Encore dans la mire
André Jacques, Martine Latulippe, Simon Roy et Norbert Spehner
Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 992Ko) d’Alibis 37, hiver 2011
Une fine mouche
Pour les néophytes, la Dark Tiger est un type de mouche destiné à la pêche au saumon ou à la truite de lac, mais c’est aussi le titre du dernier polar de William G. Tapply, décédé en 2009, juste avant la sortie du livre en question. Dark Tiger, un polar que j’ai dévoré avec passion, et pour cause, est le troisième volet des aventures de Stoney Calhoun, un personnage à la fois intrigant et attachant. Il y a sept ans, Stoney a été frappé par la foudre et depuis, il est amnésique et semble tout ignorer de ce qu’il faisait avant son accident. Il vit dans le Maine, à Portland, où il mène une existence pépère de guide de pêche et de gérant d’un magasin d’articles de pêche avec la belle et fière Kate Balaban, grande pêcheuse devant l’éternel et fine mouche au caractère entier. Stoney donne parfois un coup de main à son ami le shérif Dickman en tant que shérif adjoint bénévole car, de temps en temps, Stoney se découvre d’étranges talents d’enquêteur et des réflexes d’agent secret. Qui est-il vraiment ? Cela restera un mystère à tout jamais…
Toujours est-il que régulièrement il reçoit la visite du très mystérieux et redoutable Homme au costume, un fantôme surgi de son passé qui vient soit prendre de ses nouvelles, soit lui confier des missions délicates. Cette fois, il lui demande de prendre contact avec le représentant d’une organisation fédérale ultra-secrète qui lui confie une nouvelle mission : enquêter sur la mort suspecte d’un de leurs agents lors d’un séjour dans un luxueux camp de pêche pour gens très aisés. Voici donc Stoney Calhoun engagé comme guide de pêche à Loon Lake, un hôtel de luxe pour amateurs de pêche à la mouche fortunés, un site sauvage et enchanteur situé quelque part dans le nord du Maine, et accessible uniquement en hydravion. Dès qu’il se met à poser des questions, Calhoun déclenche une série d’incidents suivis de meurtres. Quelqu’un essaie d’attenter à sa vie. Mais grâce à ses talents cachés qui se manifestent au moment opportun et à son flegme légendaire, il va pouvoir résoudre l’énigme de la mort singulière de l’agent.
Ce roman a de nombreux atouts : un personnage central fort, bourru mais très sympathique, qui se trouve dans une situation bien particulière, un décor superbe, magnifiquement rendu par la plume de l’auteur, un milieu un peu guindé décrit avec passion et justesse (celui des pêcheurs à la mouche !). L’intrigue n’est pas des plus passionnantes, mais l’auteur sauve largement la mise avec le contexte et les personnages. Une vraie lecture de détente, agréable à souhait et très dépaysante.
William G. Tapply est aussi l’auteur d’une longue série de romans mettant en scène Brady Coyne, un avocat de Boston, série qui ne compte pas moins de vingt titres, tous inédits en français. Trois autres titres réunissent Brady Coyne et J. W. Jackson. Tapply a aussi écrit de nombreux livres sur la pêche. Un type sympa, quoi, et que Claude Mesplède & Cie ont malheureusement oublié dans le Dictionnaire des littératures policières. Shocking ! (NS)
Dark Tiger
William G. Tapply
Paris, Gallmeister, 2010, 252 pages.
L’enfer est pavé de bonnes intentions
Pas de doute, l’idée à la base du roman Tokyo ville occupée, de David Peace, est excellente. Pour ce deuxième cycle de sa trilogie sur Tokyo, l’auteur s’est inspiré d’un fait réel survenu le 26 janvier 1948. Un homme se présente à la Banque Impériale, se faisant passer pour un médecin. Il avertit les employés qu’une épidémie de dysenterie est en cours dans le quartier et il les oblige tous à prendre un médicament pour être immunisés. Les seize employés obéissent et avalent le « remède ». Douze meurent aussitôt. Quelques-uns survivent. David Peace a conçu l’ingénieux projet de donner la parole à douze voix différentes, douze points de vue racontant le massacre de la Banque Impériale.
Une autre excellente idée sous-tend le livre : au Japon, il existe un jeu réunissant des personnes autour de cent bougies. Chacune raconte une histoire effrayante et éteint une bougie après coup. On prétend qu’une fois la dernière bougie éteinte, des monstres apparaissent… Le récit deTokyo ville occupée s’orchestre donc autour de douze chandelles, douze histoires effrayantes qui s’éteignent l’une après l’autre, révélant leur lot de monstres…
Plein de bonnes idées, donc, d’excellentes intentions. Mais aussi un ton très particulier, un roman qui ne ressemble en rien aux polars habituels. Le livre prend davantage la forme d’un récit poétique que d’un roman. Plus précisément, il rappelle le récit choral par l’enchevêtrement de voix. Dès le début, dans un style très lyrique, un écrivain qui court dans la ville explique de façon abstraite son projet. On croit à un préambule. Mais non, le ton est donné. Et en ce qui me concerne, toutes les bonnes idées et les bonnes intentions évoquées n’ont pas suffi à me faire embarquer sans réserve dans la suite du récit.
Divers personnages interviennent tour à tour dans Tokyo ville occupée : un policier qui raconte l’histoire à travers ses rapports, une survivante qui revit sans arrêt en pensée la scène cauchemardesque, voyant ses collègues tousser, vomir, puis mourir, un médecin américain qui se bat pour la vérité…
Certains passages sont très intéressants – je pense notamment au récit du journaliste – mais, dans l’ensemble, j’ai hélas surtout accroché sur les irritants… Le roman a du mal à trouver son rythme. Les mêmes mots sont repris à l’infini, comme une litanie. Alors que je m’attendais à trouver douze voix différentes, personnelles, de nouveaux éléments pour chacune, chaque narrateur pèche par excès d’italiques, de majuscules, de répétitions, encore et encore. Si un ou deux personnages utilisaient ces procédés, on comprendrait la volonté de créer des effets de style. Mais tous versent dans la surabondance : mêmes italiques, mêmes redondances, mêmes phrases syncopées… Comprenons-nous bien : le livre est original, sombre et déstabilisant. Il dénonce avec vigueur des faits troublants : les jeux de coulisse politiques, les armes biologiques… Il est admirable de par ses thèmes, sa forme, la solidité de sa structure. Mais pour ma part, il m’a malheureusement laissé l’impression d’être surtout terriblement répétitif, ce qui a eu pour effet d’enlever considérablement de force à l’histoire racontée par David Peace. (ML)
Tokyo ville occupée
David Peace
Paris, Rivages (Thriller), 2010, 349 pages.
Pour mordus ou spécialistes seulement
Les monographies sur l’œuvre d’auteurs de polars sont relativement rares en langue française. Il y a bien sûr des études sur Conan Doyle, sur Simenon, sur Chandler, sur quelques autres… Mais des études sérieuses et doctorales publiées par des maisons d’édition universitaires, ça s’avère vraiment peu fréquent. C’est pourtant la tâche qu’a accomplie Pascale Arizmendi sur l’œuvre de l’auteur Jean-François Parot.
Mais d’abord, qui est Jean-François Parot ? Les amateurs de polars historiques le connaissent sans doute. Avec L’Énigme des Blancs-Manteaux, publiée en 2000, ce diplomate français a créé l’un des plus attachants personnages du roman policier historique : Nicolas Le Floch, commissaire au Châtelet de Paris durant les décennies qui ont précédé la Révolution française.
On peut maintenant suivre les aventures de ce commissaire, chargé des affaires un peu douteuses qui touchent le Pouvoir et la Couronne, et ce dans six autres romans : L’Homme au ventre de plomb (2001), Le Fantôme de la rue Royale (2002), L’Affaire Nicolas Le Floch (2003), Le Crime de l’hôtel Saint-Florentin (2005), Le Sang des farines (2006) et Le Cadavre anglais (2008). Tous ces romans ont été réédités chez 10/18 dans la collection Grands détectives. L’ensemble forme une série passionnante et d’une précision documentaire étonnante.
C’est sans doute cette précision du « Tableau de Paris » et la description méticuleuse de la ville dans l’œuvre de Parot qui ont attiré Pascale Arizmendi pour en faire le sujet de son étude. Car il ne s’agit pas ici d’un ouvrage de vulgarisation agrémenté de nombreuses illustrations nous dévoilant les paysages parisiens du XVIIIe siècle et quelques jolies scènes de rues, mais bien d’une sévère thèse de doctorat. Très sérieuse et parfois aride.
L’ouvrage de Pascale Arizmendi se divise en quatre grandes parties. La première, intitulée « Étranger à Paris », retrace les itinéraires et trajets empruntés par le héros dans la ville depuis son arrivée de Bretagne jusqu’à sa plus récente aventure, vingt ans plus tard.
Dans la deuxième partie, « Paris Janus », l’auteure nous montre les visages de Paris : elle y traite de problèmes sociaux tels l’hygiène et la sécurité dans la ville de Paris. Tout cela en faisant ressortir la manière très documentée qu’utilise Parot pour illustrer ces problèmes dans ses romans.
La troisième partie est plus technique. Intitulée « La Polyphonie pour mieux dire la diversité », c’est une analyse du langage des personnages de la série romanesque et, par le fait même, de l’écriture de l’auteur.
La dernière partie, « Un roman protéiforme pour une ville protéiforme », s’attarde à montrer comment Jean-François Parot a choisi d’utiliser plusieurs des formes du récit romanesque pour explorer les secrets cachés de Paris : notamment le roman historique, le roman d’apprentissage et le roman policier.
On le voit, cette étude de l’œuvre de Jean-François Parot et des aventures de Nicolas Le Floch n’est pas une mince affaire. C’est une thèse rigoureuse et extrêmement développée sur l’un des maîtres du polar historique français. Elle nous montre le sérieux et la profondeur des recherches que doit entreprendre un auteur de polar qui veut lancer son récit sur le champ de l’Histoire.
C’est donc vraiment un ouvrage pour spécialistes du XVIIIe siècle ou pour mordus de Jean-François Parot et non un ouvrage de vulgarisation facile que nous offre Pascale Arizmendi. (AJ)
« Nicolas Le Floch » le Tableau de Paris de Jean-François Parot
Pascale Arizmendi
Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan (Études), 2010, 398 pages.
Beaucoup de chuchotements pour rien
« Dieu se tait, le Diable murmure ». En Europe, avec ce slogan diabolique, ce roman a eu droit à une campagne de promotion intensive, une pub d’enfer qui tentait de vendre aux masses ignares qu’il s’agissait là d’une sorte de Millenium italien. Rien de moins… Une fois de plus, la publicité était mensongère et le produit faisandé ! Nul doute cependant que ce thriller sera apprécié par une certaine catégorie de lecteurs, ceux que j’appelle les « lecteurs naïfs », qui n’ont pas nécessairement lu beaucoup de polars et qui se laisseront embobiner par tous les artifices de ce livre où l’auteur déploie tous les trucs du métier d’illusionniste pour enfirouaper sa clientèle : disparitions en série, crimes atroces décrits avec force détails, rebondissements multiples, révélations surprises, coups de théâtre à la chaîne, final inattendu et personnages simili-milléniumesques : une pseudo Lisbeth nommée Mila experte en enlèvements, et un pseudo Blomkvist nommé Goran, un criminologue de renom, un peu frappé. Tous deux cachent un terrible secret, lequel, une fois révélé, prouve hors de tout doute que le lecteur a été manipulé de manière éhontée tout au long de ce thriller Ikea conçu sur une chaîne de montages à clichés. Dans le cas de Goran, ce prétendu secret est spectaculairement risible et totalement invraisemblable.
Le Chuchoteur, de l’italien Donata Carrisi, c’est le Milleniumdu pauvre, un roman préfabriqué qui exploite tous les trucs les plus éculés du roman de tueur en série, y compris l’habituelle leçon de criminologie déjà rabâchée mille fois dans trois cents millions de romans du même type. Je le sais, j’ai déjà écrit un bouquin sur le sujet ! Tout n’y est qu’artifice, fabrication et mensonge. Oh, certes, l’auteur connaît son métier de conteur, il a du style et du panache, aucun doute là-dessus, mais son livre arrive trente ans trop tard et surtout, il ne respecte pas sa clientèle.
Comment, en ce début de XXIe siècle, un lecteur de polars le moindrement intelligent et exigeant pourrait-il accepter qu’une partie importante de l’enquête soit résolue par un truc aussi facile, aussi condamnable, aussi ridicule que l’intervention d’une bonne sœur dotée de facultés paranormales ? Il lui suffit de prendre les mains de son interlocuteur et de lire en lui comme dans un livre ouvert et ainsi répondre à plusieurs questions cruciales pour le développement de l’enquête en cours. Lamentable tricherie !
De plus, pour corser la sauce et mieux nous endormir, on prétend qu’il s’agit là d’un « époustouflant thriller littéraire inspiré de faits réels ». De faits réels ? L’auteur a écrit une thèse sur Luigi Chiatti, « Le Monstre de Foligno », un tueur italien qui a assassiné deux fillettes. Désolé, mais le compte n’y est pas : selon les normes internationales, il faut avoir tué au minimum trois fois pour être intronisé au temple de la renommée des serial killers, ce que l’auteur, qui nous bassine longuement sur le sujet, devrait savoir. Mais toute vérité n’est pas bonne à dire quand on fait la promotion d’un bouquin censé vous époustouflatter.
Tout cela pour vous dire, quitte à passer pour élitiste, que je ne fais pas partie des « lecteurs naïfs » qui ont apprécié ce livre qui incarne tout ce que je déteste d’artificiel dans certains polars contemporains. Et qu’on ne me brandisse pas les 200 000 exemplaires écoulés en Italie seulement ! Sur Internet, les commentaires des lecteurs sont loin d’être unanimes.
Et par tous les diables, si Dan Brown a vendu des millions de Da Vinci Code, ça ne prouve en fait qu’une chose : la culture du navet est une activité florissante, y compris celle du navet italien ! (NS)
Le Chuchoteur
Donato Carrisi
Paris, Calmann-Lévy, 2010, 438 pages.
Où l’on découvre le petit monde de Lydia Chin…
Le principal intérêt de Shanghai Moon, un polar un peu obèse et plutôt conventionnel, réside dans le fait que la toile de fond de l’intrigue est un épisode assez peu connu de la Seconde Guerre mondiale. À la fin des années trente, de nombreuses familles juives allemandes, autrichiennes, polonaises et lituaniennes, ont tenté de fuir les persécutions nazies. Leur seule planche de salut : l’ambassade de Chine qui délivrait des visas pour Shanghai où les attendait une nouvelle vie au sein d’une culture totalement étrangère. Le ghetto de Shanghai était une zone d’environ 1,5 km carré qui accueillit plus de 25 000 réfugiés juifs européens. Pendant l’occupation japonaise, l’armée impériale nippone durcit certaines restrictions et les conditions de vie, mais elle refusa toujours d’éliminer les habitants juifs du ghetto, et ce malgré les demandes insistantes de leurs alliés nazis.
Shanghai Moon est le neuvième roman d’une série mettant en vedette Lydia Chin, détective d’origine chinoise opérant à New York, et le premier traduit (sans commentaires !). Elle est mandatée par une avocate suisse pour retrouver à Chinatown des bijoux ayant appartenu à la famille Gilder. Rosalie Gilder et son frère Paul faisaient partie de ces réfugiés ayant fui l’Autriche pour trouver asile dans le ghetto de Shanghai. Rosalie et Paul ont disparu, mais les bijoux appartenant à la famille sont réapparus à Chinatown. Il manque une pièce importante cependant : le fabuleux bijou appelé « Shanghai Moon », qui fait rêver les joailliers et les collectionneurs du monde entier.
Voilà donc Lydia Chin embarquée dans une aventure périlleuse qui aurait gagné en intensité dramatique si elle avait été un peu mieux éditée. Car ce roman souffre d’un mal hélas de plus en plus répandu : l’obésité chronique. Hésitant entre le polar historique, le récit d’une chasse au trésor et l’enquête traditionnelle, l’auteur nous plonge au cœur d’une histoire complexe, fort intéressante certes, mais dont elle aurait pu éliminer bien des « chinoiseries » (par moments, la rapide succession des noms chinois finit par nous fiche le tournis).
L’histoire de Rosalie Gilder et de son frère, ainsi que l’odyssée du « Shanghai Moon », est racontée par divers témoins sous divers points de vue (dont des lettres), ce qui ne manque pas de provoquer des répétitions et des détails souvent inutiles. Bref, on aurait pu élaguer, resserrer davantage pour créer une plus grande tension dramatique. La toile de fond est instructive et fascinante, la peinture de Chinatown exotique et amusante à souhait, mais cela ne suffit pas toujours pour faire un bon polar. Le personnage de Lydia Chin est intéressant, mais comme elle fait souvent référence à des événements ayant eu lieu dans les romans qui précèdent celui-là, on reste un peu perplexe.
À découvrir donc, mais avec quelques réserves… (NS)
Shanghai Moon
S. J. Rozan
Paris, Le Cherche midi, 2010, 490 pages.
Cryptomnésie
Depuis Thérapieet Ne les crois pas, la planète polar a fait connaissance avec Sebastian Fitzek, l’étoile montante du suspense allemand contemporain. Avec Tu ne te souviendras pas (Das Kind, en version originelle), il revisite l’univers des troubles psychologiques, qui lui avait permis de ficeler une intrigue complexe et captivante ayant hélas pour principale faille une parenté trop évidente avec un certain Shutter Island… Une idée est toujours moins forte quand on est deuxième à la soumettre.
Il faut reconnaître à Fitzek cette aptitude à proposer des ouvertures de romans coup-de-poing. Poignantes, déroutantes, celles-ci excellent à la création d’un malaise certain chez le lecteur. Il édifie en quelques chapitres un plan parfait, oui mégalomane, mais plutôt bien pensé ; il conçoit un piège qui se referme sur le personnage principal que n’auraient pas renié les Boileau et Narcejac de l’époque. Ici, que penser de ce gosse d’à peine dix ans, Simon Sachs, qui vous annonce de but en blanc qu’il a assassiné à coups de hache un individu, en ce même jour du 28 octobre, il y a quinze ans de cela ? Aussi invraisemblable cette allégation paraît-elle, il appert que selon les indications du jeune garçon, son confident Robert Stern retrouve un cadavre le crâne défoncé à la hache.
Supercherie délirante ou vision fondée, on n’a guère le temps d’en évaluer l’impact que l’avocat Stern reçoit le lendemain un DVD sur lequel il voit l’image de son fils Felix qu’il croyait pourtant mort… Le contenu de la vidéo amateure qu’on lui envoie est franchement stupéfiant : son bébé filmé à la pouponnière, de ses toutes premières heures jusqu’à sa mort subite, quelque vingt-huit heures à peine après avoir vu le jour. On le comprend rapidement, Fitzek est dans une classe à part pour imaginer des prémisses aussi fascinantes et accrocheuses qu’impossibles à concevoir rationnellement. Qu’elles soient sans queue ni tête, ces situations pèsent néanmoins lourd sur la conscience du lecteur, obligé dès lors d’avaler les pages pour voir émerger le bon sens et l’explication logique derrière tout ce fatras d’impressions et de suppositions étranges.
À son attrait récurrent à travers ses œuvres pour le thème percutant de la perte de ce que l’on a de plus cher (Josy, Leoni, Felix), Fitzek ose cette fois une incursion dans l’occulte à travers des hypothèses allant du côté de la métempsycose et de la réincarnation. Une fois de plus, le vide causé par la disparition de l’être cher sert de prétexte à une enquête à la fois poussée et risquée de la part du personnage principal, autour de qui se referment les chances de salut tel un étau d’acier impitoyable et destructeur. Tout comme chez Harlan Coben, à qui on le compare de plus en plus, il est à la fois victime et suspect prioritaire : sa rédemption passe forcément par la résolution de l’énigme que lui-même – seul, envers et contre tous – devra mettre au jour.
Comme d’autres avant lui, Fitzek a eu l’idée d’associer l’enfance à l’horreur : de faire correspondre l’image de l’innocence et de la pureté au malin et à la perversité crée un effet saisissant et provoque sans doute ce malaise si diaboliquement efficace. Les forces de l’imaginatif Allemand n’arrivent toutefois pas à gommer ses lacunes évidentes : une propension à laisser traîner des fils blancs un peu partout. Comme quoi la subtilité vient parfois en option quand vient le temps de faire confiance au lecteur. S’il ne méprise pas totalement son intelligence, l’écrivain populaire sent à tout le moins le besoin de le guider et de tout lui expliquer. Lui qui a tout mis en place pour savamment manipuler son lecteur, il démonte tout grossièrement, n’excluant pas le recours aux clichés et aux procédés de débutants pour finalement le rassurer et lui ménager un dénouement guimauve qui gâche l’effet final. Oh ! pas tant dans ces passages entiers qui exposent la théorie toute livresque sur comment mener un bon interrogatoire de police, que pendant les soixante dernières pages du roman qui lèvent le voile finalement sur le mystère de ce roman peut-être trop crypté qu’il devient nécessaire de l’accompagner de son mode d’emploi. (SR)
Tu ne te souviendras pas
Sebastian Fitzek
Paris, L’Archipel, 2010, 332 pages.
Lisa Gardner et les secrets d’un bon suspense…
En cette époque opaque où le thème du tueur en série engendre des polars obèses qui croulent sous les cadavres et les autopsies, où le sang coule à flot pour remplir des centaines de pages de scènes macabres, il devient périlleux pour un écrivain talentueux de s’aventurer dans le genre casse-gueule, subtil entre tous, du roman à suspense. S’il est facile de massacrer à tire larigot histoire de multiplier les chapitres, il est beaucoup plus difficile de maintenir l’intérêt du lecteur pendant trois cents pages autour d’une simple disparition et de bâtir une intrigue solide autour d’un personnage fort qui nous tiendra en haleine jusqu’à la fin… C’est pourtant l’exploit que réalise Lisa Gardner dans La Maison d’à côté, un de ces « page-turners » dont les Américains nous cachent le secret avec un zèle de fabricant de Caramilk.
Tout commence par un fait divers dans une banlieue résidentielle de Boston : Sandra Jones, une jeune maîtresse d’école et mère modèle, a disparu. Seul témoin : sa petite fille de quatre ans. Principal suspect : son mari Jason, un personnage remarquable, comme on en a peu rencontré dans le genre. Interrogé par D. D. Warren, l’inspectrice chargée de l’enquête, celui-ci a un comportement pour le moins étrange. Il refuse de répondre à certaines questions, montre peu d’empressement à savoir ce qui a bien pu arriver à son « épouse chérie » et, de manière générale, se comporte comme un coupable plutôt qu’une victime.
Au fur et à mesure que l’affaire progresse, que des révélations se font, notamment sur la vie de couple bizarre des Jones, le lecteur est de plus en plus intrigué par cette affaire qui s’avère beaucoup plus complexe que prévue.
Élément clé de l’intrigue : l’ordinateur personnel de Jason, qui contient la clé de l’énigme. Quand l’affaire sera enfin résolue (de brillante manière, vous ne verrez rien venir…), vous ne regarderez plus votre ordinateur de la même façon. Solidement documenté sur Internet et sur les entrailles de nos instruments de travail et de loisir favoris, ce roman m’a appris des choses que je ne soupçonnais même pas sur le potentiel extraordinaire de ces machines et de ces génies de l’informatique capables de faire cracher à la machine ses secrets les mieux gardés.
D. D. Warren est un personnage intéressant, mais c’est Jason Jones qui vole la vedette. Ce type est incroyable, fascinant, et il tient toute l’intrigue sur ses épaules. Qui est vraiment cette tête à claques, cet effronté de première ? On se pose la question jusqu’à la toute fin ! Un suspense complexe, bien conçu, sans invraisemblance ni tour de passe-passe. À ne pas manquer.
Ah oui… Si vous croyez que votre dernière visite clandestine sur un site, disons, euh… enfin, un site quoi… sera effacée par la touche « Supprimez » ou « Effacez », vous êtes bien naïf ou ignorant ! Les petits lutins quantiques qui gèrent la mémoire de votre damnée machine n’oublient jamais rien. Rien de rien. Vous êtes prévenus… (NS)
La Maison d’à côté
Lisa Gardner
Paris, Albin Michel, 2010, 420 pages.
Massacre sur l’île de Malte
Je l’ai vu annoncé, je l’attendais avec une certaine impatience, et je ne l’ai pas regretté puisque L’Officier de Malte de Mark Mills affiche mon menu favori : un polar corsé, comme je les aime, doublé d’un roman de guerre bien documenté.
L’action se passe sur l’île de Malte en 1942. Chaque jour, des centaines de Stukas et de Junkers 88 de la Luftwaffe déversent des tonnes de bombes sur les installations militaires et les bâtiments civils, alors que les Messerchmitts 109 mitraillent tout ce qui bouge. Mais les Maltais résistent et se préparent à une invasion imminente. La description de cette île sous les bombes (des milliers de raids, l’endroit le plus bombardé de la Seconde Guerre mondiale) est assez hallucinante !
L’auteur est très à l’aise dans la partie historique qui reconstitue l’ambiance et les événements de l’époque : la résistance farouche des habitants, qui abattent les avions ennemis à coups de fusil (des Italiens !), le combat désespéré des pilotes anglais sous-équipés contre les nuées de chasseurs ennemis, la description des installations et des habitations en ruine, la vie dans les abris, la peur qui colle aux tripes, tout cela est rendu avec un réel souci du détail et de l’authenticité historique.
Mais à une échelle moins épique se joue un autre drame, plus sordide celui-là : un tueur en série assassine plusieurs jeunes Maltaises. C’est là qu’intervient Max Chadwick, un jeune officier de l’Information qui se lance sur les traces du tueur. Car les premiers indices suggèrent que ce tueur sadique pourrait être un sous-marinier anglais. Rien pour apaiser la tension croissante entre les Maltais, surtout les plus nationalistes, et les Anglais… Le temps presse, mais à la grande déception de Max, la hiérarchie militaire s’en mêle et lui demande de renoncer à son enquête (motifs politiques), ce qu’il ne fera pas, à ses risques et périls, jusqu’à l’identification du coupable.
À la fois roman historique, récit à suspense et histoire d’amour (torride !), L’Officier de Malte est une combinaison gagnante sur toute la ligne. Ma seule réserve, dans les premières pages, concernait un truc éculé qui traîne dans un trop grand nombre de romans de tueurs en série : donner la parole ou nous infliger le monologue intérieur du tueur, anonyme il va de soi… Or, ce procédé convenu se justifie ici quand on apprend que le tueur en question est un agent ennemi et que ses meurtres, en plus de lui procurer une jouissance sadique, sont aussi motivés par des préoccupations tactiques d’un autre ordre.
L’Officier de Malte est une lecture passionnante. À travers un suspense qui ne se relâche jamais, l’auteur nous décrit une page d’histoire épique. Au XVIe siècle, les Maltais ont résisté à l’invasion turque et ont repoussé les hordes de janissaires de Soliman le Magnifique (cet épisode héroïque est raconté dans un roman formidable : La Religion, de Tim Willocks). En 1942, l’île a résisté aux hordes nazies. À la fin du récit, alors que le coupable est démasqué, le 9 mai 1942, l’arrivée de dizaines de Spitfires Mark Vc, armés de quatre canons, allait faire pencher la balance du côté des Anglais. Le lendemain, soixante-trois avions allemands étaient abattus. Le Maréchal Kesselring renonçait à débarquer sur l’île et un tueur en série faisait le grand plongeon dans la Méditerranée depuis la soute d’un bombardier anglais volant à haute altitude ! Une finale de haut vol, quoi ! (NS)
L’Officier de Malte
Mark Mills
Paris, Calmann-Lévy, 2010, 314 pages.
Au cœur du labyrinthe
Un monde sous surveillance, de l’auteur australien Peter Temple, est un excellent roman de politique-fiction et d’espionnage… que j’ai pourtant failli lâcher en cours de route ! Je m’explique…
Ce roman est construit comme une sorte de labyrinthe circulaire avec, au centre, le nœud de l’intrigue : une vidéo sur laquelle on voit un village africain non identifié, dont les habitants sont massacrés par des soldats qui semblent être américains. Cette vidéo intéresse bien du monde, car son contenu est plutôt explosif ! Au cœur de ce labyrinthe, il y a deux personnages que rien ne semble lier a priori. Pourtant, chacun d’entre eux, dans un contexte différent, a un lien direct avec le film mystérieux et les événements tragiques qui y apparaissent. Chacun de ces personnages évolue lentement vers la vérité, vers le centre, sans que le lecteur puisse soupçonner leurs liens cachés qui seront révélés au compte-gouttes, chapitre après chapitre, jusqu’à la finale surprenante et totalement inattendue.
Con Niemand, garde du corps de riches Sud-Africains, assiste, impuissant, au meurtre de ses patrons. Il réussit à s’enfuir en emportant la mallette de son boss, mallette qui contient la fameuse vidéo. Quand Niemand visionne le film, il comprend tout de suite que ce document vaut de l’or et il va chercher à le vendre très cher à ses destinataires. Ces derniers vont plutôt chercher à l’éliminer… C’est la partie « thriller » de l’intrigue. De son côté, à Hambourg, John Anselme, un ancien journaliste, travaille pour une officine de surveillance. Or, les renseignements qu’on lui demande de fournir l’amènent sur la piste de la fameuse cassette. C’est la partie plus statique de l’histoire, celle que le lecteur doit apprivoiser pour comprendre la suite des choses. Depuis sa libération comme otage, Anselme a des problèmes de mémoire et, à l’occasion de sa nouvelle affaire, des pans entiers de son passé vont remonter à la surface.
Un monde sous surveillance, dont la thématique, toutes proportions gardées, rappelle Les Soldats de l’aube de l’auteur Deon Meyer (l’implication des puissances étrangères, dont les États-Unis, en Afrique australe et en Angola), est un roman qui n’est pas facile d’accès. Ce n’est un thriller qu’au début, dans quelques scènes d’action bien menées, puis le rythme ralentit, la progression se fait plus lente jusqu’à dérouter le lecteur perplexe qui se demande de quoi il en retourne.
En effet, par le biais de John Anselme, l’auteur nous fait part du contenu de conversations captées par écoute électronique, conversations dont les protagonistes ne sont jamais clairement identifiés et dont on ne sait jamais vraiment à quoi ils font allusion. On comprend vaguement qu’il y a un rapport avec la fameuse cassette interceptée par Niemand, mais ça n’est que très progressivement que les pièces du puzzle se mettent en place, alors que nos deux protagonistes se rapprochent du centre du labyrinthe où les attend une vérité atroce et où tous les fils de cette étrange affaire vont enfin être reliés. Une histoire étrange, particulièrement retorse, et qui se mérite ! Mais ça vaut la peine de persévérer parce que ce récit de politique-fiction est tout à fait vraisemblable, donc tout fait inquiétant.
Après Les Anonymes, de R. J. Ellory, qui faisait la lumière sur quelques saloperies fomentées par la CIA en Amérique Centrale, Temple nous fait assister à d’autres sinistres exploits de l’ugly American, en Afrique cette fois ! Édifiant ! (NS)
Un monde sous surveillance
Peter Temple
Paris, Rivages (Thriller), 2010, 393 pages.
Il est né le divin et sanglant enfant… !
Noël sanglant, du norvégien Kjetil Try, commence de manière spectaculaire : un sans-abri est abordé par un bon Samaritain qui lui donne deux bouteilles d’alcool. Mais le liquide contient un puissant somnifère et l’inconnu profite du quasi-coma de l’itinérant pour lui sectionner une jambe au couteau et lui piquer son labrador ! Le clochard survivra et retrouvera son chien plus tard… mais empaillé !
Après ce départ spectaculairement sadique, le récit prend une tournure plus conventionnelle et devient un roman de procédure policière main streamavec le schéma connu : crime(s), enquête, résolution.
Nous sommes le 9 décembre 2007. Il fait très froid en Norvège et la population se prépare pour les Fêtes. Reidar Dahl, un comédien bien connu qui interprète Joseph dans L’Évangile de Noël, disparaît brusquement. L’inspecteur Lykke retrouve quelques-uns des organes de l’acteur conservés dans le congélateur de la victime. Mais où est passé le reste du corps ? Quelques jours plus tard, c’est au tour d’une religieuse de disparaître. Encore une fois, on retrouve ses viscères, mais rien de plus… Et puis c’est un âne qui disparaît (pas un politicien, un vrai âne du type hee haw !)… Mystère ! L’équipe de Lykke marche sur des œufs. Personne n’ose prononcer les mots fatidiques « tueur en série », et pourtant on dirait bien qu’il y en a un à l’œuvre dans les rues de la ville d’Oslo, avec des motivations pour le moins obscures.
Kjetil Try est le dernier venu des Nordiques de service et force est de reconnaître que son roman, qui ne pêche pourtant pas par excès d’originalité, ne manque ni d’intérêt ni de piquant. Mais pas de grands discours socio-psycho-philosophiques sur la décadence de la société norvégienne, Try se contente de nous raconter une solide histoire policière écrite selon les règles de l’art. Rolf Lykke est un flic assez ordinaire dont le principal souci, en dehors de son travail, est le fait qu’il soit marié avec une très belle femme, beaucoup plus jeune que lui. Il a du mal à accepter son bonheur. Accaparé par son travail (un autre passionné !), il est souvent absent au propre et au figuré et a peur que sa jeune femme ne le quitte pour un homme plus attentionné et plus présent. Situation classique, tout comme l’est l’enquête sur ce tueur insolite aux étranges motivations.
À lire avec comme musique d’accompagnement quelques chansons de Noël, de préférence des chœurs, et pourquoi pas, quelques flocons de neige, histoire de reconstituer l’ambiance un peu spéciale d’un Noël norvégien aux nuits glaciales, avec, au menu, des viscères congelés de bonne sœur, du gigot de sans-abri et des tripes d’acteur ! Bizarres, ces Norvégiens… (NS)
Noël sanglant
Kjetil Try
Paris, Gallimard (Série noire), 2010, 398 pages.
La Suède frappe encore !
Décidément, la Suède est un terreau fertile pour les auteurs de polar ! On connaît déjà bien les Mankell, Larsson, Läckberg et autres, et voilà que j’ai découvert, avec beaucoup de plaisir, un auteur suédois au parcours plutôt inusité, puisque Kjell Eriksson a d’abord fait carrière comme jardinier, spécialisé dans la rose, avant de devenir auteur de romans policiers ! Pas banal ! Il fait une entrée remarquée dans le domaine dès 1999, en recevant le prix du Meilleur Premier Roman Policier Suédois. En 2002, il gagne le prix du Meilleur Roman Policier Suédois. Et depuis, il connaît le succès avec le personnage d’Ann Lindell, qui en est à sa quatrième enquête dans le tout nouveau roman de l’auteur, Le Cri de l’engoulevent.
La ville d’Uppsala se réveille un bon matin en état de choc : plusieurs vitrines ont été brisées pendant la nuit, des boutiques ont été saccagées et, surtout, un cadavre est retrouvé dans une librairie. Aucun indice sur l’identité du jeune homme assassiné. Qu’est-ce qui peut justifier une telle violence, au point de dévaster toute une rue ? Chacun y va de ses hypothèses et les dénonciations racistes se mettent à pleuvoir. Plusieurs dénoncent l’immigration incontrôlée. Après cette terrible nuit, la violence ne cesse de s’accroître, les tensions entre les nouveaux arrivants et certains Suédois s’accentuent.
Dur retour au travail pour Ann Lindell, qui revient tout juste d’un congé parental ! La policière tente de mener l’enquête à sa façon ; elle a souvent eu tendance à faire cavalier seul, ce qui ne lui vaut pas que des amis parmi ses collègues…
L’action du Cri de l’engoulevent est très resserrée dans le temps, puisque l’enquête se déroule du 10 au 14 mai. Les chapitres sont courts et vifs, le roman trouve rapidement son rythme dans cette succession de destins croisés qui se rejoignent tous, mais dont les liens ne sont pas toujours clairs de prime abord. Les personnages sont étoffés et leur aspect psychologique est aussi important que l’histoire en soi : la volonté d’un jeune immigré de trouver un sens à sa vie, la sagesse de ce grand-père iranien, la vulnérabilité de Lindell… Bien que vivant tous les uns près des autres, il émane de cet assemblage hétéroclite une terrible solitude, de la peur, des espoirs aussi.
Le personnage central, Ann Lindell, une policière dont la vie privée est assez lamentable, qui consacre un temps fou au travail, s’inquiète pour les jeunes Suédois d’aujourd’hui, dont l’avenir paraît bien sombre. Plus l’histoire avance, plus le racisme s’impose au cœur du roman – et il n’est pas que dans les grands éclats ! Kjell Eriksson y aborde avec finesse le racisme au quotidien, dans ses manifestations les plus sournoises.
Bref, le portrait tracé n’a rien de bien joyeux… Il démontre aussi combien la peur et l’incompréhension peuvent devenir des moteurs puissants qui motivent certains gestes, certaines opinions.
Eriksson nous propose donc une enquête intéressante, avec des personnages consistants et touchants, une belle montée de la tension, une progression constante qui fait que l’action, peu à peu, se resserre, les choses se corsent et nous conduisent vers une finale qui, si elle ne donne pas toutes les réponses, n’en demeure pas moins bien menée, à l’image du récit. (ML)
Le Cri de l’engoulevent
Kjell Eriksson
Monfort-en-Chalosse, Gaïa (Polar), 2010, 381 pages.
Dans le camp des morts…
Après l’excellent Little Bird, le shérif Walter Longmire revient pour une nouvelle aventure dans Le Camp des morts, de Craig Johnson,chaudement recommandé par Tony Hillerman qui nous prévient gentiment : « Ne passez surtout pas à côté ». À quatre-vingt-trois ans bien sonnés, plus deux années au Pays des chasses éternelles (il est mort en 2008), Hillerman semble toujours aussi vert et plein de bons conseils. Mais plus rien ne m’étonne dans ce monde étrange où Robert Ludlum est plus prolifique que jamais depuis son décès et où Antoine Chainas, quoique bien vivant, a droit, lui, à une notice biographique des éditions Gallimard qui nous dit que « décédé en 1993, il travaille depuis dans une grande entreprise française ». Bref, on n’a plus les morts qu’on avait, mais bon, ceci dit, je crois le lecteur défunt Hillerman sur parole, car les polars de Craig Johnson, qui tiennent autant du western et du roman d’aventures, me procurent toujours d’agréables moments de lecture.
Cette fois, c’est la mort suspecte de Mari Baroja (une femme d’origine basque) dans la maison de retraite de Durant qui est le point de départ d’une intrigue qui va ramener le bon shérif cinquante ans en arrière. En effet, il se trouve que cette femme a été, pendant quelques heures, l’épouse légitime du shérif Connaly, le mentor de Longmire, pensionnaire dans la même maison de retraite et avec qui il joue régulièrement aux échecs.
Connaly est persuadé que la mort de Mari n’est pas naturelle, qu’elle a été assassinée, ce que les analyses toxicologiques finiront par confirmer. Mais pourquoi a-t-on voulu éliminer cette femme ? Et pourquoi d’autres membres de cette famille sont-ils visés par le ou les tueurs ? Longmire n’a pas fini de déterrer des secrets bien enfouis, cachés depuis des lustres. Alors que son mentor est soupçonné de meurtre ou de complicité de meurtre, ce qu’il a du mal à croire, les véritables motivations du tueur se précisent. Disons que des millions sont en jeu, de quoi donner des idées à bien du monde.
Ce que j’aime particulièrement dans les deux romans de Johnson (j’espère bien avoir l’occasion de lire les suivants), c’est qu’ils nous proposent chacun un menu complet : une intrigue qui nous tient en haleine, une galerie de personnages colorés, très bien typés (dont le shérif lui-même, avec son remarquable sens de l’humour, mais aussi ses adjoints et son copain Henry Standing Bear, un Cheyenne qui n’a pas la langue dans sa poche), tout ça situé dans le décor grandiose du Wyoming où la nature sauvage peut se déchaîner à tout moment, surtout en hiver, où les tempêtes peuvent être mortelles.
On ne soulignera jamais assez la qualité exceptionnelle des livres publiés aux éditions Gallmeister. En plus de proposer des auteurs de premier plan, cet éditeur nous offre de beaux livres au design sobre, tout en élégance, avec des photos remarquables dont la thématique s’harmonise avec le récit. Quel bel exemple à suivre pour certains tâcherons locaux qui nous infligent trop souvent des horreurs graphiques sans nom . On ne nommera personne, mais ils existent. Hélas… (NS)
Le Camp des morts
Craig Johnson
Paris, Gallmeister (Noir), 2010, 314 pages.
Revue Alibis – Mise à jour: Janvier 2011