personnages, une thématique intéressante et quelques dialogues savoureux.
Les aventures du héros ont été adaptées dans la série télévisée Longmire mise en onde sur la chaîne A&E le 3 juin 2012 et créée par John Coveny et Hunt Baldwin avec ce qui semble être une remarquable erreur de casting : Henry Standing Bear, dit l’Ours, le grand chum du shérif (un costaud), est incarné par Lou Diamond Phillips (plutôt gringalet, non ?). Quand à Longmire, il est incarné par Robert Taylor, un acteur australien, Victoria « Vic » Moretti, par Katee Sackhoff et Cady Longmire, la fille de Walt, par Cassidy Freeman. (NS)
Enfants de poussière
Craig Johnson
Paris, Gallmeister (Noire), 2012, 324 pages.
Le duo d’enquêteurs le plus « hot » de l’heure…
J’ai beaucoup apprécié Malédiction, de Jussi Adler-Olsen (voir critique dans Alibis 41), le tout premier volet des aventures du duo d’enquêteurs atypiques que forment le cynique inspecteur Carl Morck et son mystérieux assistant syrien Assad, homme à tout faire dont le passé comporte bien des zones d’ombres. Rappelons que ces deux hommes sont les seuls membres du Département V, officiellement chargé d’élucider de vieilles affaires non résolues mais qui avait été créé en réalité pour se débarrasser de Morck, le reléguer aux oubliettes. Mais les choses ne se sont pas passées comme prévu et le Département V a obtenu un certain succès avec une première affaire.
Dans Profanation, nos deux complices ont maille à partir, cette fois-ci, avec une bande de sadiques assassins, un trio influent d’hommes d’affaires qui font partie des hommes les plus puissants du Danemark. Au départ, le dossier concerne un double meurtre impliquant plusieurs fils de famille, des « intouchables » qui fréquentaient tous la même institution scolaire il y a vingt ans, et qui avaient formé un club plutôt inquiétant dont le credo de violence leur était inspiré par le film Orange mécanique. Ils ont été innocentés par les aveux « spontanés » de l’assassin, un de leurs amis, qui a endossé le rôle de bouc émissaire en échange de faveurs monétaires. Morck est bien décidé à coincer le groupe de sadiques qui n’hésitent pas à liquider ses propres membres quand certains d’entre eux commencent à faire preuve de faiblesse et menacent la sécurité du groupe. Kimmie, la seule fille du club, les a abandonnés et cherche à se venger d’un viol collectif dont elle a été la victime. Étant donné que c’est une tueuse impitoyable et terriblement efficace, il faut que Morck et Assad interviennent avant qu’elle ne passe à l’acte.
À défaut d’être un styliste, Adler-Olsen est un conteur fort habile qui sait maintenir le suspense tout au long de ce gros roman de plus de cinq cents pages. Il n’y a ni temps morts, ni bavardages inutiles. J’ignore si elle reviendra et si le duo se transformera pour de bon en trio, mais l’auteur a cette fois introduit un nouveau personnage, Rose, une adjointe/secrétaire forte en gueule que Morck déteste (et réciproquement) mais qui se révèle être d’une grande efficacité. Sa présence (et celle d’Assad) permet quelques intermèdes comiques dans ce drame poignant qui met en scène une belle galerie d’ordures, de sadiques et de psychopathes issus d’un milieu des affaires qui cache décidément des secrets nauséabonds. Parmi les quelques moments forts de ce thriller de première classe, notons quelques parties de chasse assez peu orthodoxes, où les voyous donnent la pleine mesure de leurs esprits malades. Même la coriace Kimmie finit par se lasser de leurs saloperies. Et elle le leur fera payer très cher…
Si vous faites partie de ces lecteurs de polars que l’invasion nordique post-Millénium a rendus quelque peu blasés, voilà une excellente occasion de vous réconcilier avec le roman policier nordique.
À ne pas manquer ! (NS)
Profanation
Jussi Adler-Olsen
Paris, Albin Michel, 2012, 534 pages.
Familles riches, je vous hais…
Il y a un schéma récurrent dans les derniers polars de James Lee Burke mettant en scène Dave Robicheaux et son copain Clete Purcel : quoi qu’ils fassent, où qu’ils aillent, ils ont le chic pour marcher sur les plates-bandes de familles riches et influentes dont certains rejetons sont des tarés, vicieux et meurtriers, des escrocs ou des requins sans scrupules impliqués dans diverses magouilles ou activités criminelles. Swan Peak est le dix-septième volet des aventures du duo de la Louisiane. Il fait suite à La Nuit la plus longue, un chef-d’œuvre dont l’action se passait à La Nouvelle Orléans pendant les ravages de l’ouragan Katrina.
Parce que Purcel est inconsolable à la suite de la destruction de « sa ville », Dave et Molly l’emmènent dans le Montana, histoire de changer d’air et de pêcher la truite. Mais les amateurs de cette série exceptionnelle ne le savent que trop bien : Clete Purcel est un véritable aimant à mésaventures, il attire les ennuis où qu’il aille, quoi qu’il fasse. Au cours d’une partie de pêche, il est pris à partie par deux individus plutôt louches qui l’accusent d’être entré sur une propriété privée. Les deux malfrats l’ont reconnu à cause d’une sordide affaire pourtant très ancienne et impliquant la disparition accidentelle d’un chef mafieux.
Les deux individus travaillent pour Leslie Wellstone, un riche entrepreneur du coin, un type extrêmement déplaisant, handicapé, grand brûlé, et marié à Jamie Sue, une ex-star très sexy de la musique country, dont l’ex-petit ami purge une peine de prison pour meurtre. Le petit ami en question s’évade après avoir blessé le garde qui abusait de lui. Le garde en question se lance à sa poursuite, alors qu’une série de meurtres et d’horribles faits divers se produisent dans la région où séjourne Robicheaux. C’est le début d’une longue et complexe histoire, impossible à résumer en quelques lignes, une histoire de meurtre, de châtiment, de pouvoir et de rédemption, avec quelques fantômes malvenus surgis du passé. Une fois de plus, Clete Purcel vole la vedette et joue les trouble-fête dans cette saga violente, sanglante mais passionnante.
Des bémols ? Par moments, Burke jongle avec l’invraisemblable… Le dénouement hollywoodien, digne d’un film de Peckinpah, nous rappelle que nous sommes dans une fiction et que les héros de série ont rendez-vous avec la prochaine aventure. Et quelqu’un peut-il m’expliquer comment cet ours de Purcel, qui navigue dans la soixantaine, qui est plutôt bedonnant, avec une hygiène corporelle… disons… relative, arrive à séduire en un éclair deux jeunes femmes superbes dans la trentaine, dont l’une est agente du FBI (une agence qu’il vomit) et lesbienne ? Étonnant ! Je veux la recette ou le mode d’emploi !
Ces détails triviaux mis à part, il reste que James Lee Burke nous entraîne une fois de plus dans l’univers très particulier de Dave Robicheaux, son personnage favori, un monde tourmenté peuplé de personnages remarquables, impliqués dans une intrigue forte, sur fond de paysages bucoliques des Rocheuses.
Burke n’est pas qu’un simple auteur de polars, c’est un poète et un authentique romancier. (NS)
Swan Peak
James Lee Burke
Paris, Rivages (Thriller), 2012, 440 pages.
Apocalypse berlinoise…
Le roman Deux dans Berlin, du duo allemand Birkefeld/Hachmeister a deux atouts majeurs : une description magistrale, apocalyptique des derniers jours de Berlin assiégée par les Russes et bombardée jour et nuit par les Alliés, et une histoire policière hors du commun avec des personnages pour le moins surprenants. Or donc…
C’est l’hiver 1944 à Berlin, et le crépuscule des dieux nazis n’est plus qu’une affaire de semaines, de mois… Kalterer, un membre des services de renseignements de la SS qui se remet d’une blessure par balle, a compris que la guerre est perdue et qu’il doit se racheter une conscience, lui qui a participé activement aux atrocités commises sur le front de l’Est. Il rejoint la police criminelle où il est chargé d’enquêter sur le meurtre d’un haut dignitaire nazi.
Première originalité : le personnage de l’enquêteur, malgré ses « remords » tardifs (qui n’en a pas eu soudainement en Allemagne quand le vent a tourné ?) n’attire pas la moindre sympathie. C’est un salopard de première, doublé d’un bon flic. En parallèle, on suit le destin tragique de Haas, un petit commerçant qui a pété les plombs et insulté le Führer quand il a appris la mort d’un frère tué au front. Emprisonné à Buchenwald, il profite du chaos provoqué par un bombardement pour s’évader et regagner Berlin où il va éliminer tous les fils de… qui l’ont dénoncé à la Gestapo ! Commence alors une partie de chasse et de cache-cache hallucinante entre le limier nazi taraudé par sa conscience, bousculé par ses supérieurs, et sa victime, un paisible citoyen devenu une redoutable machine à tuer qui n’a plus rien à perdre, sa femme et son fils ayant été tués dans des circonstances mystérieuses au cours d’un bombardement.
On retrouve donc ici les ingrédients de base qui ont assuré le succès d’une série comme La Trilogie berlinoise, de Philip Kerr, et des romans qui ont suivi. À une nuance près, cependant : l’humour est totalement absent de ce drame poignant, et le sinistre Kalterer n’est pas un Bernie Gunther !
Richard Birkefeld et Göran Hachmeister sont tous les deux historiens, spécialistes de l’histoire culturelle et sociale du XXe siècle. Leur reconstitution wagnérienne de la chute de Berlin et du IIIe Reich est à couper le souffle et nous vaut des pages angoissantes, magistrales. Ce roman est une magnifique leçon d’histoire enrobée dans une enquête policière à forte intensité dramatique. Car Berlin, c’est l’enfer sur terre, le danger est partout : les bombes alliées qui pulvérisent et incendient des quartiers entiers, les Russes qui envahissent les faubourgs de la ville et qui massacrent tout ce qui bouge, les voisins qui vous dénoncent, les feldgendarmes qui pendent de prétendus déserteurs ou les pillards, les fanatiques des jeunesses hitlériennes qui cherchent (et trouvent) des traîtres pour les battre puis les exécuter sommairement, etc. À quoi il faut ajouter la faim, les privations, les maladies, la vermine et l’odeur des cadavres qui se comptent par milliers !
À noter également que, mine de rien, quelques révélations de taille attendent le lecteur dans les dernières pages. Certains événements de cette histoire apparaissent alors sous un éclairage nouveau et assez surprenant. Quant au sort des personnages principaux, je vous laisse tout loisir de le découvrir vous-même. Je dirais simplement que les auteurs nous étonnent encore un peu plus. Du grand art !
Ce roman a remporté deux des plus prestigieux prix du roman policier en Allemagne : le Deutscher Krimipreis ainsi que le Glauserkrimipreis. Des distinctions largement méritées ! (NS)
Deux dans Berlin
Birkefeld & Hachmeister
Paris, Le Masque, 2012, 430 pages.
Odyssée sanglante à Odessa
Les séries russes ont la cote auprès des auteurs (et des lecteurs) anglo-saxons si l’on en juge par leur multiplication récente et leur parution en traduction. Martin Cruz Smith (inspecteur Arkady Renko) et Stuart Kaminsky (inspecteur Porfiry Petrovich Rostnikov) ont ouvert le bal dès 1981. Depuis on a eu Tom Rob Smith (Leo Stepanovitch Demidov), R. N. Morris (le détective Porfity Petrovitch), Donald James (l’inspecteur Constantin Vadim) et Sam Eastland (inspecteur Pekkala). William Ryan a emboîté le pas à ce dernier avec une nouvelle série dont l’action se déroule en gros à la même époque et mettant en scène l’inspecteur Korolev. Après Au royaume des voleurs, paru en 2011, il revient dans Film noir à Odessa, une nouvelle enquête dont la scène de crime est l’Ukraine de 1937 affamée par Staline.
La scène d’ouverture évoque bien le climat de suspicion et de paranoïa dans lequel vivent les citoyens russes au temps de Staline : Korolev est tiré du lit en pleine nuit par des miliciens et il est persuadé qu’on vient l’arrêter pour l’interroger puis l’exiler dans un camp en Sibérie. Quoique n’ayant strictement rien à se reprocher, il est prêt à toute éventualité et sa valise est déjà faite depuis longtemps… Moment de tension et de pure terreur ! Dans les faits, on vient le chercher pour lui confier une mission délicate : il doit se rendre à Odessa pour enquêter sur le présumé suicide d’une jeune femme un peu trop liée à un haut dirigeant du Parti. La jeune femme faisait partie de l’équipe de tournage d’un film réalisé par Babel, un ami de Korolev.
Rapidement, il se rend compte qu’il a affaire à un meurtre et que les efforts pour le résoudre vont être contrecarrés par les bonzes du Parti peu empressés d’être mêlés à une quelconque affaire criminelle aux relents de sexe. Sur place, Korolev retrouve le « roi des voleurs » de Moscou qui lui apprend que la victime était mêlée à une histoire de trafic d’armes avec les nazis. Par ailleurs, des groupes opposés aux sbires de Staline magouillent dans l’ombre et Korolev aura besoin de l’aide d’une jeune et jolie inspectrice de la milice d’Odessa pour dénouer les fils de ce paquet de nœuds et démasquer les vrais ennemis de la Révolution.
Si vous avez apprécié le premier roman de cette série historique, vous ne serez pas déçu par ce nouveau chapitre des aventures de Korolev, aussi bon que le premier. Habile combinaison d’intrigue historique et policière, sans longueurs ni descriptions lassantes, Film noir à Odessa se lit avec beaucoup de plaisir et se compare avantageusement avec ce même type de roman par d’autres écrivains.
D’ailleurs, si je me fie à la dernière page où se trouve une rubrique « Ce que la presse en dit », on cite l’éminentissime Spehner qui a écrit ceci : « Un polar historique fort intéressant, à la fois instructif et divertissant, premier d’une série prometteuse ». Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi, j’aurais plutôt tendance à le croire sur parole… (NS)
Film noir à Odessa
William Ryan
Montréal, Flammarion Québec, 2012, 334 pages.
Mise à jour: Juillet 2012