Encore dans la mire
Michel-Olivier Gasse, André Jacques, Christian Sauvé et Norbert Spehner
Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 1.38Mo) d’Alibis 30, Printemps 2009
(Re)Play Misty for Me…
Lazy Bird est le premier polar d’Andrée A. Michaud qui a déjà une feuille de route impressionnante, avec plusieurs romans et deux prix prestigieux dont celui du Gouverneur général du Canada et le Prix Ringuet. Je me souviens d’avoir lu Le Ravissement, où elle flirtait déjà avec le genre (et avec le fantastique), roman qui m’avait impressionné par son ambiance et son écriture raffinée. Cette fois, pas de flirt ni de faux-semblants, Lazy Bird est un authentique roman noir, un de ces polars culturels où abondent les références et les allusions au jazz (le titre provient d’une composition de John Coltrane (1957) de l’album Blue Train), au cinéma et à la littérature, et cela sans nuire à l’intrigue.
Bob Richard, un animateur de radio albinos, s’est « exilé » dans la petite ville de Solitary Mountain au Vermont. Sa job : animer une émission de nuit. Pour une raison qui nous échappe, Bob appréhende certains appels, en particulier ceux d’une femme inconnue qui, comme dans le film de Clint Eastwood, lui demande au bout du fil : « Play Misty for me… ». Quand les appels commencent, la vie de Richard bascule dans le cauchemar. Car la désaxée, qui cache soigneusement son identité, se met à massacrer les gens dans l’entourage de l’albinos. D’abord sceptiques, les flics locaux, dont un certain Cassidy, soupçonnent dans un premier temps Bob Richard d’être un individu dangereux, avant d’admettre l’évidence : il y a un tueur en ville.
Le début est un peu long, « hitchcockien » diront certains, il y a quelques coïncidences heureuses, notamment au niveau des noms, il ne se passe pas grand-chose pendant plus de cent pages, et pourtant, on se laisse séduire par le style fluide et gracieux et l’ambiance générale de ce récit. Au cours de cette aventure, Richard fait la connaissance de plusieurs individus intéressants, notamment cette jeune fille surgie de nulle part, baptisée Lazy Bird, au langage coloré et aux manières brusques, un électron libre et imprévisible, au comportement erratique mais pour laquelle il éprouve beaucoup de tendresse et qu’il tentera de protéger. Il se lie aussi d’amitié avec Charlie « The Wild » Parker, un écologiste préoccupé par les espèces en voie de disparition. N’oublions pas un certain chevreuil albinos dont les apparitions aussi soudaines que fugaces viennent rythmer cet étrange récit.
On ne peut s’empêcher de penser que ce livre ferait un excellent film : l’ambiance, les personnages, l’intrigue, tout est prêt pour une adaptation au grand écran de ce suspense psychologique envoûtant, au dénouement surprenant et non conventionnel.
Petite note critique pour terminer : sur la couverture, il faut une loupe pour lire sous le titre (bien visible, lui) cette mention : roman policier ! Mais il y a aussi cette phrase sans équivoque : « C’est le premier meurtre qui est le plus difficile, mais l’habitude se crée rapidement… ». (NS)
Lazy Bird
Andrée A. Michaud
Montréal, Québec Amérique (Tous Continents), 2009, 420 pages.
Une bonne et une mauvaise nouvelle
C’est bon de voir que les éditions Coups de tête tiennent toujours le coup. Et prennent du mieux, merci à la nouvelle présentation initiée par ces deux parutions où le noir prend enfin le dessus. Comme je l’ai dit dans ma critique du livre de Charlie Huston (voir plus loin), dans le genre qui nous intéresse, on ne peut pas se tromper en préférant le noir au blanc.
Je l’ai déjà dit, le concept autour des éditions Coups de tête est, à mon goût, des plus honorables. Faire de courts romans rentre-dedans avec de la violence, du sexe et un langage à faire frémir les élites, tout ça en se disant qu’il est large, le public masculin pour qui la lecture est loin d’être au programme.
En adoptant le concept de la série, les Coups de tête paraissent mensuellement, et forcément, la constance du catalogue n’a pas encore atteint son niveau de croisière. Pas de doute que dans notre petit marché, trouver un auteur chaque mois prêt à faire dans le genre est en soi un exploit.
Ces deux nouvelles parutions expliquent parfaitement ma relation amour-haine avec la série. Serge Lamothe est un écrivain que je ne connaissais que pour avoir entendu d’excellents commentaires de ses précédents romans, Tarquimpol (Alto, 2007) en particulier. Métarevers nous raconte l’histoire de Bernard Coste, dit Le Gros, qui, lors de ses vacances en Corse, se retrouve impliqué dans une enquête sur la disparition du frère de Sylvie, la fille qui allume tous ses sens. Car on se le fera rappeler une fois et une autre, Coste est un gros goinfre libidineux. Bouffe et baise, à pleine bouche. Entre les repas qu’il se sert à la table de l’hôtel ou à même le corps de sa belle Sylvie, l’enquête, elle, piétine, de la mafia corse aux jeux de rôles sur Internet. Étrange impression d’avoir un ramassis de clichés censés être choquants dans une langue qui ne sait pas où donner de la tête. Le narrateur est un ami de Coste qui nous raconte l’histoire à sa manière, en nous donnant du « tu », quoi, à dix reprises dans le roman ? Il nous revient avec ça quand on avait oublié qu’il était là. Et pour ce qui est du langage des personnages, impossible de dire qui est québécois et qui ne l’est pas là-dedans. On peut retrouver « méchant buzz » et « gnons dans le bide » dans la même foulée. Difficile de se les représenter par le langage, on retiendra d’eux qu’ils sont gros, maigre, sexy, beau ou laid. Un roman qui m’a fait soupirer à quelques reprises et qui m’a beaucoup déçu, venant d’un auteur établi et respecté.
J’attaquais donc le deuxième roman, Un chien de ma chienne, avec une certaine appréhension. N’ayant jamais entendu parler de Mandalian (c’est une femme), qui en est à son premier roman après avoir fait de nombreux métiers liés aux domaines artistiques, je dois admettre que j’étais sur mes gardes. Mais aussitôt l’étourdissant prologue passé (on comprend à la fin), je suis embarqué dans cette histoire de plain-pied, une dérape motivée par un désir sexuel insoutenable qui nous mène dans un festival de violence, de drogues, d’angoisses et de rebondissements surprenants et crédibles. Pas une seconde de répit et tout à fait fluide (je me suis rendu compte seulement vers la fin que l’histoire était écrite au présent, moi qui prétends ne pas blairer les romans au présent). Seul point négatif, l’omission (presque) totale du « je », qui donne des phrases comme « Ai salué silencieusement. » Je dois avouer que je ne suis pas un fan du procédé, surtout dans un contexte qui se veut Populaire gros comme le bras. Quoi qu’il en soit, ai rajouté mes « je » mentalement, ai parcouru en un souffle l’un de mes meilleurs Coups de tête jusqu’à maintenant. Un roman qui devrait servir de modèle à la série. (MOG)
Métarevers
Serge Lamothe
Montréal, Coups de tête 15, 2009, 117 pages.
Un chien de ma chienne
Mandalian
Montréal, Coups de tête 14, 2009, 106 pages.
Révolution et liaisons dangereuses
Publié dans cette même collection, De la couleur du sang, le premier polar de Marc Maillé, m’avait tellement exaspéré que je ne l’avais jamais terminé et juré mes grands dieux que je ne relirais plus jamais quoi que ce soit de cet auteur. Bon, les promesses étant ce qu’elles sont, je me suis surpris, non sans appréhender le pire, à récidiver avec À Corps troublants, le deuxième opus du citoyen Maillé, dont l’intrigue se déroule en France dans les années 1770, alors que couvent les feux de la future Révolution.
Le problème principal de ce roman à l’écriture élégante des récits d’antan, est qu’il pêche par excès d’ambition. On a l’impression que Marc Maillé n’arrive pas à se décider à choisir entre trois types d’intrigue : roman historique, polar ou roman d’amour ? À Corps troublants pose un problème épineux qui affecte nombre de polars dits historiques : l’équilibre délicat, souvent instable, entre les éléments historiques et l’enquête policière. À cette difficulté qui n’est pas vraiment résolue ici, s’en ajoute une autre : le noyau dur de l’intrigue, si je puis dire, est une version homosexuelle des Liaisons dangereuses. C’est en fait une intrigue amoureuse qui occupe le centre du récit.
Le père Polycarpe, un prêtre libidineux, a jeté son dévolu sur Nicolas, un jeune doreur de talent qui résiste à ses avances lubriques. Loin de se décourager, le débauché demande à un jeune et beau noble de ses connaissances de séduire le jeune homme, de lui révéler sa vraie nature afin qu’ensuite il cède à ses avances. On aura deviné que les choses ne se dérouleront pas comme prévu. L’opération de séduction est un succès mais les deux hommes tombent amoureux l’un de l’autre et le vilain satyre se retrouve Gros Jean comme devant, la queue aussi basse que la mine ! Et le polar dans tout ça ?
Pendant que les tourtereaux tourterellent et jouent de la flûte, au propre comme au figuré, les membres de l’Ordre de l’Harmonie universelle, une société secrète, un groupe aux visées révolutionnaires, assassine de riches bourgeois. Maître Bélanger, le père de Nicolas, est au cœur du complot et, à force de manigances et d’intrigues, il réussit à détourner les soupçons et à incriminer un innocent. Piètres limiers dans les circonstances, Sartine, le responsable de l’enquête, et ses nombreux sbires, se laissent facilement abuser par les tours de passe-passe du machiavélique Bélanger.
Rien à redire sur l’aspect historique. L’auteur semble bien documenté sur cette époque trouble où la société française craque de toute part : corruption et décadence de la noblesse, faiblesse de la royauté, avidité et ambitions des bourgeois, révolte des paysans qui crèvent de faim, avec en toile de fond un climat de paranoïa, d’intrigue et de violence propice aux pires excès. Mais il semble que ce qui intéresse surtout Maillé, c’est l’histoire passionnelle et passionnée de nos deux éphèbes. Les amours homosexuelles n’étant pas vraiment ma tasse de thé, et l’intrigue policière trop embryonnaire pour être palpitante, j’ai lu ce roman avec des yeux et un esprit d’anthropologue. Il n’est jamais trop tard pour apprendre… (NS)
À corps troublants
Marc Maillé
Longueuil, La Veuve noire (Le treize noir), 2008, 260 pages.
La guerre, yes sir… mais où est la jeune femme ?
Quelques jours avant le grand débarquement des forces alliées en Normandie, Jacques Bélanger, un membre des Forces Spéciales, est parachuté dans un village du sud de la France avec une cargaison d’armes : mitraillettes, grenades, fusils, etc. Sa mission : enseigner le maniement de toute cette quincaillerie guerrière à un groupe de maquisards recrutés dans le village. Mission périlleuse car le temps presse, les miliciens, alliés des nazis, rôdent dans les alentours et, à quelques kilomètres de là, les barbares de la division SS Das Reich exercent de terribles représailles contre les « terroristes » et leurs complices. Quand le garde champêtre local est retrouvé mort, assassiné par une décharge de fusil en plein visage, la situation devient épineuse pour tout le monde. Jacques ne peut repartir tant que l’enquête menée par la gendarmerie locale n’aura pas été complétée.
Ce qui semblait être un roman de guerre devient alors une sorte de « polar rural » quand les gendarmes se mettent à interroger les nombreux suspects. Non seulement la victime était-elle détestée par tout le monde, mais en plus elle faisait chanter quelques notables du village qui se retrouvent en priorité sur la liste des suspects. Pendant que l’enquête se déroule, Jacques fait la connaissance de l’institutrice du village dont il tombera amoureux. Assez curieusement, ce Jacques qui est censé être le narrateur de cette histoire (voir prologue) est souvent absent, notamment pendant l’enquête des gendarmes. Comment alors peut-il nous rapporter certains faits ? Mystère ! Et Claude Riquier, le personnage le plus intéressant de ce roman n’apparaît que dans la deuxième partie, qui est aussi la meilleure. C’est un enquêteur spécial envoyé par la grande ville pour donner un coup de mains aux bouseux locaux qui ont fait chou blanc. Si le coupable est finalement découvert, un peu beaucoup par hasard (les puristes vont grincer des dents), la résolution du crime aura des conséquences terribles, tragiques pour les habitants du village. La fin est brutale et crève-cœur, mais dans les circonstances, elle est logique et bien pensée !
Avec son écriture fluide et efficace, Maryse Rouy nous embarque facilement dans cette histoire qui semble parfois chercher sa véritable vocation (roman historique ? polar ? roman d’amour ?). La reconstitution du climat délétère et violent de l’époque, la vie quotidienne dans ce village français où se côtoient résistants et collaborateurs, tout cela est bien rendu et les personnages sont bien typés. Mais il faut le flair de Sherlock Holmes et les dons de voyance d’un Uri Geller sous acide pour deviner que, derrière une page couverture redoutablement harlequinesque, un titre trompeur et un sous-titre qui ne dit strictement rien, Une jeune femme en guerre (tome 3 – Jacques ou les Échos d’une voix), se cache en fait un roman policier, très classique certes, mais tout à fait lisible. Bref, au lieu d’en faire artificiellement le troisième volet d’une trilogie, on aurait peut-être mieux fait de le publier comme un polar à part entière, avec un titre accrocheur, l’étiquette « roman policier » et surtout, un emballage plus emballant. (NS)
Une jeune femme en guerre T.3 : Jacques ou les échos d’une voix
Maryse Rouy
Montréal, Québec Amérique, 2009, 336 pages.
Cours toujours
Ce livre de Guillaumot est mon deuxième Prix du Quai des Orfèvres, après avoir lu le récipiendaire de l’an passé, P. J. Lambert, et son Vengeur des catacombes. Est-ce assez pour pouvoir tracer une ligne de conduite ? Du moins, de ces deux gagnants consécutifs, on pourra mettre en relation une certaine originalité, une sympathique légèreté dans le ton, ainsi qu’une présentation graphique absolument navrante.
Force est d’admettre que ce premier roman de Guillaumot est particulièrement bien ficelé. Pas enlevant pour autant, mais assez pour garder le lecteur perdu dans la brume un bon moment. L’histoire se passe dans un commissariat de police de Paris, alors que le lieutenant Caramany reçoit la visite de l’Inspection Générale des Services, aussi nommée I.G.S, ou bien Bœufs-Carottes. Allons avec I.G.S.
Le commissaire divisionnaire Wuenheim, à la tête de cette unité de l’I.G.S., n’entend pas à rire lorsqu’il présente à Caramany une plainte de viol déposée contre lui par une prostituée qu’il n’a jamais vue. Sentant le coup monté, ce dernier tente de ne pas perdre les pédales, jusqu’à ce qu’on se rende chez lui pour fouiller l’appartement et qu’on y trouve un cadavre de femme au sous-sol. Il prend alors ses jambes à son cou et se planque en mettant au courant son supérieur, le commissaire Saint Hilaire, via texto. Comme un coureur à relais, Caramany passe ainsi la barre à Saint Hilaire en l’embarquant lui aussi dans une traque sans merci par ses collègues. Le pauvre Saint Hilaire n’est pas au bout de ses surprises.
Comme pour P. J. Lambert, l’écriture de Guillaumot flirte avec la badinerie, ce petit ton qui rend la lecture agréable, confortable, mais qui a pour défaut de nuire au suspense, surtout dans une situation de course effrénée pour sa survie. Les personnages qu’on y rencontre sont somme toute agréables et pas trop typés, malgré que l’on frôle à quelques reprises certains clichés qui devraient être morts et enterrés depuis longtemps.
Et pour ce qui est de la couverture, sachez, chers lecteurs, que c’est là un combat que je mènerai jusqu’à ma mort. Jamais je ne passerai sous silence le fait qu’un éditeur, dans ces mers infinies que sont les banques d’images, arrête son choix sur une photo de mauvais goût. Je pardonne encore moins aux graphistes de pacotille de nous balancer des couvertures, comme ici, qui viennent avec le jeu « Trouvez les 10 erreurs Photoshop », et j’accroche au passage les rédacteurs de quatrième de couverture qui nous servent des phrases comme : « Mais gare aux plats qui se mangent froids, comme la vengeance ! Laissons-nous entraîner dans cette traque… noire ! » Je mets quiconque au défi d’être tenté par ces phrases.
Éditeurs, allez, pensez marketing, pensez au bon goût de vos lecteurs, ça ne pourra que vous être bénéfique. (MOG)
Chasses à l’homme
Christophe Guillaumot
Paris, Fayard, 2008, 439 pages.
L’attirance de l’abîme
Curieux roman que ce Chute libre d’Émilie de Turckheim ! Sûrement pas un roman policier ! Mais un vrai noir, oui ! En quatrième de couverture, on nous dit que l’auteure a aujourd’hui vingt-huit ans, qu’elle étudie en sociologie à Paris, qu’elle est visiteur (?) de prison à la maison de détention de Fresnes et modèle dans des ateliers de peintres. Pour l’avoir croisée au Salon du Polar de Montigny, je peux ajouter qu’elle est effectivement très belle. Chute libre est son deuxième roman.
L’intrigue se résume mal. Elle n’est que prétexte à un long développement philosophique. Essayons tout de même : Jean Tobineau, personnage insignifiant, presque jusqu’à la transparence, travaille à Figurines de France, une revue archaïque sur les soldats de plomb et, modernité oblige, de plastique. Au premier chapitre, il décide de louer un studio totalement infect, muré et peint en noir. Jean s’est séparé, par ennui et manque de désir, de son épouse Agnès, et il tente mollement de refaire sa vie en ce lieu sordide. Après quelques séances chez son psychanalyste, qui nous permettent de jauger la profondeur de son néant, l’action commence lorsqu’il découvre dans un hangar abandonné une étrange troupe de danseurs. Des danseurs « primitifs », au seuil de la monstruosité et de l’Histoire, dont la seule activité est de chuter, de tomber, mus par une sorte de transe extatique, fascinés par le vide.
Et parmi eux, une femme : Lazare, belle, tatouée et mystérieuse, dont Jean tombera éperdument amoureux. Dès lors, il se trouve une deuxième famille à laquelle il se joint comme admirateur et comme mécène. Mais son amour pour Lazare déclenche une série de haines et de jalousies. Et tout cela aboutit à la mort de la Belle, abattue d’un coup de revolver, puis poignardée avec acharnement. La chasse au coupable commence alors. Mais un peu tard, il faut le dire. Elle permettra toutefois de mettre en lumière, de déterrer, le passé glauque de tous ces personnages.
Comme les personnages qui le composent, Chute libre est un étrange roman. Un polar sans policiers. Trop long, trop « philosophique », mal équilibré au plan narratif (le meurtre ne survient qu’aux deux tiers du récit), mais fascinant de beauté. Certains passages, comme ce court chapitre sur les monstres (p. 35…) ou comme l’histoire de la vieille « sorcière » Mâagi (p. 295…), éblouissent par leur beauté et par leur style.
Par ailleurs cette galerie de personnages, de monstres, tous plus déjantés et pathétiques les uns que les autres, ne permet guère au lecteur de s’identifier à un héros sympathique. On navigue ici dans un univers métaphorique et fellinien, une sorte de Cirque du Soleil psychotique où les limites entre le rêve et la folie ne sont pas toujours faciles à tracer. L’amateur d’Agatha Christie trouvera ici la marche un peu haute.
Autre faiblesse du livre : le travail d’édition. Si Chute libre est un très beau livre, rouge et noir, avec une fenêtre dans la page couverture qui donne sur une tête de danseur africain, il n’en va pas de même du travail de correction. Les fautes, hélas ! sont nombreuses. J’en ai relevé une dizaine en cent pages. Et je ne parle pas ici de ces coquilles qui échappent même au meilleur des correcteurs, mais de fautes sur les homonymes, sur les participes… Ça agace !
Bref, le roman d’Émilie de Turckheim est jeune, beau, éclaté, plein de passages éblouissants et il suffirait de couper quelques longueurs (et quelques fautes) pour qu’un amateur de roman noir crie au chef-d’œuvre. (AJ)
Chute libre
Émilie de Turckheim
Monaco, Du Rocher (Le Rouge et le Noir), 2007, 408 pages.
Une nouvelle série de pol’arts !
Vous conviendrez avec moi que l’univers du polar et du roman noir n’a rien de réjouissant : autopsies juteuses, meurtres, enlèvements, pédophilie, tueurs en série, carnage, viols et autres loisirs pervers de l’homo sapiens, de quoi faire des cauchemars ! C’est pourquoi, histoire de me nettoyer les neurones de toutes ces horreurs, je me plonge de temps en temps dans un récit un peu moins stressant ou moins horrible, avec en supplément des choses à apprendre dans divers domaines, notamment celui de l’art.
Le Paradoxe de Vasalis, de Raphaël Cardetti, est le troisième roman de cet auteur français, mais le premier d’une « nouvelle série d’un genre nouveau, qui mêle art et suspense, érudition et aventure, histoire et modernité ». Je me permets de contester l’expression « genre nouveau » parce qu’il existe déjà de nombreux « pol’arts » de ce type, au point d’en faire un véritable sous-genre comme le polar historique ou les « da vinci clones » qui prolifèrent comme lapins sur viagra. C’est en tout cas le début d’une série consacrée à un groupe mystérieux, la Fondation Stern qui, de récit en récit, va livrer ses trésors et ses secrets.
Dans ce premier opus, nous faisons la connaissance de Valentine, une restauratrice d’art, experte dans le domaine. Elle a perdu son emploi au Louvre à la suite d’un scandale dont on découvrira les dessous peu reluisants au fur et à mesure de la progression de l’intrigue. Valentine est engagée par le richissime Elias Stern, un mythique collectionneur d’art qui a créé la Fondation du même nom. Stern vient d’acquérir un palimpseste (« un manuscrit sur parchemin dont la première écriture a été lavée ou grattée et sur lequel un nouveau texte a été écrit », Petit Larousse dixit), que Valentine devra restaurer. Stern soupçonne qu’elle y découvrira un texte interdit du XIIIe siècle, écrit par un dénommé Vasalis, et qui a valu à son auteur de finir sur le bûcher. Le Pape de l’époque avait fait détruire tous les exemplaires du texte hérétique. Tous ? Sauf un qui aurait échappé à la vindicte papale et traversé les siècles pour finir entre les mains de Stern. Mais d’autres gens s’intéressent à ce texte, des individus louches, très mal intentionnés, qui sont prêts à tout y compris le meurtre, pour mettre la main sur l’objet convoité.
Sans tomber dans les excès d’énigmatite ridicules du Da Vinci Code, Le Paradoxe de Vasalis n’en est pas moins un de ces polars érudits où la tension dramatique est parfois tempérée (mais dans ce cas, pas vraiment handicapée) par l’étalage de connaissances : les arts, l’histoire des religions, les techniques de restauration des manuscrits anciens, etc. On apprend une foule de choses intéressantes entre deux poursuites et trois fusillades et on se dit que, ma foi, on voudrait en savoir plus sur les buts et les intentions véritables de cette mystérieuse Fondation que nous retrouverons sans faute dans Le Sculpteur d’âmes, prochain volume de la série. (NS)
Le Paradoxe de Vasalis
Raphaël Cardetti
Paris, Fleuve Noir, 2009, 380 pages.
Ménage du printemps
Kallifatides est déjà une voix importante de la littérature suédoise et après avoir contribué à de nombreux autres genres, il signe ici son premier roman policier, un superbe texte sombre et brumeux qui prend place dans une Suède cosmopolite en mal d’identité (la Suède ayant toujours échappé à la guerre, fait-il dire à l’un de ses personnages, le Suédois n’a jamais eu besoin de devenir adulte). Né en 1938 à Malai, en Grèce, et installé en Suède dès 1964, Kallifatides fait de l’émigration un sujet récurrent dans ses livres.
Juste un crime est somme toute un roman policier classique, un crime sans indices, un commissariat de police de banlieue, et la vérité qui arrive comme si l’on égrenait un chapelet. Au printemps remonte à la surface d’un lac un sac en plastique noir qui contient le cadavre d’une jeune femme, transpercée de trois balles. La jeune commissaire Kristina Vendel a encore tout à prouver, tant à son équipe qu’à elle-même, et doit mener une enquête qui part de rien si ce n’est d’un pendentif en croix au cou de la victime, un certain plombage et un soutien-gorge de luxe. Aidée par son équipe, Maria, Östen et Thomas, Kristina remontera la piste tout en douceur, petit à petit, pour nous mener à un final bien loin des grandes pompes, qui nous révèle la triste histoire de la jeune victime estonienne vulgairement balancée dans un lac aux environs de Stockholm. Raconté comme un secret dans une langue magnifique, Juste un crime fait la belle part aux sentiments et aux angoisses des personnages, à leur désir d’exister malgré le mal qui frappe sans raison. Dans la grande tradition des policiers tourmentés (sauf qu’ici, ils sont jeunes et pas encore blasés), chaque personnage traverse le roman avec sa propre bête noire accrochée au cou, problèmes de couple, enfant handicapé et amour entre collègues. Une intrigue de printemps qui laissera sa marque dans la vie de chacun, dernière enquête avant les vacances d’été qui viendront effacer les idées noires qui stagnent. Ou peut-être pas.
Toujours épris du désir de découvrir des auteurs insoupçonnés, j’ai habituellement tendance à faire des choix de lecture en marge des grands courants, si bien que je ne me suis encore jamais lancé dans la grande lignée des polars scandinaves. Je dois bien être l’un des seuls. Bien sûr, je sais ce que je manque, je ne peux seulement pas être de tous les combats tout en menant une vie saine. Alors, scandinave, ce polar de Grec ? Pourquoi pas, si ça peut faire vendre. Mais avant de l’étiqueter ainsi, je qualifierais Juste un crime de polar sensible, retenu, mélancolique, humaniste, poétique et néanmoins lumineux.
Et réjouissons-nous, la commissaire Kristina Vendel continue sa vie dans deux autres aventures pas encore traduites du Suédois. Parce qu’il écrit directement en suédois, le Grec. (MOG)
Juste un crime
Theodor Kallifatides
Paris, Rivages (Thriller), 2008, 264 pages.
Huston, we have a problem
Il y a quelques mois, j’ai lu Trop de mains dans le sac du même auteur, un roman noir mettant en scène Henry Thompson, un type malchanceux bourré d’attitude et de répliques assassines et qui m’avait procuré un divertissement de grande qualité. Plutôt que d’en publier la suite, les éditions du Seuil ont préféré faire paraître, comme deuxième traduction de l’auteur, le premier tome de son autre série, dédiée à Joe Pitt, un vampyre nouvelle génération. Oui, avec un y.
Fort de mon enthousiasme pour son roman précédent, j’ai attaqué Le Vampyre de New York (Already Dead en anglais… dans la grande tradition des traductions ringardes de titres) en me disant que je renouvellerais l’expérience et que Huston m’en ferait voir de toutes les couleurs. Mais j’ai vu noir et rouge, et c’est à peu près tout.
L’idée de base est très intéressante. La ville de New York est divisée en plusieurs territoires : la Coalition, la Société, le Hood, les Dusters, l’enclave, etc., territoires délimités par divers gangs de vampyres, avec la Coalition qui règne en roi et maître. Toute la (non-)vie des vampyres est strictement réglementée. Très peu d’humains ont connaissance de l’existence de ces derniers et la situation doit rester ainsi. Les meurtres gratuits pour étancher la soif sont sévèrement proscrits. La Coalition, de toute façon, fournit à chacun la dose nécessaire pour maîtriser le vyrus. Oui, avec un y.
Joe Pitt, lui, est ce que l’on appelle un Franc-Tireur. Il ne fait partie d’aucune association, mais accomplit néanmoins de menus travaux pour l’un et l’autre, comme de retracer un individu contaminé (dans le monde des vampyres, dire « Zombie » est plutôt péjoratif, alors on trouve des alternatives), ou de retrouver la fille fugueuse d’un couple d’humains de la haute société. Mais lorsqu’il remarque qu’on lui a volé ses réserves de sang, Pitt doit abattre le travail en composant avec le vyrus qui fait des siennes et ce, en tentant de ne pas succomber à l’appel de la chair.
Le Vampyre de New York est un roman très violent, sanglant, et franchement dégueulasse. On va même jusqu’à l’inceste en tant que spectacle de torture. Soit. Pas que je sois petite nature, je pense que je peux en prendre pas mal, mais ici, c’est qu’en plus d’être dégueulasse, c’est un peu inintéressant. Je mettrai une grande partie de la faute sur la narration au présent.
Je ne me rappelais plus que ce genre de procédé me dérangeait autant. Je suis allé ouvrir le premier roman de Huston, juste pour voir. Au présent aussi et pourtant je n’avais pas buté une seconde. Donc ? Ou bien je suis devenu un lecteur plus exigeant entre ces deux romans, ou bien Le Vampyre de New York est tout simplement moins bon que son prédécesseur. Quoi qu’il en soit, le récit au présent donne cette étrange impression de stagner. Imaginez une longue scène de bagarre qui fait du surplace. S’il faut en plus que les deux assaillants soient des vampyres pas tuables, on n’est pas à la veille de s’en sortir.
En plus du manque de profondeur causé par le procédé narratif, tout reste plutôt flou autour des délimitations territoriales, de qui est avec qui, qui connaît qui et pourquoi. Peut-être aussi que j’ai simplement été distrait et que j’en ai manqué des bouts. D’une manière ou d’une autre, il y a quelque chose qui cloche. Et l’écriture sans aucune division de chapitres ne donne aucun moment pour poser pied et respirer un peu.
Alors je laisserai aux autres les suites de cette série sanglante bourrée de « y » en italique et me concentrerai sur le prochain tome des aventures de Henry Thompson en voyant si le présent m’affecte encore autant.
L’un des bons points de ce roman, cependant, est qu’il annonce pour les éditions du Seuil l’abandon de ces affreuses couvertures blanches et rouges qu’ils avaient confectionnées pour leur collection Thrillers, afin d’adopter le même graphisme que leur collection Policier. Pourquoi aller dans le blanc quand on fait déjà si bien dans le noir ? (MOG)
Le Vampyre de New York
Charlie Huston
Paris, Seuil Thrillers, 2009, 299 pages.
Où l’on prouve hors de tout doute que les intégristes ne sont pas tous musulmans et inversement…
Après Meurtres à Séville (Gold Dagger, 2004)et Les Damnés de Séville, Les Assassins de l’ombre, de Robert Wilson, est le troisième volet des aventures de l’inspecteur Javier Falcon. Comme dans trois zillions de polars déjà publiés, l’intrigue commence par la découverte d’un cadavre et l’enquête qui s’en suit. Le corps retrouvé dans une décharge publique a été sauvagement mutilé et défiguré dans le but évident d’empêcher l’identification de la victime. Dans les heures qui suivent, Séville est secouée par une énorme explosion qui détruit une école maternelle et un immeuble d’habitation. Comme le sous-sol de l’immeuble abritait une mosquée clandestine, le bruit se répand qu’il s’agit d’un attentat manqué, que les radicaux de la mosquée ont été victimes de leur propre bombe. Ayant à la mémoire les attentats de New York et ceux de Madrid, les habitants de la ville et les forces de l’ordre tombent dans la psychose de l’attentat.
Tout cela complique singulièrement la tâche de Falcon et de ses hommes qui doivent travailler sur plusieurs fronts : le cadavre non identifié, qui passe au second rang (on se doute bien qu’il réapparaîtra plus tard), et la traque des responsables de l’attentat alors que se font sentir les pressions des médias et des politiques. Comble de malheur, Falco doit composer avec les cowboys des diverses agences gouvernementales spécialisées dans la lutte anti-terroriste. Il finit quand même par découvrir que les occupants de la mosquée ont peut-être été les victimes d’un groupe de fondamentalistes chrétiens destinés à freiner les ambitions de ces groupes d’Arabes qui veulent reconquérir l’Andalousie. Mais il y a autre chose, de bien plus sinistre encore qui se cache derrière tout ça… C’est là que l’auteur nous ramène le cadavre du début dont l’identité retrouvée sera à l’origine d’une terrible course contre la montre pour éviter le pire.
J’aime beaucoup les polars de Robert Wilson, y compris celui-ci, mais j’ai quelques réserves. D’abord, comme bon nombre de polars publiés de nos jours, il est trop long, trop gros, trop ambitieux. L’intrigue principale est déjà très complexe, c’est pourquoi je trouve inutiles les histoires annexes (la dépression et la thérapie de Consuleo, les déboires conjugaux d’Inez et de son juge de mari) qui sont autant d’affaires non résolues préparant le terrain pour de futurs récits mais qui alourdissent considérablement une intrigue déjà pas mal chargée. Cela a pour effet de multiplier les personnages de façon exagérée. Et curieusement, dans ce récit à haute tension, Javier Falcon a plus l’air d’un témoin, un peu impassible, qu’un véritable protagoniste. À sa décharge, il faut dire qu’il est pris dans un tourbillon infernal et que beaucoup trop de gens tirent les ficelles de cette affaire qui a parfois tendance à lui échapper. Reste que ce livre s’inspire d’événements terribles qui ont marqué notre temps et il n’est pas exclu hélas que de telles horreurs se reproduisent, à Séville ou ailleurs… (NS)
Les Assassins de l’ombre
Robert Wilson
Paris, Robert Laffont (Best-Sellers), 2009, 492 pages.
Paranoïa tous azimuts
Une des séquelles pernicieuses de l’ère Bush a été l’exacerbation d’un sentiment paranoïaque aigu chez nos voisins américains. Non content d’être terrifiés par des terroristes cachés sous tous les tapis, une bonne partie de la classe moyenne est devenue encore plus méfiante de son propre gouvernement : après de nombreux exemples de droits civils érodés, de mensonges éhontés et d’inaction fédérale flagrante, le zeitgeist états-unien a rarement été aussi réceptif aux théories de complot impliquant les autorités dans des plans diaboliques.
Dans le domaine du thriller, on remarque depuis quelques années une vague d’œuvres qui tentent d’exploiter ce sentiment de paranoïa. Non content d’examiner les théories de complots derrière les événements du 11 septembre 2001, certains vont même jusqu’à imaginer un complot gouvernemental pour atomiser des villes américaines dans le but de faire porter le blâme sur une puissance étrangère. Nelson DeMille n’avait impressionné personne avec son Wild Fire, mais voila que la même idée de base refait surface dans La Conspiration de l’or noir de Steve Alten, un auteur surtout connu pour ses histoires de requins gigantesques et de sous-marins conscients.
Cette fois-ci, son propos est plutôt didactique, car Alten est scandalisé par l’administration Bush, et il ne perd aucune occasion (dans l’introduction, l’épilogue, les « sources », les nombreuses citations et notes en bas de page, les pseudo-extraits documentaires ou bien les interminables conversations explicatives entre les personnages…) pour étayer son indignation. Et il ne s’arrête pas au complot nucléaire puisqu’il parle aussi de la traque des citoyens américains à l’aide de nanotechnologie, de programmes d’écoute électronique aux capacités magiques, de traite des blanches encouragée par le gouvernement saoudien et tant d’autres complots délirants qui prennent tellement de place que l’intrigue en soi ne démarre vraiment que cent pages avant la fin.
La prose, on s’en doutera, ne fait pas dans la dentelle. Quant aux personnages, ils n’existent que pour livrer des monologues d’explications ou pour être scandalisés. Alten n’a jamais été un écrivain irréprochable, mais avec La Conspiration de l’or noir, il donne l’impression d’un romancier qui s’est mis à croire à ses propres complots imaginaires, un signe tout aussi inquiétant que les écrivains de science-fiction qui croient aux extraterrestres. La véritable tragédie d’un tel constat, c’est que les avis politiques modérés d’Alten (surtout lorsqu’il critique assez raisonnablement le poids disproportionné qu’ont les intérêts pétroliers dans la politique américaine) sont sans doute assez similaires à ceux du lectorat d’Alibis… mais que l’expression débridée d’opinions plus extrêmes dans un thriller qui se vante désespérément d’être réaliste n’est simplement pas crédible.
La Conspiration de l’or noir n’a pas été publié par les éditeurs new-yorkais habituels d’Alten, trouvant plutôt sa place chez une petite maison d’édition spécialisée en documentaires chrétiens. On pariera que l’édition francophone sera plus visible chez City, mais ça n’en fait pas un meilleur roman pour autant. Maintenant que ce thriller est sorti des entrailles d’Alten, est-il raisonnable d’espérer que l’auteur puisse maîtriser son indignation et la canaliser dans des projets qui n’ont pas la stridence invraisemblable de celui-ci ?
Enfin, quelques mots sur les scories de la traduction. Ceux qui sont habitués à lire au sujet de la politique américaine dans la langue d’origine grinceront des dents devant certaines expressions mal traduites. La célèbre citation Clintonienne « (It’s) the economy, stupid » devient « L’économie, c’est idiot » (p. 152), alors qu’un peu plus loin, une phrase maladroite donne l’impression erronée que l’US Bank Tower de Los Angeles est le bâtiment le plus haut d’Amérique du Nord (p. 363). Il y a aussi l’attaque chimique contre Halabja, qui est située en 1998 plutôt qu’en 1988 (p. 208), et ce candidat démocrate à la présidence qui est inexplicablement appelé un « sénateur républicain » (p. 269). Et peut-on vraiment faire dire à Dick Cheney qu’il ira « chanter à la Star Académy » lorsque la citation originale parlait d’American Idol ? (p. 158). (CS)
La Conspiration de l’or noir
Steve Alten
Paris, City, 2008, 507 pages.
Le trouble des anciennes amours
Avec Le Baiser du tueur, William Lashner signe la septième aventure de Victor Carl, son attachant personnage d’avocat basé à Philadelphie, spécialiste de la racaille et des honoraires non payés. « Après le septième roman, il se reposa », pourrait-on dire, car Lashner nous informe en épilogue qu’il laisse tomber Victor Carl un bout de temps, histoire de le laisser vivre un peu. Car ces sept aventures n’ont rien eu de reposant pour l’avocat, qui a une certaine propension à la provocation et aux répliques assassines qui lui valent souvent d’élargir sa collection de cicatrices.
Je n’en suis encore qu’à ma deuxième rencontre avec Victor Carl, et de savoir que la production s’arrêtera un temps me donne le goût de faire du rattrapage pour en venir, dans quelques années, à attendre le nouveau Lashner avec impatience.
C’est que Lashner a un ton, une attitude que l’on retrouve avec bonheur et réconfort. Victor Carl est un personnage cinglant et cynique, autant sous la table qu’à découvert. Pas toujours au pied avec la loi – même en cour –, il connaît ses droits et sait comment faire entorse aux règles établies. Et s’il faut en plus que ses problèmes soient d’ordre personnel, les principes de Carl foutent carrément le camp.
Ici, on le voit renouer avec Julia Denniston, son ex-fiancée qui l’avait plaqué quelques années auparavant pour un urologue. Un urologue. Difficile de s’en sortir avec dignité. Quoi qu’il en soit, l’éponge est visiblement passée, car Julia est à la salle de bain lorsque deux policiers débarquent chez Victor Carl pour lui annoncer que Wren Denniston, le mari de son ex-fiancée, a été tué à son domicile. Pas besoin de lui faire un dessin pour comprendre qu’il est l’un des premiers sur la liste des suspects. Et dans une suite de développements tordus, il se retrouve à faire des pieds et des mains pour démentir les preuves qui pèsent contre lui. Victor Carl est victime d’un coup monté, et c’est flanqué de Derek – un de ses clients accusé de vente et possession d’héroïne qui se découvre une vocation de détective privé – ainsi que d’Antoine, une grosse tête de la communauté gangster jamaïcaine de Philadelphie, qu’il fonce pour découvrir le ou les vrais coupables.
Mais son amour aveugle pour Julia doublé de ce vague sentiment qu’elle ne lui dit pas tout n’aident en rien à faire avancer les choses.
Là où de nombreux auteurs échouent en appliquant un traitement léger tout en voulant maintenir le suspense, Lashner, lui, passe haut la main. Mais par léger, je veux simplement dire qu’on est loin de la lourdeur et de l’intensité propres à la mode scandinave, par exemple. Lashner ne vous fera pas éclater de rire, mais vous rirez en coin, vous rirez méchant.
La couverture, elle, donne plutôt envie de pleurer. Mélange douteux entre la pochette de la première saison de Six Feet Under et une campagne publicitaire de Black Label des années quatre-vingt-dix, elle ne m’a donné d’autre choix que de demander à ma blonde, qui est graphiste, de me concocter une nouvelle jaquette, question de pouvoir lire en public avec l’esprit tranquille. Tant d’occasions ratées de faire de belles couvertures, et ma blonde qui a un goût aiguisé et un talent fou…
Quoi qu’il en soit, repose-toi bien, Victor Carl. Panse tes blessures, prend un bain chaud, fais-toi plaisir et reviens-nous en santé. Moi je serai là, fin prêt, et en grande forme. (MOG)
Le Baiser du tueur
William Lashner
Monaco, Du Rocher (Thriller), 2008, 296 pages.
New York Noir
Quatrième roman traduit en français de cet auteur new-yorkais (après, entre autres, Havana Room et Manhattan Nocturne parus chez 10/18), La Nuit descend sur Manhattan est, malgré son titre de série B, un roman noir des plus solides.
Jin Li est une Chinoise qui travaille à New York pour Corps Serve, une compagnie de nettoyage qui est en fait une couverture menée par son frère Chen depuis Shangaï afin d’établir un important système d’espionnage industriel. En faisant le ménage des bureaux de certaines compagnies triées sur le volet, Jin Li et son équipe passent au peigne fin les documents papier laissés dans les corbeilles destinées au déchiquetage et recueillent les informations nécessaires pour faire chuter les titres en bourse et les racheter à bas prix. Ce qui n’est pas sans mettre certains cadres d’entreprise dans des situations désespérées.
Mais la stabilité de l’entreprise d’espionnage bascule lorsqu’en voiture avec deux de ses employées mexicaines, elle demande d’arrêter pour faire ses besoins dans un buisson et que surgit alors un camion de vidange de fosses septiques. Prise de peur, elle reste terrée et assiste à la mort atroce de ses deux employées, noyées dans la merde à l’intérieur de la voiture. Maintenant convaincue d’avoir été démasquée, Jin Li prend la fuite, et ils sont nombreux, ceux qui ont intérêt à la retrouver.
À commencer par Ray Grant Jr., son ancien petit ami, qu’elle a quitté sous les pressions de son frère, incapable de concevoir que sa sœur puisse préférer un Blanc à un Chinois. Ce Ray Grant est sans contredit le cœur de ce roman. Ancien pompier rescapé des décombres du 11 septembre qui s’est recyclé dans l’aide humanitaire en effectuant des sauvetages sur les sites de guerre ou de catastrophes naturelles, il a tout du super-héros, hormis la cape et le masque. Il possède une force physique surprenante, une intelligence hors-norme ainsi que de nombreuses habiletés pour se sortir de situations extrêmes. Et tout ça avec un calme inébranlable.
Aidé par son père mourant, un ex-policier rongé par le cancer maintenant sous perfusion constante de Dilaudid, Ray mène l’enquête pour retrouver Jin Li en faisant fi des menaces de Chen, débarqué en Amérique pour l’occasion.
La Nuit descend sur Manhattan est un roman fort, humain et… technique. C’est le seul défaut que j’aie pu y trouver. Dommage qu’il en occupe presque la moitié. Il n’y a pas à dire, Colin Harrison a fait ses recherches, mais au détriment du rythme. Structures administratives, astuces boursières, formules chimiques, installations techniques, construction de bâtiment, diagnostics médicaux, règles de prévention d’incendie, manuels d’instruction de divers outils sans compter les visites guidées dans d’innombrables racoins de la Grosse Pomme, Harrison nous en raconte plus qu’il n’en faut. Il ne fait aucun doute que tout cela est très instructif, mais on en perd un peu le cours du roman. Je suis bien d’accord à me faire exposer une ou deux spécialités en profondeur, si ça peut bien étoffer le propos des personnages. Mais ici, on en suit près d’une dizaine, de personnages. Tout savoir de leurs activités et de leurs métiers, ça devient étourdissant.
N’empêche, un gros roman, noir, angoissant, et qui trouve le tour de bien finir. C’est pas comme si je volais le punch… (MOG)
La Nuit descend sur Manhattan
Colin Harrison
Paris, Belfond (Noir), 2009, 380 pages.
Trajet tragique d’une boule de billard
Par une nuit froide et brumeuse de novembre, un homme rentre chez lui en voiture après une soirée bien arrosée avec des copains. Puis, c’est le choc sourd qui manque de causer une embardée. Le conducteur s’arrête et, dans un fossé à quelques dizaines de mètres derrière la voiture, il découvre le cadavre d’un jeune homme qu’il a heurté. Il se penche sur le corps et constate le décès. Mais c’est la nuit et, avec cette brume, personne n’a rien vu. Pris de panique, le chauffard s’enfuit et rentre chez lui.
Ça pourrait n’être qu’un fait divers banal, comme on en lit chaque mois dans les journaux. Les jours passent. Après quelques nuits d’angoisse, l’homme reprend peu à peu sa vie normale. L’histoire pourrait s’arrêter là, mais quelqu’un l’a vu et une première lettre anonyme arrive, signée « Un ami ». Le maître chanteur demande un somme plutôt dérisoire. Mais s’il revenait à la charge…
Alors s’amorce le carambolage. Ou plutôt, comme le démontre si bien la métaphore de la boule de billard à la trajectoire imprévisible, une série de meurtres que rien ne semble relier entre eux. La police, d’ailleurs, n’y voit goutte. Mais parmi les victimes se trouve Erich, un jeune homme de trente ans, fils du commissaire Van Veeteren fraîchement retraité de la police locale de Maarstan. Dès lors, ce crime prend l’allure d’une tragédie. Les policiers, anciens collègues de Van Veeteren, en font une question d’honneur : il faut retrouver le meurtrier d’Erich. Et parallèlement, l’ancien commissaire traque aussi l’assassin de son fils.
Hakan Nesser est un auteur suédois qui vient se joindre à la grande déferlante scandinave. Nul mois ne passe sans qu’on trouve en librairie deux ou trois nouveaux polars nordiques ! Même si l’auteur est moins connu que Mankell, Larsson ou Edwardson, les éditions du Seuil avaient déjà traduit en français, deux autres romans de Hakan Nesser mettant en scène le commissaire Van Veeteren : Retour à la grande ombre et Le Mur du silence.
Quant au troisième, Funestes carambolages, on peut le ranger parmi les bons romans de procédures policières. De plus, par son atmosphère et sa psychologie, il se rapproche du roman noir. Car l’une des forces principales du récit repose sur la description psychologique des rouages mentaux du criminel. De ce personnage anonyme, homme respectable et respecté, qui devient, poussé par la peur et le désespoir, presque un psychopathe.
Autre point fort du roman : la description de la douleur des hommes. Ici, dans la représentation tragique du deuil qui frappe le commissaire Van Veeteren, Hakan Nesser atteint souvent la force de l’auteur américain Dennis Lehane.
Au plan de la structure narrative toutefois, la seconde moitié du roman s’avère moins prenante que la première. Quelques hasards (comme ce papier qu’on trouve juste au bon moment) et quelques intuitions (qui relèvent plus de la théorie du jeu d’échecs que de l’enquête policière) amènent une fin un peu trop précipitée.
C’est d’abord et avant tout pour la profondeur psychologique de ses personnages et pour l’intensité de la tragédie qu’ils vivent que le roman Funestes carambolages mérite d’être lu. (AJ)
Funestes Carambolages
Hakan Nesser
Paris, Seuil (Policiers), 2008, 294 pages.
1939 : Nuit et brouillard
Même si le roman s’ouvre sur un double assassinat, Le Correspondant étranger d’Alan Furst n’est pas un vrai polar. Il se range plutôt au rayon des romans d’espionnage. Je dirais même des romans de résistance.
L’histoire commence en décembre 1938 par l’assassinat de Bottini, le rédacteur en chef du journal clandestin et antifasciste Liberazione. Le réfugié italien a été abattu dans une chambre d’hôtel minable de Paris aux côtés de la femme d’un ministre français. Pour que Liberazione survive, on doit trouver un nouveau rédacteur en chef. Le comité du journal clandestin choisit Carlo Weisz, un Italien de Trieste réfugié lui aussi à Paris pour fuir la dictature de Mussolini et qui gagne son pain en travaillant comme correspondant à l’agence de presse Reuters.
À son retour d’un reportage à Barcelone où il a assisté à l’agonie de l’Espagne républicaine face aux troupes fascistes de Franco, Weisz accepte le poste et se trouve plongé dans l’aventure des gens de l’ombre. L’aventure de cette armée secrète et morcelée qui lutte un peu partout en Europe, en ce début de l’année 1939, contre la fatalité de la montée des forces nazies et contre l’irrémédiable approche de la guerre. Carlo Weisz mènera son combat de Barcelone à Paris, de Berlin à Gènes, appuyé dans sa croisade par le SIS britannique et toléré par quelques inspecteurs français du ministère de l’Intérieur qui sentent eux aussi monter la menace.
Le récit est de plus agrémenté par l’histoire d’amour qui se développe entre Weisz et Christa von Schirren, une belle aristocrate d’origine hongroise mariée à un comte prussien. Elle aussi, à Berlin, lutte farouchement contre le nazisme.
En somme, une histoire assez convenue et qui, par moments, manque d’originalité et d’allant. La force d’Alan Furst réside surtout dans sa capacité à décrire l’atmosphère de ces mois de tension qui ont précédé immédiatement le début de la guerre. Un monde de grisaille où chacun sent monter l’inéluctable tragédie. Un monde de suspicion et de trahison où chacun se méfie de son voisin. Un monde où un certain nombre de héros, réfugiés loin de leur pays pour la plupart, luttent contre la fatalité et l’horreur. Le Correspondant étranger nous raconte bien leur force, mais aussi leurs faiblesses et leurs doutes.
Belle description aussi du Paris gris de 1939 avec ses rues sombres, ses petits hôtels miteux ou ses grands palaces, sa population anxieuse mais toujours inconséquente et un peu futile.
Et si le personnage de Weisz est assez bien rendu, de même que ceux de quelques rares collaborateurs, d’autres restent trop vagues, à peine esquissés. Par exemple, le lecteur aurait aimé comprendre mieux les motifs qui poussent la belle Christa à s’engager dans son dangereux combat. Quant aux personnages du clan d’en face, ces mystérieux agents de l’OVRA, la police secrète de Mussolini, on les sent, mais ils fluctuent toujours. Un jour, c’est un comte italien ; ailleurs, des Croates fascistes presque caricaturaux ; ailleurs, des colosses aux allures de débardeurs. Ils viennent et repartent au fil des chapitres comme des figurants. C’était sans doute vrai dans la réalité de l’époque mais, pour la fiction, Furst aurait eu ici intérêt à les cristalliser autour d’un personnage central qui aurait mieux incarné la force opposante.
En somme un bon roman d’espionnage un peu lent, mais plus près des atmosphères créées par Graham Greene ou John Le Carré que de celles d’Ian Fleming. Plus près du noir et blanc du Troisième homme que des couleurs flamboyantes de Casino Royale. (AJ)
Le Correspondant étranger
Alan Furst
Paris, L’Olivier, 2008, 305 pages.
Steve Mosby, un bon artisan du suspense…
Né à Leeds en 1976, Steve Mosby est un nouveau venu sur la scène du thriller international. J’ai découvert cet écrivain à la suite de la recommandation enthousiaste d’un de mes lecteurs de La Presse qui avait été épaté par Un sur deux, son premier polar. J’ai donc suivi son conseil et me suis enfilé en ligne les deux romans parus en français (il en a écrit quatre, un cinquième doit paraître au mois de juin).
D’emblée je suis agacé par les recommandations dithyrambiques des marchands du temple qui comparent Mosby à Dennis Lehane ou à Michael Connelly. Je suis de moins en moins patient avec ces éloges factices, ces surenchères putassières qui font que si on y prête la moindrement attention, on risque la désillusion. Et plus les attentes sont hautes et plus les déconfitures (de fraise) sont grandes, c’est bien connu ! Dans Un sur deux (comparé à Seven et au Silence des agneaux, rien que ça !), Mosby exploite une idée originale : un tueur en série s’en prend à des couples. Il laisse un des deux amants en vie. Et ce sont ses victimes qui doivent décider : qui mourra ? qui survivra ? Une idée diabolique, atroce… Au cœur de ce puzzle cauchemardesque, Mark Nelson qui est nommé dans l’équipe de John Mercer, un flic légendaire. Ce dernier vient de retrouver son poste après une longue dépression. Après l’enlèvement d’une jeune femme et de son compagnon, les flics sont entraînés dans une course contre la montre infernale dont le dénouement est pour le moins surprenant.
Dans Ceux qu’on aime, Mosby nous refait le coup du tueur en série avec, cette fois, un détraqué qui s’attaque à des jeunes femmes célibataires, les séquestre, endosse leur identité auprès de leurs proches et les laisse dépérir à petit feu, dans l’abandon le plus total. C’est au commissaire Sam Currie et à Dave Lewis, un journaliste, de tenter d’identifier le tueur.
Rien à redire sur la mécanique : la machine à suspense est réglée au quart de tour, les effets spéciaux et les effets de surprise sont amenés au bon moment, le dénouement nous jette en bas de notre chaise. Parfait ! Mais là est aussi le problème. Ce genre de roman relève du conte de fées noir, avec des prémisses fantasmées. Ce genre de tueur n’existe que dans l’imaginaire débridée des écrivains de polars. Bref, je trouve que les polars de Mosby manquent encore un peu… d’humanité ? C’est beau, c’est lisse, mais trop fabriqué. Surtout le premier qui est pure construction. Les amateurs de puzzle bien léchés seront comblés, les autres resteront sur leur faim. C’est moins flagrant dans le deuxième roman où apparaît une véritable préoccupation sociale : la grande solitude dont souffrent certains individus aujourd’hui malgré les moyens de communication modernes. La question qu’il pose est tristement d’actualité : à l’heure d’Internet, des textos, des téléphones portables et autres gadgets, sommes-nous vraiment disponibles pour ceux que nous aimons ?
Sa réponse nous glace d’effroi et sonne comme une mise en garde, un avertissement ! (NS)
Un sur deux
Steve Mosby
Paris, Sonatine, 2008, 416 pages.
Ceux qu’on aime
Steve Mosby
Paris, Sonatine, 2009, 356 pages.
Revue Alibis – Mise à jour: Avril 2009