Encore dans la mire
Christine Fortier, Michel-Olivier Gasse, André Jacques, Simon Roy, Norbert Spehner
Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 1 127Ko) d’Alibis 29 Hiver 2009
Où l’on suit le fil d’Ariane…
En 2008, la filière québécoise a accueilli dans ses rangs un certain nombre de nouveaux auteurs parmi lesquels on peut mentionner Antoine Yaccarini, Gilles Royal, Pierre Caron, André Pratte (pas le André Pratte de La Presse), Richard St. Marie et Robert W. Brisebois. Alors que l’année s’achève, Danielle Forget vient grossir ce peloton sélect et publie Intrusion, un premier polar, chez Marcel Broquet (la nouvelle édition) dans une collection réservée aux inédits ou aux écrivains désireux de changer de genre. Férue de linguistique, Danielle Forget, que j’ai eu le plaisir de côtoyer au cégep Édouard-Montpetit dans une autre vie, enseigne au Département de français de l’Université d’Ottawa depuis 1986 et partage son lieu de résidence entre Ottawa et Montréal.
Intrusion met en scène Ariane Vidal, une journaliste ambitieuse qui fait un reportage sur le meurtre sordide d’Alexandre Wilson, PDG d’une grande entreprise pharmaceutique. Parallèlement à cette affaire, elle s’intéresse à la criminalité en milieu universitaire, à une série d’attentats perpétrés sur le campus de l’université de Montréal où travaille son frère Benjamin. Ce dernier est à la tête d’une importante équipe de recherche à la faculté de Biologie. Se pourrait-il que ce frère bien-aimé soit impliqué dans des activités criminelles ou, pire, dans une sorte de complot visant à importer de la drogue ? Formule du polar oblige, Ariane découvre un lien entre ses deux affaires et son reportage la mène en Colombie où, non sans mal et force péripéties, elle découvrira la vérité sur ces événements dramatiques qui cachent une réalité sordide.
Pour un premier polar, Intrusion tient la route : l’intrigue est bien menée, rythmée, sans temps mort ni descriptions inutiles et l’auteur retient notre intérêt jusqu’au bout. Mes réserves concernent quelques détails. Comme lecteur de polar, je ne suis pas surpris quand deux parties de l’intrigue se rejoignent, quand le héros découvre un lien entre deux affaires distinctes au départ. Ça fait partie de ces « coïncidences heureuses » dont les auteurs de polars usent et abusent à qui mieux mieux, avec plus ou moins d’habileté. Il faut cependant que ça reste dans les limites du raisonnable et de la vraisemblance. C’est pourquoi Hétu, le photographe, me pose problème. Il tombe bien, celui-là ! Mais on a déjà vu pire… Par ailleurs, certains personnages, notamment Ariane, ont des contours un peu flous. Je serais bien en peine de mettre le doigt sur ce qui me dérange exactement, mais cette Ariane manque d’un je-ne-sais-quoi de personnalité. Elle est un peu trop passe-partout, ce qui fait qu’une fois le roman terminé, sa silhouette s’efface et on l’oublie aisément, contrairement à ces personnages forts qui nous habitent encore dans les heures, voire les jours qui suivent la lecture. Par ailleurs, cette Ariane a beaucoup de chance ! Les tueurs engagés par les cartels de la drogue sont des chiens enragés qui ne respectent rien. D’habitude, ils ne font qu’une bouchée des jeunes reporters assez audacieux pour empiéter sur leur territoire. Mais les héroïnes ne meurent pas, surtout si elles doivent devenir des personnages de série. Reverrons-nous une Ariane revampée dans une autre aventure ? On l’espère.
À suivre… (NS)
Intrusion
Danielle Forget
Saint-Sauveur, Marcel Broquet (Inédit), 2008, 276 pages.
Letendre n’est pas un dur…
Originaire de Québec, ancien journaliste, notaire et avocat, Pierre Saint-Arnaud Caron est un écrivain avec une longue feuille de route, soit une quinzaine de livres parmi lesquels on retrouve des romans (la trilogie historique La Naissance d’une nation), un essai sur Georges Simenon, dont il fut l’ami, et d’autres ouvrages dont Promenades à Québec, publié en 2008. Il vient de prendre la direction littéraire des éditions Fidès et cherche des romans québécois. Pierre Caron est aussi un lecteur de polars qui n’apprécie pas particulièrement les récits morbides et sanglants que l’on retrouve fréquemment sur les rayons des librairies. C’est pourquoi Letendre et l’homme de rien, qui inaugure une série de polars avec le même personnage, est un récit qui tient davantage du « polar pépère » (à l’image de son héros), du genre cozy que du thriller à l’américaine. En fait, ce roman est un roman d’enquête du type « biblio-mystery », genre dont les lecteurs anglo-saxons raffolent, mais hélas est peu pratiqué par les auteurs francophones (à une exception près, je crois, il est à toutes fins pratiques inexistant dans le polar québécois).
Paul Letendre est un collectionneur de livres anciens, un père tranquille, d’humeur affable, que rien ne prédispose à mener une enquête criminelle. Homme de lettres, il vit avec deux chats appelés l’Être et le Néant. Mais voilà que le destin lui réserve une surprise ! Pendant la période des Fêtes, il va croiser la route d’un dénommé Loucka, un immigrant tchèque avec qui il va négocier la vente de l’édition originale des Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos. Malheureusement, Loucka est assassiné le lendemain dans des circonstances troublantes et du coup Letendre perd son butin ainsi que l’acompte qu’il avait versé. Voilà qui bouscule quelque peu ses habitudes de citoyen ordinaire. Il décide de se lancer sur les traces de « l’homme de rien », avec l’espoir de récupérer le livre tant convoité.
Le talent de l’auteur consiste à nous embarquer dans cette enquête improbable, Letendre n’étant ni flic, ni détective privé. Partant de presque rien, sans réelle méthode, se fiant à sa seule intuition et à quelques rares indices, il part en chasse pour peu à peu découvrir la vérité sur le drame qui s’est joué dans un quartier pauvre du sud-ouest de la ville. Mais avant de mettre à jour un énorme scandale de corruption, il aura fait un voyage à Prague, sur les traces de son client sur lequel il apprendra des choses étonnantes. Quelques personnages secondaires interviennent à divers moments de l’affaire : Monique Legault, la belle maîtresse de Letendre, une avocate pleine de ressources, avec de nombreux contacts, Adrien, une jeune Camerounais avec lequel il s’est lié d’amitié, Marion, un chauffeur de taxi débrouillard qui joue les adjuvants, et Christine, sa fille, qui tient une librairie.
Les livres sont très présents dans ce récit. Letendre nous en parle souvent, les cite, les mentionne, mais sans pour autant alourdir sa trame narrative, ce qui ravira sans doute tous les bibliophiles amateurs. On aura compris que j’ai bien aimé lire cette première affaire de Letendre. Mes seuls bémols sont les suivants. Il est fort improbable, sinon hors de question, que la police demande à Letendre de venir sur les lieux du meurtre, ne serait-ce que pour éviter ce qu’on appelle la contamination de la scène du crime. Si, par la suite, les policiers trouvent des preuves matérielles (empreintes, cheveux, etc.) de sa présence, il serait facile pour un avocat de prétendre que ces indices sont là parce que la police a emmené Letendre sur place. La procédure normale aurait été que les enquêteurs se rendent d’office chez Letendre, sans le prévenir, pour des raisons évidentes. Par ailleurs, l’auteur pourrait élaguer davantage, couper encore dans le gras, histoire d’accélérer un peu le rythme de son histoire. Il y a des détails, des remarques, de petits passages inutiles. Les supprimer donnerait plus de nerf aux aventures de cet amateur de beaux livres. (NS)
Letendre et l’homme de rien
Pierre Caron
Montréal, Fidès, 2008, 343 pages.
Le passé ne meurt jamais
En octobre 2007, lors de la parution d’Entre deux os, Kathy Reichs affirmait que Terreur à Tracadie était son récit le plus personnel. On le constate dès les premières pages du dixième roman de l’anthropologue judiciaire. Le ton nostalgique et les regrets de Temperance Brennan, l’alter ego de Kathy Reichs, sont presque palpables lorsqu’elle fait le récit de son enfance à Chicago et de ses étés magiques à Pawleys Island, près de Charlotte.
C’est pour cette raison qu’on est rapidement aspiré par l’intrigue, qui évolue autour de la disparition de quatre jeunes filles et la mort de trois autres, sans compter l’atterrissage sur le bureau de Tempe d’un squelette acheté dans un « pawn shop » par des jeunes qui voulaient le transformer en œuvre d’art, puis confisqué par la SQ. Désireux de l’identifier, le sergent-enquêteur Hippolyte « Hippo » Gallant, du Service des enquêtes sur les crimes contre la personne, section des affaires non résolues de la SQ, demande à Tempe d’y jeter un coup d’œil. Elle accepte, sans savoir que les restes du squelette vont alimenter son espoir jamais disparu de découvrir ce qui est arrivé à son amie Évangéline Landry, disparue de sa vie trente ans plus tôt. Pour savoir ce qui est arrivé à Évangéline, Tempe voyage jusqu’à Tracadie, au Nouveau-Brunswich, en plus d’élucider avec Ryan une affaire de pornographie infantile.
On ne peut pas dire que l’écrivaine se renouvelle dans Terreur à Tracadie. La façon de faire est toujours la même, les descriptions sont toujours aussi claires, précises et passionnantes. Kathy Reichs fait même un pied de nez à tous ceux et celles qui se questionnent sur le réalisme des enquêtes menées dans les séries télévisées telles que CSI et Bones (inspirés de ses romans) : « […] Impossible d’être plus précis, étant donné l’état du corps. Date et heure du décès demeureraient inconnues. Bienvenue dans la réalité, mordus des séries télé ! »
C’est par contre avec soulagement qu’on découvre que l’écrivaine n’utilise pas son habituel subterfuge qui consiste à mettre la vie de Tempe en danger. Non, cette fois-ci, c’est plutôt sa sœur Harry qui provoque son inquiétude, mais on n’y croit pas vraiment. Puis il y a du nouveau entre elle et Ryan, mais pas question de dévoiler ici le punch. Pour le découvrir, vous savez quoi faire. (CF)
Terreur à Tracadie
Kathy Reichs
Paris, Robert Laffont (Best-Sellers), 2008, 382 pages.
Un Da Vinci « Clone » pas trop bête
En 2004, la publication du Da Vinci Code de Dan Brown créait une déferlante de romans à trames mystico-ésotériques. Depuis, à chaque nouvelle saison littéraire, les éditeurs nous inondent de leur lot de récits basés sur la découverte d’un secret antique ou gothique qui semblait irrémédiablement perdu jusqu’à ce que de beaux et jeunes héros ne le mette à jour. Le pitoyable Sépulcre de Kate Mosse est un parfait exemple de ces pseudo-thrillers que Norbert Spehner, avec raison, a baptisé les « Da Vinci Clones ».
Par son affreuse jaquette mauve et son titre peu subtil, Le Secret du dixième tombeau de Michael Byrnes s’inscrit clairement dans cette lignée. Toutefois, ce premier roman de Byrnes se distingue du lot sous plusieurs aspects. D’abord, l’intrigue du Secret est bien menée. L’aventure s’ouvre sur l’attaque d’un commando dans les souterrains de la Mosquée du Temple à Jérusalem. Lorsque le commando s’enfuit (dans une scène digne des meilleurs James Bond), les autorités israéliennes et palestiniennes réalisent qu’un mur a été percé au moyen de puissants explosifs. Et, derrière ce trou béant, on découvre un caveau funéraire qui contient neuf sarcophages. Un dixième a, de toute évidence, été emporté par les intrus. Bilan de l’attaque : un lieu sacré des Musulmans profané et quatorze soldats israéliens abattus. Palestiniens et Israéliens s’accusent mutuellement de cet acte impie et terroriste. Dès lors, la tension monte. On doit donc trouver les véritables auteurs du crime avant que la marmite ne saute. Parallèlement à cette enquête, à Rome, deux scientifiques (une belle généticienne américaine et un archéologue italien réputé) sont secrètement engagés par le Vatican pour examiner et analyser le dixième sarcophage et son contenu.
L’intrigue est efficace. Montée en parallèle, elle nous entraîne tour à tour de Jérusalem à Rome dans un suspense enlevant. Autre différence qui distingue ce roman de la majorité des « clones », les références historiques et scientifiques sur lesquelles repose l’intrigue semblent sérieuses et fouillées. On ne tombe ici ni dans la bouillabaisse des pseudo-mythes mal digérés ou tirés de la légendaire revue Planète, ni dans les anachronismes dus à l’ignorance de plusieurs auteurs.
Dans l’ensemble aussi, les personnages nous sont présentés de manière crédible. Sauf peut-être pour Conte, le vilain chef du commando, qui a tout d’un personnage de bande dessinée. De plus, l’auteur ne tombe pas dans la dichotomie facile où tous les méchants sont musulmans et tous les bons chrétiens ou juifs. Ici, la merde semble assez bien répartie entre toutes les religions ; même si Michael Byrnes, en bon Américain, laisse un peu pencher la balance.
Mais le roman comporte aussi son lot de faiblesses. D’abord, le lecteur ou la lectrice devineront assez vite la teneur du Secret. Le titre anglais original du livre, The Sacred Bones, rendait le mystère encore moins opaque. Toutefois, cette découverte ne nuit pas vraiment à l’intrigue et ne détruit pas l’effet de suspense. Et puis il y a la fin, trop claire, trop arrangée, trop miraculeuse, qui s’étire et qui sent le happy end hollywoodien à plein nez. Plus simpliste que ça, on aurait eu droit à : « Ils furent heureux, vécurent longtemps et eurent de nombreux enfants ».
Bref, pour ceux et pour celles qui s’intéressent encore aux succédanés de Da Vinci Code, Le Secret du dixième tombeau de Michael Byrnes vaut le détour. (AJ)
Le Secret du dixième tombeau
Michael Byrnes
Paris, Belfond (Belfond noir), 2008, 437 pages.
Le Passager noir de Dexter
Dexter est ce tueur en série qui s’est spécialisé ironiquement dans l’exécution des tueurs en série. Certains pourront voir dans cette quête la symbolique d’un désir refoulé d’autodestruction, d’anéantissement de soi, mais il reste qu’avant d’avoir fait le ménage dans cette jungle noire pour enfin retourner éventuellement l’arme contre lui, Dexter a suffisamment de pain sur la planche pour permettre à l’auteur, Jeff Lindsay, d’aller beaucoup plus loin qu’une simple trilogie. Combien de romans nourriront la série du Passager noir avant que celle-ci ne s’essouffle ? Pour le moment, les trois premiers tomes se lisent comme on reçoit une bouffée d’air frais. Mais rappelons d’abord pour les non initiés de quoi il en retourne…
Dexter est avant tout amusant. Humour noir grinçant et ton débonnaire. En éliminant la vermine de Miami où les intrigues sont campées, Dexter considère qu’il rend service à la société en purgeant celle-ci de ses pires salauds. Dexter, c’est la justice immanente. Grâce au ton détaché qu’il utilise, non seulement donne-t-il l’impression fort juste de lui-même s’amuser, mais encore arrive-t-il à dédramatiser le meurtre, à banaliser l’horreur. Dexter, c’est l’ogre de Miami, c’est le vampire moderne d’une Floride corrompue. L’humour de Lindsay se manifeste peut-être le plus brillamment quand s’opère un décalage savoureux entre l’horreur innommable que Dexter s’apprête à commettre froidement et le caractère désarmant de banalité des réflexions communes qui traversent son esprit tordu au même moment.
Or, Dexter est un personnage complexe, conscient de son propre dédoublement de personnalité : guidé par son alter ego le Passager, cette voix pressante assise sur la banquette arrière, il devient l’instrument de la torture, l’exécuteur d’une conscience cruelle et sadique qui cherche à répandre le sang jusqu’à ce qu’il se déverse, à flots et à gros bouillons, dans les caniveaux et les rigoles d’une ville abandonnée des dieux. Plus étrange encore : Dexter se définit par sa dualité même. Il réfère à lui-même toujours à la troisième personne, n’ayant probablement pas conscience d’un je dominant qui l’habiterait. Sans son double, il n’est plus lui-même, il se sent incomplet. Coquille vide inutile.
Astucieux, Dexter profite d’une couverture suprême : il travaille lui-même pour la police de Miami comme expert médico-légal spécialiste du sang. Les trucs du métier n’ont donc aucun secret pour cet impénitent gourmand du sang qui compte au début du roman pas moins de 41 victimes à son actif. Dans Les Démons de Dexter, on retrouve encore une fois son père (adoptif) Harry, aussi maniaque que lui : ce policier hors norme qui a en quelque sorte formé en son fils un prédateur des prédateurs, un tueur en série infaillible car insaisissable du fait qu’il l’a initié dès l’adolescence aux rouages et à la mécanique subtils du métier. Dans ce troisième tome, Dexter s’apprête à répéter sciemment le pattern avec Cody et Astor, ces petits monstres chéris enfants de celle qu’il épousera, Rita (ce mariage offrant une autre belle couverture, conférant à sa vie sociale les apparences de normalité nécessaires à tout bon camouflage). Personnages pleins de potentiel, Cody et Astor promettent d’être à la hauteur des fantasmes meurtriers les plus fous de leur nouveau père adoptif.
Dans Les Démons de Dexter, notre anti-héros dépourvu de sentiments humains doit, en plus d’accomplir sa basse quête, retracer les coupables responsables de meurtres rituels inconcevables : deux corps calcinés ont été retrouvés décapités, compliquant le travail d’identification des victimes. On aura donc passablement du mal à faire démarrer l’enquête en raison du fait qu’on ignore pendant longtemps jusqu’à l’identité même des corps, détail fondamental si on espère remonter jusqu’à l’assassin. Comme des poupées gigognes, le récit du prédateur de prédateurs propose une strate supplémentaire dans l’édifice du crime lorsque des gardiens d’une tradition millénaire le traqueront, voulant faire de lui leur bouc émissaire.
Lindsay a beau faire preuve d’une belle imagination pour concocter des scénarios valables, il reste qu’on lit avant tout la série des Dexter pour Dexter, précisément. Le personnage est plus gros que l’intrigue à l’intérieur de laquelle il existe. Avec délectation plonge-t-on dans ses réflexions désaxées qui épousent une logique toute perverse. Cas d’étude psychologique en soi, Dexter semble en être conscient, lui qui passe le plus clair de son temps à s’auto-analyser, lui qui se plonge régulièrement dans des introspections somme toute lucides. Cette fois, les aventures de Dexter l’amènent à tenter de comprendre les raisons pour lesquelles son Passager noir l’a déserté. Cette perte subite et inexpliquée de sa dualité le perturbe profondément, son attitude évoque même celle de l’homme qui voit son désir sexuel s’atrophier. La crise existentielle de Dexter est à la fois complexe et ancrée au plus profond de son être. Rien n’arrive à réanimer son Passager noir, étrangement devenu silencieux. Cette absence de manifestation est-elle liée à son union imminente avec Rita, mariage aussi bidon soit-il ? Aurait-il pour une raison ou pour une autre déçu son double ? S’assagirait-il ? La source de violence qui coule en lui depuis toujours se serait-elle tarie ? Que le lecteur inquiet soit rassuré, on ne change pas la nature profonde des individus aussi facilement… (SR)
Les Démons de Dexter
Jeff Lindsay
Paris, Michel Lafon, 2008, 324 pages.
Sinistres oiseaux de nuit
Bird, de Marc Villard, est le genre de roman noir français que je fuis généralement comme la peste : ambiance de grisaille et de mort, univers nocturne glauque, violent, désespéré, peuplé de paumés, de junkies, de putains, d’obsédés, d’assassins, de cinglés, de bourgeois corrompus, de sadiques et de clodos, le tout savamment saupoudré de références à l’univers du jazz. Et pourtant ce bref roman d’une centaine de pages vous agrippe dès les premières pages, ou devrais-je dire dès les premières notes, pour vous entraîner dans l’enfer nocturne du Paris by night des damnés de la terre.
Cécile est secouriste au SAMU (Service d’Aide Médicale Urgente). Elle travaille de nuit auprès des sans-abri. Elle n’avait que quatorze ans lorsque son père, un musicien de jazz sur le déclin, a disparu de la circulation. Quand elle apprend qu’il erre depuis dix ans dans les rues de Paris où il est connu sous le nom de Bird (allusion au musicien et compositeur de saxo alto Charlie Parker, dont le personnage est un adepte), elle est bien décidée à le retrouver au cours de ses excursions nocturnes. Un soir, un groupe de jeunes bourgeois friqués et désœuvrés bat à mort une sans-abri, amie de Bird. Celui-ci intervient trop tard, mais réussit néanmoins à mettre la main sur le cellulaire d’un des assaillants qui est aussi le fils d’un politicien en pleine campagne électorale. L’incident aura des conséquences graves. Le père du gamin fait jouer ses relations et un flic corrompu et brutal se lance sur la piste de Bird afin de récupérer le téléphone incriminant et de supprimer les témoins gênants. Ce drame aura d’autres rebondissements, notamment les retrouvailles de Cécile et de son père, qui devront affronter ensemble un adversaire coriace et vicieux.
Mais Villard n’écrit pas de thrillers à l’américaine avec happy end garanti en tout temps. Les événements sont d’un réalisme brutal, les personnages broyés par une fatalité qui s’acharne à piétiner leurs rêves, aussi modestes soient-ils. No future… L’univers des polars de Marc Villard est déprimant comme une journée de novembre, brutal comme un voyou aviné dans un bal populaire, avec des personnages bien typés marqués au fer rouge par une fatalité aveugle. Même ceux qui sont sympathiques n’ont que peu ou aucune chance de s’en sortir. Dans une entrevue, Villard a dit ceci : « Je suis plus sensible à l’échec qu’à la réussite. J’ignore en commençant un texte s’il finira bien ou mal. Ils finissent mal. Que dire de plus. » Les autres personnages sont des brutes, des canailles sans conscience ou des irresponsables comme ces jeunes bourgeois qui trompent leur ennui en commettant les pires conneries, certains allant jusqu’à battre à mort ou torturer des sans-abri. Dans une scène particulièrement éprouvante, des lycéens proposent à deux malheureux clochards de mettre le feu à leurs cheveux en y versant de l’essence, puis d’éteindre sans se servir de leurs mains. Les deux hommes n’ont d’autre choix que de se cogner la tête contre les murs et de se mutiler gravement (l’un d’eux meurt), le tout pour cinquante euros, pendant que « ça rigolait chez les riches ».
À ne pas lire un soir de déprime, et en faisant pleurer, en musique de fond, le saxo de Charlie « Bird » Parker. (NS)
Bird
Marc Villard
Paris, Joëlle Losfeld (Littérature française), 2008, 100 pages.
Sabres au clair ! Voici Hunter…
Stephen Hunter est un maître du thriller d’action dont les récits se répartissent en deux séries : celle qui met en scène Earl Swagger, un vétéran de la guerre du Pacifique, héros, entre autres de Sept contre Thèbes (un sommet inégalé du roman d’action), et celle avec son fils Bob Lee Swagger, un vétéran de la guerre du Vietnam, ancien marine et tireur d’élite (héros de Point of Impact, adapté au cinéma sous le titre Shooter, avec Mark Wahlberg). Pour la première fois, Hunter fait apparaître les deux personnages dans Le 47e Samouraï, un autre de ces westerns-déguisés-en-thriller 100 % testostérones et action hyper-violente. L’intrigue démarre de manière explosive avec le major Earl Swagger qui prend d’assaut un bunker japonais et son nid de mitrailleuses sur l’île d’Iwo Jima, en 1945. Les scènes de combat sont saisissantes, Hunter ne nous épargnant aucun détail de la sauvagerie des combats dans ce qui fut l’une des batailles les plus sanglantes de la campagne du Pacifique. Puis l’action se transpose en Idaho des années plus tard, alors que le fils, Bob Lee, jouit d’une retraite paisible.
Il reçoit la visite de Philip Yano, un Japonais porteur d’une étrange requête. Il voudrait retrouver le sabre de son père, le capitaine Yano, arme perdue aux mains d’Earl Swagger pendant la bataille, au cours de laquelle le capitaine japonais a été tué. Touché par cette demande, Bob Lee accepte de l’aider. Il retrouve le sabre, le rend à Philip Yato, sans se douter que ce geste va avoir des conséquences fatales. Dans les heures qui suivent, la résidence des Yato est incendiée et toute la famille massacrée. Le sabre a disparu ! Bob Lee Swagger en fait une affaire personnelle. Il est bien décidé à retrouver cette arme, objet de toutes les convoitises, et par la même occasion venger celui qui était devenu un ami. Mais pour affronter ses ennemis, Swagger devra adopter les mêmes armes que ses redoutables adversaires, descendants des samouraïs : la voie du sabre.
Si vous croyez vraiment qu’un Américain de soixante ans, aussi fort et habile soit-il, peut s’initier aux raffinements du combat au sabre à la japonaise en l’espace de quelques jours, au point de pouvoir déjouer les meilleurs adeptes de la discipline, vous lirez ces épisodes rocambolesques sans sourciller. Mais Hunter, qui n’a jamais fait dans la dentelle, exige de son lecteur un véritable acte de foi. Si vous jouez le jeu, vous apprécierez pleinement cette grosse bande dessinée ultra-violente (les combats avec des sabres très affûtés produisent des litres d’hémoglobine) où l’auteur ne nous laisse aucun répit. Hommage aux films de samouraïs (que Swagger connaît par cœur, il les a vus et revus), ce livre au rythme trépidant contient de nombreuses scènes de combat et de duel mémorables. En prime, l’auteur nous propose une plongée dans les bas-fonds de Tokyo, son monde du crime gouverné par des codes anciens où politiciens corrompus et yakuzas, pétris de l’esprit des samouraïs, se partagent argent, sexe et pouvoir. Ça crie, ça tranche, ça hurle, ça gicle comme dans un film made in Hong-Kong ! C’est plutôt invraisemblable mais totalement jouissif !
Une synthèse parfaitement réussie du récit de samouraï et du thriller à l’américaine, où, entre deux découpes sauvages, on trouve même quelques traces d’humour… noir. (NS)
Le 47e samouraï
Stephen Hunter
Paris, Du Rocher (Thriller), 2008, 392 pages.
L’Italie des initiés
C’est avec un heureux souvenir de Romanzo Criminale, le premier roman de De Cataldo, que j’ai entamé La Saison des massacres. Une envie particulière d’y retrouver ce qui avait fait mon bonheur dans le roman précédent – puisque ce dernier s’inscrit comme la suite du premier – m’y a fait plonger sans réfléchir. Après la saga de la mafia romaine des années 70 à 90, voici maintenant un roman qui a pour contexte les attentats à la voiture piégée qui ébranlèrent l’Italie à l’été 1993.
Je me suis rapidement trouvé bien naïf de penser que De Cataldo se relancerait dans le même genre d’écriture que son premier livre (qui fait 730 pages, une vie, pour certains). De Cataldo est passé à autre chose et traite de son sujet avec tout le sérieux que l’on peut espérer d’un écrivain qui est également magistrat à Rome. Alors que le premier roman se passait dans la rue, entre sniffées de cokes, fusils pointés pour rien, filles faciles et violence gratuite, La Saison des massacres se passe davantage dans les coulisses que sur le terrain. Et gare à quiconque n’aura pas une connaissance préalable de la structure politique italienne. Pris entre la gauche et la droite, la mafia, les communistes, les anti-communistes et les Francs-Maçons, il devient difficile pour le lecteur non-initié d’y retrouver son chemin.
Mais c’est avec un certain plaisir que l’on retrouve l’inspecteur Scialoja, qui avait fait la vie dure à la bande du Libanais dans Romanzo Criminale, qui a maintenant succédé au Vieux à la tête d’une société secrète jamais nommée et qui possède d’imposantes archives privées qui contiennent un grand lot d’informations compromettantes pour plusieurs. Stalin Rosetti, un ancien bras-droit du Vieux et combattant anti-communiste, en veut à Scialoja d’avoir pris une place qui, à son avis, lui revient. Entre les deux, la belle Patrizia, pute de luxe insaisissable, corrompue à souhait et déchirée entre le devoir et l’amour. On me demandera ensuite : « et puis, quel rapport avec les attentats ? », et je prendrai un temps en regardant au plafond avant de vous avouer que je n’y ai rien compris. Que mon salut, je l’ai trouvé dans les quelques personnages qui me faisaient de l’effet, mais que la structure fondamentale de l’histoire est trop complexe pour un néophyte. De Cataldo ne fait pas un cours d’introduction à l’Italie contemporaine. Il baigne dans les affaires légales à longueur d’année et, forcément, prend plusieurs choses pour acquises. Comme tous ces nouveaux noms qui arrivent sans présentation (et des personnages, il y en a déjà une pelletée). Ne serait-ce que Berlusconi. Je veux bien prendre une grande part de faute pour mon ignorance, mais pour moi, Berlusconi n’était qu’un nom parmi tant d’autres au journal télévisé. Et si je passais mon temps sur Wikipedia à chaque élément nouveau qui m’est inconnu, je serais encore en train de le lire, ce livre. C’est ce qui fait la différence entre les deux romans de De Cataldo. Même si Romanzo Criminale était vaste et truffé d’information, il restait néanmoins centré sur les personnages (qui, soit dit en passant, s’appelaient Le Sec, Le Dandy, Le Libanais, au lieu de ces festivals étourdissants de voyelles que sont les noms italiens) et se retrouvait du coup accessible à un public plus large. Pour La Saison des massacres, ce sont les faits et les suppositions qui dominent. Et on y retrouve drôlement plus de pots-de-vin que de coups de poing.
Mais l’auteur laisse tout de même pointer une note d’espoir via les personnages féminins et les jeunes (bons ou mauvais), tous habités par le désir de s’en sortir, de fuir les causes et les associations dont on ne peut se délier, de prendre le large pour vivre et être en amour et peut-être, à la longue, en venir à faire une nouvelle Italie.
Ça, je l’ai compris. (MOG)
La Saison des massacres
Giancarlo De Cataldo
Paris, Métailié (Métailié Noir), 2008, 298 pages.
Meurtres au pays des Ch’tis
Calais en 1965. Les temps changent, tout bascule et se bouscule. Pied-noir né en Algérie, le commissaire Achille Gallois est confronté de surcroît à un véritable choc culturel alors qu’il est débarqué en plein pays des Ch’tis. Déjà aigri par la vie, il a l’impression tenace d’avoir été téléporté dans un autre univers. Sa perception des habitants du nord de la France est à ce point négative qu’il les considère comme de pauvres attardés mentaux. Son ressentiment peut pratiquement être confondu avec de la haine. Du moins est-ce ce qu’il prend bien soin de laisser croire… En quelques jours, des assassinats d’une rare violence perturbent la vie habituellement paisible de cette région. Un éleveur de volailles, une charcutière, un pêcheur, un contremaître à la retraite… Que des gens ordinaires, généralement sans histoires. Sur chaque scène de crime, une précieuse figurine de plomb confectionnée par Mignot. Les indices pointent dans la direction d’un tueur tout ce qu’il y a de plus bourgeois.
Afin de résoudre des meurtres qui ont toutes les apparences de règlements de compte entre gens de classes sociales inconciliables, Gallois se sert, rusé, du rayon de diffusion de la presse écrite pour orienter non seulement l’enquête mais la progression même de l’affaire qu’elle traite. Il coule lui-même certaines informations dans le but d’endormir les méfiances des uns, de susciter les tensions chez d’autres. Flairant que derrière ces basses exécutions de paysans se cachent des motifs politiques, il brasse les éléments afin de provoquer des réactions, de déclencher une manœuvre maladroite, préméditée. Comparé à un joueur d’échecs qui a une vision perspicace du jeu à venir, il met en place son plan, calcule les probabilités et ne se trompe guère, pardi !
C’est que le vieux renard semble comprendre les motifs du coupable, ayant lui-même subi des injustices analogues. Il lui est ainsi plus facile de saisir le drame qui se joue de l’intérieur, par conséquent il est toujours en parfait contrôle de la situation et avance presque main dans la main avec les suspects, se jouant d’eux, tirant les ficelles de leurs gestes jusqu’à un certain point. Si d’ordinaire on cherche le plus rapidement possible à régler une affaire criminelle, à plus forte raison une série de meurtres odieux, cette fois Gallois en retarde quasiment le dénouement pour assouvir par procuration une vieille vengeance dont la source remonte à sa propre enfance. Roman de la rancœur. Roman de la rancune. Gallois laissera l’affaire se conclure d’elle-même, au risque de la voir déraper, allant jusqu’à fermer les yeux sur certains agissements qu’il comprend trop bien, allant jusqu’à laisser le véritable coupable s’en tirer à bon compte.
Bien sûr, on dira de ce roman populaire qu’il illustre d’une manière très réaliste la vie de ces petites gens, toutes dépeintes comme mesquines, viles et sournoises. Mais davantage qu’en raison de cette couleur locale, de cette vie de province remarquablement rendue, Comptine en plomb rappelle à d’autres égards, ceux-là plus graves, quelques œuvres du Zola polémiste qui auréolait ses œuvres d’un cadre sociopolitique clairement défini, avec ses jeux de pouvoirs, ses luttes de classes sociales, ses injustices et autres magouilles désolantes. Subtilement, on sème le germe de quelques allusions furtives au célèbre auteur ; puis, l’intuition d’une parenté littéraire ne fait que grandir au fur et à mesure que l’œuvre progresse. Quoique reconnu comme simple auteur de romans à suspense, Philippe Bouin n’a pas à rougir ici de la comparaison avec son prestigieux parrain. (SR)
Comptine en plomb
Philippe Bouin
Paris, L’Archipel, 2008, 324 pages.
Un Mystère ? Quel mystère ?
Livres-gadgets ? Livres-vampires ou parasites ? Il faudrait un jour leur trouver un nom, une dénomination-choc, à tous ces ouvrages qui capitalisent sur le succès d’un auteur, d’une série télévisée ou d’un film. Le Da Vinci Code a inspiré des centaines de tâcherons (surtout des fanatiques catholiques incapables de faire la différence entre un essai, une thèse et une fiction !), même chose pour la série des Harry Potter (là aussi dénoncée par des simples d’esprit fanatisés), etc. À distinguer des études, essais et autres monographies qui sont des tentatives louables d’analyser, d’expliquer les œuvres, des ouvrages qui complètent, informent, bref, qui ont une certaine utilité.
À cet égard, Le Mystère du quatrième manuscrit (Enquête au cœur de la série Millénium) me laisse un peu perplexe. Guillaume Lebeau, écrivain lui-même et fan de la série, a fait le voyage jusqu’en Suède pour nous proposer « une véritable enquête policière pour comprendre qui était Stieg Larsson et d’où viennent Lisbeth Salander et Mikael Blomqvist ». Le résultat est mitigé.
D’une part, l’auteur nous propose des entrevues avec des personnes qui ont connu et/ou collaboré avec Larsson, dont il nous dévoile un semblant de biographie. Il nous parle de la création de Lisbeth Salander (Larsson se serait inspiré, entre autres, de Fifi Brindacier) et nous emmène sur les lieux de l’action. Par ailleurs, il tente un peu artificiellement de créer un « mystère » avec un éventuel quatrième manuscrit sur lequel travaillait Larsson au moment de son décès. Or, il n’y a pas vraiment de mystère… Lebeau ne nous apprend rien de plus que ce que l’on peut trouver soi-même sur Internet, et cela sans même consulter les pages en suédois. Il existe bel et bien un début de quatrième roman, mais que cette ébauche ait 150, 250 ou seulement trois pages nous importe peu finalement. On sait qu’il y a une véritable guerre de succession entre Eva Gabrielsson, la compagne de Larsson et le père et le frère de ce dernier, qui s’opposent à toute publication d’un éventuel quatrième volume. Or donc… Restent quelques pages intéressantes sur les personnages, l’origine de Lisbeth, par exemple, mais on se serait passé des recettes de cuisine et de la nouvelle qui jurent dans le tableau, ne nous apportent rien de plus, et ne font qu’accentuer le côté un peu « fanique » et amateur de toute cette entreprise.
Si vous êtes un vrai mordu de la série, si vous faites partie de ces inconsolables qui se sont sentis comme des orphelins une fois le troisième volume achevé, vous prendrez peut-être plaisir à replonger dans l’univers de la série, à revenir sur les lieux du crime avec ses principaux acteurs. Mais au total ce Mystère du quatrième manuscrit est un peu décevant, ne livrant que des bribes d’information disparates, dont certaines relèvent du gadget, parfois sans intérêt véritable. Pour les nostalgiques, uniquement. Mais je suis prêt à parier que ce livre n’est que le premier d’une longue série à venir. L’exemple est donné et les hyènes doivent flairer le sang… (NS)
Le Mystère du quatrième manuscrit
Guillaume Lebeau
Paris, Toucan (Toucan noir), 362 pages.
Polar & Fantastique : un mélange détonant…
John Connolly est un auteur irlandais qui écrit des polars tout à fait atypiques, étranges et envoûtants, mettant en scène le détective privé Charlie Parker, et dont l’action se passe aux États-Unis. Dans La Proie des ombres, les services de Parker sont sollicités par Rebecca Clay, fille d’un psychiatre de renom, qui est harcelée par un tueur à gages récemment libéré de prison. Le dénommé Merrick (un personnage étonnant) veut venger la mort de sa fille disparue dans des circonstances tragiques, probablement victime d’un pédophile. Il est persuadé que Daniel Clay, le père de Rebecca, a joué un rôle dans cette affaire sordide. Or, Daniel Clay a disparu cinq ans plus tôt après avoir été mis en cause dans une affaire d’abus sexuels sur mineurs.
Rebecca affirme ignorer ce que son père est devenu, mais Merrick ne la croit pas et quand ses menaces tournent à l’obsession malsaine, elle fait appel à Parker. La première partie du roman raconte l’affrontement entre Merrick et Parker qui, chacun de leur côté, finissent par découvrir les tenants et les aboutissants d’une sale affaire d’exploitation sexuelle, pleine de souffrance, de sang et d’indicibles secrets.
Le surnaturel intervient quand Parker découvre que Merrick n’est que la marionnette d’un individu sinistre et mystérieux appelé le Collectionneur, un fantôme du passé troublé de Parker, qui a son propre agenda. Parker est pris entre deux feux. D’un côté, il y a ceux qui veulent découvrir la vérité sur les activités louches et la disparition du psychiatre, et ceux pour qui tous les moyens sont bons, y compris le meurtre, pour empêcher qu’on ne mette à jour les saloperies auxquelles ont été mêlés et le psychiatre et une bande de pervers friqués, adeptes de rites innommables impliquant des enfants. À ce cocktail explosif, il faut ajouter d’étranges spectres, les « hommes creux », des justiciers venus de l’enfer dont les apparitions parfois intempestives m’ont laissé quelque peu perplexe. Qui sont-ils vraiment ? Mystère…
La Proie des ombres est un thriller gothique qui nous accroche dès les premières pages, avec tous les éléments appropriés pour nous envoûter : une intrigue palpitante, nerveuse et riche en rebondissements, avec un dénouement génial, des personnages extraordinaires (au vrai sens du terme), dont un Merrick inoubliablement inquiétant (seule faiblesse : l’amour de sa fille), un mystérieux Devineur, le sinistre Collectionneur et bien sûr Parker, le tout baignant dans une ambiance délétère et macabre. Magistral et fortement recommandé. (NS)
La Proie des ombres
John Connolly
Paris, Presses de la Cité (Sang d’encre), 2008, 443 pages.
Invisible, mais pas manchot…
Il existe deux types de gardes du corps. D’une part, il y a les gros malabars qu’on voit à la télévision et qui protègent les personnalités : stars du cinéma ou de la musique, politiciens et autres sommités. Ce sont des balèzes qui se la jouent James Bond, avec lunettes fumées, oreillettes et micros, cellulaires, brandissant parfois virilement fusils d’assaut ou pistolets-mitrailleurs, selon les circonstances. D’autre part, il y a ceux qu’on ne voit pas, les « invisibles », ceux qui agissent dans l’ombre et qui sont bien plus redoutables que les gorilles d’opérette que montre la télévision. Lemmer, le nouveau héros de Deon Meyer, fait partie de cette dernière catégorie.
Engagé par la Body Armour, société de protection des puissants dirigée par une lesbienne à la main de fer, Lemmer a pour mission d’intimider les malfaiteurs. Lemmer a fait quatre ans de prison pour meurtre (il a pété les plombs et tué un des trois malfrats qui avaient eu le malheur de le provoquer). Il tente de refaire sa vie lorsqu’on lui confie une nouvelle mission : protéger la belle et frêle Emma Le Roux qui lui raconte une étrange histoire. Elle affirme avoir vu son frère à la télé. Il est recherché pour le meurtre d’un sorcier et de braconniers dans la province de Mpumalanga. Le hic, et il est de taille, étant que ce frère est censé être mort depuis longtemps. Après avoir communiqué avec la police, elle accepte l’idée qu’il s’agirait peut-être d’une erreur, qu’elle se soit trompée sur l’identité de l’homme qu’elle pense être son frangin. Mais, deux jours plus tard, trois hommes essaient de la tuer. Lemmer accepte de la protéger et c’est le point de départ d’une aventure périlleuse où il est beaucoup question de la situation politique en Afrique du Sud, et des problèmes environnementaux criants qui frappent le pays : trafic d’ivoire, braconnage d’espèces rares ou en voie de disparition, spéculations immobilières sans contrôle, etc. La plupart de ces problèmes affectent le Parc National Kruger, objet de bien des convoitises dans un pays déchiré par les tensions sociales, raciales et politiques, où la corruption est parfois érigée en système.
Une fois de plus, Déon Meyer réussit à nous passionner avec Lemmer, l’invisible, une histoire brillamment racontée, sans temps morts, peuplée de personnages fascinants. Le récit est fait par Lemmer, un type peu bavard, baroudeur dans l’âme, capable des pires violences, mais qui perd un peu ses repères en présence de la belle Emma, allant jusqu’à mettre sa vie en danger pour la tirer des griffes de ses redoutables ennemis. La tension érotique entre ses deux personnages est finement décrite, sans tomber dans la facilité ou dans la guimauve.
Comme tous autres les romans de Meyer, un auteur qui ne m’a jamais déçu, un de mes favoris tous genres confondus, Lemmer, l’invisible tient ses promesses. Une lecture passionnante ! (NS)
Lemmer, l’invisible
Deon Meyer
Paris, Seuil (Policiers), 2008, 434 pages.
Revue Alibis – Mise à jour: Janvier 2009