Encore dans la mire 22

Encore dans la mire

Christine Fournier, André Jacques, Jean Pettigrew, Norbert Spehner et François-Bernard Tremblay

Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 1 680Ko) d’Alibis 22, Printemps 2007

Les pièges sanglants de la téléréalité

[couverture] Après Le Vide, l’époustouflant et hyperviolent polar de Patrick Senécal dans lequel il dynamite joyeusement le phénomène inquiétant de la téléréalité (lire ma critique dans le volet papier) voici que l’écrivain français Patrick Bauwen s’attaque au même sujet dans L’Œil de Caine, un thriller diabolique dont l’action se passe aux États-Unis et qui n’a rien à envier aux auteurs anglo-saxons, pourtant maîtres du genre.

« L’œil de Caine » est le nom d’une nouvelle émission de téléréalité concoctée par la belle Hazel Caine, la star des médias. Le concept est original : on va permettre à dix personnes soigneusement sélectionnées de révéler un secret pesant devant des millions de spectateurs voyeurs. Les dix candidats, des personnes ordinaires, se voient chacune offrir vingt mille dollars pour révéler au grand jour ce secret qui les ronge…

Ça promet d’être juteux ! Mais tout cela dérape. Les candidats doivent être emmenés en autobus à Las Vegas, or voici que l’autobus est détourné par un homme armé qui emmène tout ce beau monde ailleurs. Une mise en scène diaboliquement ingénieuse fait croire aux autorités que tout le monde a été carbonisé dans un accident de la route simulé par le mystérieux ravisseur. Voici donc nos candidats qui se retrouvent dans les ruines d’une ville fantôme, quelque part dans le désert du Nevada, sans aucune chance de secours et à la merci d’un fou furieux qui a décidé de produire sa propre version gore de l’émission.

Parmi les candidats pressentis, il y a Thomas Lincoln, un médecin radié, ancien spécialiste de l’humanitaire, un alcoolique notoire qui a un lourd et terrible secret. Il sera le fil conducteur de cette histoire où interviennent son ex-blonde, une chirurgienne réputée, une star du porno avec le feu au derrière, un ancien flic, un crack en informatique, un retraité homosexuel, une femme battue et autres gens à graves problèmes.

En gros, le scénario rappelle celui des Dix petits nègres (Agatha Christie), avec un maniaque qui tire les ficelles du destin de ses marionnettes au passé peu glorieux. L’action ne manque pas dans ce suspense de première classe, qui carbure à l’adrénaline, avec en prime une finale à vous mettre sur les rotules et qu’on ne voit pas venir !

Patrick Bauwen dirige un service d’urgence dans un hôpital de la région parisienne. Il a écrit des scénarios de jeux de rôles pour le journal Casus Belli. L’Œil de Caine est son premier roman qui s’ajoute à la liste de plus en plus longue de ces écrivains français qui sont en train de nous prouver qu’ils sont capables de battre les Américains sur leur propre terrain. Bauwen a voyagé et séjourné aux États-Unis. Transposer son action sur le continent américain n’est donc pas une simple coquetterie. Et dites-vous bien qu’après Le Vide et L’Œil de Caine, vous ne pourrez plus regarder votre fichue « tivi » de la même façon. Ce qui pourrait s’avérer excellent pour votre santé mentale… (NS)

L’Œil de Caine
Patrick Bauwen

Paris, Albin Michel, 2007, 488 pages.

Crimes sur le divan

[couverture] La collection « Grands détectives » vient d’ajouter à son catalogue deux polars historiques de l’auteur britannique Frank Tallis. L’action de ces romans sous-titrés « Les Carnets de Max Liebremann » est située à Vienne, au tout début du XXe siècle, une ville qui bouillonne de vie artistique (Schoenberg, Mahler, Klimt), où les cafés sont le lieu de débats fiévreux, alors que Freud titille sa libido torturée en explorant celle des autres sur le divan.

Tallis introduit ses personnages principaux dans La Justice de l’inconscient, le premier récit de la série. Il y a là Max Lieberman, un jeune psychiatre juif, pianiste à ses heures, et son ami l’inspecteur Oskar Rheinhardt, chanteur lyrique amateur. Leur première enquête concerne le meurtre d’une jeune et jolie médium retrouvée morte chez elle dans une pièce fermée de l’intérieur. Une note griffonnée de ses mains laisse penser à un suicide, mais d’autres indices viennent contredire cette thèse et la police penche plutôt pour le meurtre. Seulement voilà, l’arme du crime, un pistolet, a disparu, et aucune trace de la balle n’a été retrouvée pendant l’autopsie. Joli casse-tête pour nos enquêteurs…

[couverture] Dans Du Sang sur Vienne, les deux hommes sont confrontés à un serial killer, un spécialiste des mutilations obscènes avec un penchant pour les symboles ésotériques. Comme dans la plupart des romans historiques, le rythme est lent, la narration dense, riche en références artistiques, scientifiques et autres. Ce qui est fascinant dans ce deuxième roman, c’est la description de la naissance du nazisme, toute l’effervescence politique qui agite l’Autriche d’alors, déjà tentée par les bruits de bottes, l’esprit revanchard, l’ésotérisme et les symboles de puissance. On devine la montée des forces obscures qui conduiront d’abord à la Première, puis à la Seconde Guerre mondiale. Au cours de l’enquête, où les techniques policières nouvelles rivalisent avec les analyses psychologiques savantes, les héros vont découvrir un nouveau symbole appelé le swastika !

Ces romans sont foisonnants, les personnages nombreux. Max et Oskar évoluent dans le monde ténébreux des érudits littéraires allemands, des théoriciens et des scientifiques adeptes des nouvelles théories évolutionnistes venues d’Angleterre. Il faut être amateur de ce type de polar historique pour s’aventurer dans ces intrigues, riches en descriptions et discussions, véritables labyrinthes où la culture dame le pion au suspense, quasi inexistant. Mais là n’était pas l’intention de l’auteur. Et puis, il y a ce vieux Sigmund, toujours frétillant et prêt à collaborer avec les forces de l’ordre pour percer à jour les sombres motivations des assassins.

Mentionnons que l’auteur, Frank Tallis, est un docteur en psychologie renommé, spécialiste des troubles obsessionnels. (NS)

La Justice de l’inconscient
Du sang sur Vienne
Frank Tallis

Paris, 10/18 (Grands Détectives), 2007, 444 et 448 pages.

Interne net

[couverture] Brigitte Aubert est une figure importante du polar français. Elle détient, entre autres, un Grand Prix de littérature policière pour le roman La Mort des bois. Avec plus d’une vingtaine de romans à son actif depuis 1992, elle trouve encore le moyen d’explorer. En fait, je veux signifier par cette remarque que sa nouvelle publication, Une âme de trop, est à des lieues, et heureusement pour nous, du décevant roman qu’elle avait publié en 2005, Le Chant des sables.

Elvira, infirmière dans la quarantaine, est en congé de maladie. La madame est agoraphobe. Coquette malgré des rondeurs qu’elle avoue et accepte, elle passe ses journées à surfer sur Internet et à se dorloter dans un bon bain avec crèmes, masques et autres coquetteries féminines. Elle critique tout et a des opinions bien arrêtées sur son entourage  : voisins, amis, collègues de travail, affaires quotidiennes, sans oublier ses nombreuses relations amicales et sentimentales sur le Net. Mais son souffre-douleur, l’être qu’elle prend un malin plaisir à mépriser, c’est son propriétaire et voisin d’en haut, Steven-le-coincé, qu’elle rebaptise, selon les situations qui apparaissent, Steven-Me-Mêle-de-Tout, Steven-le-Bon-Citoyen, Steven-le-Sournois, Pépère-Steven, Steven-le-Sourdingue, Saint-Steven, Steven-le-Parfait et j’en passe.

Mais tout se bouscule dans l’univers d’Elvira lorsque des femmes qui ne sont pas sans rapport avec elle sont assassinées. Menant sa propre enquête, assise face à l’écran de son ordinateur, elle se rend vite compte que les meurtres tournent autour de ses collègues de l’hôpital. Elle décide de collaborer avec la police, ce qui ne fait pas nécessairement l’affaire de ces derniers, surtout que les renseignements qu’elle fournit s’avèrent inutiles et qu’Elvira est une vraie tache qu’on essaie le plus souvent d’éviter. Alors quand elle est soudainement impliquée et traquée, son entourage n’ose plus trop la croire.

Ce roman de Brigitte Aubert est une belle réussite. L’auteur, qui a donné dans plusieurs sous-genres du polar, livre là une œuvre des plus accomplies. L’écriture au je s’avère un choix judicieux dans ce cas-ci puisque le personnage d’Elvira est un formidable personnage caricatural que l’on prend tantôt plaisir tantôt à aimer, tantôt à détester. L’intrigue est en constante progression et palpitante jusqu’à la fin du roman.

Une âme de trop est une œuvre qui atteint bien sa mission première de divertir son lecteur et qui propose en plus une fin originale. Si ce n’est déjà fait, voici une belle façon de connaître et d’ajouter Brigitte Aubert à votre liste d’auteurs favoris. (FBT)

Une âme de trop
Brigitte Aubert

Paris, Seuil (Policiers), 2006, 255 pages.

Des rats dans la bibliothèque

[couverture] Enrique Serna est né au Mexique en 1959. Il a fait ses études à l’université de Mexico puis s’est lancé dans l’écriture. En 1999, il a obtenu le prestigieux prix Mazatlan de littérature pour un roman historique sur la vie du général Santa Anna. Avec La Peur des bêtes, son premier roman traduit en français, Serna s’attaque au polar.

Le roman met en scène Evaristo Reyes, un ancien journaliste devenu, par lâcheté, par paresse et pour assurer sa subsistance, un policier raté et alcoolique. Il est sous les ordres du commissaire Maytorena, incarnation presque caricaturale d’une police mexicaine violente, corrompue et complice aussi bien du pouvoir politique que du crime organisé.

Un jour, Maytorena ordonne à Evaristo Reyes de trouver l’adresse du journaliste et écrivain Roberto Lima qui vient de publier une chronique hargneuse contre le valeureux président Solar. Mais au lieu de tabasser Lima ou simplement de rapporter à Maytorena son adresse, Reyes s’y rend et entreprend avec l’écrivain une longue discussion pour le mettre en garde contre les dangers qui le guettent.

Le lendemain, on retrouve le corps de Lima dans son appartement. Ironiquement, l’écrivain teigneux a été assassiné à coups de dictionnaire. Plusieurs témoignages désignent Reyes comme suspect. Le procureur de la république, par peur d’un nouveau scandale impliquant la police, demande à Maytorena d’élucider l’affaire. Ce dernier repousse la tâche sur Evaristo Reyes en lui faisant bien comprendre que sa tête est en jeu.

Evaristo Reyes, d’abord pour se disculper, mais surtout pour reconquérir sa propre dignité, entreprend alors une longue enquête qui l’entraîne dans les mystérieux arcanes des milieux littéraires. Cette enquête prend vite la forme d’une descente aux enfers et d’une rédemption personnelle.

Curieux roman que celui de Serna ! Au début, il a toutes les caractéristiques et les apparences du polar traditionnel : un meurtre, un policier plutôt minable, une enquête… Mais lorsque cette enquête s’amorce, on réalise que l’auteur a fait du roman une sorte de conte philosophique à la Candide : on y retrouve le héros naïf, sorte de looser né, sur qui s’accumulent toutes les tuiles du monde et qui, chaque fois qu’il avance d’un pas, recule de deux, tant dans l’enquête elle-même que dans ses amours et sa vie personnelle.

Mais, lors de sa publication en 1995, c’est surtout par sa féroce critique des milieux culturel et littéraire mexicains que le roman de Serna a été remarqué. Présenté comme un roman à clés, il a, dit-on, engendré bien des grincements de dents. En effet, du simple copinage à la fausse amitié, de l’hypocrisie la plus flagrante aux manœuvres basses et souterraines en vue d’obtenir bourses, postes prestigieux ou honneurs, de la plus élémentaire prostitution à la corruption la plus éhontée, tous les moyens sont bons aux écrivains et intellectuels du roman pour arriver à leurs fins et pour assurer leur prestige. Des écrivains valets du pouvoir aux symboles de la gauche révolutionnaire, personne n’y échappe.

Ainsi, malgré une fin un peu arrangée, malgré une intrigue policière qui s’effiloche par moments, le roman La Peur des bêtes mérite d’être lu. Ce qu’il perd en efficacité narrative, il le regagne au plan de la critique d’un milieu culturel rongé par l’hypocrisie et la bassesse. Et ce qu’Enrique Serna nous révèle des dessous de ce milieu ne s’applique pas qu’au Mexique. (AJ)

La Peur des bêtes
Enrique Serna

Paris, Phébus (Rayon noir), 2006, 258 pages.

Un flic chez les psys…

[couverture] Je ne veux pas avoir l’air de quelqu’un qui se plaint le ventre plein, mais il y a la réalité des choses : il est impossible, même pour l’amateur le plus boulimique, le lecteur le plus rapide in the world, de lire tous les bons titres qui paraissent ces derniers temps. Une grosse pointure n’attend pas l’autre : Giles Blunt, Frederick Forsythe, Val McDermid, Cormac McCarthyr, etc., sans compter tous ces nouveaux auteurs que l’on voudrait découvrir. Voilà une des raisons pour lesquelles, faute de temps, je néglige parfois l’excellente série de Jonathan Kellerman mettant en scène le psychologue Alex Delaware et son pote (mais pas amant), le flic homosexuel Milo Sturgis.

Voilà un auteur qui sait élaborer des histoires complexes, écrites dans un style fluide, naturel, avec des personnages crédibles et attachants. C’est le cas, une fois de plus, avec La Psy qui commence par un double meurtre. Alex et Milo sont en train de casser la croûte quand ils sont interrompus par un appel à propos d’un double homicide : dans une Mustang décapotable on a retrouvé les cadavres d’un couple de jeunes gens. La braguette du jeune homme nommé Gavin Quick est ouverte, la jeune fille a ôté sa petite culotte et ils ont tous les deux reçu une balle dans la tête. De plus, l’assassin s’est acharné sur la jeune fille dont personne ne connaît l’identité.

Tout cela a les apparences d’un crime à caractère sexuel. Dès les premiers moments de l’enquête, Alex et Milo (les deux collaborent, Alex étant une sorte de conseiller) s’intéressent à Mary Lou Koppel, la thérapeute de Gavin, très en vogue dans les médias. Secret professionnel oblige, elle refuse de dire quoi que ce soit sur son ancien client, mais quand elle est assassinée à son tour, les choses deviennent beaucoup plus complexes. Je n’entrerai pas dans le détail de l’affaire menée tambour battant par les deux comparses, sinon pour dire que tout se fait selon les règles de l’art, sans coups de théâtre abusifs ou interventions providentielles, à travers les interrogatoires d’une longue série de suspects.

Pour Alex, les choses vont plutôt bien. Il a une nouvelle petite amie, prénommée Allison, à qui il peut faire des confidences sur l’oreiller quand la pression se fait trop forte, alors que la vie privée de Sturgis est évoquée de façon plus discrète. Le courant passe entre ces deux personnages, ce qui donne des dialogues parfois savoureux. La Psy est un récit très agréable à lire, comme le sont d’ailleurs les autres romans de cette série qui mérite d’être suivie de près. (NS)

La Psy
Jonathan Kellerman

Paris, Seuil (Policiers), 2007, 496 pages.

Livraison express

[couverture] Sur la quatrième de couverture de Meurtre au porteur, il est écrit que Tami Hoag est la plus sérieuse rivale de Patricia Cornwell. Correction : Tami Hoag a dépassé Patricia Cornwell depuis un long moment. N’en déplaise à la créatrice de la médecin-légiste Kay Scarpetta, Hoag maîtrise beaucoup mieux le volet psychologique de ses romans et ne laisse pas non plus sa place quand il est question de décrire des scènes d’action.

Par exemple, Meurtre au porteur s’ouvre sur une scène qui n’a rien de banale. Jack Damon, un jeune coursier surnommé Lone Ranger, parcourt les rues de Los Angeles sur son vélo pour livrer un dernier paquet avant la fermeture des bureaux. À l’aide de petites phrases coup de poing, l’auteure décrit la progression de Jack parmi les véhicules, ses manœuvres périlleuses pour dépasser telle ou telle voiture sans répandre son cerveau sur l’asphalte. Du même coup, elle cerne la personnalité de Jack, nous invite dans son univers composé d’une multitude de changements d’adresses et de son combat quotidien pour garantir un avenir heureux à son petit frère Tyler, sans jamais vraiment tomber dans le pathos. Voilà qu’on est accro. On veut savoir ce qui va arriver à Jack.

Eh bien, le pauvre coursier doit passer par l’enfer avant de retrouver une vie normale. Eta, la « dispacheur » de chez Speed Coursiers, lui demande d’effectuer une dernière livraison pour Lenny Lowell, l’avocat des voyous les plus connus du LAPD à Los Angeles. Mais au moment de livrer l’enveloppe que lui a remise Lenny, Jack réalise que quelque chose de louche se prépare. Au lieu de donner l’enveloppe au destinataire, il continue son chemin et se retrouve pris dans un engrenage mortel qui s’amorce avec le meurtre de Lenny Lowell.

C’est alors qu’entrent en scène le lieutenant chef Kev Parker et sa recrue, Renee Ruiz. Parker est l’antihéros par excellence. Expérimenté, fort en gueule, parfois drôle. L’ancienne star de la section Vols et Homicides du LAPD traîne derrière lui un passé trouble, et il se distingue avec ses costumes signés par de grands couturiers. À ses yeux, toutes les tactiques sont permises pour faire régner la justice, mais sous le vernis du policier dur à cuire se cache un être sensible, revenu de loin.

Hoag a le don de créer des héros au caractère fort sympathique auxquels on s’attache rapidement. Dans le cas de Meurtre au porteur, Jack et Kev sont les héros qui permettent à l’action d’avancer. Kev est à la recherche de Jack, persuadé qu’il est la clé du mystère entourant le meurtre de Lenny Lowell, mais Jack est résolu à ne pas se montrer. Il est convaincu que la police le croit coupable et il craint pour la sécurité de Tyler. Commence alors le jeu du chat et de la souris entre le policier, le coursier et les autres personnages qui gravitent autour d’eux : la fille de Lenny Lowell, Eta, Tyler, Mme Chen, la journaliste Andi Kelly et la petite amie de Kev, Diane Nicholson.

Fait intéressant, une fois le crime résolu, l’écrivaine présente le point de vue de la personne coupable. Elle fait aussi allusion à son prochain roman à paraître en anglais, Prior Bad Acts. Seul petit bémol, la conclusion hollywoodienne qui beurre un peu trop épais, comme si les caméramans et les comédiens se préparaient à sortir des buissons pour entreprendre le tournage du roman, qui ferait un très bon film. (CF)

Meurtre au porteur
Tami Hoag

Paris, L’Archipel, 2006, 352 pages.

Les secrets du maître

[couverture] Michael Connelly est le grand maître du polar contemporain. Son chef-d’œuvre, Le Poète, a été traduit dans plus de 35 langues à travers le monde. Il a gagné les plus grands prix du roman policier tant aux États-Unis qu’ailleurs sur la planète. Comme romancier, il n’a plus besoin de présentation. Mais savait-on que l’auteur avait fait ses débuts dans les affaires criminelles comme journaliste plutôt que dans la peau d’un auteur de fiction ?

Âgé de seize ans, le jeune Michael Connelly rentre chez lui au volant de sa Coccinelle. Tout à coup débouche près de lui un homme qui court à perdre haleine… rien à voir avec un marathonien. L’homme fuit et s’arrête soudainement pour cacher le paquet qu’il porte dans une haie le long du trottoir. L’homme poursuit sa course et s’éloigne pour ensuite entrer dans un bar. Connelly passe devant le bar mal famé puis fait demi-tour jusqu’à la haie, plonge la main pour en sortir une chemise enroulée autour d’un fusil.

Connelly appela son père et, ensemble, ils mirent l’affaire dans les mains de la police. Le jeune Connelly suivra cette première affaire d’une façon un peu amère puisqu’elle ne permettra pas de déboucher sur l’arrestation du type, mais elle aura au moins le mérite de l’intéresser au métier de journaliste, et plus particulièrement à celui de chroniqueur judiciaire, qu’il exercera d’abord au South Florida Sun-Sentinel,puis au Los Angeles Times. Ses personnages les plus connus sont d’ailleurs forgés à partir des flics, des criminels et des meurtriers, bref des affaires qu’il couvrira tout au long de son parcours journalistique. Voilà pourquoi Les Chroniques du crime se divisent en trois parties bien distinctes : les flics, les assassins, les affaires.

Bien sûr, il ne s’agit pas de fiction, mais l’on dit parfois que cette dernière n’est pas loin de la réalité… et ce livre en est la preuve. Ce genre d’ouvrage comblera les lecteurs assidus de Michael Connelly, mais aussi le lectorat qui cherche à s’intéresser aux techniques de création littéraire. Même s’il ne s’agit pas d’un livre de recettes expliquant comment écrire un polar, le lecteur est tout de même en présence de la matière première qui a mis au monde l’une des grandes plumes de notre époque, ce qui n’est pas rien. (FBT)

Chroniques du crime
Michael Connelly

Paris, Seuil (Policiers), 2006, 306 pages.

L’âge d’or du thriller ?

[couverture] Pendant plusieurs années, l’écrivain Patrick Anderson a été le critique de polars du Washington Post. Au début de cette année, il a publié The Triumph of the Thriller, un ouvrage passionnant (si on partage ses points de vue critiques…) qui est à la fois un guide de lecture et une histoire en raccourci du roman policier depuis les origines jusqu’à nos jours, avec une insistance particulière sur la période moderne qui, selon lui, commence vers la fin des années 70. Le sous-titre est intitulé : How Cops, Crooks, and Cannibals Captured Popular Fiction.

Une précision s’impose d’emblée : Anderson donne au mot « thriller » un sens très large qui englobe aussi bien le roman de détection que le techno-thriller, en passant par tous les sous-genres connus du polar contemporain. Dans les premiers chapitres, les initiés n’apprendront pas grand-chose de neuf (l’information de base sur Poe, Doyle, Christie, Hammett, Chandler & cie traîne dans tous les manuels de base), par contre il est assez réjouissant de voir qu’Anderson y va d’une évaluation personnelle, tout à fait subjective, qui dégonfle quelques mythes puis égratigne au passage des idoles consacrées comme Chandler, dont il souligne toutes les faiblesses au crayon gras.

Parmi les auteurs qui sont à l’origine de la mutation du polar classique, Anderson nomme Lawrence Sanders, Elmore Leonard, Tom Clancy (dont il rappelle aussi les nombreux défauts), Sue Grafton, Sara Paretsky, Thomas Harris (uniquement ses deux premiers volumes), Scott Turow et John Grisham. Pour l’espionnage, ses favoris sont Charles McCarry, Daniel Silva, Alan Furst et, bien sûr, Robert Littell.

Tous ces écrivains ont provoqué la mutation du genre, autant dans la forme, le style, la thématique, que parce que pour la première fois dans l’histoire de la littérature américaine, leurs œuvres atteignent le statut de best-sellers, réservé jusqu’alors aux romans historiques, aux sagas de Michener et compagnie. Parmi ses auteurs favoris, Anderson analyse les œuvres de Thomas Harris (il partage mon dédain absolu pour la suite des aventures d’Hannibal Lecter, qu’il qualifie de désastre artistique), George Pelecanos, Michael Connelly, et Denis Lehanne, le plus sensible et le plus littéraire de tous. Parmi les jeunes talents prometteurs, il mentionne Karin Slaughter (rien à redire !), Peter Craig et Charlie Huston, qu’il me reste à découvrir.

Un chapitre jubilatoire aurait pu être intitulé « Ici on flingue ! », chapitre dans lequel il règle son compte avec ces tâcherons de service que sont d’après lui James Patterson, David Baldacci et, surtout, Patricia Cornwell qu’il fustige sévèrement. À ma grande surprise, par contre, il est très indulgent avec Dan Brown, dont il souligne le flair commercial et les qualités narratives…

Pour composer son ouvrage qui se lit comme un roman, Anderson a recyclé plusieurs de ses chroniques qu’il a fondues en un volume de bonne vulgarisation qui propose un survol subjectif mais bien structuré du polar américain contemporain. En prime, à la fin, nous avons une sélection bibliographique très éclairante de ses polars favoris. Et Patricia « Jack l’Éventreur » Cornwell n’y est pas ! (NS)

The Triumph of the Thriller
Patrick Anderson

New York, Random House, 2007, 270 pages.

Mise en abyme abîmée

[couverture] Vincent Meyer a publié quelques titres à la Série Noire, et un roman pour la jeunesse, toujours chez Gallimard, en 2002. Avec Entresol, il propose un roman dans lequel la fiction vient chevaucher les frontières du réel, un polar fantastique…

Une disparition : la mère prend l’ascenseur, l’enfant les escaliers. À la sortie de l’immeuble, l’enfant a disparu. Personne ne l’a vu sortir. Est-il seulement sorti ? Les policiers ratissent l’immeuble, un vrai labyrinthe. Il est vieux, cet immeuble, et habité par de drôles de personnalités : un écrivain chinois, un sculpteur excentrique, une libraire qui a des aventures homosexuelles avec une fille de l’immeuble, une vieille infirmière, un boucher et j’en passe…

Cette drôle d’histoire se déroule dans un livre publié en 1934, livre que vient tout juste de recevoir (à notre époque) André Martel, un éditeur parisien. Un livre un peu jauni, mais totalement neuf. L’auteur ? Un dénommé Vincent Meyer. Martel ne connaît pas de Vincent Meyer. L’éditeur, qui n’a rien lu de bon de la journée, commence la lecture du livre et s’aperçoit qu’il a lu cette histoire il n’y a pas si longtemps – en fait, il a refusé dernièrement un manuscrit qui racontait la même chose. Comment peut-il avoir refusé le manuscrit d’un livre paru en 1934 ? Martel doit faire des recherches et les réponses à ses questions ne seront peut-être pas toutes aussi rationnelles qu’il l’aurait aimé.

Voilà un bien drôle de roman. L’idée, d’ailleurs, n’est pas la plus originale de toutes et semble même sortie tout droit d’un exercice universitaire, voire d’un atelier d’écriture. Avouez que l’histoire (réel vs fiction) du texte paru à une époque et que l’on retrouve à une autre est passablement réchauffée. Le début du roman est un peu lent, mais l’intrigue autour du contenu du roman de 1934 intitulé Entresol réussit à nous embarquer pour un bout du roman de Meyer (le vrai, celui qui respire !). Le malheur, c’est que l’auteur laisse tomber plusieurs pistes intéressantes et ne réussit pas à mener son intrigue vers un dénouement à la hauteur. La fin est à peu près n’importe quoi et ne colle pas à ce qui précède, bref elle est improbable. Les recherches de Martel sur Meyer (le fictif) sont abandonnées trop rapidement. Il y avait pourtant des mystères autour de Meyer – comme le fait qu’on lui dise que le cercueil de Meyer devait être vide lors de l’enterrement en raison du poids –, mais Martel ne semble pas vouloir les élucider. L’auteur nous amenait vers une enquête et soudainement il laisse tout tomber. Ce n’est d’ailleurs pas le seul exemple du genre. Un peu comme si Meyer n’était pas allé au bout de ses idées, abandonnant des pistes çà et là.

Néanmoins, il reste que ce roman possède de belles qualités littéraires sur le plan de l’écriture – dommage que son contenu soit une totale perte de temps. (FBT)

Entresol
Vincent Meyer

Paris, Maren Sell, 2006, 296 pages.

Une belle vase de Chine

[couverture] En France, le monde de l’édition est concentré à Paris. À quelques exceptions près, les maisons d’édition de province, il y a encore vingt ans, ne publiaient que des textes régionaux : brochures sur les attractions touristiques du coin, biographies de personnages locaux, etc. Le tout gravitait autour du folklore et de l’histoire régionale. Bien peu de place pour la littérature !

Aujourd’hui, les choses ont changé. Un peu partout, de petites maisons d’édition ont vu le jour et, comme les grandes maisons parisiennes, elles visent un lectorat national, voire international, et publient des œuvres de tous les genres, y compris des polars.

Un exemple : les éditions du Rouergue, dont les bureaux sont à Rodez, et qui publient les romans policiers du Britannique Peter May. (Ne pas confondre avec son quasi-homonyme Peter Mayle !)

Peter May est né en Écosse. Durant sa carrière, il a surtout œuvré comme réalisateur et scénariste pour la télévision. Puis il quitte cet univers pour se consacrer à l’écriture. Il s’installe alors dans le sud de la France où il vit désormais. Chaque année, il entreprend aussi des voyages en Chine, qui se transforment parfois en longs séjours. Jusqu’ici, Peter May a publié quatre polars qui ont la particularité de tous se dérouler dans cette Chine moderne qu’il connaît bien.

Le roman Les Disparues de Shanghai commence par une scène presque cocasse, voire burlesque. Par une journée pluvieuse, des dizaines de représentants officiels de la ville de Shanghai et du gouvernement chinois escortent les hauts dirigeants d’une banque américaine. On inaugure ce jour-là les travaux de construction du futur siège social de la banque. Au moment où le président de l’institution, un Américain évidemment, va prendre la parole, l’estrade sur laquelle il se tient s’effondre et il glisse dans un infect bourbier où surnagent des bras, des torses, des têtes, des jambes. Bref, du terrain détrempé et vaseux sur lequel s’édifiera la prestigieuse banque sino-américaine, on retire les corps démembrés et mutilés de dix-huit jeunes femmes. Belle métaphore !

Quelques mois plus tôt, un autre cadavre, présentant des similitudes avec ceux de Shanghai, a été retrouvé à Pékin. Pour seconder l’inspecteur Huang et la jeune et belle inspectrice Nian Mei Ling de la police de Shanghai, les autorités feront donc appel au chef de section adjoint Li Yan de Pékin. Celui-ci, à son tour, exigera le concours de la docteure Margaret Campbell, une pathologiste américaine avec qui il a déjà travaillé sur une autre affaire et avec qui il entretient une relation amoureuse.

Le récit de l’enquête est bien mené. Les personnages sont crédibles et bien campés. Les thèmes habituels que l’on retrouve dans la littérature policière chinoise sont présents : violence, corruption des élites, inégalités sociales, etc. L’histoire elle-même est enrichie par quelques intrigues secondaires, notamment par la rivalité entre les divers policiers impliqués. Un autre élément donne aussi de la profondeur psychologique aux personnages principaux : la belle Nian Mei Ling tente par tous les moyens de séduire l’inspecteur Li. Dès lors, les relations qu’elle entretient avec la pathologiste américaine tournent à la franche agressivité. Et ce triangle amoureux, dont il est le pivot, ne facilite guère le travail du chef adjoint Li Yan.

Bref, une bonne intrigue, des personnages bien campés, une connaissance approfondie de la Chine et des rouages de sa police font des Disparues de Shanghai un bon polar, malgré une fin un peu rapide. Par plusieurs aspects, ce roman de Peter May ressemble à ceux de l’auteur chinois Qiu Xiaolong : même cadre, même problématique, mêmes thèmes.

Note : Pour plus d’informations sur l’auteur ou l’éditeur, on peut consulter le site personnel de Peter May sur Internet : http://perso.orange.fr/peter.may/FR/index.html (AJ)

Les Disparues de Shanghai
Peter May

Rodez, Le Rouergue, 2006, 365 pages.

Meurtres à Aberdeen…

[couverture] « La journée était noire comme l’âme d’un avocat ». J’aime bien cette petite phrase acidulée tirée de Cold Granite, le premier polar de l’Écossais Stuart MacBride, mettant en scène l’inspecteur Logan McRee, que l’on présente déjà comme le nouveau John Rebus. Ce qui est faux, évidemment, mais n’enlève rien pour autant à la qualité supérieure de ce roman. Parce que pour un premier roman, c’est toute une réussite. Je suis un peu embêté pour entrer dans le détail de l’intrigue, car quoi que je dise (ou pas), cela risque de gâcher votre plaisir de lecteur, l’histoire étant très bien ficelée. Alors allons-y pour la quatrième de couverture, qui est un bon point de départ : de retour d’un congé forcé (il a survécu à plusieurs coups de couteaux), l’inspecteur Logan McRae, de la police d’Aberdeen (une ville où il pleut tout le temps), hérite de la pire affaire qui soit : on a retrouvé le corps d’un petit garçon disparu. L’enfant a subi des sévices sexuels et des mutilations. Puis un cadavre de fillette est découvert, un autre garçon disparaît, puis une autre fillette… Panique à Aberdeen : un tueur en série s’en prend aux enfants de la ville !

Banal, me direz-vous… Il y a trois cent cinquante mille polars qui commencent ainsi. Vous avez parfaitement raison, sauf que celui-ci est écrit par Stuart McBride, une étoile montante du polar écossais, dit du « tartan noir », et que rien n’est banal dans cette histoire qui s’obstine à ne pas évoluer selon les schémas convenus du genre. Cold Granite n’est pas une sempiternelle histoire de serial killer. Et laissons là les comparaisons boiteuses : Logan McRae n’est pas John Rebus. Il boit moins, il a le respect de la hiérarchie, il est moins tourmenté, bref, c’est un type plus straight, ce qui ne signifie pas nécessairement moins efficace ou moins intéressant. L’auteur insiste sur le travail d’équipe des policiers, et c’est là qu’interviennent des personnages secondaires bien campés comme l’inspecteur principal Insch, son supérieur, qui a ses méthodes bien à lui pour contrôler son équipe, Jackie Watson, une séduisante fliquette, fort efficace, pas insensible au charme de McRae, et la légiste, une sorte de vierge de glace, ex-petite amie de McRae.

Alors que l’affaire prend une tournure de plus en plus dramatique, un fouille-merde professionnel, un rat de tabloïd, vient jeter la zizanie dans l’équipe en se servant d’informations privilégiées recueillies auprès d’une taupe dans les services de police. Ses papiers incendiaires vont avoir des conséquences irréparables.

Cold Granite est un des très bons polars que j’ai lus au cours des derniers mois. L’intrigue est ingénieuse, passionnante par moments, et toute l’histoire baigne dans un climat étrange que résume bien ce slogan sur la couverture : « Aberdeen sous la pluie est une ville sinistre. Sous la plume de MacBride, elle devient mortelle ».

Sortez vos parapluies blindés, ce sont des pluies acides… (NS)

Cold Granite
Stuart MacBride

Paris, Michel Lafon, 2007, 416 pages.

Un thriller hexagoriginal !

[couverture] C’est assez rare pour qu’on le souligne. De fait, si plusieurs excellents thrillers nous proviennent de la France depuis quelques années, on a souvent l’impression qu’il s’agit des versions françaises d’œuvres états-uniennes, surtout lorsque l’action elle-même se situe au pays de l’Oncle Sam (ce qui, on en conviendra, a de quoi agacer quand l’auteur n’y a jamais mis les pieds). Rien de ça dans Le Syndrome Copernic, même si la prémisse de départ reprend l’idée d’une attaque terroriste façon WTC, alors que des explosions font s’écrouler la tour SEAM du quartier de la Défense, en banlieue de Paris.

Bien sûr, la panique s’installe et la course aux coupables s’engage à grand renfort de médias, mais Lœvenbruck n’emprunte pas ce chemin. Il présente plutôt l’événement par le biais de Vigo Ravel, un schizophrène amnésique qui, chaque semaine depuis dix ans, se rendait au dernier étage de la tour pour rencontrer son psychiatre. Or, Vigo, qui entend des voix dans sa tête, les a écoutées ce matin-là… et il est le seul à être sorti vivant de l’attaque !

Dès lors, l’univers de Vigo bascule : non seulement ces voix qu’il croyait imaginaires lui ont-elles sauvé la vie, mais voilà qu’il n’arrive plus à joindre ses parents, qu’il apprend qu’il n’y a jamais eu de bureau de psychiatre dans la tour SEAM. Pire, des hommes en noir sont à sa poursuite. Terrorisé, mais aussi rongé par le doute (tout ça est-il bien réel ? Après tout, il ne prend plus sa médication), Vigo Ravel tente désespérément de retrouver son équilibre dans une réalité qui n’a de cesse de lui glisser sous les pieds.

Il y a du Dick dans ce thriller, avec la réalité qui ne cesse de chanceler, mais aussi du Ludlum, avec cet homme traqué par tous mais qui résiste de façon opiniâtre. Néanmoins, ce qui fait l’originalité de ce thriller, c’est la profondeur psychologique de Vigo Ravel, sa volonté de démêler le vrai du faux, le réel de l’irréel, une tâche titanesque pour un schizo amnésique, vous en conviendrez, mais qui nous vaut des réflexions lumineuses sur la nature de la normalité et de réalité, de la vie et de la mort.

Et je ne vous parle pas des révélations qui parsèment le roman jusqu’à la finale, sinon pour dire qu’elles vous ébranleront tout autant que le pauvre Vigo ! Un petit bijou de thriller, qui gagne à être relu afin d’en apprécier pleinement l’essence. (JP)

Le Syndrome Copernic
Henri Lœvenbruck

Paris, Flammarion, 2007, 440 pages.

Une collection pour qui, pourquoi ?

[couverture] La nouvelle collection « Suite noire », dirigée par Jean-Bernard Pouy et publiée par les éditions La Branche, me laisse perplexe, et cela pour plusieurs raisons. Du point de vue visuel, la présentation rappelle celle des premiers volumes cartonnés de la Série noire (Gallimard). Rien à redire puisque l’intention est parodique… Les initiés auront donc compris que de « La Branche » à La Blanche (autre collection de Gallimard), il n’y a qu’une petite lettre de différence et un clin d’œil subtil pour connaisseurs. Toujours rien à redire… Il s’agit d’une collection de novellas, chaque volume ayant moins de 100 pages.

Là où les choses se gâtent, c’est d’abord dans le choix des titres : Les Fans sans balance, Le Futon de Malte, Ze big slip et autres titres débiles (sans lien réel avec les intrigues) font écho à ces autres titres délirants qu’avaient choisis les responsables de la Série noire, du moins à ses débuts. Appeler un roman de Chandler Fais pas ta rosière, fallait le faire… Donc, Pouy & cie ont voulu, « avec l’aimable autorisation des éditions Gallimard », rendre un hommage à la Série noire. De là cette surenchère dans les titres idiots qui ne font probablement sourire que quelques vieux de la vieille nostalgiques, alors que les nouvelles générations de lecteurs, qui n’ont pas connu les débuts de la S.N., n’y comprennent probablement pas grand-chose, tout en se demandant où veulent en venir ces rigolos.

Je ne suis pas sûr que, commercialement, ce soit très rentable. Mais ça, c’est leur problème. Ajoutez à cela qu’il n’y a pas de texte de quatrième couverture pour renseigner un tant soit peu le lecteur sur le contenu, on peut dès lors se demander si cette collection s’adresse à un vaste public ou à une poignée de nostalgiques hilares pratiquant « l’inside joke ». La seule façon d’avoir une idée de l’intrigue, c’est de plonger résolument dans la lecture. Résultat, j’ai été échaudé plusieurs fois, sauf avec Les Fans sans balance, de François Joly, un beau texte qui mérite d’être découvert (même si le titre est pitoyable, sans rapport avec l’histoire).

Mené avec doigté et brio, le récit est celui d’un interrogatoire qui commence comme une banale conversation de salon entre un flic et un suspect. On cause jazz, musique, instruments. Le courant passe… Et puis le ton change lentement, subtilement. Le drame pointe son nez à travers les échanges : un musicien émérite, rescapé des camps de la mort, a été assassiné. Il possédait un saxophone de grande valeur, de nature particulière, convoité par des groupes néo-nazis. Le suspect, qui était son ami, nous raconte toute l’affaire. Le flic prendra la relève pour traquer les vrais « méchants ». Pour amateurs de jazz, d’intrigue ingénieuse et d’Histoire. Mais quel titre lamentable ! Dommage… (NS)

Les Fans sans balance
François Joly

Paris, La Branche (Suite noire 9), 2006, 95 pages.

Revue Alibis – Mise à jour: Mars 2007

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