Encore dans la mire
André Jacques, Simon Roy et Norbert Spehner
Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 1.1Mo) d’Alibis 33, Hiver 2010
Barnabé chez les nazis…
Après Sous la neige noire, suivi de Et je brûlerai ton cœur de pierre, Le Sang des tourterelles est le troisième polar de la (très) belle Pauline Delpech, mettant en scène le commissaire Barnabé. Il a un petit quelque chose de Maigret, ce Barnabé : la carrure, le caractère, les dialogues, mais la comparaison s’arrête là. Les polars de Pauline Delpech n’ont rien de la grisaille psychologique des romans de Simenon. Ce sont des romans de procédure policière dont la facture, l’ambiance, les descriptions s’inscrivent plutôt dans la tradition très contemporaine des thrillers français à la Grangé, Thilliez et cie : on y saigne, on y massacre, les descriptions sont crues et sanglantes à souhait, la violence omniprésente et graphique (il y a une scène d’exécution par la guillotine, orchestrée par le bourreau Deibler, qui n’est pas piquée des vers !). Rien de l’ambiance feutrée des romans de Simenon.
Nous sommes en 1938, aux lendemains des tristement célèbres accords de Munich qui ont fait la part belle à l’Allemagne. Hitler est aux pouvoirs et la possibilité d’une nouvelle guerre franco-allemande est de plus en plus réelle. Le meurtre d’un secrétaire de l’ambassade allemande par un jeune Juif envenime les choses. Cette fois, Barnabé, un vétéran de la Grande Guerre qui a connu l’horreur des tranchées, est aux prises avec un tueur d’enfants qui les assassine selon un rituel aussi étrange qu’atroce. Les victimes sont étranglées, on leur arrache la langue et leurs oreilles sont perforées. Les méandres de l’enquête amènent le commissaire dans les cercles d’inspiration celte et nazie alors que s’accumulent les problèmes de sa vie personnelle.
La découverte d’une fibule de bronze (ancienne épingle de sûreté) lors du deuxième meurtre va révéler l’existence d’un culte celte dédié à la déesse de la Lune. Dans ce culte, on pratique des sacrifices humains.
La traque du tueur va amener Barnabé jusqu’à Cologne où il vivra en direct les horreurs de la Nuit de Cristal. Chauffée à blanc, la populace attaque les magasins juifs, brûle des synagogues, lynche de simples passants. C’est dans cette ambiance d’apocalypse et de folie, prélude à la grande boucherie de la Seconde Guerre mondiale, que va se résoudre cette affaire singulière. Le châtiment du coupable sera terrible et spectaculaire !
Pauline Delpech a bien su doser les ingrédients de ce polar bien ficelé qui combine adroitement les éléments du roman d’enquête avec un brin d’ésotérisme, une petite dose d’histoire (qui ne retarde jamais la bonne marche de l’action), le tout dans un style très réaliste. De quoi vous réconcilier avec un certain polar français… (NS)
Le Sang des tourterelles
Pauline Delpech
Paris, Michel Lafon, 2009, 326 pages.
Parce que le pire est de ne pas savoir
Sebastian Fitzek s’est propulsé au firmament des auteurs de best-sellers il y a quelques années avec un premier roman traduit dans plus d’une trentaine de langues, et donc écoulé à quelques godzillions d’exemplaires. L’écrivain berlinois récidive avec Ne les crois pas, un jeu de massacre qui table sur les mêmes procédés que Thérapie pour captiver son lecteur.
Yann May s’accommode du fait que sa fiancée Leoni garde occulte une partie de sa vie passée. Un soir, alors qu’il l’attend chez lui, Leoni le rejoint au téléphone pour lui transmettre un message déconcertant, d’autant plus mystérieux que la communication est très mauvaise : « Ne les crois pas. Quoi qu’on te dise, ne les crois pas. » Alors qu’il a encore le combiné dans les mains, un policier s’amène chez lui pour annoncer la mort tragique de Leoni, victime d’un accident de voiture une heure plus tôt…
Un peu comme ce Rex Hoffmann, du film L’Homme qui voulait savoir (George Sluizer, 1988), Yann May refuse de lâcher prise dans sa quête de découvrir ce qui est véritablement arrivé à sa fiancée. Difficile de croire en cette mort alors qu’il entendait la voix de Leoni une heure après le prétendu accident. Parce que le pire est de ne pas savoir, il sombrera dans des souffrances aiguës qui dépassent ce que son imagination de psychologue ayant traité des patients dévastés avait pu lui laisser entrevoir jusqu’alors. Parce que le pire est de ne pas savoir, il décide quelques mois plus tard, poussé par le désespoir, de provoquer les choses en prenant le contrôle du studio d’une station de radio populaire de Berlin, 101,5. La prise d’otages est si spectaculairement orchestrée que Yann attirera sur lui l’attention de l’Allemagne entière : jusqu’à ce qu’on lui amène Leoni devant lui, il procédera à ce que les animateurs de la station appellent le jeu du Cash Call, dans une version modifiée autrement plus inquiétante: ainsi, une fois par heure, il logera au hasard un appel dans Berlin ; si l’auditeur qui répond prononce rigoureusement la bonne formule (J’écoute 101,5, et maintenant libère un otage!), Yann obtempérera. Sinon, le forcené procédera à une exécution.
Le scénario est idéal pour accroître à chaque page le suspense, compte tenu de cette course contre la montre qui est déclenchée au moyen de cette idée diaboliquement inventive. Fitzek imagine ici une forme de terrorisme à la sauce médiatique aussi redoutable qu’efficace. Excellant dans l’art d’user les nerfs au même rythme que le lecteur est amené à avaler les pages, Fitzek parvient à mettre en scène des situations sans issue. Les meilleures pages de ce roman entraînent le lecteur et les personnages principaux dans un jeu cruel et pervers où ces derniers sont pratiquement forcés de se livrer à des confidences intimes en direct sur les ondes radiophoniques.
Si l’idée de Thérapie rappelait à plus d’un égard le Shutter Island de Lehane, Fitzek n’arrive toujours pas avec Ne les crois pas à se distinguer d’autres thrillers, ni même à se sortir des sillons tracés par son premier roman, alors qu’il exploite encore, mais avec excès cette fois, le procédé de la duplicité et du double jeu. Si la première moitié de l’œuvre sous forme de huis clos est haletante, Fitzek échoue dans sa tentative de maintenir la tension dès le moment où l’action se disperse. De nombreuses entorses à la vraisemblance font alors en sorte que le lecteur, bienveillant au départ, finit par décrocher tant ce qu’on nous propose ressasse des clichés éculés ou se complaît dans des bons sentiments trop longtemps trempés dans une glu rose caractéristique de la plus mauvaise littérature populaire. (SR)
Ne les crois pas
Sebastian Fitzek
Paris, L’Archipel, 2009, 347 pages.
Trois escapades dans l’Académie du crime
Les lecteurs d’Alibis qui fréquentent l’Académie du crime de notre supplément Internet auront constaté comme moi que ce sont surtout des ouvrages anglo-saxons qui s’intéressent au roman policier. Les livres en français sont rares, c’est pourquoi je profite de l’occasion, rarement donnée, de présenter trois ouvrages parus ces dernières semaines, trois études corsées, de niveau académique variable, avec des orientations très différentes : De l’empreinte au récit, de Nicolas Xanthos, privilégie une approche théorique pointue ; La Naissance du roman policier français,d’Elsa de Lavergne, propose une approche à la fois historique et analytique ; et Le Roman policier historique, de Jean-Christophe Sarrot & Laurent Broche, s’intéresse à un sous-genre très prisé et qui s’est considérablement développé au cours de la dernière décennie (et que notre collègue Mario Tessier aborde savamment dans le présent numéro).
« Comment reconstruire et comprendre l’action d’autrui – voilà ce qui constitue la problématique première du genre policier. Cette opération complexe prend d’abord appui sur ce signe spontanément associé au roman policier : l’indice. Au sein de l’univers que l’enquêteur arpente, il s’agit d’abord pour lui de repérer l’indice et de l’interpréter, de comprendre à qui et à quoi renvoie cet objet incongru. » Ainsi pourrait se résumer grossièrement la thèse de l’ouvrage de Nicolas Xanthos, professeur de sémiotique littéraire au Département des arts et lettres de l’Université du Québec à Chicoutimi, qui nous propose de « lire le roman policier comme une véritable fable sur l’action, sur notre désir de comprendre les gestes d’un autre qui n’a cessé de s’opacifier depuis le début du XXe siècle ». D’où le sous-titre : Destin de l’indice et de l’action dans le roman policier.
Pour illustrer son propos, Xanthos s’intéresse principalement à deux auteurs : Caleb Carr (L’Aliéniste) et Tony Hillerman (Porteurs de peau), avec comme enquêteurs auxiliaires les théoriciens et philosophes Thomas Kuhn, Ludwig Wittgenstein ou Paul Ricoeur. En toute honnêteté, et malgré mon petit bagage universitaire (quelque peu désuet sur le plan théorique), j’ai été largué dès le premier chapitre où l’auteur donne dans la théorie littéraire pointue. Ce livre de spécialiste s’adresse à d’autres spécialistes dont il adopte le langage un peu hermétique des études littéraires, même si, en toute justice, on ne peut pas dire que l’auteur abuse du jargon. Disons que l’amateur de thriller devra quelque peu « freiner » ses élans pour une lecture lente, méthodique et attentive. C’est un ouvrage dense, solidement documenté, mais réservé à quelques spécialistes des études littéraires. Dont acte…
Plus démocratique, moins théorique et plus limpide, La Naissance du roman policier français (Du Second Empire à la Première Guerre mondiale), d’Elsa de Lavergne, titulaire d’un doctorat de littérature et civilisations françaises, devrait intéresser tous les amateurs de polars curieux de connaître l’histoire, voire l’archéologie du genre en France. L’ouvrage est divisé en deux parties. La première « Le Feuilleton à l’heure du crime : l’éclosion du roman policier », nous invite à découvrir les œuvres d’illustres inconnus (au Québec, ils le sont encore deux fois plus…) comme (entre autres) Jules Lermina, Eugène Chavette, Louis Charles Barbara, Fortuné du Boisgobey et autres ancêtres du genre, dont le plus connu est sans doute Émile Gaboriau. Dans la deuxième partie intitulée « Le Roman de l’époque contemporaine », on se retrouve en terrain plus familier avec, entre autres, des écrivains comme Maurice Leblanc ou Gaston Leroux. Voici un ouvrage foisonnant, riche en détails, qui propose en plus des annexes bien fournies, avec des notules biographiques, des extraits, une bibliographie, etc. Ce livre est une brique essentielle dans l’édifice historique du polar français.
Autre ouvrage foisonnant et passionnant : Le Roman policier historique, de Jean-Christophe Sarrot (auteur de trois ouvrages d’histoire littéraire) et Laurent Broche (docteur en histoire). Dans cette brique de près de 500 pages, les auteurs examinent le polar historique sous toutes ses coutures : son histoire, les tentatives des définitions, les auteurs, etc. Rien n’est laissé au hasard ou passé sous silence, pas même les futiles querelles qui empoisonnent parfois l’atmosphère au sein des groupes d’amateurs. Il y en a qui détestent le polar historique. C’est leur droit, les goûts et les dégoûts ne se discutant pas. Est-ce une raison pour en demander la suppression ou en écœurer les autres ? Comme les fans de SF et de fantasy, certains amateurs de polars peuvent parfois être très intransigeants, très exclusifs et surtout très bêtes. Or donc, en annexe, on trouvera une liste commentée de « 125 romans historiques à lire » parmi lesquels on retrouve quelques auteurs canadiens comme Howard Engel ou Caroline Roe et, oh agréable surprise, le roman de Maxime Houde, Le Prix du mensonge, qui illustre l’année 1948. Ajoutons à cela une mention de la liste des romans de Jack l’Éventreur sur le site d’Alibis et voilà de quoi réjouir le lecteur chauvin que je suis ! On trouvera aussi à la toute fin une sitographie très fournie, le polar historique étant incontestablement une matière-vedette sur Internet.
Bref, entre deux thrillers palpitants, pourquoi ne pas se frotter un peu à la théorie du genre, découvrir son histoire, ou celle du dernier sous-genre à la mode ? Il n’est jamais trop tard pour apprendre… (NS)
De l’empreinte au récit : Destin de l’indice
et de l’action dans le roman policier
Nicolas Xanthos
Québec, Nota Bene, 2009, 380 pages.
La Naissance du roman policier français
Elsa de Lavergne
Paris, Classiques Garnier, 2009, 414 pages.
Le Roman policier historique
Jean-Christophe Sarrot & Laurent Broche
Paris, Nouveau-Monde, 2009, 496 pages.
Cent pour cent détestable !
Dans un mot d’introduction, plutôt candide dans les circonstances, Stéphane Berthomet, directeur de la nouvelle collection « Sang pour sang » des éditions Transit (dont le PDG, Pierre Turgeon, a déjà laissé sa marque dans le milieu de l’édition québécoise…), écrit ceci à propos de Sang pour sang, de Gipsy Paladini : « Reçu maintenant il y a quelques années alors que je tentais de lancer pour les éditions Ramsay une collection de polars, ce projet de livre a intéressé tous les éditeurs auxquels je l’ai successivement recommandé en tant que directeur de collection. Pour diverses raisons, cet excellent manuscrit a failli ne jamais être édité. » Évidemment, Berthomet n’entre pas dans le détail des « diverses raisons » évoquées pour ne pas publier le volume, mais après avoir lu la chose, je vais me hasarder à quelques hypothèses…
Personnellement, je n’aurais jamais publié ce manuscrit d’abord et avant tout parce que Alan Seriani, le « héros » de ce polar ; est un sale con vindicatif, un type exécrable, violent, infect avec les femmes, hystérique, cynique et dangereux, qui n’a rien, mais alors rien qui puisse le racheter. Plus salopard que ça, tu meurs (comme le constateront certains de ses collègues !). Par ailleurs, on cherche en vain cet « humour cinglant » que promet la quatrième de couverture ! Résultat, toute l’intrigue évolue dans une ambiance malsaine, un climat de folie et d’hystérie perpétuelle qui, malgré quelques passages bien enlevés, en rend la lecture très désagréable. Le seul personnage un tant soit peu sympathique est éliminé rapidement.
Par ailleurs, Gipsy Paladini a une connaissance toute relative du travail des policiers. Par exemple, elle plaque sur la police new-yorkaise le schéma de la hiérarchie française et met à la tête des inspecteurs un improbable commissaire. Aux États-Unis, ce sont des « chefs de police » avec le grade de capitaine ou de lieutenant qui dirigent les flics de terrain, les « commissaires » étant des fonctionnaires haut placés dans la hiérarchie qui n’ont jamais affaire à la plèbe (sauf pour les critiquer, les virer ou les pousser au c… quand une affaire devient politiquement embarrassante). Plus étonnant encore, dès le premier meurtre, Seriani et ses collègues agissent comme les derniers des incompétents, commettant faute professionnelle après faute professionnelle dans leur manière de procéder sur le terrain. Leurs interrogatoires sont bâclés, à la limite du risible, ou carrément évités sous des prétextes fallacieux. On manipule des preuves, on dissimule des indices, etc. Par moments, c’est totalement invraisemblable.
Tout cela est bien dommage parce que cette histoire de traque et de vengeance d’anciens nazis aurait pu être tout à fait passionnante. Gipsy Paladini a tous les instruments pour écrire un polar acceptable. Elle a le sens du rythme et des dialogues punchés. Elle sait raconter une histoire, entretenir une tension dramatique. Certains passages sont prenants et la deuxième partie du roman réussit parfois à nous accrocher. Malheureusement, les éléments positifs ne compensent pas pour les failles du scénario et, surtout, la bêtise crasse du salopard qui tient la tête d’affiche. Quel pitoyable imbécile ! À fuir… (NS)
Sang pour sang
Gipsy Paladini
Montréal, Transit (Sang pour sang), 2009, 330 pages.
Quand le testament de Mahomet met le feu aux poudres !
Il est des livres que parfois on ne lit pas pour de mauvaises raisons. Comme j’en reçois beaucoup (ce qui m’oblige à trier), je suis très influencé dans mes choix par la couverture, le nom de l’auteur ou le texte de la quatrième de couverture ! Le Testament syriaque, de Barouk Salamé, avait tout contre lui : une illustration moche et trompeuse, un auteur dont j’ignorais tout, et un baratin où il était question d’un manuscrit ancien au contenu explosif qui suscite des convoitises. J’avais donc très peur de m’aventurer dans un de ces nombreux marécages davincicodiens dont on ne cesse d’inonder le marché ! C’est sur les conseils avisés d’un ami fin connaisseur en la matière, qui m’a fortement recommandé la lecture de cette brique, que j’ai enfin décidé de me lancer dans l’aventure.
Disons le d’emblée, le Testament syriaque ne plaira pas à tout le monde. Il s’agit d’un thriller fortement érudit, où des scènes d’action passionnantes alternent avec de véritables mini-cours universitaires sur l’histoire des religions, et plus particulièrement celle de l’Islam – la vraie, pas celle de certains barbus sanguinaires agités du bonnet !
Paul Mesure, un journaliste pigiste est rentré d’Afrique avec un manuscrit ancien, un codex écrit en syriaque (langue qui a précédé l’arabe) et qui, s’il est authentifié, risque de provoquer un séisme mondial. Car il pourrait s’agir d’un testament de Mahomet (réfuté par les purs et durs !) ou d’un proto-Coran qui remettrait en cause les dogmes existants. Très vite, les cadavres commencent à s’accumuler autour de Paul, dont celui de ses meilleurs amis. Des tueurs se lancent à ses trousses. Certains appartiennent aux terribles services secrets pakistanais, d’autres sont des intégristes algériens. Même la CIA se montre intéressée à acquérir le précieux document. Entre alors en scène un personnage remarquable : le commissaire Sarfaty, dit « le commissaire-philosophe », un policier juif avec des connaissances encyclopédiques dont il abreuve volontiers les protagonistes et les lecteurs. Passionné de culture orientale, Sarfaty nous entraîne aux origines de l’islam, de sa tradition cryptée et de ses énigmes.
En ce début du vingt et unième siècle, alors que l’Occident et l’Orient semblent mûrs pour de nouvelles Croisades sanglantes, l’érudit-franco-arabe Barouk Salamé (un pseudonyme conseillé fortement par ses proches), l’auteur de ce roman plutôt original, nous permet de mieux comprendre les origines de ce choc des cultures. Il faut de la patience et beaucoup d’attention pour naviguer à travers les passages riches en érudition de ce livre au rythme inégal. Si la confrontation entre l’Occident et l’Islam intégriste n’est pas votre tasse de thé, vous trouverez peut-être le temps long. Mais il y a aussi de l’action, du sexe et du sang à la une…
À la fin du volume, l’auteur intervient avec un complément d’information digne de figurer dans les meilleures thèses académiques. À lire en prenant son temps, pour mieux connaître le monde étrange dans lequel nous vivons… On peut lire une entrevue avec Barouk Salamé sur le site de la revue Jeune Afrique. (NS)
Le Testament syriaque
Barouk Salamé
Paris, Rivages (Thriller), 2009, 522 pages.
Qui trop embrasse
J’avais aimé il y a quelques années le roman Les Morts du Karst de Veit Heinichen, cet auteur allemand né en 1957 et installé maintenant à Trieste, aux confins nord-est de l’Italie. Mais À l’ombre de la mort m’a plutôt déconcerté.
Malgré son intérêt, le roman contient trop d’intrigues parallèles qui finissent par former un spaghetti un peu indigeste. Tout débute par l’histoire de Mia, une Australienne d’origine italienne, qui revient à Trieste récupérer l’héritage plutôt encombrant d’une vieille tante et qui se trouve emberlificotée dans une histoire d’amourettes à trois où se mêlent tragédie et burlesque. Et puis il y a Irina, la jeune Russe sourde-muette exploitée par un réseau de mafieux et forcée de vendre des colifichets aux passants et aux touristes. Il y a aussi des histoires de trafics d’armes vers la Bosnie et le Kosovo où de belles femmes mystérieuses conduisent des vedettes rapides au-delà de la frontière. S’ajoutent les graffitis d’un groupe de jeunes militants écologistes qui taguent des navires convoyant du bétail anémique ou malade. Et puis certains relents d’histoire ancienne où la sérénité de quelques vieux fascistes et collaborateurs nazis semble perturbée. Et puis… Et puis…
Tous ces dossiers atterrissent sur le bureau du commissaire Proteo Laurenti qui ne sait plus où donner de la tête, y compris dans sa vie familiale. Le personnage de Laurenti, une sorte de Maigret sans la fidélité conjugale, est toujours aussi attachant. On le suit dans son slalom cahotant entre toutes ces affaires qui lui gravitent autour comme des électrons libres.
Mais hélas !, pour le lecteur, la sauce ne prend pas. Veit Heinichen aurait dû supprimer une ou deux intrigues secondaires et se concentrer sur les plus importantes. Pendant 250 pages, l’auteur nous ballade d’une histoire à l’autre dans un texte, certes intéressant, mais monté en parallèle à la manière de Lelouch. Le tout entrecoupé de quelques retours en arrière qui ne sont pas toujours très clairs et qui n’arrangent pas les choses. Ce n’est que dans les cinquante dernières pages que la plupart des fils se nouent et finissent par dessiner un motif plus cohérent. Mais, même là, certains écheveaux demeurent en suspens et la finale, quoique assez amusante, est trop rapide pour les assembler tous.
Restent de fort belles pages sur Trieste, cette ville de tous les passages, située à quelques kilomètres des frontières de la Slovénie et de la Croatie, parcelles éclatées de l’ancienne Yougoslavie. Cette ville de toutes les influences, autrichienne pendant un siècle, italienne ensuite, presque yougoslave, est un véritable nœud gordien où le passé fasciste, l’occupation nazie, les confrontations Est-Ouest de la Guerre froide se mêlent continuellement au présent. Trieste, qui fut un État libre de 1947 à 1954, continue encore à fasciner comme ces villes grises du cinéma d’après-guerre où les mille visages de l’histoire s’entrecroisent.
Reste aussi, au-delà de tous les imbroglios, cette douceur de vivre méditerranéenne que l’on retrouve souvent chez les auteurs de polars italiens, surtout chez Camilleri. La chaleur, la mer, la bouffe et le bon vin. Veit Heinichen, même s’il n’est triestin que d’adoption, a su dans À l’ombre de la mort nous restituer l’atmosphère presque surréaliste (on songe parfois à Fellini) de ce coin septentrional de l’Adriatique.
Mais le roman a beau être tissé, comme la ville, d’une infinité de fils, le vieil adage demeure : « Qui trop embrasse… mal étreint ». (AJ)
À l’ombre de la mort
Veit Heinichen
Paris, Seuil (Policiers), 2009, 320 pages.
On se paie la tête de Pancho Villa ?
Maintenant que Donald Westlake est allé dérider quelques anges constipés dans les verts pâturages du grand terrain de golf céleste, qui va prendre la relève ? Quel écrivain aura assez de talent et d’humour pour nous régaler avec des aventures aussi loufoques que celles de Dortmunder et de sa bande de joyeux lurons ? Si j’en juge d’après La Tête de Pancho Villa, l’éditeur et journaliste Craig MacDonald me semble un bon candidat pour la succession du maître… Ce roman échevelé est une comédie noire dans la tradition bien américaine du caper novel : un mélange d’aventures, de cavale effrénée, de fusillades meurtrières, de personnages déjantés, de rebondissements saugrenus, le tout assaisonné d’un humour macabre tout à fait réjouissant.
Au cœur de l’intrigue : la tête de Pancho Villa. Elle a été réclamée par le sénateur Prescott Bush qui veut s’en servir lors d’un rituel macabre secret pratiqué par le clan des Skull & Bones de l’université Yale. Il offre une récompense juteuse pour obtenir le macabre trophée, ce qui met en branle une série d’événements aussi dramatiques que drôles. Au cœur de l’action, on trouve Hector Mason Lassiter, un écrivain vieillissant, auteur de pulps, un vétéran de la campagne du Mexique qui a chevauché aux côtés du général Pershing pour traquer l’introuvable Villa. Lassiter est un copain de Hemingway, d’Orson Welles, et un ex-amant de Marlène Dietrich qu’il retrouve sur le plateau de Touch of Evil dont il doit écrire le scénario. Mais dans l’immédiat, sa préoccupation est de fourguer la tête de Pancho Villa pour toucher la récompense.
Impossible de résumer la succession d’événements loufoques qui suit. L’auteur mélange allégrement les faits réels et la fiction, les personnages connus (dont le terrible Fierro, le bras droit sanguinaire de Pancho Villa) et les êtres fictifs. On décapite allégrement des cadavres pour se procurer de fausses têtes de Villa, on y flingue à tour de bras (l’écrivain est un as de la gâchette), et les héros sont pourchassés par des agents de la CIA, des mercenaires, des étudiants membres de diverses fraternités rivales, des nationalistes et des bandits mexicains très mal intentionnés, et j’en passe et des meilleures. Toutes ces horreurs se déroulent dans une relative bonne humeur et on rigole un bon coup, malgré les incidents violents qui émaillent le parcours du combattant de nos improbables « héros », qui sèment les cadavres à tout vent. Mine de rien, au passage, on a droit à une petite leçon d’histoire sur les relations pas toujours harmonieuses entre le Mexique et les États-Unis et sur l’épopée de Pancho Villa, le seul « étranger » à avoir jamais mené un raid militaire meurtrier sur le sol américain !
Ce livre, un bon divertissement, est le premier roman de MacDonald. Il a été sélectionné pour le prestigieux Edgar Award du meilleur premier roman en 2008. Bref, un auteur à suivre… (NS)
La Tête de Pancho Villa
Craig MacDonald
Paris, Belfond (Belfond noir), 2009, 308 pages.
Méfiez-vous de l’heure trouble, entre chien et loup, quand les tueurs rôdent…
Johan Theorin est un écrivain suédois qui appartient à la vague post-Millenium. Et L’Heure trouble, son premier roman, qu’il a mis cinq ans à écrire (2001-2006) est très vite devenu le numéro un des ventes en Suède. Et pour cause… Ce polar est un suspense psychologique d’une grande finesse qui m’a totalement envoûté.
L’action se situe sur l’île Oland, au sud-ouest de la Suède. Un jour de septembre 1972, Jens Davidsson échappe à la surveillance de ses grands-parents, s’aventure en dehors de la maison et se perd dans la lande envahie par le brouillard. Un homme surgit, lui prend la main et depuis ce jour personne ne l’a plus revu. Vingt ans plus tard, sa mère, Julia, reçoit un coup de téléphone de son père, Gerlof, qui lui apprend qu’il vient de recevoir par la poste un des souliers de l’enfant disparu. Aussitôt Julia retourne dans son village pour y retrouver son père. Ces deux êtres écorchés par la vie, entreprennent alors une enquête plutôt maladroite au centre de laquelle figure un personnage énigmatique et détestable, un dénommé Nils Kant, dont l’auteur retrace la triste histoire dans une série de passages alternatifs. Nils est un homme violent qui a tué son frère, deux soldats allemands qui ont déserté, et le garde champêtre venu l’arrêter. Suite à ces incidents violents, Nils a été obligé de s’exiler. Pourtant, il semble bien que ce soit lui que le gamin a rencontré dans le brouillard.
Nos deux détectives improvisés, qui reçoivent un peu d’aide d’un flic local (qui est aussi le fils du garde champêtre assassiné par Nils), examinent le peu de pistes et d’indices disponibles, interrogent des témoins réticents et peu à peu, alors que la tension dramatique augmente de manière insidieuse, ils parviennent à lever le voile sur les événements mystérieux du passé.
La construction de ce récit est remarquable. Au début, on patauge un peu avec ces détectives de salon qui improvisent au jour le jour. Puis, au fur et à mesure que de nouveaux éléments apparaissent, notre curiosité est piquée au vif et, arrivé à mi-parcours, il devient impossible pour le lecteur d’interrompre sa lecture. Quant au dénouement, vraisemblable en tous points, il va nécessairement nous surprendre, car rien de ce qui s’annonçait ne s’avère être la vérité. Comme on disait dans les X-Files : elle est ailleurs…
L’Heure trouble est une vraie réussite qui procure d’agréables moments de lecture. Avec Camilla Läckberg, qui écrit des polars pour matantes, l’après-Millénium s’annonçait plutôt quelconque. Avec Johan Theorin, on est rassuré : le polar suédois non seulement se porte bien, mais qu’il est même capable d’évoluer… (NS)
L’Heure trouble
Johan Theorin
Paris, Albin Michel, 2009, 426 pages.
Revue Alibis – Mise à jour: Janvier 2010