Encore dans la mire 32

André Jacques, Simon Roy et Norbert Spehner

Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 850Ko) d’Alibis 32, Automne 2009

Attention, chef-d’œuvre !

 [Couverture] La seule et unique raison pour laquelle je me suis décidé à lire Vendetta, c’est parce que ce roman a été écrit par l’écrivain anglais R. J. Ellory dont j’ai déjà louangé le remarquable Seul le silence (Sonatine), une histoire de tueur en série peu banale et chargée d’émotion. En général, je néglige les histoires où il est question de la mafia, mais cette fois, par curiosité, j’ai fait une exception afin de vérifier si Ellory allait une fois de plus réussir à m’entraîner dans une intrigue de qualité. Dire que je n’ai pas été déçu est un euphémisme car en termes de qualité Vendetta se situe un cran au-dessus du récit précédent.

C’est une histoire envoûtante, absolument passionnante, presque entièrement basée sur un témoignage, celui d’un tueur de la mafia qui vient confesser ses crimes au FBI dans des circonstances pour le moins étranges et étonnantes. Ernesto Perez a enlevé la fille du gouverneur de la Louisiane après avoir massacré son garde du corps. Puis il se livre aux autorités et demande à s’entretenir avec Ray Hartmann, un obscur fonctionnaire qui travaille à Washington dans une unité de lutte contre le crime organisé. Si les autorités acceptent sa demande, il leur permettra de retrouver la jeune fille. Commence alors un récit hallucinant, extrêmement violent par endroits, dans lequel Perez raconte l’histoire de sa vie au service des grandes familles mafieuses d’origine italienne. Une vraie tranche d’histoire, bien saignante, où s’agitent des personnalités célèbres comme John Kennedy, Marylin Monroe, Fidel Castro ou Jimmy Hoffa, dont le meurtre est raconté avec un luxe de détails. Chaque chapitre raconte un nouvel épisode pittoresque et sanglant de la carrière de Perez, alors que de petits chapitres intercalaires nous montrent les réactions des policiers chargés de l’affaire, ainsi que celles de ce mystérieux Hartmann devenu à son corps défendant le confesseur du tueur.

En plus de l’aspect historique, tout à fait passionnant et instructif, Ellory entretient un suspense angoissant avec une série de questions sous-jacentes qui s’imposent au lecteur au fur et à mesure qu’il progresse dans l’intrigue. Pourquoi cette confession ? Pourquoi avoir choisi Hartmann, une épave alcoolique avec de graves problèmes conjugaux ? Qu’est-il réellement advenu de la fille enlevée ? Est-elle toujours en vie ? Quand arrive le dénouement, spectaculaire, imprévisible et carrément génial, on reste bouche bée devant le talent et l’imagination de cet auteur qui vient de nous servir un menu riche et varié : des prémisses intrigantes, une sacrée leçon d’histoire, une tension dramatique insidieuse, bien dosée, un personnage extraordinaire, complexe, inoubliable, et quelques surprises, jamais artificielles, qui respectent la vraisemblance !

L’année 2009 n’est pas encore terminée et peut encore réserver de bonnes surprises mais déjà, avec en tête La Trilogie berlinoise, de Philip Kerr (ainsi que les deux volumes suivants de la série), Vendetta, une formidable histoire de vengeance, fait partie de mon best of de l’année. Une petite précision : même si les intrigues de ses romans se déroulent aux États-Unis, Roger Jon Ellory est un auteur britannique (il est né à Birmimgham en 1965). On parlera un jour plus longuement de ces « crimes en terre étrangère «, de ces auteurs qui situent leurs intrigues dans d’autres pays. Mais pour le moment, comme le disait si bien Kipling, « Ceci est une autre histoire ! « (NS)

Vendetta
R. J. Ellory

Paris, Sonatine, 2009, 652 pages.

Le retour de Dave Robicheaux

 [Couverture] La remarque est là quelque part, faite par Dave Robicheaux qui dit à peu près ceci : « Si quelqu’un croit qu’il peut accéder à une position de pouvoir et de richesse en Louisiane et cela sans négocier avec le diable, il ne connaît probablement rien au diable et encore moins à la Louisiane «. Voilà qui résume assez bien la philosophie de James Lee Burke dans L’Emblème des croisés, quatorzième roman de la série des aventures de son détective fétiche, plus tourmenté que jamais, notamment par ses problèmes de boisson.

Deux récits se télescopent dans ce polar qui est un des meilleurs de la série. À la suite de la confession d’un ancien condisciple d’université sur son lit de mort, Robicheaux se remémore une jeune femme qui a marqué sa jeunesse et celle de Jimmie, son demi-frère. Dans les années cinquante, ils avaient rencontré Ida Durbin sur une plage de Galveston, au Texas. Elle était ravissante et Jimmie en était tombé amoureux, ignorant qu’elle travaillait dans un bordel de la mafia. Puis elle avait disparu, sans laisser de traces. Ayant repris du service dans la police, Robicheaux, persuadé qu’Ida a été assassinée, décide de rouvrir le dossier, ce qui ne fait pas l’affaire de tout le monde. On lui fait comprendre, parfois brutalement, qu’il est dangereux de poser des questions sur cette affaire et il se heurte au puissant Val Chalons, rejeton d’une riche et influente famille de Louisiane, famille qui a fricoté avec la mafia locale et trempé dans toutes sortes d’histoires sordides.

Alors que Robicheaux accumule les ennuis et les menaces, un tueur en série s’en prend à des jeunes femmes de la Nouvelle Orléans, qu’il tue de manière atroce. Laissons parler l’éditeur qui, une fois n’est pas coutume, a parfaitement raison d’écrire ceci : « L’Emblème du croisé est un livre riche, ambigu et ensorcelant, une pure émanation de la terre de Louisiane «. Dans ce roman, James Lee Burke a su trouver le parfait équilibre entre un suspense soutenu, une action continue et ces petites touches descriptives, parfaitement intégrées au récit qui lui donnent toute sa saveur et sa petite tonalité exotique typique des romans de cette série. En prime, nous avons droit à une petite intrigue romantique puisque Dave Robicheaux se trouve une nouvelle compagne.

Pour ceux que ça intéresse, il est possible de voir Dave « Belle mèche « Robicheaux sur grand écran (disponible en DVD), dans la peau de Tommy Lee Jones (j’ai toujours imaginé Robicheaux avec les traits de cet acteur !) dans une adaptation de Dans la brume électrique avec les morts confédérés par Bertrand Tavernier. (NS)

L’Emblème du croisé
James Lee Burke

Paris, Rivages (Thriller), 2009, 364 pages.

Une bonne main mais un jeu dangereux

 [Couverture] Quand un auteur a la célébrité d’un Lawrence Block, les éditeurs ont tendance à fouiller ses fonds de tiroirs. Parfois, ils y dénichent une perle rare et oubliée ; parfois, des textes sans intérêt qui pourraient bénéficier de la notoriété de leur auteur. Heureux au jeu appartient au premier groupe. Ce court roman a d’abord été publié en 1964 sous le titre The Sexual Shuffle et sous le pseudonyme de Sheldon Lord. Jusqu’à maintenant, le roman n’avait jamais été traduit en français.

L’intrigue est simple. William Maynard, un tricheur professionnel, quitte Chicago où il s’est fait joyeusement amocher à cause d’une arnaque qui a mal tourné. En route vers New York, il s’arrête dans une petite ville pour se faire arranger quelques dents branlantes. Puis le dentiste l’entraîne à une partie de cartes chez un de ses amis, le riche avocat Murray Rogers. Maynard le Magicien profite de l’occasion pour se refaire et empoche près d’une centaine de dollars. N’oublions pas que nous sommes en 1960 et que la bière se vendait alors dix cents dans les bars et les tavernes. Cent dollars, c’est une somme.

Tout va donc pour le mieux. Maynard s’installe dans un hôtel minable et continue sa petite vie de tricheur prudent. Il perd un peu, gagne un peu, reperd et, de temps en temps, empoche une grosse cagnotte. Et puis un soir, Joyce, la jeune, blonde et jolie épouse de l’avocat Rogers se présente à sa chambre d’hôtel et se jette dans ses bras. S’ensuit une nuit sulfureuse. Mais la belle est malheureuse et voudrait se débarrasser de son ennuyeux mari. De plus, elle avoue à Maynard qu’elle l’a vu tricher lors de la première soirée de cartes. Elle le tient donc doublement à sa merci : par la passion et par le chantage. Le Magicien concoctera donc un plan pour faire inculper le mari.

Au début, tout va bien. Le plan se déroule comme prévu. Mais c’est sans compter sur quelques imprévisibles. D’abord, il y a tous ces nouveaux amis qui voudraient bien que Maynard s’installe dans la ville et y fasse son nid. Rogers lui trouve même un emploi très bien rémunéré dans une maison de placements. Et puis le dentiste lui présente une belle veuve. Disponible, intelligente et attrayante. Nouvelle flamme.

Dès lors, tout s’effondre et c’est le dérapage. Maynard le Magicien se retrouve tiraillé entre la passion névrotique de Joyce et l’attrait d’une vie rangée. Et peu à peu, tout déraille et celui qui se voulait arroseur se retrouve dans la position de l’arrosé.

Lawrence Block nous livre dans Heureux au jeu une petite intrigue simple et efficace. Les personnages nous paraîtraient aujourd’hui un peu éculés, presque caricaturaux. Le joueur à la dérive qui carbure au Cutty Sark et qui s’empêtre dans des arnaques minables. La femme fatale qui entraîne le héros (ou l’antihéros) dans les abîmes du Mal. On plonge ici dans l’atmosphère enfumée des vieux films de série B tournés en noir et blanc. Le rôle de Maynard pourrait très bien être tenu à l’écran par Humphrey Bogart ou James Cagney. On retrouve aussi dans ce roman le style direct, sec et épuré des grands classiques du roman noir américain : Raymond Chandler, Dashiell Hammett… L’influence ici est évidente. Un pur délice pour les amateurs.

Bref, un petit roman de moins de deux cents pages qui se lit avec un immense plaisir et qui nous ramène aux racines du roman noir. Comme quoi, certains fonds de tiroirs méritent de revoir la lumière du jour. (AJ)

Heureux au jeu
Lawrence Block

Paris, Seuil (Policiers), 2009, 189 pages.

Nuits torrides à Bangkok

 [Couverture] Dans la culture thaï, les fantômes existent ! Ils font partie de la vie et n’hésitent pas à commercer, même sexuellement, avec les vivants. C’est ainsi que l’inspecteur Sonchaï Jitpleecheep reçoit des visites érotiques nocturnes de Damrong, une prostituée qu’il a aimée jusqu’à l’obsession quatre ans plus tôt et qui continue de le hanter par-delà la mort. Car Damrong a été assassinée et Sonchaï a pu visionner le snuff movie de son exécution. Pour que la belle Damrong repose en paix et le laisse enfin tranquille, Sonchaï doit mettre la main sur son assassin. C’est là le fil de l’intrigue de Bangkok Psycho, troisième volet des aventures de l’inspecteur Jitpleecheep, affecté au 8e District, le quartier chaud de Bangkok. Sonchaï est un flic atypique, tenancier de bordel à ses heures, qui a la particularité d’être honnête. Ses amis disent de lui qu’il est un saint. En tout cas, il semble être le seul flic de toute la Thaïlande à ne pas succomber à la corruption, un sport national qui recrute des champions toutes catégories.

Bouddhiste pratiquant, Sonchaï est un sage. C’est aussi un flic compétent, perspicace et d’une ténacité à toute épreuve. Quand son enquête le mène à un club privé de Bangkok dont les membres font tout pour satisfaire leurs fantasmes extrêmes, il doit faire face à l’un des personnages les plus puissants de la ville. Cela déplaît à son supérieur immédiat, le colonel Vikorn, un flic corrompu jusqu’à la moelle qui veut en profiter pour faire chanter le type en question. Ce faisant, il joue avec le feu mais de toute manière, Sonchaï ne se laisse pas intimider.

On parle souvent d’exotisme quand l’intrigue d’un polar se déroule en terre étrangère. Avocat de formation, John Burdett a d’abord travaillé à Hong Kong avant de se fixer définitivement en Asie. Il nous propose un regard de l’intérieur sur la Thaïlande contemporaine et, à travers Jitpleecheep, il nous met en contact direct avec la culture et la sensibilité thaï. À travers les excellents romans de cette série à ne pas manquer, il offre une plongée dans la Thaïlande d’aujourd’hui très loin des clichés occidentaux sur les sociétés orientales. Chaque roman est un mélange bien dosé d’intrigue policière et d’étude de mœurs, avec en prime une touche d’ironie (Sonchaï est très politiquement incorrect) et de sensualité très agréable. Ce sont des polars d’atmosphère totalement dépaysants, très instructifs. Dans celui-ci, par exemple, on apprend ce qu’est le « jeu de l’éléphant «, une manière assez brutale et lourdement efficace d’exécuter un condamné en se servant de pachydermes amateurs de ballons (farcis aux condamnés !). Un truc diantrement sadique, redoutablement efficace, que j’aimerais voir pratiquer avec volupté sur certains financiers retors… Bref, je recommande fortement la lecture de ces romans ! (NS)

Bangkok Psycho
John Burdett

Paris, Presses de la Cité (Sang d’encre), 2009, 343 pages.

Amnésie fatale !

 [Couverture] Je te vois est le titre français de The Crime Writer, le premier polar traduit (mais pas son premier livre publié) de Gregg Hurwitz, un écrivain américain qui, après des études de littérature à Harvard puis à Oxford, s’est lancé dans l’écriture. Il est scénariste pour la bande dessinée, le cinéma et la télévision, ce qui se remarque dans la structure rythmée du roman et dans l’écriture qui ne s’encombre pas de fioritures ou de descriptions inutiles. Je te vois est un de ces best-sellers à l’américaine qui n’a d’autre ambition que de nous distraire avec une histoire bien ficelée.

Dans ce récit à suspense, le personnage principal Drew Danner est un auteur de romans policiers qui se réveille un jour à l’hôpital sans aucun souvenir d’avoir été retrouvé inconscient à côté du cadavre de son ex-fiancée tuée à coups de couteau. Alors que tout l’accable, il ignore s’il est coupable ou non, car il souffre d’amnésie suite à l’ablation d’une petite tumeur au cerveau. Ayant été acquitté pour cause de problèmes mentaux, Danner décide de faire la lumière sur les événements tragiques qui ont conduit à son arrestation. Il veut savoir s’il est oui ou non coupable du meurtre de son ex ! Du jour au lendemain, l’écrivain de polar se retrouve en quelque sorte dans la peau d’un de ses personnages et se met à explorer les nombreux recoins de son existence. Les choses se compliquent quand il est impliqué dans une deuxième affaire de meurtre dont on veut lui attribuer la responsabilité. Il lui faudra de l’aide pour se tirer d’affaire.

Riche en rebondissements et en tension dramatique, ce roman traite d’un sujet souvent abordé dans le polar ou dans le roman d’espionnage contemporains : un personnage principal amnésique accusé de meurtre ou impliqué dans un complot. Les meilleurs exemples sont sans doute Bone, de George Chesbro, qui a des prémisses un peu semblables (un clochard amnésique retrouvé sur les lieux d’un crime, couvert du sang de la victime et brandissant un fémur humain !) ou La Mémoire dans la peau du (presque) défunt Robert Ludlum.

Je te vois est un produit de série issu de l’usine à best-sellers, avec ce qu’il faut de situations tordues, de rebondissements, de fausses pistes pour titiller l’imagination du lecteur, tout en endormant son sens critique. Le coupable est évidemment insoupçonnable, tout comme ses motifs. Mais une fois le pot aux roses découvert, on se surprend à songer à rebours que bien des éléments de ce récit ne servent finalement qu’à nous manipuler, histoire de maintenir un peu artificiellement un suspense qui doit s’étirer sur plus de trois cents pages. Bref, Je te vois est un thriller distrayant, sans plus, avec une idée de départ prometteuse, mais qui a déjà été mieux traitée ailleurs. (NS)

Je te vois
Gregg Hurwitz

Paris, Presses de la Cité (Sang noir), 2009, 358 pages.

Maria Goretti, héroïne de polar…

 [Couverture] Il faut un sacré culot et peut-être une certaine dose d’inconscience pour écrire un polar ayant pour thème l’histoire de Maria Goretti, sainte et martyre, assassinée en juillet 1902 après avoir refusé de céder aux avances de son agresseur. Béatifiée le 27 avril 1947, « celle qui a dit non « fut ensuite canonisée le 24 juin 1950 et déclarée sainte et martyre ! Cette histoire ô combien tragique est à la base de Je compte les morts de Geneviève Lefebvre, réalisatrice, traductrice, auteur et scénariste chevronnée qui a abondamment écrit pour la télévision et dont le blogue Chroniques blondes est, paraît-il, très fréquenté. Je compte les morts est son premier polar.

C’est l’histoire un peu fantasque d’Antoine Gravel, un scénariste fauché et déprimé, qui vit avec un cochon mélomane (il adore Monique Leyrac), son seul confident. Maggy Sullivan, une productrice de film, lui demande de scénariser l’histoire de Maria Goretti, d’en faire une version moderne, actualisée. Une offre que le malheureux ne peut refuser. Au même moment, un tueur en série s’en prend à de très jeunes filles dans le quartier de Griffintown, là où Maggy Sullivan désire tourner le film. Bien malgré lui, Antoine Gravel est plongé dans une histoire sordide, impliquant des personnalités mafieuses redoutables, une affaire dans laquelle sa productrice joue un rôle déterminant.

Dans l’ensemble, le récit est assez distrayant. Geneviève Lefebvre a du « métier «, elle sait tirer habilement les ficelles d’une intrigue. Mes réserves concernent quelques points de détail. Comme c’est souvent le cas avec les auteurs de polar débutants, ils ne sont pas toujours très au fait des techniques policières. La manière dont se fait l’identification de Patrick Boyle, dans les premières pages, n’est pas très crédible et tient du deus ex machina. Tout comme il est impossible de déterminer à l’œil le calibre de la balle qui a percé un crâne qui a séjourné dans la nature et que l’on retrouve après plusieurs années. Par ailleurs, moins de vulgarité scatologique n’aurait pas nui non plus. Il y a une fâcheuse tendance chez certains écrivains (sans parler de soi-disant humoristes) à abuser des matières grasses. Dans les premières pages, notamment, on y patauge allégrement, physiquement et linguistiquement. Quant au dénouement, il ne m’a pas entièrement convaincu et risque de frustrer nombre de lecteurs. Pour être satisfaisante, une histoire de vengeance doit se terminer de manière décisive et convaincante, le méchant doit en prendre plein la gueule, alors qu’ici ça frise un peu le pétard mouillé. Dommage…

Et puisqu’on pinaille, selon des sources catholiques bien informées, Maria Goretti est morte le lendemain de son agression et non pas « en ayant agonisé pendant des jours avant de rendre l’âme. « Et l’arme du crime est un poinçon ou un couteau (les versions varient) et non pas une fourche. Mais je pinaille… Spehner, expert en mariagorettisme ? Sainte Mère, on aura tout vu ! (NS)

Je compte les morts
Geneviève Lefebvre

Montréal, Libre Expression (Expression noire), 2009, 319 pages.

Le grand échiquier russe

 [Couverture] Dans la foulée des événements du Dimanche rouge qui avaient marqué le 22 janvier 1905 la révolution russe, l’action du roman Mat se situe quelques années plus tard, tout juste avant le déclenchement de la Grande Guerre. Méticuleusement présenté, le fascinant contexte sociopolitique de la Russie révolutionnaire est ici davantage qu’une toile de fond instructive se superposant à une intrigue savamment ciselée, elle devient en soi le sujet autour duquel tout vient s’articuler. Espionnage, manipulation, complots terroristes et agents doubles constituent les points d’intérêt de cette peinture remarquable de l’intelligentsia russe du début du siècle. Dans Mat, si tout le monde a quelque chose à cacher, c’est que les circonstances sociopolitiques forcent à la duplicité et à la stratégie secrète les personnages qui doivent manœuvrer finement entre les intérêts personnels et ceux de la cause.

Bien que Ronan Bennett parvienne avec éloquence à saisir le climat d’effervescence de la Russie des années 1910, il excelle surtout à faire vivre un personnage profond et complexe, Otto Spethmann. Cet éminent psychanalyste juif n’arrivera guère, malgré toute sa volonté, à se tenir loin de cette agitation politique. Depuis la mort de sa femme, il consacre son existence à son travail et à sa fille Catherine, qui, on l’apprendra au fil de l’enquête, en sait plus qu’elle ne devrait sur les agissements parfois cruels des factions terroristes. Parallèlement à cette tumultueuse relation père-fille, une autre se dessine, celle, mystérieuse, qui unit et sépare à la fois l’influent Zinnourov et sa fille Anna, de qui tombera amoureux le docteur Spethmann, celui-là même qui la traite professionnellement. Ronan Bennett arrive à greffer à une intrigue déjà dense une structure œdipienne qui donne à l’œuvre une consistance accrue.

Nous sommes donc à Saint-Pétersbourg, en mars 1914. Le journaliste Goulko vient d’être assassiné, peu de temps avant que ne s’ouvre un tournoi d’échecs de très haut niveau qui attire les meilleurs joueurs au monde. Alors qu’on fait appel aux services du psychanalyste Spethmann afin qu’il vienne en aide au grand joueur Rozental (juif polonais) dont le génie ne semble pas le préserver de sombrer dans une dépression nerveuse, la police menée par un certain Lychev soupçonne le docteur et sa fille Catherine de cacher certaines informations sur l’identité d’un terroriste complotant dans le but de renverser le régime tsariste. À travers les strates riches des intrigues multiples que nous offre le roman Mat, Ronan Bennett met en évidence ce fond d’antisémitisme latent ou avoué qui caractérisait la société de l’époque. C’est bien connu, le racisme ne doit pas être écarté comme composante des principaux enjeux sociopolitiques de l’époque.

On présente dans Mat le travail de psychanalyste de manière analogue à celui de policier : tant le docteur que l’inspecteur doivent ainsi mettre au jour ce qui est occulté, à la différence que le premier doit dévoiler une inhibition inconsciente tandis que le second, lui, doit contourner la difficulté que pose une volonté de dissimulation.

Les épisodes qui font avancer l’intrigue sont ponctués de mouvements d’une partie d’échecs entre Spethmann et son « ami « Kopelzon, qui, s’ils laisseront perplexes ou indifférents les moins férus, rappelleront à ceux qui ont l’œil la partie de King-Sokolv lors du Championnat suisse par équipe il y a une dizaine d’années.

Mat est l’aboutissement d’une recherche colossale. Des sujets aussi variés que la psychanalyse, les échecs, l’activisme bolchevique, la police secrète de l’Okhrana, la question juive et polonaise y trouvent leur point de convergence, faisant de ce roman érudit l’œuvre d’un écrivain de grand raffinement et d’une culture intimidante. Ronan Bennett, en dépeignant l’âme russe sans complaisance et avec ce souci de rigueur que seuls ont les passionnés, arrive à auréoler son récit d’une admiration pour les grands idéaux de ceux qui ont façonné cette nation qu’il aime de toute évidence respectueusement.

Comme dans le roman de Bennett, la menace terroriste nous guette. Une certaine forme de paranoïa s’est par conséquent emparée de nos services de sécurité nationaux. La lecture de Mat trouve certainement un écho significatif à notre époque agitée. (SR)

Mat
Ronan Bennett

Paris, Sonatine, 2009, 299 pages.

Meurtres et sexe pour tuer le temps

 [Couverture] Si un jour vous lisez Abandon sans scrupule de Stuart Woods (traduction de Reckless Abandon), peut-être aurez-vous la gentillesse de m’expliquer le sens profondément ésotérique de ce titre débile qui n’a strictement rien à voir avec l’histoire que j’ai lue ! Il y a peut-être (sûrement) un deuxième ou troisième degré qui m’échappe, mais bon, il faut vivre avec son quotient intellectuel et pour le moment, le mien ne comprend pas grand-chose à cet « abandon sans scrupule « !

Or donc, Stuart Woods qui écrit surtout des thrillers d’action fort distrayants, réunit ici deux de ses personnages de série : Holly Barker, chef de la police d’Orchid Beach (Floride), bagarreuse, obstinée et bombe sexuelle, et l’ex-flic devenu avocat Stone Barrington, beau gosse, beau parleur et détonateur de bombes sexuelles tous formats. Holly (qui a déjà croisé Barrington dans une autre aventure) débarque à New York dans le but d’arrêter Trini Rodriguez, un mafieux dont elle a juré la perte et qu’elle a déjà failli tuer. Mais Trini bénéficie de la protection du FBI. Malgré ses crimes atroces, pour le moment, c’est un intouchable. À partir de là, l’auteur nous entraîne dans une série d’épisodes aussi rocambolesques qu’invraisemblables, l’intrigue partant dans tous les sens avec intervention de la mafia, de la CIA, du FBI, de la police de New York, un détour obligé par la Floride et j’en passe et des meilleurs. Il y a quelques scènes de sexe torrides (mais jamais vulgaires), Holly étant plutôt une chaude de la pine (bon, fallait bien la faire…), avec un Stone Barrington qui ne sait plus à quel sein se vouer et dont on se demande s’il mourra aux mains des nombreux tueurs lancés à ses trousses ou d’épuisement entre les cuisses accueillantes d’une Holly toujours prête, y compris quand ils sont prisonniers dans une cave en attendant leur exécution aux mains de truands de la mafia. Une dernière baise avant l’enfer ! (Tiens, ça aurait mieux convenu comme titre que ce ridicule abandon !)

Des cadavres en pagaille, des courses-poursuites, un rythme endiablé, des dialogues qui percutent et des personnages (de bandes dessinées) fort sympathiques (même s’ils sont peu crédibles) sont les principaux ingrédients de ce polar sans prétention et sans message philosophique, idéal pour une triste soirée d’automne. (NS)

Abandon sans scrupule
Stuart Woods

Paris, L’Archipel, 2009, 327 pages.

Mise à jour: Octobre 2009

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