Encore dans la mire 3

Encore dans la mire

de Denis Le Brun, Richard D. Nolane, Stanley Péan, Jean Pettigrew, Christophe Rodriguez, Norbert Spehner

Exclusif au supplément Internet (Adobe Acrobat, 1382Kb) d’Alibis 3,  Été 2002

Montréal noir

Charité bien ordonnée commence par soi-même, si l’on en croit le dicton. Et pourtant, en raison des liens qui unissent la rédaction de la revue Alibis aux éditions Alire, nous avons préféré ne pas accorder une attention immodérée aux parutions portant ce label, de peur de nous voir reprocher un népotisme – un « risque » que soulevait à demi-mot une commentatrice littéraire que l’on suppose bien intentionnée. Toutefois, il nous semblerait incongru et injuste pour les écrivains de l’écurie Alire que la seule revue consacrée au genre noir passe sous silence la qualité générale de la production du principal éditeur en littérature de genre, sous prétexte de nous préserver d’une apparence de conflit d’intérêt. Aussi, en faisant fi de toute présomption de favoritisme et revendiquant ma pleine liberté critique, je tiens à saluer deux romans noirs comptant parmi les plus importants publiés au Québec depuis des années, en l’occurrence Sanguine de Jacques Bissonnette et La Mort dans l’âme de Maxime Houde.

 [Couverture] Troisième livre de son auteur, paru initialement en 1994 (après Programmeur à gages et Cannibales, datés respectivement de 1986 et 1991), Sanguine met en scène le personnage de Julien Stifer, lieutenant au Service de Police de la communauté urbaine de Montréal, qu’on retrouverait avec plaisir, quoique dans un rôle secondaire, dans Gueule d’Ange (1998), le roman suivant de Bissonnette, également repris en format de poche par Alire. Tourmenté par le mystère demeuré irrésolu de la disparition de sa jeune fille Chloé, Stifer enquête sur les assassinats violents d’une ado surnommée Sanguine et son chum, un petit revendeur de drogues du quartier Côte-des-neiges, meurtres en apparence reliés à des pratiques sexuelles pour le moins déviantes. Inévitablement, au fur et à mesure que son enquête progresse, elle se confond et télescope l’autre affaire dans l’esprit du policier, d’autant plus que son couple est resté profondément troublé par l’absence douloureuse de Chloé. Résolument noir, ce roman témoigne non seulement de la remarquable maîtrise des codes du genre dont fait preuve Jacques Bissonnette, mais aussi de sa connaissance profonde des procédures judiciaires, du milieu policier métropolitain et des bas-fonds peu recommandables du Montréal contemporain. Et puis, ne serait-ce que pour sa rigueur dans la construction d’intrigues solides et crédibles, bien en évidence dans Sanguine et dans Gueule d’Ange, Jacques Bissonnette mérite amplement son statut de chef de file en matière de romans noirs au Québec.

 [Couverture] Un peu plus jeune que Bissonnette, Maxime Houde n’a manifestement pas beaucoup à lui envier. Et même si ses romans ne font pas encore l’économie de certains tics d’écriture, de certains poncifs du genre, même s’ils paraissent très marqués par l’influence d’illustres modèles classiques américains (Dashiell Hammett, Raymond Chandler et compagnie), cette talentueuse recrue des éditions Alire compte néanmoins parmi les voix essentielles du polar chez nous. Deuxième volet des aventures du privé Stan Coveleski (après La Voix sur la montagne, paru en 2000), La Mort dans l’âme se situe en 1947, à l’ère du règne de la petite pègre sur le red light qu’un jeune Jean Drapeau ne tarderait plus longtemps à « assainir ». Perturbé par sa rupture avec sa femme qui l’a quitté après qu’il ait, contre son propre gré, levé la main sur elle, Coveleski, un ex-flic de la Sûreté de Montréal travaillant maintenant à son compte, entretient une relation platonique avec Fleurette, une prostituée au cœur d’or. Quand celle-ci devient la énième victime d’une vague de meurtres perpétrés à Montréal, Coveleski accepte de collaborer avec son ex-partenaire de la Sûreté, DeVries, qui sollicitait en vain son aide pour résoudre l’affaire.

Il faut applaudir d’abord cette reconstitution historique, qui bénéficie d’une remarquable attention aux menus détails – les « vieux » ne noteront au passage qu’un seul anachronisme : une allusion au magasin La Baie qui, à l’époque, s’appelait plutôt Morgan’s. Au-delà de cette minutieuse rigueur, reconnaissons à Maxime Houde un sens du suspense manifeste ainsi que le don de camper des ambiances troubles, de donner vie à des personnages vivants et les plonger dans des dilemmes moraux qui ne laissent pas le lecteur indifférent. De toute évidence, Houde a le potentiel pour devenir rapidement l’un des maîtres du genre chez nous. Un écrivain à garder à vue, donc. (SP)

Sanguine
Jacques Bissonnette
Alire, 244 pages.

La Mort dans l’âme
Maxime Houde
Alire, 275 pages.

Des idées et des hommes

 [Couverture] Il fut une époque où le cœur des Québécois battait au diapason de quelques slogans révolutionnaires, le plus connu étant : « Vive le Québec libre! » Si le grand Charles – sourire en coin – n’a rien fait pour éteindre le feu, quelques-uns bien avant lui songeaient à donner au « petit peuple » les moyens d’accéder à son indépendance qui, avouons-le, était à l’ordre du jour d’un bout à l’autre de la planète, surtout depuis que Castro, Che Guevara et ses Barbudos avaient osé leur pied de nez aux tout-puissants États-Unis.

« Lentement mais inexorablement, je prenais conscience que le peuple québécois n’était pas maître dans sa propre maison et que c’étaient les grosses légumes de Westmount, de Toronto et de Londres qui dictaient leurs quatre volontés. Je réalisais la justesse des expressions populaires que j’entendais depuis ma tendre enfance et qui exprimaient bien ce que nous étions : des gens nés pour un petit pain, des porteurs d’eau ». Ainsi s’exprime Pierre Schneider, l’un des premiers membres de ces cellules dites « révolutionnaires » qui posaient des bombes dans les boîtes à lettres du très chic Westmount. Plus qu’une autobiographie où le modèle du Bozo-les-culottes de Raymond Lévesque ne cache rien de sa vie privée et de ses déboires (alcoolisme, dépression, famille déstructurée), c’est toute une fresque politique et social du Québec des années 50/70 que brosse ce Boum baby Boom. D’une jeunesse qui se cherche en plein Quartier Latin à la naissance de la notion de « maîtres chez nous », Pierre Schneider nous fait vivre (ou revivre, pour les plus vieux d’entre nous) ces différentes phases de l’évolution de ce Québec où tout semblait encore possible.

Mais ce livre nous réserve d’autres surprises, puisque l’écrivain, qui est aussi journaliste de métier, ouvre la porte (souvent très secrète) du monde judiciaire et de son corollaire : le journalisme d’enquête et la « cueillette » des données! Doit-on en rire ou pleurer? À vous de juger, mais quelques pages valent le pesant d’or : « Le système était simple et très efficace : je laissai le numéro de mon téléavertisseur à tous les policiers susceptibles de marcher dans cette combine et, lorsque ces derniers m’appelaient pour me signaler un nouveau crime, le journal leur versait la somme de 25$. Ce qui me permettait, avec mon photographe, d’arriver sur les lieux en même temps que les enquêteurs et d’avoir accès à toute la scène du crime. » Autres temps, autres mœurs, l’auteur ne s’aventure pas plus sur ce terrain miné, mais les quelques passages consacrés au judiciaire comptent parmi les plus instructifs qu’il m’ait été donné de lire sur le sujet. En conclusion, ces 300 pages composent le portrait d’un homme qui a vécu et vit toujours avec passion ses deux idées maîtresses : le journalisme et la justice sociale. (CR)

Boum Baby Boom. La véritable histoire de Bozo-les-culottes
Pierre Schneider
Québec Amérique, 307 pages.

Où l’on rencontre l’énigmatique John Rebus…

 [Couverture] L’Ombre du tueur, de l’auteur écossais Ian Rankin, est la huitième enquête de l’inspecteur John Rebus, dont quatre sont maintenant disponibles en version française. Il s’agit d’une brique de 480 pages dont l’intrigue est relativement complexe (son titre et quelques éléments de l’histoire rappellent le Tueur et son ombre, de l’écrivain américain Herbert Lieberman). Au départ, il s’agit d’une banale histoire de tueur en série. À la fin des années soixante, un serial killer surnommé « Bible John » a semé la terreur en Écosse avant de se volatiliser. Trente ans plus tard, Édimbourg est le théâtre de meurtres similaires. Bible John serait-il de retour? La police serait prête à le croire, si elle n’avait la preuve que le meurtrier, auquel elle donne le sobriquet de « Johnny Bible », est jeune. Bible John, Johnny Bible… Les noms se ressemblent: le lecteur a besoin d’être vigilant pour ne pas perdre le fil. L’inspecteur John Rebus est fasciné par l’affaire du tueur en série, mais pour le moment, il a d’autres chats à fouetter. Pour lui, les choses se compliquent singulièrement : il tente d’élucider une affaire de meurtre d’un employé de plate-forme pétrolière tout en étant lui-même sujet d’une enquête interne. Trente ans plus tôt, il a joué un rôle déterminant (et plutôt louche, a priori) dans la condamnation d’un homme qui n’a cessé de clamer son innocence et a fini par se suicider. La pression des médias conduit la police à procéder à une contre-enquête. Rebus aurait-il couvert une injustice? C’est ce que tente de déterminer le commissaire Acram que Rebus a peu subtilement accusé de toucher des pots de vin. Autant dire que la partie ne sera pas facile pour ce diable d’homme, grand buveur devant l’éternel, d’autant plus que, les voies de la Providence et celles du polar étant ce qu’elles sont, son affaire de meurtre initiale le ramène inexorablement sur la trace de Bible John, lequel, s’est mis dans la tête de démasquer et de liquider son imitateur. Intrigue complexe donc, mais dans laquelle on reste accroché sans que l’intérêt faiblisse un seul instant. Les Anglo-Saxons appellent ça « A page turner »! Un croque-page ? Un livre où on est littéralement obligé de poursuivre sa lecture. Pas de fausses pistes ou de pelures de banane, ici tout fonctionne rondement. Ce roman est une mécanique narrative parfaitement rodée qui nous entraîne à un rythme d’enfer. La résolution est satisfaisante, mais un élément d’intrigue reste ouvert. À suivre, peut-être…

Quand Ian Rankin a commencé sa carrière littéraire, il voulait écrire « le grand roman écossais » dans la tradition de Robert Louis Stevenson. À sa grande surprise, c’est le monde du polar qui a « récupéré » son premier roman Knots & Crosses, publié en 1987, une variation moderne sur le thème de Jekyll et Hyde, dans lequel John Rebus (baptisé ainsi pour rappeler l’idée du puzzle), un policier d’Édimbourg, un ancien militaire, fait sa première apparition. Après plusieurs tentatives infructueuses pour se débarrasser de l’étiquette générique (non, je n’écris pas des polars! je fais de la littérature, moi, refrain connu…), Rankin a fini par accepter l’idée que c’était dans le domaine populaire qu’il allait faire sa marque, ce qui lui a valu, au cours des deux dernières années d’atteindre une stature internationale et de figurer désormais sur la liste des bestsellers. On ne s’en plaindra certainement pas. Avec Charlie Resnick (John Harvey), Alan Banks (Peter

Robinson) et quelques autres, John Rebus fait désormais partie du panthéon de mes durs à cuir préférés, même si je n’ai pas l’ombre d’un soupçon de sa capacité phénoménale à absorber des litres de scotch et autres liquides explosifs. Grisant, je vous dis… (NS)

L’Ombre du tueur
Ian Rankin
Du Rocher, coll. Thriller, 480 pages.

Un oiseau rare: un politicien sympathique

 [Couverture] Laissons Roland Lacourbe, anthologiste émérite et grand amateur d’énigmes insolubles, présenter sa dernière publication Les Meurtres de l’épouvantail et autres histoires : « La parution du présent livre constitue un petit événement. C’est en effet la première fois au monde qu’est publiée une anthologie rassemblant une collection de nouvelles de Joseph Commings, auteur estimé, jusqu’à ce jour, par un nombre restreint de fanatiques. [ …] Décédé en 1986, Joseph Commings n’aura malheureusement pas eu cette joie de se voir enfin consacrer un ouvrage entier ». Le personnage central de ces huit premiers récits (l’éditeur en annonce d’autres), est un type haut en couleur, le sénateur démocrate américain Brooks U. Banner, qui a fait sa première apparition en mars 1947 dans les pages de Ten Story Detective, un pulp très populaire à son époque. D’emblée, avec « Meurtre sous cloche » son créateur le confronta à un problème de miracle. Au cours des trente-sept années suivantes, Joseph Commings accumula les situations baroques et les crimes impossibles dans un corpus de trente-deux nouvelles. La dernière aventure du sénateur Banner a été publiée en novembre 1984 dans Mike Shayne Mystery Magazine (même si selon Edward D. Hoch, elle fut écrite au début des années 70). Banner, comme certain de ses semblables, est un personnage un peu farfelu, caricatural, une grande gueule américaine, à l’encombrante stature de plus de cent vingt kilos, avec un nez proéminent et rouge à la W. C. Fields, des tenues extravagantes, mais on l’aura deviné, doté d’un sens de l’observation et de la déduction dignes de Sherlock Holmes. Par exemple, dans « Meurtre sous cloche », un crime a lieu dans une cellule de verre scellée de toute part. Dans « le Spectre du lac », les deux passagers d’une barque sont tués alors qu’ils étaient seuls dans l’embarcation. Un médium est poignardé lors d’une séance de spiritisme où tous les participants étaient revêtus de camisole de force (L’empreinte fantôme). Bref, de petites aventures amusantes, un peu vieillottes tout de même, à prendre avec un gros grain de sel, pour ceux qui adorent les récits de meurtres impossibles, de chambres closes, par des spécialistes comme John Dickson Carr, Clayton Rawson ou Hake Talbot. Avec préface de Roland Lacourbe et une bibliographie commentée des 32 enquêtes du sénateur Banner. (NS)

Les Meurtres de l’épouvantail
Joseph Commings
Rivages/Mystère, 46, 277 pages.

Brûlé par plus de feux que je n’en allumai…

 [Couverture] Passionné de planche à voile, Jack Wade vit et travaille pour pouvoir se faire porter par la vague. Ancien policier convaincu de parjure pour sauver un témoin, il bosse maintenant comme spécialiste des incendies criminels pour une compagnie d’assurance. Il connaît son boulot, c’est une véritable vocation. Aussi, quand la police essaie d’étouffer un cas d’incendie vraisemblablement criminel, Jack refuse de lâcher le morceau. Winslow ayant lui-même été détective pour une compagnie d’assurance, l’enquête de Jack est décrite avec minutie et on y apprend beaucoup de choses sur la « science du feu ». (Patricia Cornwell peut aller se rhabiller!)

La prime est (trop) vite réclamée par le propriétaire de la maison, Nick Vale, dont la femme a péri dans l’incendie. Petit à petit, l’enquête de Jack montre que Nick Vale, promoteur immobilier en apparence mais chef d’un clan de la mafia russe en réalité, avait de bonnes raisons de vouloir tuer sa femme. Mais le Russe a bonne réputation, beaucoup d’amis influents et quelques arguments-massues dont deux gardes du corps entièrement dévoués et des hommes de mains vietnamiens. Jack se retrouve bientôt seul, avec son ex-petite amie, sœur de la victime, à vouloir continuer l’enquête. Même sa compagnie est prête à payer de peur de perdre un procès inévitable. Courage ou simple obstination? Rien n’est jamais simple avec Winslow!

Paumé qui se révèle dans l’action plus coriace que l’on aurait cru, Jack Wade est un personnage typique de l’univers de Winslow : Tim Kearny dans Vie et mort de Bobby Z (un livre absolument délicieux et délirant!) ou encore Neil Carey, héros de nombreux titres parus en Série Noire (Cirque à Picadilly, Le Miroir de Bouddha, Noyade au désert…), tous aussi alambiqués et divertissants. Passés maîtres dans l’autodérision, ils font tous preuve d’humour même dans les situations les plus désespérées. Tous les livres de Winslow sont rapides, drôles, efficaces et on se laisse embarquer même dans les intrigues les plus saugrenues. Le plus souvent cependant, on y rit jaune et Du feu sous la cendre n’y fait pas exception à cette règle, comme en témoigne la finale au goût de cendre! (DL)

Du feu sous la cendre
Don Winslow
Belfond, coll. Nuits noires, 394 pages.

Toute vérité n’est pas bonne à lire…

 [Couverture] J’ai parfois beaucoup de difficulté à m’enthousiasmer pour les pastiches ou les polars que je qualifierais d’érudit, pleins de références littéraires, historiques et autres. Parfois, ils peuvent être parfaitement assommants. Souvenez-vous du roman d’Eco, Le Nom de la Rose. Comme des milliers de lecteurs, ces hypocrites, mes frères, j’ai eu un mal fou à le terminer à cause des longueurs, des citations latines, des milliers de détails assommants (et inutiles) que nous infligeait l’intarissable sémiologue italien recyclé en romancier. Dans un autre registre (ses romans sont moins longs que ceux d’Eco), je ne déteste pas, à l’occasion, lire les récits de René Reouven, spécialiste du pastiche, grand maître ès érudition, et je me faisais une fête de lire La Vérité sur la rue Morgue. Quand il est question de Poe, au diable les réticences : je salive, je trépigne, je fonce, surtout que les prémisses de la chose étaient plus que prometteuses : Edgar Allan Poe a-t-il secrètement vécu à Paris? Et où est-il allé chercher réellement son inspiration pour « Double Assassinat dans la rue Morgue », « Le Mystère de Mary Roget » et « La Lettre volée », ses trois principales nouvelles policières? Une mystérieuse narratrice nous convie à démêler toutes ces énigmes dans un récit dont la première partie est malheureusement d’un ennui épouvantable. J’ai vraiment failli abandonner tellement cette succession bavarde de quatorze personnages (dont un orang-outan nommé Hop Frog qui, au moins, ne parle pas!), parmi lesquels Poe (déguisé en Eddie), Vidocq et quelques autres, impliqués dans des affaires louches (mais vraiment pas intrigantes) manque d’intérêt. Ça n’accroche tout simplement pas… C’est donc plus par devoir que par intérêt réel que je me suis embarqué dans la deuxième partie, une autre jungle de subjonctifs, de tournures maniérées et autres argots de l’époque, pour me rendre jusqu’au bout de mon calvaire! Soyons juste, la deuxième partie se lit beaucoup mieux, les choses s’accélèrent et nous avons droit enfin à une véritable intrigue policière avec les explications ingénieuses promises au début. Mais que de souffrances pour en arriver là! Oui, certes, c’est érudit, brillant, plein de clins d’œil, de personnages historiques, de références littéraires, historiques, voire scientifiques de toutes sortes, mais c’est aussi diablement longuet! Et ça cause, ça cause… J’en conclu cyniquement que c’est probablement pour tromper notre ennui, nous récompenser d’avoir enduré ce calvaire, que l’éditeur a cru bon de nous proposer l’intégrale des trois nouvelles de Poe à la fin du livre (ce qui fait tout même pas loin de la moitié de ce volume!). Ah oui, j’allais oublier l’identité de la narratrice : Georges Sand, dont le nom de jeune fille était Aurore Dupin, baronne (très active) Dudevant. Dupin… Vous saisissez? (NS)

La Vérité sur la rue Morgue
René Reouven
Flammarion, 274 pages.

Jeux de mains, jeux de vilains…

 [Couverture] Bath est un haut-lieu historique de l’Angleterre dont la renommée remonte jusqu’à l’époque romaine, ce dont témoignent ses célèbres thermes. Guère étonnant donc qu’on y fouille d’anciennes cryptes et que la ville abrite un nombre inhabituel de magasins spécialisés dans les antiquités. Ce qui l’est plus, c’est de découvrir par hasard une main dans du béton de facture bien récente puis un crâne de femme dans une de ces cryptes situées sous l’abbaye de Bath.

L’inspecteur Peter Diamond, le héros de la seule série policière de Peter Lovesey à se situer de nos jours et non à l’Ère Victorienne, est bien plus connu pour ses talents de limier que pour sa patience. Et celle-ci ne va pas tarder à être mise sérieusement à l’épreuve quand ce qui apparaissait comme une enquête sur un meurtre survenu au cours de fouilles vingt ans plus tôt, va être brusquement projeté sous les feux des médias. On va apprendre en effet que la crypte en question se trouvait être partie intégrante d’une maison rasée en 1893, une maison qui avait eu pour locataire au début du XIXe siècle une certaine… Mary Shelley. Mieux, celle-ci y aurait rédigé la plus grande partie de son célèbre Frankenstein ! Du pain béni pour les journalistes et le début de l’horreur pour l’inspecteur Diamond dont le tact avec la presse est à peine supérieur à celui d’un pittbull. Et, pour corser le tout, une antiquaire locale qui possédait sans le savoir l’écritoire de Mary Shelley est retrouvée assassinée… Le meurtrier ne serait-il pas Joe Dougan, ce professeur d’université américain obsédé par Mary Shelley et qui avait justement rendezvous le soir de sa mort avec l’antiquaire pour acheter l’écritoire que plus personne n’arrive plus maintenant à retrouver?

Une situation inédite et embrouillée comme les affectionne Peter Lovesey, spécialiste anglais du policier à énigme et qui collectionne les prix littéraires les plus prestigieux. Le roman se lit avec grand plaisir et regorge de dialogues souvent savoureux. Si certains personnages restent très typés et un petit peu convenus, d’autres, comme Ingeborg Smith, la journaliste free-lance de choc qui ne rêve que d’entrer dans la police, sortent franchement de l’ordinaire. Le brio avec lequel le chef d’orchestre Lovesey fait jouer son petit monde en arrive parfois à faire un peu oublier au lecteur l’enquête proprement dite. Et lorsque celle-ci arrive à son terme logique, sa résolution paraît moins importante que le fait que le spectacle soit terminé et que l’heure est malheureusement venue de quitter la salle. Pas de « roman noir à message » ici, mais une bonne partie de plaisir pour le lecteur. Ce qui ne fait vraiment pas de mal de temps en temps… (RDN)

Une Main dans la Tombe
Peter Lovesey
Éditions du Masque, 412 pages.

Retour au Vietnam…

N [Couverture] e me demandez pas pourquoi (en fait, je l’ignore!) mais j’aime beaucoup les romans de guerre, particulièrement ceux dont l’action se passe au Vietnam. Quand le récit de guerre est combiné à un bon polar, bien réaliste, bien ancré dans les faits historiques, alors là, je suis aux anges. C’est pourquoi j’ai beaucoup apprécié (euphémisme!) ces Fantômes de Saïgon dont l’auteur, John Maddox Roberts, a fait son service militaire au Vietnam. Il a donc pu voir sur place ce qu’était cette drôle de guerre qui a traumatisé une génération d’Américains et dont les blessures ne sont pas encore toutes cicatrisées. Gabe Trealor, détective privé et Mitchell Queen, producteur de cinéma, ont servi tous les deux dans les PM (Military Police) à Saïgon pendant la guerre du Vietnam. Entre autres aventures, ils étaient aux premières loges pendant la meurtrière offensive du Têt. La vie les a peu à peu séparés, mais vingt-cinq ans plus tard, Mitchell recontacte Gabe et lui demande d’enquêter sur de mystérieuses menaces qui pèsent sur un film qu’il veut produire à Saïgon. C’est là que vont (ré)apparaître les fameux fantômes annoncés dans le titre! L’auteur fait constamment alterner les souvenirs de guerre et la progression de l’enquête présente. Chaque étape de l’intrigue présente renvoie à des événements et des personnages du passé militaire des principaux protagonistes. Ce qui nous vaut les meilleures scènes d’action du livre. Par ailleurs, ce livre nous révèle des choses insoupçonnées sur cette guerre sale entre toutes et notamment ce qu’il est advenu des nombreux déserteurs américains (il y en eut des centaines). Incapables de quitter le pays, de monter dans un avion, que sont-ils devenus? La plupart d’entre eux se sont retrouvés dans le quartier chinois de Saïgon et là, ils se sont organisés en gangs, ils ont survécu d’activités criminelles diverses : trafic de drogue et d’armes, proxénétisme et autres activités illicites lucratives. On les appelait les fantômes. La plupart d’entre eux furent exécutés par les communistes, mais certains survécurent. C’est ce que Gabe Trealor ne va pas tarder à découvrir, d’autant plus qu’il connaissait l’un des principaux leaders, le même qui maintenant envoie des lettres de menace à Queen.

Il y a longtemps que je n’avais lu un roman avec autant d’intérêt et de plaisir. Le personnage principal est intéressant, sympathique. On a même droit, fiction oblige, à une intrigue sentimentale qui s’intègre bien dans la trame narrative, avec un personnage féminin coloré, intelligent, plein de ressources. Même le dénouement est ingénieux, bien amené, sans tours de passe-passe inutiles. Tout se tient à merveille. On en sort à contrecœur, un peu abasourdi, voire même un peu jaloux devant tant de talent. Un roman de Série Noire comme je les aime… (NS)

Les Fantômes de Saïgon
John Maddox Roberts
Gallimard, coll. Série Noire, 384 pages.

Un petit pastiche, avec ça?

 [Couverture] Dans sa version Jekyll, Jean-Pierre Naugrette, professeur agrégé, enseigne la littérature anglaise du XIXe siècle à l’université. Spécialiste de Robert Louis Stevenson, auquel il a consacré plusieurs livres, il a traduit plusieurs romans de cet auteur, notamment The Strange Case of Dr. Jekyll and Mr. Hyde. Dans sa version Hyde, il s’est lancé dans une carrière littéraire avec un premier roman en 1998, Le Crime étrange de Mr. Hyde, dans lequel il donne la parole au double meurtrier du Dr Jekyll et dans lequel on retrouve, entre autres, Sherlock Holmes et Watson. Voici que notre homme récidive avec les Hommes de cire, un autre pastiche holmésien dans lesquels les personnages du roman précédent réapparaissent. Sherlock Holmes a mis à jour l’existence d’une gigantesque et sournoise entreprise visant à changer le visage de l’humanité par la multiplication artificielle des corps. C’est à Londres, en pleine ville, au cœur même de l’Empire que l’ennemi veut frapper. Voici soudain que les rues de la ville sont envahies par une foule de primates en chapeau melon, parapluie et costumes impeccables se rendant à leur bureau de la City comme des métronomes. Une tyrannie nouvelle apparaît, bien pire que celle exercée par la reine Victoria : la zoocratie. La partie ne sera pas facile pour Holmes et Watson qui doivent affronter un ennemi rusé, puissant et indestructible.

Cette œuvre mélange allègrement les genres puisqu’il s’agit d’un roman policier, d’aventures, aussi allégorique que fantastique, qui entraîne le lecteur dans un labyrinthe étourdissant où les doubles prolifèrent et se jouent allègrement de son reflet. Le problème avec de nombreux professeurs devenus écrivains, c’est qu’ils oublient parfois qu’ils ne sont plus dans une salle de classe et persistent à enseigner plutôt qu’à raconter. Ça n’est pas le cas de Naugrette. À travers ces pages, c’est surtout son amour de la littérature populaire et de ses modèles mythiques qui transparaît. Fidèle à l’esprit des œuvres originales, il nous entraîne dans une aventure d’époque pleine d’imagination et de rebondissements qui raviront les fans de Stevenson, dont l’énigmatique Jekyll/Hyde refuse décidément de disparaître, ainsi que les amateurs de Sherlock Holmes/Watson. Deux pastiches pour le prix d’un!

Comment résister à un début de chapitre aussi dramatique : « Lorsque vous lirez ces lignes, Watson, j’aurai cessé de vivre »? Quant au dénouement, écrit dans la bonne tradition du roman d’aventures à personnages récurrents, il laisse miroiter de nouveaux épisodes mirobolants. (NS)

Les Hommes de cire
Jean-Pierre Naugrette
Climats, coll. l’Éclaircie, 206 pages.

Femme de paroles, femme de tête…

 [Couverture] Dans la foulée de l’imposant retour sur Sherlock Holmes que nous propose en ces pages notre collègue Jean-Jacques Pelletier, j’ai pensé qu’il serait intéressant de retrouver le Grand Homme dans un nouveau rôle, c’est-à-dire celui de personnage secondaire puisque dans Bonne Nuit, Mr Holmes, Carole Nelson Douglas inverse la distribution des rôles proposés dans la nouvelle « Un scandale en Bohème » et place Irene Adler, cette remarquable femme qui tint tête au célèbre limier, au premier plan de l’intrigue.

C’est du moins ce que nous promettait la quatrième de couverture, mais c’est hélas faux : le personnage principal de ce roman, c’est Penelope Huxleigh, une jeune fille plus pétrie de préjugés victoriens que la reine elle-même et d’une redoutable efficacité lorsqu’il est question de parler pour ne rien dire! Qui donc est cette empêcheuse de lire en paix? Eh bien, c’est ni plus ni moins que le pendant féminin du bon docteur Watson puisque Penelope Huxleigh est l’amie d’Irene Adler et celle par qui nous apprendrons ces aventures.

Or, si Watson était d’une brièveté exemplaire lorsqu’il s’attardait sur sa propre personne ou ses sentiments personnels, « Nell » n’en finit plus de nous emmerder (si, si!) avec ses peurs, ses craintes, ses préjugés et, dans un registre plus général, ses inepties. Madame Douglas, je veux bien croire qu’il était important de montrer le triste niveau de la condition féminine à la fin du dix-neuvième siècle, en Angleterre, pour que le lecteur puisse comprendre à quel point Irene Adler était, toujours pour cette époque, une femme remarquablement d’avantgarde, ouverte, fonceuse et libérée, mais c’est surtout « elle », Irene Adler, que nous voulions voir – et aussi, dans une moindre mesure, Sherlock Holmes –, pas l’autre!

Mais parlons de l’intrigue… Dans Bonne Nuit, Mr Holmes, nous revisitons, dans sa nouvelle intégralité, l’intrigue dont nous n’avions eu qu’un très bref aperçu dans « Un scandale en Bohème » et, il faut le dire, le travail de complétion fait par Douglas est impeccable. Le lecteur découvrira tout ce qu’il y a eu avant et après le fameux affrontement entre Adler et Holmes, et la connaissance de ces tenants et aboutissants lui fera comprendre qu’Irene Adler, tout comme le disait Sherlock Holmes à son ami Watson, est effectivement une femme remarquable, à l’intelligence tout aussi affûtée que la sienne… sinon plus, laissera peu subtilement planer l’auteure du présent roman.

On verra aussi que, contrairement au reclus du 222, Baker Street, Irene Adler, dont le métier premier est cantatrice, adorait frayer parmi le beau monde et c’est pourquoi le lecteur rencontrera dans les pages de ce roman des personnages réels importants qui ont pour nom Oscar Wilde, Bram Stoker, Antonín Dvorák, etc.

Bref, on aura compris que ce roman, qui aurait pu se mériter les plus hautes notes puisque Carole Nelson Douglas connaît admirablement bien son sujet, n’a péniblement obtenu, en raison de l’inutile prolixité de la femme de paroles, que la note de passage! (JP)

Bonne Nuit, Mr Holmes
Carole Nelson Douglas
Éditions du Masque, 466 pages.

Un Messie bien particulier!

 [Couverture] Ce Vendredi Saint (titre original : Messiah) nous arrive en droite ligne de Londres. Son auteur, Boris Starling, ancien journaliste, travaille pour une agence spécialisée dans la gestion de situations de crise. Le propos de son premier roman? La chasse au psychopathe le plus épouvantable depuis Jack l’Éventreur. Particularité du tueur : il laisse une petite cuillère en argent dans la bouche de ses victimes… après y avoir prélevé la langue!

La critique londonienne a comparé ce roman au Silence des Agneaux et à Seven ; pour ma part, je n’irai pas si loin, même s’il s’agit d’un excellent premier roman. Car si l’intrigue roule effectivement sur les chapeaux de roues (malgré certaines complexités inutiles), si la mécanique est d’une belle précision (malgré des coïncidences troublantes et quelques longueurs inutiles) et que les revirements et les coups de théâtre sont de qualité (là, je n’ai rien à dire!), il n’en demeure pas moins que l’écriture manque de fluidité, que le style s’apparente encore trop à l’écriture journalistique et que l’emploi du présent comme temps de verbe de la narration est extrêmement agaçant, voire absurde dans certaines situations (peut-être cependant est-ce le choix du traducteur). Mais c’est un premier roman, n’est-ce pas?

Outre les crimes du psychopathe qui se multiplient, le lecteur a droit au passé trouble de Red Metcalfe, l’inspecteur de Scotland Yard qui dirige l’enquête. Ce dernier a un frère en prison, un frère qui a été condamné pour meurtre à la suite de sa dénonciation par Red. On comprendra que les relations de l’inspecteur avec sa famille ne sont pas au beau fixe. Qui plus est, un soir, Red a percuté quelqu’un avec sa voiture et ne s’est pas arrêté. Depuis, le remords le ronge: pourquoi a-t-il dénoncé son frère et ne se dénonce-t-il pas lui-même?

Je ne résume pas plus l’intrigue, ce serait vous enlever le plaisir de la découverte des punchs qui parsèment les pages de ce thriller. Néanmoins, apprenez que, alors que les meurtres rituels s’enchaînent, tous différents, tous horribles, Metcalfe découvre le plan d’ensemble de « Langue d’Argent » et peut ainsi prévoir ses prochains meurtres. Mais il y a une marge entre prévoir et prévenir, ce qui ne fera qu’exaspérer les enquêteurs et entretenir la psychose qui s’empare de la ville.

Boris Starling débute sa carrière d’écrivain en lion; souhaitons qu’il sache éviter les pièges du célèbre proverbe et que son deuxième roman soit encore meilleur. (JP)

Vendredi Saint
Boris Starling
L’Archipel, 477 pages.

La réalité dépasse-t-elle la politique-fiction…?

 [Couverture] Ces dernières années ont vu paraître un certain nombre de polars québécois dont l’intrigue se déployait autour des enjeux de la politique québécoise ou canadienne et du sempiternel débat constitutionnel. Outre les pavés de notre collègue Jean-Jacques Pelletier (La Chair disparue, L’Argent du monde ,Alire, 1998 et 2001), dont les préoccupations excèdent largement les frontières du Québec et du Canada et l’inextricable question nationale, on songe notamment à Trois Jours en juin (Libre Expression, 1998), cet excellent thriller signé Steven Gambier, un auteur plus mystérieux encore que Réjean Ducharme. Ce roman de politique-fiction racontait les trois jours qui précèdent la déclaration de souveraineté du Québec en imaginant le scénario du pire, c’est-à-dire les manigances de troupes fédéralistes sous la direction de fanatiques évoquant Stéphane Dion et Jean Chrétien à la puissance N, l’intervention des forces armées canadiennes et la venue à Québec d’une flotte de frégates de la Marine royale canadienne en partance de Halifax., chargées d’assiéger la Capitale et de faire échec aux souverainistes. On se rappellera aussi d’un essai infiniment moins fructueux intitulé L’Attentat de Jacques Pelletier (Québec Amérique, 1998), baptême de feu littéraire d’un ancien bonze du milieu publicitaire qui relatait également la tentative de putsch orchestrée par des mercenaires fédéralistes pour évincer du pouvoir un gouvernement résolu à déclarer unilatéralement l’indépendance du Québec. On peut aussi citer Louna (Beaumont, 1999), un thriller diablement efficace exploitant également les conséquences de l’hypothétique accession du Québec à l’indépendance qui valut à son auteur Lionel Noël la plus prestigieuse récompense canadienne en littérature policière, le Prix Arthur-Ellis, en 2000. Enfin, plus récemment, François Lanctôt publiait Les Nuits tomberont une à une (Lanctôt, 2001), un suspense mettant en scène un ancien felquiste en cavale, injustement soupçonné du meurtre d’une poignée de délateurs qui avaient contribué à l’arrestation de bon nombre de prétendus terroristes à l’heure de la Crise d’octobre.

À la lecture de ces titres et des innombrables autres qui portent également sur la question, il appert que le sujet est inépuisable et que les points de vue pour l’aborder ne manquent pas. Aussi, ne s’étonnera-ton pas si Luc Bertrand, qui a durant des années œuvré dans les coulisses de la scène politique québécoise, ait choisi d’y camper son premier roman, Traquenard. Après la démission inopinée du Premier ministre québécois Marc Rivard, qui venait tout juste d’entreprendre une croisade contre les bandes de motards criminalisés, son ami et successeur Raymond Genest connaît une cuisante défaite électorale. Au lendemain de celle-ci, s’enclenche une course à la chefferie de ce parti fédéraliste provincial en mal d’un véritable programme, course où tous les coups seront permis d’office… Manière de pamphlet politique doublé d’un roman à clef où il n’est pas difficile de reconnaître certains acteurs réels de la scène québéco-canadienne à peine déguisés pour les besoins de la fiction, Traquenard est un livre ambitieux et non dénué d’intérêt. Avec une virulence qu’on imagine dictée par la rancœur, Bertrand brosse le tableau du milieu de la politique politicienne (appelons- la ainsi, par souci de politesse) qui mérite l’adhésion inconditionnelle du lecteur. À en croire l’auteur, qui table sur nos préjugés les plus cyniques ou lucides, il s’agit d’un univers peuplé d’êtres mesquins et aisément corruptibles, ne dédaignant pas certaines alliances avec le monde interlope. Sur ce plan, le romancier frappe fort et marque des points.

On doit cependant déplorer un certain laisser-aller de la part de l’éditeur, qui aurait dû faire montre de davantage de rigueur tant sur le plan de la révision linguistique du manuscrit que sur celui de la direction littéraire proprement dite. Non seulement il subsiste dans ce livre quelques regrettables impropriétés de termes qui feront sourire ou sourciller (par exemple, l’auteur écrit « guerre intestinale » au lieu de « guerre intestine »), mais le scénario, prodigue en longueurs, aurait gagné à être resserré, les dialogues auraient pu être épurés et la psychologie des personnages aurait nécessité un peu d’approfondissement pour leur conférer une vérité plus grande que celle de la caricature. Rien de bien grave, j’en conviens. Mais la somme de ces défauts mineurs finit presque par l’emporter sur les qualités indéniables de ce premier roman. Luc Bertrand s’en sort néanmoins avec un score honorable, il est vrai, et c’est pourquoi on n’hésitera pas à guetter ses prochaines parutions, s’il lui venait l’envie de récidiver. On l’y encourage, même. (SP)

Traquenard
Luc Bertrand
L’interligne, 468 pages.

Revue Alibis – Mise à jour: Juin 2002

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