Encore dans la mire
André Jacques, Martine Latulippe, Morgane Marvier, Simon Roy, Norbert Spehner
Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 1.0Mo) d’Alibis 42, printemps 2012
Amers fruits de mer, ou la langouste ne passera pas !
L’histoire de la parution des récits d’espionnage de Patrick de Friberg, né Morne-vert, alias du Morne Vert, ou l’inverse, est presqu’aussi complexe que l’intrigue de ses romans !
En 2005, il publie Passerelle Bankovski en France, chez J.M.L. HomoFuturis et Exogène paraissent respectivement en 2006 et 2007, chez Des Idées et des hommes, toujours en France. En 2009, il fréquente la tanière du Castrol Astral avec Le Dossier Déïsis, avant de voguer vers le Québec avec Goélette (Momentum, 2011). Genetik Corp., qui vient de paraître chez VLB (élégante livrée, superbe couverture très représentative du contenu) est donc le sixième volet des aventures trépidantes des agents secrets Jean Lefort et François Carignac.
Dans ce thriller écologique, le résidant le plus célèbre de Château-Richer nous propose une fois de plus une recette gagnante : un récit d’espionnage dans la bonne tradition du genre (plus Le Carré que Ludlum, mais en moins soporifique : un Le Carré sur turbo, quoi) avec un élément de spéculation scientifique, à la fois plausible et terrifiant. Or donc, alors qu’en ce fatidique mois de mai 2011, le monde entier a les yeux tournés vers les centrales nucléaires du Japon qui risquent à tout moment d’holocauster une partie de l’archipel nippon, un autre drame, aux conséquences épouvantables, se joue dans la région. En détruisant les installations secrètes de la Genetik Corp., la vague du tsunami a libéré dans le Pacifique une espèce génétiquement modifiée qui menace de bouleverser la chaîne alimentaire mondiale. Dans le meilleur des mondes, les humains dégustent les crevettes (avec une petite sauce à l’anis, je vous dis pas…), mais pas l’inverse… Et pourtant ! Aussitôt alertés, les services secrets se mettent en branle et Lefort est envoyé en mission. Car derrière les magouilles de Genetik Corp. se profile une sinistre conspiration globale qui vise rien de moins qu’à contrôler l’approvisionnement mondial. En plus de quelques adversaires récurrents, contre lesquels il a déjà ferraillé dans les volumes précédents, Lefort se heurte à un ennemi redoutable nommé… Vladimir Poutine, ce démocrate exemplaire récemment réélu à la tête de la Russie ! Il revoit aussi une ancienne flamme, dans des circonstances peu enviables.
Des confins de la Baltique aux rives du Saint-Laurent, en passant par le Japon et le fond des océans (où les crevettes font régner la terreur !), Patrick de Friberg nous entraîne dans un voyage palpitant, périlleux, avec en prime une réflexion intelligente sur un enjeu stratégique crucial et très actuel : la faim dans le monde et le génie génétique comme solution éventuelle.
Je persiste à croire que si les volumes de cette série de qualité étaient rassemblés dans une seule et même collection, ils pourraient égaler le succès d’un Jean-Jacques Pelletier. Mais ça ne sera sans doute pas pour tout de suite. L’auteur nous informe que Passerelle Bankovski va être réédité chez publie.net en association avec Hachette (pour la version papier), sous le titre de Le Dossier Kristina, ainsi que Le Dossier Déïsis, sous le titre de La Dernière Peste. Quel casse-tête ! Je plains son biographe ! (NS)
Genetik Corp.
Patrick de Friberg
Montréal, VLB éditeur, 2012, 190 pages.
L’étrange carnet noir…
Richard Ste-Marie a publié Un ménage rouge, un premier récit (noir) en 2008 aux éditions Alain Stanké (la rumeur veut que l’auteur en prépare une version remaniée, plus « polar »). J’avais présenté ce « roman singulier qui témoigne d’une imagination débridée et d’un art de conteur tout à fait efficace » dans ces pages (voir Alibis 29) en ajoutant que « le récit est original, bien mené, avec un dénouement qui défie tous les pronostics ». Depuis, Ste-Marie a publié cinq nouvelles remarquables dans cette même revue, dont le formidable « Monsieur Hämmerli » qui a remporté le Prix Alibis 2010, un honneur tout à fait mérité. Et voilà que cet écrivain « migre », quittant Stanké pour publier L’Inaveu chez Alire.
Une fois encore, Ste-Marie réussit à nous surprendre car, fait de plus en plus rare, j’ai lu ce polar hors norme d’une traite. Une fois plongé dans l’ambiance mystérieuse de cette histoire, il devient très difficile de lâcher le fichu bouquin.
Le bref prologue semble pourtant annoncer une sempiternelle histoire de disparition d’enfant, voire de pédophilie, thème surexploité comme celui des tueurs en série. Mais c’est très bref et on passe à tout à fait autre chose… En fouillant dans les effets personnels de son père décédé, Régis Duchesne a découvert deux choses intrigantes : un album de photos dans lequel sont rassemblées des coupures de presse qui racontent, sur plusieurs décennies, des crimes ayant eu lieu à Montréal, et un petit carnet noir dans lequel on mentionne des montants d’argent, apparemment des versements, qui s’échelonnent sur la même période, avec la mention CS. Le père était-il mêlé à des histoires criminelles ? Était-il soumis à un chantage quelconque ? Mystère…
Inquiet, Duchesne confie sa découverte au sergent-détective Francis Pagliaro, de la Sûreté du Québec qui, dans un premier temps, est plutôt sceptique. Comment ouvrir une enquête avec si peu d’indices ? Mais quand certains éléments pointent vers le drame de la petite disparue du Vendredi Saint, une vieille affaire datant de trente-cinq ans et jamais résolue, Pagliaro révise sa position. Comme le lecteur, il est vite obsédé par le défi que posent les documents dénichés par Duchesne. Mais encore faut-il réussir à décrypter ce qu’il y a dans le fameux carnet et dans les coupures de presse.
En plus de capter notre attention dès les premières pages, l’auteur se permet le luxe de nous offrir un polar dont la forme et la structure s’éloignent des codes traditionnels. On commence par une énigme dont la résolution partielle révèle des événements dramatiques qui débouchent ensuite sur une enquête policière qui nous ramène au prologue. L’intérêt est soutenu jusqu’au dénouement logique, bien amené, satisfaisant. Un récit palpitant à ranger d’emblée dans le rayon encore peu fréquenté, en ce début 2012, des bonnes cuvées de l’année ! (NS)
L’Inaveu
Richard Ste-Marie
Lévis, Alire (Romans 146), 2012, 244 pages.
Des meurtres peu académiques…
Je ne m’en suis jamais caché : je ne fréquente guère les ouvrages « Coups de tête » pour la simple et bonne raison que l’idéologie « trash » avouée de la collection heurte de plein fouet mes goûts raffinés de petit-bourgeois timoré. Voilà ! Mes goûts sont plutôt classiques. Ainsi, je préfère nettement les odeurs acres et puissantes des salles d’autopsie du polar contemporain, aux relents douteux de petites culottes sales dont certains auteurs de ladite collection aiment encombrer leurs écrits. Mais bon, l’événement mérite d’être souligné : Le Corps des femmes est un champ de bataille, au titre puissamment féministe, est tout de même le cinquante et unième volume de la collection et le quatre-vingtième livre de Laurent Chabin publié au Québec ! Quatre-vingts bouquins ! Diantre… À quand la présidence d’honneur d’un salon ? Un prix spécial, quelque chose… ? Alors que ce sont toujours les mêmes qui… Bof ! Trêve de polémique, revenons au polar de Chabin qui, malgré les réserves (de sperme) d’usage, vaut le détour. Ça aurait pu s’intituler « petits meurtres sordides entre plumitifs »…
Lee Chatam, un écrivain américain, a assassiné un confrère et rival canadien, Léo Cavanagh, en plus de violer et de tuer sa compagne Maurine. Comme le meurtre a eu lieu le 11 septembre 2001, il n’a pas fait les manchettes. Huit ans après les faits, le meurtrier est exécuté dans une prison du Missouri. Or Chatam, malgré les preuves accablantes, a toujours nié être l’auteur du double meurtre. Que s’est-il réellement passé ce soir fatidique ? Il reviendra à Lara Crevier, une étudiante en littérature, de tenter de faire la lumière sur ces événements aussi tragiques que mystérieux. Elle est persuadée que la clé de l’affaire se trouve dans les écrits respectifs des deux auteurs qui ont chacun connu leur heure de gloire. Pour ce faire, elle relira leurs œuvres respectives, et ira interroger divers témoins qui sont autant de personnages bizarres, inquiétants, colorés… autant de suspects potentiels.
En plus d’une véritable énigme policière, Chabin trace un portrait au vitriol du petit monde névrosé de la littérature : écrivains frustrés, jaloux, égocentriques, petits génies incompris, esprits pervers, etc. Ça prend parfois des allures de jeu de massacre tout à fait réjouissant. En habile conteur, Chabin nous entraîne dans cette quête retorse (les témoins sont tous un tantinet fêlés, tarés ou pervers) où l’analyse littéraire semble plus efficace que la loupe du détective. Coups de caboche oblige (j’imagine), Chabin a saupoudré le récit de quelques séquences peu ragoûtantes. En plus d’être d’un goût douteux, je les trouve gratuites, inutiles. Chabin est un conteur habile et talentueux. Il pourrait se dispenser de ces artifices. Il doit bien savoir que les descriptions un peu crades de reniflage de fluides corporels ne sont pas vraiment les voies royales qui mènent à la gloire (gloriole) littéraire ! Que cela ne vous empêche pas d’apprécier cette histoire somme toute bien ficelée. (NS)
Le Corps des femmes est un champ de bataille
Laurent Chabin
Montréal, Les 400 Coups (Coups de tête 51), 2012, 220 pages.
Les arcanes de la terreur
Francis est de retour à Saint-Clo pour l’enterrement de sa tante Lucie. Quand un meurtre survient dans la petite municipalité, tous les soupçons convergent vers le sociopathe notoire. Et pour le sergent détective Parent, il devient le suspect prioritaire. Car Francis avance précédé de sa réputation : où qu’il aille, un cortège de morts violentes l’accompagne. Grâce au contenu choquant d’une lettre lui étant adressée de manière posthume par sa tante, Francis se découvre des affinités morbides avec elle. Ces révélations inattendues le feront remonter aux origines familiales de la pathologie qui le définit : d’autres venus avant lui étaient pourris jusqu’à l’os.
Une forme aiguë de cinéphilie sert à nouveau d’ancrage au tout dernier psycho-thriller de François Lévesque, Une mort comme rivière, dernier volet de la trilogie des Carnets de Francis. Celui que l’on a connu gamin avec Un automne écarlate, puis adolescent dans Les Visages de la vengeance, nous revient dans un premier temps en 2010 comme scénariste au talent reconnu : Francis est payé pour adapter des romans qu’il transpose au grand écran. Personnage toujours quelque part entre l’ici et l’ailleurs, Francis fait constamment glisser la réalité vers un éventuel projet de mise en scène dans quelque scénario fantasmé. Inoffensive déformation professionnelle, quoi !
On sent cette passion pour le 7e Art non seulement dans les références ou allusions aux œuvres chères à l’auteur (comme cette chambre d’hôtel, la 237, bien sûr), mais jusque aussi dans l’application de certaines techniques propres au langage cinématographique qu’il transpose en efficaces procédés de narration (à preuve cette manière qu’il a de présenter ce micro-récit intitulé « Le Raccourci »).
Après une première moitié de roman se déroulant en 2010, Lévesque brise la linéarité chronologique du récit et revient dans le passé avec les six chapitres inauguraux dont l’action a pour cadre temporel l’année 1995, alors que Francis vient tout juste d’emménager dans un appartement du Centre-Sud, à Montréal. Deux parties distinctes en apparence, qu’une lecture superficielle ferait considérer comme mal assorties. Oui, on est bien toujours dans les Carnets de Francis, sauf que l’on verse d’abord dans un tout autre registre, davantage voisin des Chroniques de Michel Tremblay que d’un cauchemar de Stephen King. Cet épisode montréalais, qui trouve au départ sa valeur principale dans la qualité réaliste de la description des premiers moments de liberté dans la grande ville, finit par se recentrer vers la seule tête perturbée de Francis, en proie aux conséquences des drames dont il a été, plus jeune, victime, témoin ou même responsable. Dès le délire paranoïaque enclenché, le décor urbain se délite, devenu superflu dans la déroute intérieure de Francis qui, habitant une réalité décalée, pense qu’il est rattrapé par les fantômes du passé. Il n’y a dès lors plus d’issue optimiste : la progression de l’histoire passe obligatoirement par celle du drame intérieur de Francis. Comme lorsqu’il tentera d’exorciser en 2010 le mal familial qui lui pourrit la conscience, il n’a d’autre choix que de se laisser sombrer pour faire face à ses démons intimes s’il désire retrouver ultimement une certaine paix.
Pris dans sa tête, naufragé dans ce « luxuriant continent d’inconscience », le lecteur finit par squatter le cerveau malade de Francis. L’accès en est vertigineux. Car on se perd dans ce roman hautement claustrophobe, où, comme Francis, on se noie dans les miasmes de sa psyché noire. Une mort comme rivière s’abîme dans un rythme étourdissant. Une lecture-maelström qui se resserre, hypnotique, gagnant progressivement en intensité, dans le crescendo de l’enfer psychologique de Francis. Au beau milieu de ce dément labyrinthe surréaliste, l’effet nargue toute logique quand on atteint un degré de délire tel qu’il pourrait être issu de l’imagination élastique d’un Michel Gondry, l’inquiétude en prime.
La résolution cathartique ménagera de bien beaux moments de lecture, si inquiétants soient-ils. François Lévesque laisse alors tomber sa retenue cartésienne et accouche du coup d’une écriture libre, pulsionnelle. (SR)
Une mort comme rivière
François Lévesque
Lévis, Alire (Romans 145), 2012, 370 pages.
Entre Alexandre Dumas et Umberto Eco
Curieux roman que L’Apothicaire ! Ce n’est ni un polar ni un roman noir. Mais pour le mystère historique, quel plaisir ! L’aspect ésotérique de l’œuvre s’explique sans doute par le parcours de l’auteur. Henri Lœvenbruck est né à Paris, de parents gallois, tous deux professeurs d’anglais. Très tôt, il éprouve un grand attrait pour la littérature anglo-saxonne et se fait rapidement une place dans le monde de la fantasy en écrivant deux trilogies. À elle seule, La Moïra se vend à 300 000 exemplaires en France et la série est traduite en treize langues. En 2003, il publie Le Testament des siècles, un premier polar ésotérique. Suivront Le Syndrome Copernic, Le Rasoir d’Ockham et Les Cathédrales du Vide.
On ouvre le livre : « Il vécut à Paris en l’an 1313 un homme sans famille qui allait du nom d’Andreas Saint-Loup, mais que d’aucuns appelaient l’Apothicaire. » Ainsi débute ce curieux ouvrage écrit dans une langue châtiée qui fleure bon les temps anciens. Andréas, un matin, découvre dans sa maison une pièce vide dont il n’a aucun souvenir. Ses deux domestiques et son apprenti ne se souviennent de rien non plus. Puis il est intrigué par une toile qui le représente, mais dont semble avoir été effacée la moitié droite où figurait sans doute un autre personnage. Double mystère qu’il cherchera tout au long du récit à élucider.
Mais son enquête est vite perturbée. Ses idées hérétiques et ses conflits avec les autorités civiles et religieuses dérangent. On l’arrête puis le relâche. Sa maison est brûlée et il est obligé de fuir avec son nouvel apprenti Robin Messonnier. Alors commenceront une longue quête et une longue fuite. Parallèlement à cette première histoire, le roman en raconte une seconde : celle de la jeune Aélis Nouet, fille d’artisans de Béziers, qui entretient une relation bien chaste avec le vieux Juif Zacharias vivant en ermite à l’extérieur de la ville. Un jour, Zacharias est assassiné. Aélis, pour le venger, commet alors un crime monstrueux : elle met le feu à sa propre maison dans laquelle ses parents périssent et à celle du prévôt de la ville. Dès lors, elle aussi doit fuir.
Deux fuites donc, qui à un point du roman se rejoignent. Le trio est alors poursuivi par une cohorte d’ennemis : par les autorités de Béziers, par le Grand Inquisiteur de France, par Charles de Valois, frère du roi Philippe Le Bel, et par deux mystérieux chevaliers noirs dont le seul but est d’occire Andreas Saint-Loup. Ainsi, d’embûches en embûches, se poursuit un long parcours aventureux et initiatique à la recherche d’un livre mystérieux : Le Livre qui n’existe pas. Cette quête mènera nos héros jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle puis jusqu’au monastère Sainte-Catherine du mont Sinaï où la lumière se fera enfin sur tous ces mystères.
Passages secrets, ésotérisme, théorie gnostique, tout y est. On pourrait par moments croire qu’Henri Lœvenbruck est un adepte de Dan Brown et de ses clones. Mais le roman se démarque de cette tendance. Contrairement aux thrillers ésotériques ordinaires où l’on trouve des personnages modernes cherchant à percer un mystère ancien, ici, tout se déroule en l’an 1313. En ce sens, L’Apothicaire est plus proche du Nom de la rose d’Umberto Eco que du Da Vinci Code. Le roman se démarque aussi des « clones browniens » par la précision et la justesse de l’information historique et philosophique. Tant au plan de l’histoire même qu’à celui de la médecine et de la pharmacie de l’époque, cette précision frappe et éblouit. Les villes du long parcours sont présentées de façon vivante et méticuleuse et nous permettent de voyager dans cette période trouble de la fin du Moyen-Âge. Point ici de ces théories mal digérées qu’on croirait passées au broyeur et qui ressortent sous forme d’un brouet indigeste comme chez Brown.
L’écriture et le style alerte reflètent bien la langue de l’époque sans tomber dans l’incompréhensible et dans l’abscons d’un dialecte qui pourrait nuire à la lecture. Et l’auteur, comme dans les romans picaresques, multiplie les interventions du narrateur qui se permet, comme à l’époque, de porter des jugements sur l’action et d’y montrer le bout de son nez. Souvent avec humour : « Il faudrait sans doute à notre ouvrage un second volume pour raconter en détail ce voyage qui dura trois longs mois, mais ce n’est pas ici mon intention, ni celle de mon éditeur car, à vrai dire, il ne s’y passa pas grand-chose… » (p. 515).
L’Apothicaire comporte hélas toutefois des faiblesses. Quelques longueurs comme dans toutes ces épopées fantastiques qui prennent la forme d’une quête ou d’un pèlerinage. Mais il comporte aussi quelques invraisemblances. Par exemple, concernant les moyens de subsistance de nos héros itinérants. Parfois, l’auteur nous décrit avec précision la dèche dans laquelle ils se trouvent ; ailleurs, surtout vers la fin, il passe sous silence la façon dont ils s’y sont pris pour couvrir les frais de certaines étapes, et non des moindres, d’un si long voyage.
Malgré ces quelques lacunes, l’auteur nous offre une œuvre envoûtante qui plaira à ceux et à celles qui aiment l’action trépidante, les théories ésotériques, les passages secrets et les bibliothèques borgésiennes. Un assez bon métissage entre les aventures trépidantes d’Alexandre Dumas et l’univers secret d’Umberto Eco.
C’est tout cela qui fait de Lœvenbruck l’un des maîtres du thriller historique à tendance ésotérique. (AJ)
L’Apothicaire
Henri Lœvenbruck
Paris, Flammarion, 2011, 600 pages.
Recherche jeunes filles noyées. Vivantes, s’abstenir…
En 1999, un des événements polars du Canada anglais fut l’arrivée sur la scène d’Andrew Pyper avec un roman atypique intitulé Lost Girls, enfin disponible en traduction, dans lequel il fait le pari toujours risqué de flirter avec le fantastique ! Très vite, il apparaît que cette nouvelle vedette du polar canadien, au risque de désarçonner certains amateurs du genre, prend un malin plaisir à subvertir la formule du polar traditionnel pour en faire une œuvre très personnelle.
Les prémisses de ce récit à suspense sont pourtant assez convenues… Bartholomew Crane, un jeune avocat ambitieux, corrompu et sans scrupule, qui travaille pour le prestigieux cabinet Lyle, Koupov et Associés, rêve de voler de ses propres ailes. Il hérite d’une affaire qui ne l’enchante guère dans la petite ville de Murdoch, une affaire dont ses associés veulent visiblement se dissocier. Il doit assumer la défense d’un certain monsieur Tripp, un enseignant accusé du meurtre de deux de ses élèves membres d’un étrange club de lecture.
L’affaire semble relativement facile, un cas classique d’affaire sans actus reus : même si on soupçonne qu’elles ont été noyées dans le lac voisin, les corps des deux jeunes filles n’ont pas été retrouvés. Sans cadavres, la justice aura bien du mal à condamner Tripp, le coupable présumé, un individu étrange qui refuse de collaborer avec son avocat et se livre avec lui à un curieux jeu du chat et de la souris tout à fait déplaisant. Cet enseignant organisait un club de lecture assez particulier dont les deux victimes étaient les seules participantes.
Ce qui aurait pu n’être qu’un banal thriller judiciaire se transforme peu à peu en suspense gothique, aux accents fantastiques, quand des événements étranges viennent perturber l’affaire : hallucinations, légende de la Dame du lac, passé trouble qui refait surface. Car le lac où a lieu le drame est un endroit que Crane connaît bien. Lui-même a vécu des événements tragiques dans ce lieu maléfique. Le voici soudain aux prises avec des voix qui le tourmentent, devient la proie d’hallucinations. On nage en plein mystère, dans une ambiance de folie, étouffante, angoissante ! Et comme dans tous les romans de Pyper le lecteur peut s’attendre à quelques surprises au moment du dénouement.
Lors de sa parution initiale, en 1999, ce premier roman de Pyper, (dont on a déjà pu apprécier Le Marchand de sable va passer en 2010) a fait sensation. Numéro un des ventes au Canada à l’époque, et lauréat du Arthur Ellis Award 1999, Lost Girls est en cours d’adaptation cinématographique. Pyper en assumera le scénario et Steven Hoban la production. Une affaire à suivre… (NS)
Lost Girls
Andrew Pyper
Paris, L’Archipel, 2011, 436 pages.
Le passé n’est pas toujours garant de l’avenir…
Si vous croyez encore naïvement que les petits villes n’ont pas d’histoire, allez donc faire un tour à Tometilla, un petit bled de la Scanie, à l’extrême sud de la Suède, un lieu où Konrad Jonsson, le protagoniste principal de Ce qu’il faut expier (Olle Lönnaeus), a passé les premières années de sa vie et où il revient après trente ans d’absence, dans des circonstances tragiques. Ses parents adoptifs ont été abattus d’une balle dans la nuque. À la surprise générale, on découvre qu’ils avaient gagné douze millions au Loto. Konrad et son demi-frère Klas sont les seuls héritiers. Du coup, Konrad se retrouve en tête de la liste des suspects, avec un alibi boiteux. Exception faite de Gertrud, la sœur de celui qui fut son meilleur ami d’enfance, Konrad ne trouve guère de réconfort ou de support dans ce patelin minable où, pendant trop longtemps il n’a été qu’un « bâtard de pollack ». D’origine polonaise, sa mère a disparu alors qu’il n’avait sept ans. Qu’est-elle devenue ? Il l’ignore.
Commence alors une double quête douloureuse et pleine d’embûches. Konrad veut tirer au clair le meurtre de ses parents adoptifs, des êtres falots qui n’auraient pas fait de mal à une mouche. Les a-t-on tués pour l’argent ? Pour d’autres raisons inavouables ? Les enquêteurs sont perplexes et reviennent constamment vers Konrad.
Par ailleurs, celui-ci décide de résoudre le mystère de la disparition de sa mère. Au fur et à mesure qu’il refait connaissance avec des gens perdus de vue depuis longtemps, qu’il interroge des témoins, qu’il remue les cendres du passé, Konrad découvre la face cachée de cette ville aux façades grises et à l’esprit étroit.
Dans ce roman noir à l’atmosphère étouffante, qui n’a rien d’un thriller, l’auteur expose la face cachée de la Suède en évoquant une tranche d’histoire assez sordide, celle de la collaboration avec les nazis. À l’instar d’autres pays européens, la Suède avait envoyé des hommes combattre dans les unités SS de l’armée allemande, des jeunes gens fanatisés, perméables aux idées racistes de la race supérieure. À l’instar d’un Henning Mankell et de quelques-uns de ses compatriotes, l’écrivain déboulonne le mythe suédois. Il décrit la Suède comme un pays rongé par la crise et la xénophobie, et dont il étale quelques dessous sales dans une histoire sombre et tragique, qui ne laisse pas indifférent et qui finit tout de même avec une petite note d’espoir.
Olle Lönnaeus est un journaliste suédois qui a publié de nombreuses enquêtes sur l’immigration et sur les extrémismes de tous bords. Ce qu’il faut expier a remporté le prix du premier roman de la Swedish Crime Academy. (NS)
Ce qu’il faut expier
Olle Lönnaeus
Paris, Liana Lévi, 394 pages.
Une deuxième vie, pour le meilleur et pour le pire
Le plus récent polar d’Andrew Klavan, Un tout autre homme, est publié chez Calmann-Lévy, dans la collection « Robert Pépin présente… », rejoignant ainsi les Michael Connelly, C. J. Box, Lawrence Block et autres… Il n’y a pas à dire, il a su s’entourer, monsieur Pépin ! Si j’avais beaucoup aimé La Dernière Confession, de Klavan, j’avais en revanche eu plus de réserves pour ses deux titres suivants, Dynamite Road et Shotgun Alley. Un tout autre homme allait-il me réconcilier avec l’auteur ? En partie.
Fidèle à son habitude, Andrew Klavan commence son roman par un premier chapitre percutant, où il est question d’une nuit cauchemardesque, d’incendie, de pilleurs, d’inondation et d’un mystérieux rendez-vous qui n’a pas de sens… Après ce chapitre un peu brutal et accrocheur, arrive le personnage principal : John Shannon, un criminel de petite envergure ayant déjà un dossier pour quelques vols. Rien de majeur, mais il sait que la prochaine peine sera plus lourde et qu’il ne devrait plus faire de coups. Pourtant, c’est plus fort que lui. Shannon se lance dans un cambriolage qui tourne plus mal que tout ce qu’il aurait pu imaginer. La situation dérape complètement et semble sans issue. Le voilà recherché pour meurtre dans tout le pays. Un mystérieux « ami » le contacte alors et lui offre (lui impose ?) une nouvelle identité, une deuxième vie.
Sa destinée change et bascule presque vers le conte de fées. Il tombe amoureux d’une femme bien, dont le mari est un héros mort à la guerre. Shannon ne se sent pas à la hauteur, il vit avec la menace perpétuelle que cette femme découvre qu’il n’est en fait pas du tout la personne qu’elle croit connaître, mais s’il avait réellement une chance de refaire sa vie ? Pourquoi a-t-il droit à cette deuxième chance ? Et qui la lui offre ? La rédemption est-elle possible ? Juste comme Shannon commence à croire que oui, il réalise qu’il est suivi. Sa nouvelle vie semble avoir un prix, très élevé, qui plus est. Le passé le rattrape, le conte de fées s’effondre.
Le roman propose une trame parallèle à celle-ci : l’histoire du lieutenant Ramsey, un policier en proie aux remords, et c’est vraiment fascinant de voir combien la frontière est mince entre les univers de ce criminel recherché et de ce policier solide et admiré de tous. Très peu de chose les sépare. Comme toujours, Andrew Klavan couvre beaucoup plus large, dans Un tout autre homme, que le seul récit policier. Il est question de racisme, de corruption (des policiers notamment, des politiciens aussi), de la notion d’honneur, qui est très importante, et de celle de honte, qui l’est tout autant.
Le roman porte beaucoup sur les choix que l’on fait. Les ambiances sont glauques et fort bien décrites, la nouvelle vie de Shannon est exposée minutieusement ; on ne se retrouve pas devant un roman haletant, mais plutôt devant un thriller psychologique, souvent désillusionnant quant à l’espèce humaine…
Klavan a un ton bien personnel, original, et son écriture est toujours très cinématographique… surtout en ce qui a trait à la fin, ici. Les ficelles sont parfois un peu grosses (Shannon cherche quelqu’un dans toute la ville et se dit qu’il doit être à tel resto… et bam ! il y est !), ce qui peut être irritant par moments, mais l’ensemble est intéressant, agréable à lire, doté d’une belle profondeur.
Ce n’est pas mon préféré de Klavan, je n’ai pas retrouvé le plaisir de La Dernière Confession, mais c’est un bon récit dont j’ai apprécié la lecture. (ML)
Un tout autre homme
Andrew Klavan
Paris, Calmann-Lévy (Robert Pépin présente…), 2011, 333 pages.
Automne suédois
Mons Kallentoft marque les saisons de ses romans policiers. Après Hiver et Été, il nous offre cette fois-ci Automne. On y retrouve son héroïne Malin Fors et ses collègues de la police criminelle de Linköping, appelés sur les lieux du meurtre de Jerry Peterson. Les suspects ne manquent pas, car Peterson avait grandi près de là, avant de se faire un nom comme avocat à Stockholm et de revenir au pays. Arrogant et hautain, il venait de s’offrir un château, profitant des difficultés financières de la noblesse locale, qui ne lui a pas pardonné.
Malin Fors enquête, mais sans conscience professionnelle réelle. Elle a du mal à se remettre de l’enlèvement de sa fille raconté dans Été, où celle-ci avait failli trouver la mort, et se réfugie comme à son habitude dans l’alcool. Il lui faudra pourtant faire abstraction de ses problèmes pour mener à bien ses recherches et découvrir qui assassine au château de Skogså.
Kallentoft arrive toujours à bien ancrer ses récits dans une saison et un lieu, la grisaille s’installe dans Automne. Les retours dans le passé imposent un rythme de lecture original et les vengeances qui se dégustent froides montrent un village aux rancunes tenaces. Difficile pour la police de démêler ses histoires familiales. Depuis le début de la série, l’auteur fait évoluer ses personnages, en particulier secondaires, de façon intéressante. Très humains, ceux-ci essayent de composer avec leur sens moral et leurs faiblesses, tout en se heurtant à la violence qui est leur quotidien.
Mons Kallentoft ajoute toujours à ses romans une touche poétique à travers les morts qui, flottant au-dessus de Malin, lui parlent pour l’aider à comprendre le crime. Ces passages donnent un effet fantomatique, ils font de la policière un personnage un peu mystérieux, comme si elle seule pouvait les entendre. Cet aspect ne s’accorde pas au style du reste des romans et c’est d’autant plus vrai dans Automne.
L’alcool est également un peu trop présent dans la vie de Malin Fors. Les héros de polar attachés à la bouteille sont monnaie courante et on les apprécie souvent d’autant plus que les autres, pourtant, dans ce cas-là, Malin me semble plus pathétique et beaucoup moins sympathique. Un Rebus soûl tient bien le whisky ; Malin Fors, elle, a malheureusement juste l’air d’une mère de famille alcoolique qui refuse de se faire aider, quitte à en perdre sa fille. Cela pourrait tout à fait être réaliste, mais que ses supérieurs la laissent continuer d’enquêter malgré les preuves évidentes de ses abus l’est beaucoup moins. De plus, ce n’est pas parce que c’est crédible que c’est bon pour l’histoire et cela participe surtout à des longueurs inutiles.
Malgré ces critiques, on prend toutefois un certain plaisir à lire Automne. Ce n’est pas le meilleur roman de Mons Kallentoft, mais il prolonge l’atmosphère déjà installée par l’auteur. Attendons de voir s’il arrivera à mieux recadrer son récit dans le suivant. (MM)
Automne
Mons Kallentoft
Monaco, Le Serpent à plumes (Serpent noir), 2011, 474 pages.
Scène de crime : Carélie
Né en Carélie (Finlande), non loin de la frontière russe, en 1959, Matti Rönkä est rédacteur en chef et présentateur du journal télévisé de la chaîne publique finlandaise. Frontière blanche est son premier roman (date de publication originale ; 2002). Voilà donc un nom de plus à ajouter à la liste interminable des écrivains venus du froid et dont on attend toujours un peu qu’ils nous surprennent, nous dépaysent, bref qu’ils véhiculent à chaque fois cette touche de nordicité spécifique qui a fait le succès des grands ténors du polar nordique.
Or, dans mon échelle de Richter de la qualité polardière, ce premier récit de Rönkä se classerait au mieux comme unhonnête produit de série B. Rien de transcendant, rien d’exceptionnel ni de surprenant mais un polar mainstream, sans grandes surprises si on fait exception du cadre géographique inusité, cette Carélie coincée entre la Finlande et la Russie et qui sert de refuge à de nombreux Russes désireux de trouver de meilleures conditions de travail et de logement que dans leur pays.
Victor Kärppä, un ancien agent du KGB, est un de ces « réfugiés » volontaires qui a déménagé ses pénates à Helsinki où il officie comme détective privé. Pour arrondir ses fins de mois difficiles, il rend parfois de petits services à des mafieux locaux, ce qui l’amène à traverser la frontière pour ramener des documents, de l’alcool, ou encore des cigarettes. Un jour, il hérite de ce qui semble être une affaire de routine : Aarne Larsson lui demande de retrouver sa femme Sirje. Mais rien n’est jamais simple pour ces pauvres détectives : Sirje est aussi la sœur de l’Estonien Jaak Lilepuu, un trafiquant de drogue extrêmement influent et dangereux, qui, pour d’obscures raisons, cherche à dissuader Kärpä d’accomplir sa mission. Et les méthodes du mafieux ont de quoi faire réfléchir les plus coriaces. Mais notre détective, aussi têtu soit-il, n’est pas au bout de ses peines : d’autres semblent s’intéresser d’un peu trop près à cette affaire, notamment un inspecteur de police d’Helsinki, à qui il sert occasionnellement d’indic, ainsi que ses anciens collègues et patrons du KGB.
Rönkä semble avoir lu ses classiques du roman « hard-boiled » car son intrigue, bien ficelée, contient tous les ingrédients habituels de ce type de récit : un dur à cuire obstiné, pas toujours respectueux des lois, qui sait jouer du poing et du revolver, une affaire embrouillée à laquelle sont mêlés de nombreux protagonistes, des scènes d’action et de passage à tabac (un dur à cuire qui se respecte se fait casser la gueule au moins une fois, sinon plus, au cours de son enquête) et un dénouement pétaradant qui apporte son lot de révélations ou de surprises.
Bref, ce polar ne renouvelle pas le genre, mais s’inscrit dans la bonne moyenne de ce type de récit distrayant qui a le mérite de ne pas s’éterniser sur des centaines de pages, avec en toile de fond quelques considérations sociologiques intéressantes sur la vie des deux côtés de la frontière russo-finlandaise. Un divertissement honnête, sans plus…
Remarquons toutefois, en toute justice, qu’il s’agit là, pour le lecteur francophone, du premier roman traduit. Depuis, Rönkä en a écrit plusieurs autres et a récolté de nombreux prix, notamment le Glass Key Award récompensant le meilleur polar nordique, un trophée qu’ont aussi reçu Henning Mankell, Jo Nesbø, Arnaldur Indridason et Stieg Larsson. On attend donc les polars suivants pour se faire une meilleure idée des qualités de cet écrivain. (NS)
Frontière blanche
Matti Rönkä
Paris, L’Archipel, 2011, 254 pages.
Omelette norvégienne
Lire des romans, ce n’est pas seulement distrayant, c’est aussi parfois très instructif ! Par exemple, le mot latin rectum qui désigne ce que vous savez (ou ne savez pas, auquel cas vous avez un sérieux problème !) signifie « droit ». Or la sortie (interne) de la chose n’est pas « droite » mais bien courbe. Les sodomites et autres analystes sont bien au courant de la chose, mais moi, pauvre ignorant qui ne fréquente guère la porte de service, je ne m’étais, à vrai dire, jamais posé la question. Cette pépite de savoir anatomique doit être essentielle puisque Jorgen Brekke, le zillionième auteur de polar norvégien à être publié récemment, nous livre, entre autres, cette information vitale et anale (ça rime !) pas une, mais deux fois, dans Le Livre de Johannes récemment paru.
En toute honnêteté, le fondement de ce roman ne se limite pas à cet orifice, mais concerne aussi une affaire criminelle complexe, un peu longuette, dans laquelle il est question d’un tueur qui écorche ses victimes puis les décapite, et d’un livre datant de plus de cinq siècles, relié en peau humaine, appelé Livre de Johannes, qui décrit les observations du premier médecin de l’histoire pratiquant des autopsies (et qui découvre donc la rectitude essentielle évoquée plus haut !). Selon la rumeur, ce type peu recommandable ne se contentait pas de subtiliser des corps dans les cimetières mais « fabriquait » lui-même les cadavres indispensables à ses travaux au XVIe siècle.
L’affaire moderne, elle, commence en août 2010 quand le cadavre décapité et écorché d’Efrahim Bond est retrouvé au musée Edgar Allan Poe à Richmond en Virginie. La belle enquêtrice Felicia Stone (on ne recrute pas souvent des filles moches dans les commissariats de fiction) est chargée de l’enquête. Quand des événements semblables vont se produire à Trondheim, en Norvège, c’est au policier Odd Singsaker d’entrer en jeu. Récemment opéré d’une tumeur au cerveau, il a quelques difficultés d’adaptation et a une fâcheuse tendance à confondre aquavit et médicaments.
Les ramifications internationales de cette affaire d’écorchés vont obliger les policiers américains et norvégiens à conjuguer leurs efforts et à collaborer. On circule beaucoup (trop) dans ce pavé puisque les péripéties de l’intrigue nous font voyager à la fois dans l’espace (Richmond, Virginie et Trondheim, en Norvège) et le temps (c’est en partie un polar historique). La portion la plus intéressante de l’histoire concerne l’enquête qui se déroule en Norvège, en grande partie à cause du flic local qui a une personnalité intrigante, et parce que c’est là que les choses se corsent. La partie historique, trop délayée dans l’ensemble, est plus anecdotique qu’autre chose et ne convainc pas. Quant au tueur fou qui écorche ses victimes, ça n’en fait jamais qu’un de plus dans le musée des horreurs du polar contemporain. Rien de bien original.
Verdict : distrayant, « instrouctif », mais pas indispensable. (NS)
Le Livre de Johannes
Jorgen Brekke
Paris, Balland, 2012, 480 pages.
Dix petits Suédois !
Surprise en décembre : un nouveau Camilla Läckberg est soudain apparu, comme un petit cadeau parfait pour être glissé dans le bas de Noël, une minuscule plaquette à couverture rigide de pas même cent soixante pages. Autre surprise : depuis 2008, l’auteure suédoise nous a présenté cinq romans, mettant tousen vedette Erica Falck, de même que son conjoint, Patrick Hedström. Or, ce nouveau roman, Cyanure, ne donne la vedette ni à l’un ni à l’autre. Un hors-série, en quelque sorte ! Il y a toutefois un lien : le policier au cœur de cette intrigue est Martin Molin, un collègue de Patrick. Pour le reste, tout est bien différent de ce à quoi nous a habitués Läckberg.
Quelques jours avant Noël, Martin se laisse entraîner à une réunion de famille par sa petite amie, Lisette. Il n’est pas très chaud à cette idée, d’autant plus qu’il ne considère pas cette relation comme sérieuse et vouée à un grand avenir, mais bon… Incapable de refuser, il suit sa belle jusque sur l’île de Valö, où seront réunis les membres de la famille Liljecrona. Celui qui règne sur tout ce beau monde : Ruben, le grand-père, parti de rien et ayant réussi à se bâtir un empire de plusieurs milliards… Tous les autres vivent à ses crochets. Martin constate rapidement qu’une lutte malsaine se joue dans la famille pour s’attirer les faveurs du grand-père et surtout pour mettre la main sur l’héritage. Entre les différents membres du clan, tout n’est que haine, rancœur, méfiance. Et soudain, voilà que le grand-père s’écroule dans la salle à manger, mort d’un empoisonnement. À l’extérieur, une terrible tempête s’est levée, l’île est privée de téléphone, plus moyen de quitter l’endroit non plus…
Ça ne vous rappelle rien ? Dix personnages coincés sur une île, sachant sans l’ombre d’un doute que l’un d’eux est un assassin ? On se croirait dans Dix petits nègres, non ? Effectivement, le ton est donné ! On croirait lire du Agatha Christie, ou assister à un Meurtre et mystère. Une fois le grand-père mort, voilà les neuf convives en plein huis clos, sur une île, s’accusant mutuellement de tous les torts. Martin, en tant que policier, se retrouve dans l’obligation de mener l’enquête. Chacun a évidemment un bon mobile pour vouloir la mort du grand-père et ce décès fait vite éclater toutes les histoires souterraines qui se jouent entre les membres de la famille. Personne, ou presque, ne semble trop s’en faire avec le décès en question.
Camilla Läckberg propose un roman très différent de sa série sur Falck. Dans ce livre, tout est esquissé rapide, alors qu’elle peint généralement des personnages très forts, plus solides. Elle nous réserve habituellement plus de profondeur et de cohérence. Cette fois, on aborde le roman en se disant que, oui, l’histoire est plutôt sympathique, le ton intéressant, mais sans plus. Et quand on arrive à la fin, abracadabrante, on ne peut qu’être déçu… On a l’impression que l’auteure s’est fait plaisir en écrivant ce petit livre, genre d’hommage à Agatha Christie ou Arthur Conan Doyle, mais qu’elle a écrit tout ça un peu vite… Dommage. Vivement un autre Erica Falck, car Cyanure ne nous restera pas en mémoire bien longtemps. (ML)
Cyanure
Camilla Läckberg
Arles, Actes Sud (Actes noirs), 2011, 157 pages.
Académique, mon cher Watson !
Sur la quatrième de couverture de La Méthode de Sherlock Holmes : de la clinique à la critique de Dominique Meyer-Bolzinger, il est écrit cette vérité première : « Bien plus qu’un personnage de roman, Sherlock Holmes est devenu un mythe du XXe siècle ». Et j’ajouterai que ce mythe, on n’a pas fini de l’analyser, de le disséquer, que ce soient les universitaires ou les fans. Au cours des dernières semaines, j’ai retracé pas moins de dix nouvelles études ou essais sur Conan Doyle et sa créature. Les éditions Campagne Première ont fait paraître simultanément l’ouvrage de Meyer Bolzinger déjà cité et Sherlock Holmes & Cie : Détectives de l’inconscient, de Patrick Avrane.
Dominique Meyer-Bolzinger est maître de conférence à l’université de Haute-Alsace (Mulhouse) où elle enseigne la littérature française du XXe siècle. Elle est aussi une spécialiste reconnue du roman policier. Il est difficile, dans une revue grand public, de rendre compte d’un tel ouvrage, de niveau académique, au langage parfois spécialisé, mais qui, Dieu merci, n’abuse pas du jargon inutile, détestable et prétentieux de certains de ses confrères. On peut juste en donner les grands axes d’intérêt. Essentiellement, elle trace un parallèle fort pertinent entre les méthodes du docteur Conan Doyle et du détective Sherlock Holmes.
Ce rapprochement entre la détection fictive et l’investigation clinique se justifie par le fait que « la lecture des signes pratiquée par l’enquêteur remonte aussi bien au déchiffrement des traces par le chasseur qu’à la patiente interprétation des symptômes, épine dorsale de la clinique hippocratique qui fait naître la médecine en la séparant de la magie et de la philosophie ».
Un ouvrage fort instructif, que j’ai lu avec intérêt et plaisir, même si je ne suis pas, a priori, plus amateur que ça des aventures de Holmes. Mais comme le hasard fait parfois bien les choses, je venais de relire une série de nouvelles et de romans quand j’ai entamé la lecture de cette étude. Du coup, l’ouvrage me « parlait » davantage, les exemples cités, toujours très pertinents, étant frais à ma mémoire. Les « sherlockistes » et autres « holmésiens » purs et durs devraient aussi y trouver leur compte. Bref, un livre que je recommande.
Un peu plus complexe, parce que plus spécialisé, le livre d’Avrane établit un parallèle entre les œuvres de Conan Doyle et de Sigmund Freud qui « inventent de nouvelles pratiques dont l’écho résonne toujours […] car chacun, à sa façon, interroge l’énigme de l’âme humaine ». La figure du psychanalyste avec son fauteuil et son divan, celle du détective avec sa loupe et sa casquette, font partie de notre culture et « incarnent, l’un comme l’autre, une part de cette volonté de connaître, de résoudre ou de guérir qui caractérise l’homme ».
On l’aura sans doute deviné, mais Patrick Avrane est psychanalyste, membre de la Société de psychanalyse freudienne et l’auteur de plusieurs ouvrages spécialisés. (NS)
La Méthode de Sherlock Holmes : de la clinique à la critique
Dominique Meyer-Bolzinger
Paris, Campagne Première, 2012, 200 pages.
Sherlock Holmes et Cie : détectives de l’inconscient
Patrick Avrane
Paris, Campagne Première, 2012, 202 pages.
Ce qu’il y a de pourri au royaume du Danemark !
Jusqu’à tout récemment, on ne peut pas dire que les auteurs de polars danois se distinguaient particulièrement. Alors que les Suédois, Norvégiens et Islandais tiennent le haut du pavé avec des Mankell, Larsson, Nesbø et autres Indridason, on cherche en vain une grande vedette de ce calibre au royaume d’Hamlet.
Dans la vague post-millenium on a soudain vu apparaître quelques noms qui ont connu un certain succès sinon un succès certain dans leur pays d’origine, notamment les sœurs Lotte et Soren Hammer, Jussi Adler-Olsen et maintenant Elsebeth Egholm dont on nous dit qu’elle « figure parmi les écrivains actuels les plus populaires du Danemark ». Ses livres apparaissent régulièrement au top 5 des classements littéraires et une série télévisée est en cours de tournage. Je me suis donc tapé successivement United Victims et Organes vitaux, histoire de me faire une idée plus précise du talent de cet auteur. Disons d’emblée que les aventures de la journaliste Dicte Svendsen sont loin d’être aussi captivantes que celles d’une Lisbeth Salander.
Le problème des deux romans est un mal très répandu dans le polar contemporain : leur obésité ! Trop de descriptions, trop de personnages, trop de tout… Dans United Victims par exemple, Dicte enquête sur une affaire spectaculaire : on lui a adressé de manière anonyme un film sur lequel on assiste à la décapitation bestiale d’un homme au corps ligoté par un personnage recouvert d’un drap noir et armé d’un sabre. On songe tout de suite au modus operandi d’une cellule terroriste. L’affaire est confiée au policier John Wagner, mais Dicte ne peut s’empêcher de mettre son grand nez là où il ne faut pas…
L’auteur ratisse large alors qu’au cours de l’intrigue apparaissent nombre de problèmes qui semblent ronger la société danoise : l’immigration et les problèmes d’intégration, les ravages de la pédophilie et, thème obsédant, déjà abordé dans Morte la bête, de Lotte et Soren Hammer (Actes Sud, 2011), la dénonciation d’une justice trop laxiste qui inflige des sentences ridicules et la volonté de réinstaurer la peine de mort pour certains crimes particulièrement odieux. Un menu (trop) riche qui aurait gagné à être allégé.
Le même problème affecte Organes vitaux qui a cependant le mérite de concentrer l’intrigue sur une thématique plus restreinte, plus resserrée : le trafic de tissus humains. On part avec la découverte d’un cadavre mutilé retrouvé sur le parking d’un stade de foot, et on se retrouve avec une affaire d’une grande complexité, aux ramifications multiples. Et Dicte, toujours au cœur de l’action, est confrontée à un drame personnel qui, on l’aura deviné, a un lien direct avec l’affaire. Le dieu des coïncidences heureuses a encore frappé.
Bref, j’aurais eu plus de plaisir à découvrir cet auteur si les deux intrigues avaient été solidement éditées, évidées, pour en accélérer un peu le rythme un tantinet poussif. Meurtre, viol, inceste, agressions, vengeance, racisme, peine de mort, ça commence à être un peu lourd et pas toujours digeste. Et en toute honnêteté, le personnage de Dicte Svendsen n’a rien de particulièrement flamboyant. Alors on peut rappeler ici ce vieil adage : qui trop embrasse mal étreint… (NS)
United Victims
Elsebeth Egholm
Paris, Le Cherche midi (NéO), 2010, 420 pages.
Organes vitaux
Elsebeth Egholm
Paris, Le Cherche midi (NéO), 2012, 513 pages.
Ground Zero ou, le déclin des amers Ricains
Dans une entrevue accordée à Amy Grace Lloyd, éditeur littéraire de Playboy (que je ne lis que pour ce genre d’article, et qui est d’ailleurs disponible en ligne sur le site de Harper Collins), Jess Walter commente ainsi son thriller satirique et surréaliste Le Zéro : « Parfois, je suis d’avis que seuls les auteurs de fiction sont capables de rationaliser vraiment ce qui nous est arrivé le 11 septembre. Nous avons été attaqués par des fanatiques religieux désireux de commencer une guerre au Moyen Orient et nous avons riposté… en déclenchant une guerre au Moyen Orient ! Nous avons aveuglément troqué nos droits civils et notre vie privée contre une illusion de sécurité. […] Nous vivons dans un monde qui ne peut avoir été imaginé que par Graham Greene et Franz Kafka au cours d’une bamboche de fin de semaine, en compagnie de George Orwell pour rédiger les slogans ».
À cette fine équipe de cauchemar, j’aurais ajouté Joseph Heller et Kurt Vonnegut, tant l’élément satirique est partie prenante d’une intrigue passionnante, certes, mais qui va certainement diviser les lecteurs. Autant vous avertir tout de suite, Le Zéro n’est pas vraiment un roman de genre et je ne suis pas sûr que de l’avoir « enfermé » dans une collection spécialisée rende vraiment justice à ce qui est une authentique œuvre « littéraire », digne d’une collection « blanche » ! De plus, c’est un livre « qui se mérite », qui demande un effort de lecture soutenu. Qu’on en juge…
Brian Remy, le personnage principal, un flic traumatisé par la chute des tours (il était sur place) se réveille cinq jours après les attentats et constate qu’il est blessé à la tête. Il a tenté de mettre fin à ses jours avec son arme de service. Résultat : il a des troubles de la vue et, surtout, des pertes de mémoire, des « absences » inexplicables. Conséquence de tout cela, la narration est pleine de trous… Par exemple, Rémy est à un certain endroit (sans savoir où ni pourquoi), en compagnie de gens qu’il ne connaît pas (alors que visiblement eux savent qui il est) et… se retrouve soudain ailleurs, faisant autre chose, toujours sans savoir au juste ce qui s’est produit avant. Il a une liaison passionnée avec une femme qu’il ne connaît pas, son propre fils le considère comme mort même s’il ne l’est pas, et il est engagé par une mystérieuse Agence de Documentation chargée d’un boulot obscur qui a pour mission de récupérer les papiers des deux tours (des milliers et des milliers de pages documents dispersés par la catastrophe). Apparemment, ils traquent aussi une obscure cellule terroriste.
Un peu désorienté, j’ai failli lâcher au bout de quelques pages. Mais devoir de critique oblige, je me suis accroché et j’ai fini par être séduit par cette étrange histoire, ce personnage qui évolue dans un brouillard constant, aveugle face à ses actes et à ceux des autres mais de plus en plus conscient que quelque chose ne tourne pas rond. Confus, effrayé, voire révolté, il se débat dans une atmosphère surréelle de crise, de paranoïa. Les séquences satiriques et drôles (notamment les dialogues hilarants avec son partenaire Paul) alternent avec des moments de réalisme cru – comme la description très précise de la récupération des restes humains sur le site – et l’évocation des conséquences tragiques de l’après 9/11. Bien des lecteurs seront frustrés car le voile de brouillard qui enveloppe la narration ne se dissipe pas par miracle à la fin. Bien des questions restent en suspens… Mais Le Zéro est une puissante réflexion sur l’après-catastrophe, sur la récupération politique et commerciale (il y a des éléments ahurissants, révoltants) d’un événement traumatisant qui a conduit l’Amérique au bord du gouffre.
Le Zéro est un tour de force littéraire et un document sociologique de premier plan : l’auteur a eu accès au site et a interviewé de nombreux témoins, flics, pompiers, survivants, etc. Bref, l’effort en vaut la peine. (NS)
Le Zéro
Jess Walter
Paris, Rivages (Thriller), 2012, 134 pages.
Diamant noir
« La vie avait des angles aigus
et des bords coupants. »
Les Anges de New York, R. J. Ellory
Une baignoire pleine de sang. Un homme y achève au rasoir sa copine avant de se faire gicler la jugulaire avec le même instrument. Boucherie en direct sous le regard pétrifié de l’inspecteur Frank Parrish, appelé à l’aide pour tenter de raisonner le forcené.
Le nouveau roman de R. J. Ellory, Les Anges de New York, est à l’image de cette scène d’ouverture aux teintes rouge vif : les éditions Sonatine nous lancent en pleine gueule une œuvreretentissante qui fouille l’intimité ombrageuse d’un flic du NYPD. L’impact des tragédies dont Frank Parrish a été témoin au fil des affectations est à la hauteur de cet horrible spectacle décadent de l’horreur humaine. Intensité sans compromis.
Frank a le soliloque sincère. D’une richesse intérieure rappelant le meilleur d’un Harry Bosch ou d’un Wallander, cet homme usé nous arrive en pleine débâcle, lui qui lutte pour ne pas se laisser hanter par les ombres de ses échecs. Vingt ans de métier, ça mine la conscience. Alcoolo, agressif, aussi brutal dans ses manières que vulgaire dans ses paroles, il porte sur ses épaules le poids des secrets agissements interlopes de son père, qui, à force d’exploits au sein de la brigade criminelle du NYPD, s’est forgé une réputation extraordinaire au sein du groupe nommé les Anges de New York. John Parrish est ce célèbre policier qui a traqué des membres de la mafia new-yorkaise avant de se faire descendre. Or l’heure a sonné pour Frank de déboulonner ce mythe qui lui pourrit l’existence, car qu’on se le dise, la police de New York est un rouage du système criminel organisé. Et son père John, derrière de trompeuses apparences, n’était à tout prendre qu’un ripou à la solde de ceux qu’il pourchassait.
Parmi tous les dossiers qui occupent Frank en ce début septembre 2008, il en est un qui l’obsède : des filles sont kidnappées, droguées, forcées à avoir des relations sexuelles filmées. Avant d’être exécutées devant la caméra… Ses soupçons deviennent certitude : un tueur en série sévit.
Ponctué de visites quotidiennes chez la psy du service de police, le récit nous montre à prime abord un Frank Parrish réticent à s’ouvrir à cette femme censée lui faire mieux vivre les épreuves de son métier et le stress inhérent à sa pratique. Si ces visites peuvent sembler plaquées sur le reste de l’intrigue, comme si elles étaient artificiellement imbriquées à l’ensemble, il faut reconnaître que le procédé peu subtil sert finalement de soupape d’aération, de relais qui permettent à Parrish (et au lecteur) de faire le point sur l’enquête et de mettre les faits en perspective. Ces confidences constituent en quelque sorte un accès – plutôt artificiel ou maladroit sur le plan narratif – aux tréfonds de sa conscience, une plongée dans ses secrets personnels et professionnels.
Les Anges de New York n’emprunte pas la voie souvent utilisée des multiples fausses pistes qui servent parfois moins à piéger le lecteur qu’à donner à l’ouvrage une épaisseur (et un prix de vente majoré ?). Non, Ellory creuse l’essentiel. Peu d’errances stériles. On travaille une piste, une seule, et on fore sans perdre de vue le filon initial. Dès que les soupçons tendent vers une direction, on concentre son attention sur tel suspect prioritaire. La percée s’avérera ultimement fructueuse.
Un tout est-il nécessairement la somme de ses parties ? Pas forcément si on a pour objet d’étude ce dernier roman d’Ellory. Sur le plan de l’enquête, rien de bien original à signaler ; quant au désabusé Frank Parrish, il est un cliché dans le genre. Si, prise isolément, chaque partie ne fait que revisiter des lieux communs, l’ensemble est pourtant convaincant. Il faut chercher ailleurs l’intérêt de cette œuvre, qui réside, paradoxalement peut-être, dans ses défauts les plus apparents.
En effet, les explorations psychologiques des nombreux personnages, même si elles finissent par ne pas être toujours au service de l’histoire en en freinant le rythme, donnent justement toute sa crédibilité et sa profondeur au projet littéraire.
Conciliant, R. J. Ellory use des conventions du genre pour installer son lecteur dans une zone de confort qui ralliera les adeptes du thriller, certes, mais il nous convie surtout à un examen approfondi de la psyché d’un type qui a vu de quelles bassesses est capable un être humain. Les réflexions de Frank sur la nature profonde du mal atteignent une pertinence envoûtante. La pénétration de la psyché malade du tueur en série, l’établissement de son profil méritent toute notre admiration.
Les Anges de New York, un roman à l’image de Frank Parrish : dur, implacable comme un snuff movie, il oblige sans complaisance à regarder en face la réalité noire. (SR)
Les Anges de New York
R. J. Ellory
Paris, Sonatine, 2012, 551 pages.
Revue Alibis – Mise à jour: Avril 2012