Encore dans la mire 40

Encore dans la mire

André Jacques, Martine Latulippe, Simon Roy, Norbert Spehner

Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 988Ko) d’Alibis 40, automne 2011

Martina en deux temps

Deux romans, une auteure : Martina Cole. Sur les deux quatrièmes de couverture, on la décrit comme étant la « reine du polar social ». Je n’avais encore jamais lu la dame, alors je me lance, pleine d’enthousiasme, et propose de faire la critique de ses deux derniers romans, Caïds (paru en 2010) et La Cassure (2011).

CouvertureCaïds aurait aussi bien pu s’appeler « Comment fabriquer un caïd » tant c’est de cela qu’il s’agit. Le roman nous présente Danny Cadogan, le « plus gros calibre du Royaume-Uni » (p. 24), rien de moins ! Il fait régner la peur, rien ne peut se faire sans sa bénédiction. Tous le craignent, y compris sa femme et sa mère. Peut-être même en particulier sa femme et sa mère… C’est ainsi que s’ouvre cette histoire, puis Martina Cole nous propose un retour en arrière qui illustre comment Danny a pu devenir un caïd absolument dénué de scrupules, prenant plaisir à voir la souffrance des autres. À devenir un monstre, pour être plus précise. Tout bascule peu avant les quatorze ans de Danny, lorsque son père, joueur et alcoolique, contracte une dette et disparaît dans la nature, laissant sa femme et ses enfants se débrouiller seuls face aux deux individus réclamant le remboursement. Danny doit dé­fendre sa famille et se retrouve « promu » brusquement au rang de chef de famille. Finie l’école, il doit assurer la sécurité des siens. Privé d’adolescence, il s’impose peu à peu comme un des joueurs importants des milieux sombres de Londres, en compagnie de son ami de toujours, Michael Miles. Tous deux bâtissent un empire, Danny appuyant le tout sur la haine, ne reculant devant rien, allant jusqu’à négocier pour que son propre père reçoive la raclée de sa vie… À la moindre contrariété, il élimine le gêneur. De plus en plus caïd, de moins en moins humain, Danny semble plonger de plein gré dans un destin qui apparaît difficile à éviter dans le milieu d’où il vient. L’auteure dessine avec beaucoup de justesse un univers glauque, sombre, qui ne pardonne rien et où l’espoir n’a pas sa place. En arrière-fond, une analyse sociale bien définie, mais Caïds est avant tout un portrait. Il n’est aucunement question ici d’enquête ou de suspense. La vie de Danny Cadogan est rapportée de A à Z, minutieusement racontée, un portrait méticuleux, fouillé, qui présente des personnages forts et crédibles, mais qui offre aussi quelques longueurs, quelques répétitions. Le roman s’essouffle un peu par moments. Caïds est un livre noir, avec des moments forts et un personnage principal spectaculaire, mais qui n’est hélas pas enlevant.

CouvertureLe second roman, La Cassure, s’annonçait a priori plus haletant : des enfants dispa­raissent en série. Chaque fois, des témoins les ont vus, quelques instants avant leur mort ou leur disparition, en compagnie de leur mère… Pourtant, les mères nient toutes catégoriquement avoir été sur les lieux… Prémisse accrocheuse et intrigante !

C’est l’inspecteur Kate Burrows qui est chargée de l’enquête. Policière efficace, décidée et toujours effarée par le nombre de vies gâchées qu’elle voit défiler dans le cadre de son travail, Kate aura fort à faire puisque les cas ne cessent de s’accumuler. Chaque fois, les enfants proviennent de milieux assez dysfonctionnels pour que leur disparition ne soit pas remarquée immédiatement. Kate est déchirée entre la volonté de mener une enquête objective et la tentation de juger les mères pour leur négligence, leur indifférence.

L’histoire dévoilée par ces disparitions s’avère proprement horrible. Comme si le poids de cette enquête ne suffisait pas, la vie personnelle de Kate connaît aussi de nombreux soubresauts, puisque l’homme qu’elle aime, Patrick, un caïd qui prétend avoir abandonné son ancienne vie pour elle, se retrouve dans de beaux draps… au point de se faire tirer dessus en pleine rue. Kate Burrows en a plein les bras. Elle sera amenée à poser des gestes qui vont complètement à l’encontre de ses valeurs et réalisera que la frontière police/truand peut être bien mince…

Bien que l’idée de départ soit très bonne et que le sujet abordé soit on ne peut plus troublant (quel drame, ces nombreux destins d’enfants déchirants), le roman a franchement du mal à trouver son rythme. De plus, les dialogues sont si franchouillards que c’en est parfois exaspérant ! La Cassure offre bien peu de surprises au final et le lecteur voit tout venir assez aisément.

Bref, tant pour Caïds que La Cassure, plein de bonnes intentions, des personnages intéressants, des idées fortes mais pas toujours exploitées comme elles auraient pu l’être, et hélas, dans un cas comme dans l’autre, pas de grandes révélations pour ma part… (ML)

Caïds
Martina Cole

Paris, Fayard, 2010, 653 pages.

La Cassure
Martina Cole

Paris, Fayard, 2011, 589 pages.

Méfiez-vous des âmes pures !

CouvertureLa jeune journaliste Audrey Grimaud est dé­pêchée afin de couvrir une affaire d’incendie criminel dans un hameau d’une campagne austère où sévit un mystérieux tueur en série surnommé l’Empailleur (on imagine facilement le sort réservé aux victimes !). Ce hameau est une communauté de « purs », une sorte de secte de gens vivant à l’écart du monde selon des principes rigides et pour le moins singuliers. Le passé d’Audrey est étroitement lié à ce lieu puisque, petite, elle y passait ses vacances chez ses grands-parents. L’incendie criminel qui a fait sept victimes parmi les Purs est-il lié aux meurtres en série et à l’histoire inquiétante de ce bled paumé ? C’est ce que vont tenter de découvrir Audrey et les enquêteurs dépêchés sur les lieux. À leurs risques et périls, car la mort rôde encore et toujours…

J’aurais eu plusieurs bonnes raisons de ne pas lire Le Hameau des purs, le troisième thriller de Sonia Delzongle, journaliste, écri­vaine et artiste douée à ses heures (allez jeter un coup d’œil sur son site Internet) : un écrivain français qui publie au Québec, c’est déjà louche ! Chez Cogito Médias Group, un éditeur montréalais que je ne connaissais pas, jusqu’à ce que je découvre que c’est une autre aventure de Pierre Turgeon (sa quatrième ou cinquième), l’homme qui collectionne les bons coups et les faillites ! Une sempiternelle histoire de tueur en série ?

Bref, n’eût été d’une promesse faite à l’auteure, je serais passé un côté d’un bon polar lequel, sans être sanglant, flirte parfois avec l’horreur. L’histoire est bien rythmée, les personnages intéressants et l’intrigue est complexe. Il faut cependant un certain acte de foi du lecteur : un tueur en série de ce genre, qui opère dans un petit patelin sans se faire prendre, il faut y croire ! La partie la plus réussie de ce livre, qui est aussi la plus intéressante, concerne la jeune d’Audrey et ses séjours rocambolesques dans le hameau, au milieu de ces « Purs » qui la rejettent parce qu’elle n’appartient pas au clan. La galerie de personnages bizarres que l’on croise est assez remarquable. Le moins qu’on puisse dire c’est que l’auteure a une plume et de l’imagination à revendre.

Quand je suis arrivé au chapitre où Au-drey se réveille dans ce qui semble être un asile psychiatrique, j’ai eu peur que l’auteure nous fasse le coup de Shutter Island (tout cela n’est que délire et hallucinations), truc facile et éculé qui m’avait fait détester ce polar de Lehane. Mais la belle Sonia a plus d’un tour dans son sac et relance son intrigue de façon magistrale et bien pensée jusqu’au dénouement qui en surprendra plusieurs. Sonia Delzongle n’est pas vraiment tendre avec ses personnages, mais je n’en dirai pas plus…

Le Hameau des purs est un thriller atypique (avec une légère, très légère touche de fantastique) dans lequel l’auteure n’hésite pas à prendre quelques risques. Bref, voilà une auteure à découvrir qui mériterait certai­nement un auditoire plus large. (NS)

Le Hameau des purs
Sonia Delzongle

Montréal, Cogito Medias, 2011, 380 pages.

Meurtres et disparitions à Atlanta

CouvertureNée en 1971, Karin Slaughter est née et a grandi dans une petite bourgade du Sud de la Géorgie. Elle vit maintenant à Atlanta. Elle est l’auteur d’une série de six romans policiers remarquables dont l’action se dé-roule à Grant County, en Géorgie et dont les protagonistes sont Sara Linton, pédiatre et coroner du comté, et son compagnon, le shérif Jeffrey Tolliver dont la carrière s’est terminée de manière explosive dans Hors d’atteinte (Grasset, 2010), le dernier roman de la série. En parallèle avec les polars dits de Grant County, Slaughter a commencé une nouvelle série, inaugurée avec Triptyque (Grasset, 2008), où apparaît Will Trent, un agent du FBI, le personnage principal de Irréparable, une autre belle réussite de cette talentueuse polardeuse.

Le début fulgurant de ce récit est un morceau d’anthologie. La scène se passe à Ansley Park, un des quartiers les plus prisés d’Atlanta. Quand Abigail Campo rentre à la maison, elle découvre le cadavre ensan­glanté de sa fille. L’assassin est encore pré­sent, couvert de sang, penché sur le corps, le couteau à la main. S’ensuit un corps à corps brutal, une chute dans l’escalier et quand la mêlée est terminée, Abigail a tué à mains nues l’agresseur de sa fille. Un cas exemplaire de légitime défense…

L’inspecteur Will Trent du Georgie Bureau of Investigation (branche locale du FBI) est envoyé sur les lieux et prend le contrôle de l’affaire. Il lui suffit de quelques minutes pour s’apercevoir que la police locale a commis une grave erreur d’interprétation. Tout le monde s’est trompé sur ce qui s’est réel­lement passé (tout un choc pour le lecteur naïf !) et une deuxième affaire est mise à jour : une adolescente a disparu et le tueur court toujours ! Bref, une entrée en matière brutale, ingénieuse, retorse qui vous donne d’emblée l’envie d’en savoir plus.

Pour mener cette enquête épineuse, le loup solitaire Will Trent est jumelé, à son corps défendant, à Faith Mitchell qui a des raisons très personnelles de le détester profondément. Malgré cette animosité, les deux flics en arrivent à collaborer et à former une équipe efficace. Et la suite mérite largement le détour…

Avec Val McDermid, Mo Hayder, Maud Tabachnik et quelques autres auteurs féminins, Karin Slaughter a toujours su résister aux sirènes et mièvreries du polar chick lit (un mauvais genre de plus en plus envahissant, hélas…). Ses intrigues sont réglées comme des horloges suisses. Elle nous accroche dès les premières pages, avec des personnages crédibles et forts, dont elle dépeint avec fi-nesse les forces et les faiblesses. Par exemple, Faith Mitchell va découvrir que l’agent Will Trent, l’as des as du FBI, souffre de dyslexie sévère, un mal qu’il a toujours pris soin de dissimuler, mais qui vient cette fois compliquer son travail d’enquêteur.

Karin Slaughter est une valeur sûre du polar contemporain, et Irréparable en est une autre preuve.

Fortement recommandé… (NS)

Irréparable
Karin Slaughter

Paris, Grasset (Thriller), 2011, 381 pages.

Moscou, la nuit. Septième cercle de l’Enfer

CouvertureQuand un auteur utilise un personnage récurrent, l’un des plaisirs de ses lecteurs est souvent celui des retrouvailles. D’un roman à l’autre, on suit le personnage, on voit son évolution, on retrouve un univers familier. C’est ce qui se produit avec la série de Martin Cruz Smith mettant en scène Arkady Renko. Une série vieille de trente ans. C’est en effet en 1981 que Martin Cruz Smith publie Parc Gorki, le premier roman où apparaît cet inspecteur opiniâtre et incorruptible de la police russe. Mais contrairement à d’autres auteurs qui usent prématurément leurs personnages en se croyant tenus de pondre une nouvelle aventure chaque année, Martin Cruz Smith se laisse désirer. Ce n’est qu’en 1990 et 1992, presque dix ans plus tard, qu’il nous donnera deux nouvelles enquêtes de Renko : L’Étoile polaire et Red Square. Puis, nouvel écart de huit ans : en 2000, Cruz Smith publie Havana Bay qui se déroule à Cuba ; en 2006, Chiens et loups, portrait apocalyptique de la région de Tchernobyl ; en 2008, Le Spectre de Staline. Et enfin, l’an dernier, Moscou, cour des miracles, la septième enquête d’Arkady Renko. On ne peut pas dire que l’auteur exagère.

C’est donc un héros vieilli et usé que l’on retrouve dans ce roman. Mis au rancart par son supérieur, il est considéré comme un emmerdeur, un enquêteur embarrassant et dérangeant qui refuse de lâcher l’os qu’il gruge.

Moscou, cour des miracles est basé sur deux intrigues parallèles. Il y a tout d’abord l’histoire de Maya, une jeune fille de quinze ans qui, dans le train qui l’emmène de Si-bérie, se fait enlever son bébé. Arrivée à Moscou, elle recevra l’aide de Zhenya, un jeune homme que Arkady Renko a ramené de Tchernobyl lors d’une précédente enquête et qu’il a accueilli chez lui. Mais Zhenya n’est pas un enfant modèle. À seize ans, il ne fréquente pas l’école, passant ses jours et ses nuits à traîner dans la zone des Trois Gares, paradis de toutes les arnaques et de tous les trafics. Là, il tente de gagner sa vie en jouant aux échecs contre des pigeons. D’où son surnom : le Génie.

Parallèlement à cette première intrigue, il y a évidemment celle d’Arkady Renko qui, avec David Orlov, un policier alcoolique de la milice, découvre dans un cabanon près des Trois Gares le cadavre d’une jeune femme à moitié nue. Mais les autorités de la police veulent étouffer l’affaire en tentant de faire passer le meurtre pour un vulgaire décès par overdose. Cette enquête entraînera les deux comparses des bas-fonds de Moscou aux quartiers les plus huppés de la ville. Ce n’est qu’à la toute fin que les deux intrigues qui constituent ce roman se croiseront.

Plus que l’enquête en elle-même, c’est le portrait de la Russie postsoviétique qui fascine. Un monde bipolaire où se côtoient la pauvreté la plus abjecte et la richesse la plus criarde.

Côté misère, on retrouve la faune nocturne des bas-fonds : petits mafieux de tout acabit, prostituées de bas étage, enfants abandonnés, sans-abri, tous ces laissés-pour-compte de la nouvelle société russe. Tout ce monde gravite autour de la zone des Trois Gares. Un grand espace urbain qui, le jour, est un lieu de passage achalandé où tran­sitent des milliers de voyageurs ; mais qui, la nuit, se transforme en une zone opaque où grouille un monde inquiétant. Ce n’est pas pour rien que les traducteurs français ont donné au roman le titre de Moscou, cour des miracles. Au Moyen Âge, à Paris, la Cour des miracles était une zone où s’assemblaient tous les truands et toutes les épaves de la ville, une zone qui avait son propre roi. La nuit, la police de l’époque n’osait même pas y mettre les pieds.

Côté richesse, l’intrigue nous entraîne dans le monde des boîtes de nuit, des casinos, et des boutiques de luxe. Dans ces rues où circulent de lourdes limousines blindées et où l’on ne tolère pas qu’une Lada se stationne. Là aussi, quand on gratte un peu le vernis, on découvre une réalité de criminalité et de corruption : prostitution de luxe, trafic de drogue, arrogance et violence des nouvelles élites.

Le grand intérêt des romans de Cruz Smith est justement de nous montrer les rouages de la société russe. Et son évolution à travers les décennies. Des premières enquêtes qui se déroulaient à l’ère soviétique à ce Moscou, cour des miracles de l’ère Poutine, l’univers n’a hélas guère changé. C’est donc un portrait en noir et blanc que nous présente Cruz Smith. Un portrait où les nuances sont rares. Mais on est loin de l’image stéréotypée de la Russie que nous livrait Tom Clancy. Ici, point de gloriole pa­triotique américaine.

Il y a quand même une faiblesse majeure à ce roman remarquable : la finale un peu ratée parce que trop rapide. Tous les fils qui se croisaient ne se rejoignent pas. Il reste des zones d’ombre. Mais disons-le clairement : le roman même se déroule en zone d’ombre. (AJ)

Moscou, cour des miracles
Martin Cruz Smith

Paris, Calmann-Lévy (Robert Pépin pré­sente…), 2011, 267 pages.

Un premier polar pas très convaincant…

CouvertureFrançois Gravel est un écrivain chevronné qui a écrit de nombreux romans pour adultes et plus d’une vingtaine de livres pour jeunes. Avec À Deux pas de chez elle, sous-titré La Première enquête de Chloé Perrault, il aborde pour la première fois le genre policier. Et malheureusement, ce premier polar, pas très convaincant, ne passera pas à l’histoire. On l’a dit souvent : le roman policier a beau être un genre dit « populaire » et être classé dans les littératures de genre, ça n’est pas un type de récit qui se laisse dompter facilement. Nombreux sont les exemples de romanciers chevronnés qui s’y sont cassé les dents, faute de connaître les ficelles élémentaires du genre. Bref, on ne s’improvise pas auteur de polar, car le lectorat est exigeant et s’attend à un minimum de suspense, un récit bien ficelé et des personnages intéressants.

L’action du roman de Gravel se passe à Milton, au bord du lac Abénakis (des lieux fictifs). Sous les racines d’un saule fendu, un citoyen a découvert deux squelettes entre­mêlés. Les experts sont formels : l’un d’eux est celui de Marie-Thérèse Laganière, disparue sans laisser de traces à Rimouski, il y a trente-trois ans. Une enquête menée alors par deux inspecteurs de la Sûreté du Québec n’avait donné aucun résultat. Le deuxième squelette est probablement celui d’un de ses amis d’enfance. En l’absence de collègues plus expérimentés, l’enquête est confiée à la jeune policière Chloé Perreault fraîchement débarquée de Montréal.

Commence alors une affaire sans grand suspense ni tension dramatique, au cours de laquelle nous aurons droit à une série d’interrogatoires qui mèneront à la résolution de l’énigme (un bien grand mot dans les circonstances…) de la disparition et de la mort de Marie-Thérèse et de son compagnon d’infortune. Si on salue volontiers l’apparition d’une nouvelle héroïne du polar québécois, qui vient grossir les rangs des Maud Graham (Chrystine Brouillet), Aglaé Boisjoli (Jean-Louis Fleury), Kate McDougall (Johanne Seymour), Ariane Vidal (Danielle Forget) et autres « limières », il faudra que l’auteur lui confie une affaire plus passionnante que celle-ci.

Les principaux défauts ? Un manque total de suspense ou de tension dramatique, peu d’action et trop de parlotte (les dialogues prennent tant de place que par moments on a l’impression de lire un scénario de pièce de théâtre), une histoire banale et (ça se discute) un dénouement que j’ai trouvé faible, facile et à la limite du vraisemblable (euphémisme !). Coté positif : un personnage principal, Chloé Perreault, qui a du potentiel, une Marie-Thérèse bien campée (sauf pour le suicide qui ne colle vraiment pas, ni avec les circonstances, ni avec le caractère de la dame !).

Selon la quatrième de couverture, il est fort possible que Chloé Perreault reprenne du service… Fort bien ! On espère toutefois que François Gravel lui trouvera une affaire plus accrochante que cette histoire pas très inspirante. Bref, un premier essai, mais pas très bien transformé… (NS)

À deux pas de chez elle
François Gravel

Montréal, Québec Amérique (Tous continents), 2011, 328 pages.

Double mort au Botswana

CouvertureEn 1998, l’écrivain britannique Alexander McCall Smith (né au Zimbabwe) inaugurait une série de polars pépères dont l’action se déroule au Botswana, pays où il a passé une partie de son enfance et de son adolescence. À travers les enquêtes de Mma Precious Ramotswe (L’Agence no 1 des Dames dé­tectives) le lecteur découvre un pays quasi idyllique, véritable destination touristique pour amateurs de safaris, peuplé de gens affables et sympathiques. En 2008, Stanley Michael (pseudonyme de Michael Sears et Stanley Trollip, deux auteurs sud-africains) publie Un Festin de hyènes, premier d’une série de polars plus réalistes mettant en scène l’inspecteur David Bengu, dit « Kubu » (l’hippopotame) à cause de sa taille plutôt imposante. La Seconde mort de Tinubu est le deuxième volet de cette série qui tourne le dos à l’aspect carte postale des polars de McCall Smith et qui dépeint les véritables conditions socio-économiques de ce petit pays africain certes prospère, mais qui connaît son lot de difficultés à cause de sa proximité avec les zones de turbulence du Zimbabwe, de la Namibie, de l’Afrique du Sud et de l’Angola.

Ce deuxième polar commence par une énigme. Dans un paisible camp de touristes de Jackalberry, au cœur de la jungle, deux vacanciers sont retrouvés assassinés. Un des vacanciers est parti à la hâte le matin même, sans laisser de traces. Chargé de l’enquête, Kubu découvre avec stupeur que Goodluck Tinubu, l’une des victimes, est morte depuis trente ans. Il aurait perdu la vie lors d’un raid sanglant mené contre une ferme de colons au cours de la guerre civile qui a déchiré la Rhodésie (devenue depuis le Zimbabwé). L’affaire avait tourné au massacre. Par ailleurs, la directrice du camp où ont eu lieu les meurtres, fait partie des survivants de ces atrocités. Affaire épineuse donc, dès lors qu’elle a des ramifications politiques. C’est tout un pan de l’histoire régionale que découvrent les enquêteurs.

On voyage beaucoup dans cette intrigue d’une grande complexité. Quand il ne peut pas se déplacer en avion, Kubu doit faire des centaines de kilomètres de piste inconfortable dans sa Land Rover pour interroger des témoins, relever des indices. Kubu est un personnage atypique et fascinant. Flic consciencieux et dévoué, allergique à toute forme de corruption, et respectueux de la hiérarchie, il est entièrement dévoué à sa famille. Bon vivant et gourmand (son poids ne semble guère le préoccuper), doté d’un solide sens de l’humour, il sait se montrer dur et sans pitié pour quiconque tentera de s’en prendre à ses proches.

J’aime beaucoup ce type de polar très dépaysant avec au menu une touche d’exotisme, un brin d’histoire locale, une énigme policière avec des ramifications politiques, et un personnage original et fort qui s’attire d’emblée la sympathie du lecteur. (NS)

La Seconde mort de Tinubu
Michael Stanley

Paris, JC Lattès, 2011, 550 pages.

Bain de minuit fatal !

CouvertureDanielle Forget possède une formation de linguiste et enseigne au Département de français de l’Université d’Ottawa. Elle a publié divers ouvrages et des articles dans les domaines de la rhétorique et de l’analyse du discours. En 2008, elle se lance dans le polar, avec Intrusion, une première aventure de la journaliste Ariane Vidal et de l’agent spécial Donovan.

On retrouve les deux compères dans L’Appétit des eaux qui commence par un incident brutal et inusité : à Montréal, dans le paisible quartier de Notre-Dame-de-Grâce, la belle chanteuse Vanilda Reyes de Melo, d’origine brésilienne, décide de prendre un bain de minuit. La soirée est belle, la tempé­rature idéale… Tout semble parfait, à un tout petit détail près : la piscine est remplie de piranhas ! L’horreur… (sauf pour les bestioles !) Un joli casse-tête pour l’agent spécial Donovan, dit « le Marteau », qui découvre rapidement que les principaux suspects dans cet attentat sordide sont des personnalités du monde des affaires et du show-business dont les destins se croisent d’étrange manière.

Pour progresser dans son enquête qui a des ramifications au Brésil, il fait appel à son ancienne complice, la journaliste Ariane Vidal, qui est en vacances dans ce pays. Sur place, elle va enquêter sur les proches de Vanilda, notamment son amant québécois impliqué dans un vaste projet hydroélec­trique controversé en Amazonie. Une fois de plus, sa curiosité légendaire et sa témérité vont la plonger dans des aventures pleines de risques. Dans ce deuxième polar, Danielle Forget affine son talent et sa technique. Il y a encore de petites maladresses dans le détail, certaines scènes du début sont un peu « molles », mais en général l’intrigue est plus nerveuse que celle de son premier roman, avec plus d’action et de rebondissements. Par ailleurs, cette nouvelle aventure d’Ariane Vidal transporte le lecteur au cœur de la culture brésilienne, un univers que l’auteur a découvert avec fascination au cours de ses nombreux voyages. Une lecture agréable et un périple exotique au cœur de cette fragile Amazonie dont les habitants, la culture et les ressources sont menacés par des promoteurs avides et sans scrupule.

À noter que dans le polar contemporain écrit hors Brésil, les intrigues qui se passent dans ce pays sont assez rares. Dans les années soixante soixante-dix l’Américain Robert L. Fish (il a résidé pendant dix ans au Brésil) a écrit une série de dix polars avec le capitaine José Da Silva de la police de Rio dont plusieurs ont été traduits en français dans la Série Noire et au Masque. Plus récemment, en 2007, Leighton Gage (qui a vécu vingt ans dans ce pays) a entamé une série avec l’inspecteur Mario Silva, de São Paulo, dans laquelle il propose une description du Brésil contemporain plus intéressante que celle, plus superficielle, des polars de Fish. Les cinq romans de Gage sont encore inédits en français. (NS)

L’Appétit des eaux
Danielle Forget

Saint-Sauveur, Marcel Broquet (Coulée noire), 2011, 264 pages.

Variation de trop sur William Wilson

CouvertureLe thème du double, en littérature tout comme au cinéma, offre des ressources d’une belle richesse, comme en font foi les nombreuses œuvres exploitant ses possibilités. Or Lisa Scottoline n’est tout simplement pas à la hauteur de son sujet pourtant fertile. On tourne les pages de son dix-septième roman tout en constatant ce lamentable échec. S’il faut concéder au roman des premières pages au potentiel valable, en raison du sentiment d’urgence provoqué par la séquestration souterraine du personnage principal, Ta vie contre la mienne frappe platement le mur de l’ennui à force d’allonger indûment le récit. L’intérêt est asphyxié et le roman devient du coup futile. Un autre thriller judiciaire bon marché, récupérant des idées mille fois lues.

Affirmer son identité propre peut être une tâche difficile quand un autre a le même visage que vous. Or la rivalité entre les sœurs jumelles Bennie Rosato et Alice Connelly atteint un degré létal. Stéréotypes convenus du bon et du mauvais, elles servent la démonstration primaire de la dualité vertu/vice comme des Justine et Juliette, ces sœurs aux destins opposées du marquis de Sade. Victime d’un plan préparé au quart de tour, Bennie se retrouve enterrée vivante dans une caisse hermétiquement scellée. Le but du méchant sosie : voler la vie de l’ingénue Bennie gardée captive en usurpant son identité pendant que ses millions de dollars seraient transférés vers un compte offshore, puis quitter le pays.

Ce roman où les situations improbables se succèdent de façon navrante ne dépasse pas le calibre mineur de ces grotesques histoires de série B. Comme pour s’assurer de faire durer le plaisir de ses millions de lecteurs à travers le monde – elle est traduite en vingt-cinq langues, preuve qu’il existe un marché considérable pour la médiocrité –, on nous sort les bombes, les fusillades, la chasse à l’homme (au féminin) et la fameuse course contre la montre à l’issue prévisible.

Le suspense artificiel est maintenu de manière précaire grâce aux innombrables embûches entravant le parcours d’Alice qui mettent toutes son plan (de même que le plan B, puis le plan C) en péril. L’insistance de l’auteure à faire avaler l’invraisemblable et la superficialité du traitement sont reçues comme de véritables insultes à l’intelligence du lecteur. On s’attarde dans une tonalité mélodramatique à des considérations do­mestiques dont on n’a cure : l’achat d’une maison, l’euthanasie de pitou. Ta vie contre la mienne réussit remarquablement bien à faire lever les yeux du lecteur au ciel. La résultante en est que l’on se désespère surtout du caractère pathétique des situations évoquées.

Thriller Harlequin qui sort les canines, Ta vie contre la mienne est du prémâché pour les amateurs de polars populaires peu exigeants : il véhicule les pires clichés du genre, son style mièvre et sentimental ne pourra être toléré que par les lectrices friandes de dentelle de Bruges et de ballades musicales sirupeuses. Une rencontre entre le pire de Harlan Coben et la chick lit… (SR)

Ta vie contre la mienne
Lisa Scottoline

Paris, Toucan (Toucan Noir), 2011, 459 pages.

Nazis, conspirations et créatures de la nuit

CouvertureDavid S. Khara, présenté par l’éditeur comme « journaliste, sportif de haut niveau, puis chef d’entreprise », est aujourd’hui écrivain à plein temps. Il vient grossir les rangs de ces nombreux auteurs de polars français passés maîtres dans l’art du « thriller à l’américaine ». L’histoire de son premier succès est peu banale. Le Projet Bleiberg est paru à Rennes, en octobre 2000, aux éditions Critic, avec un tirage initial de 1000 exemplaires. D’abord vendu dans les seules librairies de cette ville, le livre a connu un succès immédiat, a été réimprimé plusieurs fois pour atteindre les 25 000 exemplaires liquidés en à peine trois mois. Le livre a été réédité au Québec par Libre Expression. Ce succès est-il mérité ? Sûrement, si l’on en juge par l’enthousiasme des lecteurs et de certains critiques…

Cependant ça n’est pas le succès éditorial de ce livre qui m’a poussé à le lire (j’étais pas au courant de la chose et je me méfie toujours fortement des enthousiasmes médiatisés qui sont trop souvent des baudruches promotionnelles). Un premier détail, sans doute trivial, a attiré mon attention : au cours de mon enfance, nous allions parfois jouer les explorateurs dans les tunnels d’une antique mine de plomb romaine dont l’entrée, interdite d’accès et pour cause, se trouvait sur les flancs d’une colline pas loin de chez nous. Cette mine désaffectée depuis des siècles s’appelait le Bleiberg (la montagne du plomb). Souvenir, souvenir…

De plus, motivation principale, dans ce livre il est question de la Seconde Guerre mondiale (un de mes thèmes fétiches) et de certaines expériences génétiques menées par les nazis, avec comme maître d’œuvre, le numéro deux du Reich, le sinistre Heinrich Himmler.

L’intrigue est un peu rocambolesque avec, au cœur du récit, une machination diabo­lique qui menace l’humanité si elle n’est pas mise en échec. Les amateurs de roman d’action seront servis, car l’auteur maîtrise bien les ficelles du genre. C’est parfois un peu caricatural, les personnages sont assez peu nuancés, mais dans l’ensemble ça se tient. J’ai pourtant préféré son deuxième opus, Les Vestiges de l’aube, même si, crime de lèse-polar pour les puristes, on y mélange allègrement polar et fantastique.

CouverturePlus achevé, plus nuancé que Le Projet Bleiberg (un peu « rustique » sur les bords), il raconte la curieuse mais passionnante relation entre Barry Donovan, un flic de New York, dévoré par le désespoir depuis les attentats du 11 septembre, et un certain Werner von Lowinsky, un aristocrate cultivé et plein d’humour rencontré sur Internet, et avec lequel il a de longues et passionnantes conversations à distance. Et puis un jour, des circonstances tragiques font que ces deux hommes vont se rencontrer. Barry Donovan découvrira alors la véritable identité de cet ami virtuel aux pouvoirs étonnants…

Premier roman d’une série ? Peut-être, car les derniers paragraphes semblent le suggérer. Intéressante variation sur un thème pourtant surexploité, ce roman risque d’intéresser autant les amateurs de fantastique que de polars.

En tout cas, un auteur à découvrir, car je soupçonne qu’il n’a pas fini de faire parler de lui. (NS)

Le Projet Bleiberg
David S. Khara

Montréal, Libre Expression, 2011, 298 pages.

Les Vestiges de l’aube
David S. Khara

Neuilly-sur-Seine, M. Lafon, 2011, 248 pages.

Photos compromettantes

CouvertureParu dans la collection Réverbération de la nouvelle maison Lévesque éditeur, Pour ne pas mourir ce soir, est le premier polar (et premier roman) de Guillaume Lapierre-Desnoyers dont l’éditeur, plutôt avare de commentaires, nous dit simplement qu’il est né à Montréal ! Grâce à l’Encyclopédie galactique appelée Google, nous avons découvert ceci : auteur, comédien et metteur en scène, Guillaume Lapierre-Desnoyers est un touche-à-tout. Depuis plus de huit ans, il est de la distribution des productions musi­théâtrales de Buzz. Il a assuré la mise en scène de deux de leurs spectacles, dont RocamBuzzlesque, récipiendaire du prix Opus 2006 du meilleur spectacle jeunesse. Maintenant que vous savez tout de lui, allez acheter son roman qui est pour le moins étonnant. Chose rare dans le monde du polar québécois, voilà un jeune auteur qui sait combiner une histoire solide avec un style très personnel qui accroche.

Ça commence comme un roman noir, avec le personnage de Carl White, un photo­journaliste blasé, qui végète dans un monde nocturne étrange, « peuplée de policiers, de dépanneuses et de corps mutilés, quelque part entre la vie et la mort ». Depuis trois ans, il est affecté aux faits divers et autres chiens écrasés pour le journal Le Jour.

Philosophe à ses heures, non dénué d’un certain sens de l’humour qui sauve parfois la mise, Carl White traîne son blues et la perte de ses illusions jusqu’à ce que deux événements viennent bouleverser sa vie et le plonger, à son corps défendant, dans une intrigue de thriller : le meurtre du ministre de la Justice, percuté par un chauffard, et sa rencontre avec la belle, émoustillante et forte tête Tania Ficanemo, la nouvelle recrue de L’Express, journal concurrent et qui va voler la vedette. Cette première partie est un peu longuette et n’eût été du style particulier, accrocheur, de l’auteur, je ne suis pas sûr que j’aurais poursuivi ma lecture. Par la suite, le rythme s’accélère, il y a plus d’action alors que deux choses accrochent le lecteur : l’évolution de la relation entre Carl et Tania, à la fois concurrents et complices, et leur implication dans une rocambolesque affaire criminelle impliquant des motards, les services de police, des taupes, et le défunt ministre de la Justice. Pour sauver leur peau, les deux grands buveurs de café (ils en engloutissant des litres !) devront découvrir la vérité sur la mort du ministre.

Ce polar bien écrit et divertissant, un des bons crus de 2011, a été retenu comme finaliste pour le Prix Saint-Pacôme, pas un mince exploit dans les circonstances. Séduit par Tania (on a ses faiblesses !), je l’ai lu d’une traite et le recommande fortement, malgré ce début un peu lent qu’on finit par pardonner quand les choses se corsent. (NS)

Pour ne pas mourir ce soir
Guillaume Lapierre-Desnoyers

Montréal, Lévesque, 2011, 226 pages.

 

Revue Alibis – Mise à jour: Octobre 2011

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