Encore dans la mire 4


de Stanley Péan, Norbert Spehner

Exclusif au supplément Internet (Adobe Acrobat, 1027Kb) d’Alibis 4, Automne 2002

Quinze plumes valent-elles mieux qu’une ?

 [Couverture] Quel livre déroutant ! À vrai dire, on dirait moins un livre qu’une soirée bien arrosée dans un pub enfumé et bruyant en compagnie d’une quinzaine d’Irlandais, dont les plus connus se nomment Roddy Doyle et Frank McCourt. Inspiré de la méthode du cadavre exquis, ce roman à trente mains a été écrit en soutien à Amnesty International. C’est donc pour une bonne cause, n’en doutons point, même si le résultat final n’est pas nécessairement à la hauteur de la générosité de l’intention.

Meurtres exquis s’ouvre donc sur un chapitre signé Roddy Doyle, où l’on fait la connaissance de Nestor et Roberts, un couple de policiers corrompus à la solde de Mmes Bloom et Blixen, dont le premier tue par inadvertance un clochard. Bientôt, Nestor est lui-même retrouvé mort sur les lieux de son homicide involontaire, de même que Roberts, à son tour assassiné par sa tendre moitié qui le cocufiait avec son patron. De chapitre en chapitre, les meurtres se succèdent, que dis-je, s’accumulent, créant une impression de chaos total. La clé du mystère de cette hécatombe semble se trouver dans les pages de ce manuscrit en apparence totalement indéchiffrable, que certains se figurent être un inédit de James Joyce et d’autres, la formule d’une crème antirides miracles. Nos pittoresques vieilles dames indignes, Mmes Bloom et Blixen, sont prêtes à tout pour mettre la main sur le texte en question, mais elles ne sont pas les seules.

C’est l’écrivain Joseph O’Connor qui a eu l’idée de ce collectif, pour lequel il a recruté des écrivains de renoms, des dramaturges, des scénaristes et même des jeunes talents de la scène littéraire irlandaise contemporaine. Au fil de la succession des chapitres, on a l’impression que la seule ambition de chacun de ces auteurs est de voir s’il est possible d’assassiner davantage de personnages que celui qui l’a précédé. Cela peut-être vu comme un exercice de style amusant, d’autant plus que les clins d’œil parodiques aux monstres sacrés de la littérature irlandaise (Joyce, Yeats, Blixen, Bloom et autres) abondent, comme en témoigne le titre original : Yeats Is Dead ! Cependant, l’amateur de polar, plus friand de sensations fortes et de cohérence narrative que de démonstrations gratuites d’érudition académique, risque en définitive de s’ennuyer à la lecture de ce faux roman noir à l’intrigue un brin tarabiscotée.

Un projet bien intentionné, une belle idée, beaucoup d’humour décapant, quelques passages diablement originaux… mais, en somme, une déception néanmoins. Tant pis. (SP)

Meurtres exquis
Joseph O’Connor, Roddy Doyle, Frank McCourt et al.
Nil, 295 pages.

Diagnostics fatals

 [Couverture] Diagnostic mort est une anthologie concoctée par Jonathan Kellerman (en collaboration avec The Mystery Writers of America) dans laquelle on trouve 14 nouvelles inédites de suspense. C’est la troisième anthologie du genre, les deux autres ayant été présentées par Mary Higgins Clark et Scott Turow. Surtout ne vous fiez pas au titre et encore moins à l’illustration de couverture (un scalpel qui tranche on ne sait trop quoi…). Ils nous induisent en erreur en suggérant un recueil thématique plein de médecins fous, de maniaques de la découpe et autres erreurs médicales fatales. Kellerman présente la chose ainsi : « Ce livre réunit des gens de talent, acharnés à sonder le mal, lorsqu’il surgit dans l’existence de ceux qui ne sont pas payés pour l’affronter – des hommes ou des femmes étrangers à la police, propulsés souvent contre leur gré, dans le rôle du redresseur de torts. » Là encore, le recueil ne correspond pas vraiment à ce qui est promis mais dans le fond, ça n’a pas grande importance puisque l’ensemble, quoique hétéroclite, nous propose des nouvelles de bonne qualité. Parmi mes préférées, il y a « La Justice par quatre bouts de la lorgnette » de Jon L. Breen, une histoire à quatre facettes, quatre points de vue qui offrent autant de surprises et de coups de théâtre. « Le Club des affreux jojos », de Doug Allyn, met en scène une psychologue qui tente de réhabiliter des batteurs de femmes et qui découvre, la rage au cœur, qu’un flic s’est infiltré dans le groupe, pour une raison qu’elle tentera de découvrir. À ses risques et périls. « Images fatales », de John Lutz, prouve hors de tout doute qu’il est des auteurs les plus doués de sa génération. Le récit, très noir, est centré sur une belle jeune femme qui rêve d’une carrière artistique Elle se sert des caméras de surveillance du magasin où elle travaille pour faire des bouts d’essais, sans se douter qu’elle est en train de jouer son destin. Un récit magistral ! « Monsieur Scoop » de Faye Kellerman concerne un journaliste, grand spécialiste du scoop, qui a un véritable don de voyance. Mais s’agit-il vraiment de cela ou y a-t-il une explication plus simple, logique quoiqu’aussi renversante ? « Le Sourire de Michèle Pfeiffer », de Jeremiah Healey, est une histoire assez classique de femme fatale dont on devine assez vite le dénouement. « Croque-mort & Cie », de MaxAllan Collins, est basé sur une affaire réelle. Il met en scène Nathan Heller, engagé par Eliot Ness pour résoudre une affaire d’escroquerie peu banale. Parmi les autres écrivains invités se trouvent Nancy Pickard, Lia Matera, Marilyn Wallace, Michael Z. Lewin et Carolyn Wheat. Mon diagnostic final ? Une bonne anthologie, avec des histoires meilleures que d’autres, certes, (c’est un peu la loi des recueils !) qu’il faut apprécier (autre loi du genre) en espaçant la lecture des nouvelles, histoire d’empêcher les personnages de la première d’envahir la huitième, et ainsi de suite ! Ce qui serait mortel ! (NS)

Diagnostic mort
(présenté par) Johnathan Kellerman
Albin Michel, 387 pages.

Une femme nommée Fred et un loup nommé garou !

 [Couverture] Fred Vargas serait-elle la Marguerite Duras du polar français ? Trêve de plaisanterie… Depuis quelques mois maintenant, il y a un tel battage médiatique, un tel concert de louanges autour de l’œuvre polardière de cette femme au prénom masculin, que ma méfiance naturelle vis-à-vis de tout tapage excessif s’est éveillée mais aussi, je dois le reconnaître, une certaine curiosité. Moi qui ne lis que peu de romans policiers français, ai donc décidé d’aller voir que quoi il en retournait. Pour mon initiation à l’œuvre de Vargas, j’ai choisi L’Homme à l’envers, réédité chez J’ai Lu et qui avait obtenu le Grand Prix du Roman noir de Cognac. Pour une fois, la quatrième de couverture a été utile puisqu’elle me promettait rien de moins qu’une histoire de loup-garou. Ça se passe dans le Mercantour où on a décidé de laisser les loups vivre en liberté, ce qui ne fait l’affaire ni des bergers ni des moutons. Un vent de révolte gronde et soudain, les ennuis réels commencent. Un loup tue des brebis, puis une éleveuse est retrouvée égorgée dans sa bergerie. Il n’en faut pas plus pour que, dans ce milieu rural, les superstitions resurgissent, les bruits se propagent. Bientôt, la rumeur tourne à la psychose et la chasse au loup-garou commence, menée par Camille, ex-future petite amie du commissaire Adamsberg, actuelle copine de Lawrence, un Canadien spécialiste des grizzlis et qui ne croit en rien à ces histoires de monstres. Camille part à la chasse au loup avec le jeune Soliman et le Veilleux. Quant à Adamsberg, il n’apparaît vraiment qu’après une centaine de pages. Mais il a suivi l’affaire de loin, rassemblé assez d’éléments pour nous mener au dénouement. En toute honnêteté, je ne comprends vraiment pas le concert d’éloges qui a entouré la publication de ce livre gonflé aux stéroïdes critiques. Les premières pages m’ont tellement irrité que j’ai failli renoncer. Le style est agaçant, presque maniéré (tout comme l’était celui de cette prétentieuse Duras qui me hérissait le poil). Le personnage de Lawrence s’exprime comme un débile léger. C’est assez crispant ! L’intrigue est relativement bonne mais ça ne va pas plus loin, d’autant plus que la fin est « fabriquée » ou, pour employer un terme durassien, « controuvée ». Loin de moi, pourtant, l’idée d’inviter Fred à se taire… Je lirai bientôt un autre Vargas, histoire de redonner la chance au coureur, mais s’il n’est pas plus intéressant que celui-là, je retournerai à d’autres amours. Ah, au fait : pourquoi l’homme à l’envers ? Il y a fort longtemps, quand on soupçonnait quelqu’un d’être un loup-garou, on lui ouvrait le ventre depuis la gorge jusqu’aux couilles, histoire de vérifier si les poils étaient dedans. Et si on se trompait… eh ben… il ne restait plus qu’à présenter des excuses embarrassées à la famille du défunt. (NS)

L’Homme à l’envers
Fred Vargas
J’ai lu, coll. Policier, 318 pages.

Aucun humain concerné ?

 [Couverture] Aux yeux de l’inspecteur Mace Saint John, l’assassinat du truand « Flower George » Mancini, un petit trafiquant bien connu de la police de Venice, est à classer dans les cas « TCT, AHC » – c’est-à-dire « trouduc contre trouduc, aucun humain concerné ». Pas de quoi écrire à sa mère, donc. Même pas quand disparaît le suspect numéro Un, en l’occurrence la fille de la victime, Munch Mancini, très vite initiée à la drogue et à la prostitution par son défunt père. Pourtant, quand l’arme qui a servi au crime se révèle liée à une série de meurtres extrêmement violents, avec démembrements à la clé, Saint John entreprend initialement de remuer ciel et terre pour la retrouver. Mais même en obtenant de la ravissante agente de probation les détails de la jeunesse sordide de Munch, l’enquêteur ne parvient pas à retrouver la trace de la fugitive qui travaille sous un alias comme mécanicienne au garage Happy Jack’s et tente de se refaire une nouvelle identité, une nouvelle vie. Tant pis. De toute façon, notre héros en a plein les bras, avec les problèmes de santé de son père, Digger Saint John. Mais quand de nouveaux indices sur les allées et venues de la junkie soupçonnée de parricide font surface, ne lui faut-il pas poursuivre l’enquête, qu’il le veuille ou non ? Et dans ce cas, si vraiment Munch tient à sa nouvelle existence, elle devra sinon conclure un pacte avec le policier, au moins essayer de prouver son innocence dans cette affaire. Premier roman d’une auteure qui a passé vingt ans de sa vie à bosser dans une station service de la banlieue de Los Angeles, Tous des rats est une œuvre étonnamment maîtrisée, menée tambour battant, admirablement servie par une écriture efficace et diablement évocatrice et peuplée de personnages crédibles et attachants. Même les détracteurs du polar devront reconnaître le talent d’une écrivaine capable de camper des scènes aussi réussies que toutes celles impliquant Saint John et son père malade, littéralement criantes de vérité. En définitive, même si l’intrigue ne fait pas l’économie de quelques conventions en apparence incontournables du genre, Tous des rats s’impose comme l’une des agréables surprises de la rentrée polar, et Barbara Seranella comme un nom à retenir. (SP)

Tous des rats
Barbara Seranella
Le Seuil, coll. Policiers, 243 pages.

Pas de rappels, de grâce…

 [Couverture] Troisième volet des aventures de l’avocate floridienne Gail Connor et de son collègue et amant Anthony Quintana (après Délit d’innocence et Procès d’intention), La Voix du mensonge plonge les deux héros au cœur d’une affaire passablement complexe, j’irais même jusqu’à dire inutilement et excessivement complexe. Barbara Parker utilise ici l’opéra et l’Histoire de l’Amérique centrale comme figures emblématiques de l’opposition entre les cultures yankee et cubaine, source constante de malentendus et de tension dans la vie sentimentale de Connor et Quintana.

Lors d’une soirée à l’opéra, nos tourtereaux apprennent que Tom Nolan, le ténor qui devait ouvrir la saison dans le Don Giovanni de Mozart, serait au cœur d’une controverse : pour avoir donné des récitals devant Castro à La Havane deux ans plus tôt, il s’est attiré l’hostilité de la communauté cubaine de Miami, résolument anti-castriste. Alors que la direction de l’Opéra de Miami s’inquiète de la campagne que mène en ondes Octavio Reyes, le beau-frère de Quintana, contre leur chanteur vedette, Gail découvre les anciennes sympathies marxistes de son amant. Il semble que Quintana et certains membres de la direction de l’Opéra se soient côtoyés dans un périple de militants résolus à prêter main forte aux Sandinistes nicaraguayens, périple qui a hélas culminé avec l’assassinat de l’ex-compagne de Quintana par un sbire de Somosa. Mais tandis que Gail Connor s’inquiète des zones d’ombre dans le jardin secret de son amoureux, un mystérieux meurtrier entreprend d’éliminer une à une les personnes impliquées dans cette mésaventure nicaraguayenne…

Autant l’avouer d’entrée de jeu, je ne suis pas un amateur des polars de Barbara Parker. Et malgré quelques observations intéressantes sur la communauté cubaine de Miami, ce n’est certainement pas avec La Voix du mensonge qu’elle gagnera mon adhésion à son travail. En dépit de l’estime manifeste que vouent à Parker les artisans du milieu (l’auteure avait mérité une mise en nomination au Prix Edgar pour son premier livre en 1994), je trouve ses intrigues convenues, un brin mélodramatiques et, souvent, maladroitement construites. Le point d’orgue de La Voix du mensonge, où Connor réussit à gagner du temps en convaincant l’assassin d’écouter un disque d’opéra, est un summum de comique… involontaire. Un peu de sérieux aurait pourtant été de mise. Je doute que même les inconditionnels de Parker puissent trouver l’audace de réclamer un « bis »… (SP)

La Voix du mensonge
Barbara Parker
Payot, coll. Suspense, 390 pages.

Cartes postales de la guerre du Vietnam

 [Couverture] Up Country de Nelson DeMille fait partie de ces trois ou quatre titres importants qu’on a le plaisir de lire au cours d’une année et dont on peut dire ensuite qu’on aurait voulu l’écrire. La chose est rare ! Quand je l’ai vu annoncé, je n’ai eu de cesse de me le procurer, pour ensuite le dévorer d’une traite avec un immense plaisir. Nous y retrouvons Paul Brenner, le sympathique héros de La Fille du général, une aventure militaro-policière où Brenner avait dû affronter l’establishment militaire pour éclaircir le meurtre crapuleux d’un officier qui était aussi la fille d’un général, héros de guerre fort décoré mais quelque peu disjoncté. Écœuré, Brenner songe à une retraite bien méritée, mais ses supérieurs ont d’autres projets. À Washington, sur le Mémorial des victimes de la guerre du Vietnam figure le nom d’un lieutenant dont la mort est entourée de mystère. Les autorités ont de bonnes raisons de croire que cet homme n’a pas été tué au combat, mais plutôt été assassiné par un officier américain. Il y a un témoin vietnamien. Blessé, caché dans un recoin, ce combattant aurait assisté au meurtre. On aimerait beaucoup avoir son témoignage. Le problème est qu’on ne sait pas si le gars est encore vivant ou non et, s’il l’est, dans quel coin du pays il se trouve. Tout ça, trente ans après les événements. Voici donc Paul Brenner qui part pour le Vietnam, engagé à contrecœur dans un long périple qui le mènera sur les lieux d’anciennes batailles auxquelles il a participé. Ce voyage, plein de péripéties, de surprises et de multiples dangers, il le fera en compagnie de Susan Weber, son contact sur place, avec laquelle il aura une liaison torride et pleine d’embûches. En effet, Susan a l’air d’en savoir long sur sa mission, laquelle s’avère plus complexe et plus dangereuse que prévue. Et pourquoi diable trimballe-t-elle un revolver, chose interdite qui peut vous valoir une exécution sommaire ? Le roman est long, assez touffu, car l’auteur nous propose une sorte de guide touristique et historique qui risque de rebuter certains lecteurs peu intéressés par ce conflit déjà ancien. Pour ma part, amateur inconditionnel de la combinaison polars/romans de guerre, je me suis régalé, même si l’intrigue principale semble parfois piétiner pour laisser Brenner évoquer ses souvenirs de combattant. Il y a des scènes de forte tension, surtout quand Brenner doit affronter un gradé vietnamien, le colonel Mang, un communiste pur et dur de la vieille école, qui déteste les Américains en général et Brenner en particulier. Il refuse de croire que celui-ci est un simple touriste et il s’ingénie à lui rendre la vie impossible. Le dénouement est explosif, totalement inattendu, avec une bonne dose d’ambiguïté résultant de l’identité de l’assassin. Quant à la confrontation ultime entre Mang et Brenner, elle est mémorable, quoique logique et prévisible si on y réfléchit un peu.

À traduire d’urgence… (NS)

Up Country
Nelson deMille
Warner Books, 706 pages.

Mise à jour: Septembre 2002

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