Encore dans la mire
André Jacques, Martine Latulippe, Richard D. Nolane, Norbert Spehner et François-Bernard Tremblay
Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 1 238Ko) d’Alibis 21, Hiver 2007
Les charmes noirs de l’irradiation
Les amateurs de polars se souviennent avec plaisir de Parc Gorki (1981), reconnu par le Time Magazine comme LE thriller des années 80. Certains se souviennent aussi de L’Étoile polaire (Polar Star) (1989), de Red Square (1992) ou de Havana Bay (1999). Quatre romans qui nous entraînaient dans le sillage d’un inspecteur de police de Moscou, misanthrope et lucide : Arkady Renko.
C’est ce même Renko que l’on retrouve aujourd’hui (25 ans après Parc Gorki) dans Chiens et Loups. Le roman se divise très nettement en deux parties. La première, plus courte, se déroule à Moscou. Pasha Ivanov, un « Nouveau Russe » (c’est ainsi que l’on surnomme les hommes d’affaires qui se sont outrageusement enrichis après la chute du régime communiste), ancien physicien nucléaire recyclé dans les affaires, plonge d’une fenêtre de son luxueux condo situé au dixième étage d’un immeuble ultramoderne. De toute évidence, un suicide. Rien ne laisse supposer qu’il puisse s’agir d’autre chose, sauf cette salière trouvée près du corps. Curieux quand même !
Alors, malgré l’insistance des services de sécurité de la compagnie NoviRus et des associés du défunt, malgré l’insistance de son propre supérieur qui lui enjoint de classer l’affaire, Renko cherche la bête noire et tente d’élucider les circonstances du décès. Il a en effet découvert dans la salière et dans l’appartement d’Ivanov des grains de sel de césium, une substance hautement radioactive.
Puis Timofeiev, le nouveau directeur de NoviRus, meurt à son tour, égorgé dans un cimetière de la zone interdite entourant la désormais célèbre centrale de Tchernobyl en Ukraine. Renko y est alors envoyé, ou relégué, pour poursuivre son enquête.
La plus grande partie du roman se déroule dans cette région lugubre qui, depuis la catastrophe de 1986, retourne peu à peu à la sauvagerie. Dans cette zone se côtoient des vieux paysans revenus vivre dans leurs maisons radioactives malgré l’interdiction des autorités, quelques scientifiques qui tentent d’analyser les ravages des radiations sur les gens, les bêtes et les plantes, et toute une faune de marginaux (braconniers, ferrailleurs, voleurs d’icones) que des miliciens corrompus tentent plus ou moins de contrôler. Un univers dantesque où les bêtes sauvages reprennent lentement le contrôle du monde et où les humains retournent à la barbarie. Personne ne possède de chien dans cette zone. Pour une raison fort simple : les loups les dévorent.
La première partie du roman est plus faible. On tourne un peu en rond et l’action piétine. La seconde, où Martin Cruz Smith déplace l’intrigue vers Tchernobyl, nous entraîne dans les rouages d’une enquête solitaire et marginale qui se déroule dans les paysages surréalistes d’un univers post-nucléaire. La description de cet univers, qui fait penser à certains décors de science-fiction ou de bande dessinée (on songe à Bilal), est l’une des grandes réussites du roman.
L’autre richesse du roman, c’est la profondeur des personnages. En particulier celle d’Arkady Renko, cet enquêteur de plus en plus usé par la vie et par les désillusions mais qui, têtu et tenace, ne recule jamais devant les devoirs de la mission imposée, fut-elle délirante et dangereuse. Derrière une façade désabusée, on sent toujours la profonde humanité du personnage, un homme qui se laisse facilement toucher par un enfant autistique, par un couple de vieux paysans revenus dans leur isba ou par Eva, une femme médecin aussi déjantée que lui-même.
La production romanesque de Martin Cruz Smith est assez inégale et éclectique. Au cours de ses quarante ans de carrière, l’auteur a vogué du polar au western ou au roman sociohistorique. Toutefois les cinq romans de la série « Arkady Renko » resteront sans doute ce qu’il a écrit de mieux. Chiens et Loups, comme les précédents, mérite le détour. Pour ceux et celles évidemment qui aiment le café très noir. (AJ)
Chiens et Loups
Martin Cruz Smith
Paris, Robert Laffont (Best-sellers), 2006, 348 p.
La perfection est une rivière…
J’adore le début. En toute modestie, j’aurais pu l’écrire : « Le moment de perfection était proche. Ma définition de la perfection inclut une rivière, de la solitude, une mouche sèche et une truite. » Et puis la chute, brutale : « Mon beeper sonna et vibra dans ma poche, et la perfection s’écroula ». Le narrateur s’appelle Dahlgren Wallace et il est le personnage principal de La Rivière de sang, premier récitd’une nouvelle série prometteuse de polars « chasse-et-pêche » écrits par Jim Tenuto. On l’aura deviné, cet écrivain est un pêcheur à la mouche passionné. C’est aussi un ancien Marine, dont le père était policier. Après avoir exercé divers métiers, il a commencé à publier des nouvelles dans des magazines sportifs avant de se lancer dans le roman policier. Son héros, Dahlgren Wallace, est guide de pêche sur la propriété de Fred Lather, un tyrannique magnat des médias, qui possède un immense ranch dans le Montana.
Le récit commence quand un des invités est assassiné au cours d’une sortie sur la rivière. Toujours pressés de trouver un coupable, les flics accusent Dahlgren d’être le meurtrier. Ce dernier prend la mouche, bien décidé à se disculper. Il aura fort à faire pour prouver son innocence. Les coupables potentiels sont nombreux : des militants néo-nazis décidés à s’approprier le ranch de Lather, des éco-terroristes dangereusement fêlés, prêts à tuer des humains pour sauver une truite, des ranchers véreux qui convoitent eux aussi le fameux ranch. Tout cela va entraîner une intervention musclée du FBI parce que l’affaire a des ramifications politiques inattendues.
La Rivière de sang est un bon roman d’action, d’aventures et d’enquête dont le héros, une ex-star de football universitaire, est aussi un vétéran de la guerre du Golfe où il a appris quelques techniques de combat et de survie fort utiles dans l’adversité. L’action se déroule dans les étendues sauvages du Montana, un décor somptueux que l’auteur intègre parfaitement dans cette histoire qui rappelle les meilleurs romans de C. J. Box, avec le garde-chasse Joe Pickett. Les fly-fishing mysteries sont très populaires aux États-Unis. À ma connaissance, ce livre est le premier de ce genre traduit en français. J’espère qu’il y en aura d’autres…
Incidemment, point n’est besoin d’être un amateur de pêche pour apprécier les aventures de Dahlgren Wallace et ce livre dont la maquette est très belle, avec des photos qui font rêver. Mais si vous l’êtes, vous aurez quelques frissons de plus ! (NS)
La Rivière de sang
Jim Tenuto
Paris, Gallmeister (Noire), 2006, 318 pages.
À vous Ti-Thilliez les entrailles !
Franck Thilliez connaît actuellement beaucoup de succès en France et il a remporté le Prix Quais du polar 2006 pour son roman La Chambre des morts (Le Passage 2005) (voir Alibis 17). L’auteur du nord de la France a également commis deux autres polars : Train d’enfer pour Ange rouge et Deuils de miel, tous deux parus chez La Vie du rail. Les droits cinématographiques ont déjà été achetés pour La Chambre des morts et La Forêt des ombres.
David Miller est embaumeur. Son premier roman, un polar plutôt macabre, a connu quelques adeptes, mais est passé quasi inaperçu, se noyant dans la grande marée littéraire française. À la maison, avec sa femme Cathy, ça ne va guère mieux. Cette dernière essaie d’avorter, en douce, d’une aventure extraconjugale avec le meilleur ami de David. Ajoutons que leur boîte aux lettres est inondée de courrier du cœur indésirable à chaque semaine – en effet, le couple est harcelé par une fan littéraire de David, une folle qui se fait appeler Miss Hyde. C’est le moment que choisit l’excentrique Arthur Doffre pour aborder David, à qui il offre beaucoup d’argent pour écrire un roman d’horreur qui devrait l’aider à quitter son métier d’embaumeur et à devenir célèbre grâce à l’influence de Doffre dans le milieu littéraire. Le couple et leur fille sont invités par le mécène dans un chalet isolé dans le nord de l’Allemagne, timing parfait pour David et Cathy, qui ont bien besoin de vacances. David devra donc écrire un roman sur le célèbre bourreau 125, un tueur en série retrouvé pendu vingt-cinq ans plus tôt. David, qui connaît bien le sujet, est de plus en plus encouragé lorsque Doffre lui apprend qu’il a été le psy du bourreau 125.
Mais à leur arrivée au chalet, dans la forêt Noire, l’atmosphère ne met pas de temps à se corrompre : Cathy, qui comptait prendre congé de la rivalité féminine, est confrontée à la belle Adeline, une prostituée qui sert de compagne à Doffre, puis il y a la présence de Franz, le voisin solitaire qui semble toujours en train de les épier, et c’est sans compter le chalet, qui est en fait une ferme entomologique où l’on pratique des expériences sur les différents stades de la décomposition de tissus de cochons qu’on a pendus au bout d’une corde… Bref, l’atmosphère est sinistre et, dès l’arrivée au chalet, la folie s’installe petit à petit, tout le monde dérape, l’ambiance devient insoutenable. Poussé par Doffre David commence la rédaction du roman et plus il avance, plus l’atmosphère devient infernale dans ce huis clos au fond des bois.
Après le succès de La Chambre des morts, tous se demandaient si Franck Thilliez allait pouvoir écrire un roman qui aurait la force du précédent. La Forêt des ombres prouve qu’il a relevé le défi avec brio. L’horreur est au rendez-vous et le décor est macabre à souhait, sans toutefois tomber dans un gore vulgaire. Dès l’arrivée dans la forêt Noire, le lecteur sent le tapis glisser sous les pieds des protagonistes, et ce aux moments où il s’y attend le moins.
Tout est finement orchestré par Thilliez pour vous faire passer une nuit blanche à lire ce thriller complètement déjanté. Le suspense est soutenu et l’on ne peut que donner une note parfaite à l’auteur. À lire absolument. (FBT)
La Forêt des ombres
Franck Thilliez
Paris, Le passage, 2006, 397 pages.
Angoisse et cruautés…
Les lecteurs de la collection « Angoisse » du Fleuve Noir, disparue voici un peu plus de trente ans, se souviennent de Dominique Rocher qui y signa neuf romans avant de faire une unique incursion dans la collection « Anticipation » du même éditeur. En 2005, elle a fait sa réapparition dans la littérature de l’étrange avec Les Terrasses de la nuit dans la déjà fameuse collection « Rivière Blanche » dirigée par Philippe Ward. Mais entre-temps, Dominique Rocher a continué à publier romans et nouvelles, essentiellement policiers et criminels, et chez des éditeurs non-spécialisés.
C’est une partie de ces courts récits, accompagnés d’autres inédits, qui sont rassemblés dans Incident de parcours, publié par La Fondation littéraire Fleur de Lys. Ce n’est d’ailleurs pas le premier recueil que Dominique Rocher publie au Québec, pays qu’elle semble apprécier. Comme dans ses romans pour « Angoisse », Dominique Rocher y cultive la cruauté et le suspense, le tout masqué derrière un étrange de façade et de nature non fantastique. On y retrouve aussi l’influence des études médicales qu’elle a suivies dans sa jeunesse dans le choix des thèmes et des scénarios où foisonnent médecins, infirmières, malades et établissements de soins emportés dans une série de drames divers et variés.
Au final, nous avons là quinze nouvelles souvent courtes et presque toutes « à chute ». Certaines se détachent du lot, mais toutes méritaient d’être publiées. Les nostalgiques d’« Angoisse » qui appréciaient les romans de l’auteure retrouveront celle-ci telle qu’ils l’ont quitté, avec son style rapide et nerveux mais un petit peu trop sec et elliptique par moments. Quant au livre lui-même, qui existe aussi en version électronique, c’est un grand format broché globalement bien présenté, à l’exception d’une mise en page du texte qui laisse par moments à désirer, ce qui « casse » alors le plaisir de la lecture. La Fondation littéraire Fleur de Lys dit vouloir promouvoir la littérature en dehors des circuits commerciaux, une initiative louable mais à la condition d’offrir à ses auteurs des services de meilleure qualité que c’est le cas ici… (RDN)
Incident de Parcours
Dominique Rocher
Montréal, Fondation littéraire Fleur de Lys, 2006, 156 pages.
Toute une tête… de Turque
On ne peut manquer d’être intrigué par le roman La Malédiction de Constantin : son auteure, Mine G. Kirikkanat, est une journaliste-écrivaine fort réputée en Turquie, auteure de huit livres (deux sont traduits en français), aimée du public, mais dont le franc-parler et les prises de position lui valent constamment des procès de la part de policiers, ministres, députés, généraux, islamistes… Elle avait jusqu’à trente procès sur le dos simultanément à un moment ! Bref, la dame n’a pas froid aux yeux, et son nouveau roman, La Malédiction de Constantin, en témoigne.
Le livre s’ouvre d’abord sur une scène de meurtre très efficace, d’une grande tension : Féridé, correspondante à Paris d’un important journal turc, rencontre en secret son amant, un opposant kurde, et assiste à son meurtre. Elle devient un suspect idéal, mais n’a guère le temps de s’attarder à ce malheur puisqu’elle apprend dès le lendemain qu’un séisme a ébranlé Istanbul. Depuis les ravages du séisme de 1999, les Turcs vivent dans la peur de nouveaux tremblements de terre ; c’est de cette peur que part l’auteure pour explorer l’idée de la ville d’Istanbul détruite par deux séismes qui surviennent coup sur coup.
Brutalement, l’angle de la narration change : du meurtre plus « classique » du début, le polar se tourne vers le climat d’angoisse qui règne pour tous ceux qui sont à l’extérieur de la Turquie, en attente de nouvelles de leurs proches. Le contact est rompu, l’incertitude est accablante. Mine G. Kirikkanat jette les bases d’une histoire qui saura capter notre attention jusqu’à la fin et n’hésite pas non plus à se faire très critique socialement, nous décrivant une Turquie « perpétuellement embourbée dans des crises économiques à répétition, tout en étant endettée jusqu’au cou ». Le choc des séismes vient achever la Turquie, qui s’effondre. Sous prétexte d’envoyer de l’aide humanitaire, les autres pays se hâtent d’envahir le territoire turc. Les machinations politiques s’établissent, la menace venant surtout des États-Unis, dont les armées présentes en Irak se déplacent beaucoup trop rapidement vers la Turquie. De son côté, l’ONU espère profiter de l’affaire turque pour faire oublier son échec en Irak… Le polar politique prend vite le pas sur le meurtre du début, que l’on en vient à oublier.
Dans la tourmente, Féridé quitte Paris pour Istanbul en compagnie de Sinan et Daryal, deux personnages envoyés par l’Union européenne sur le terrain qui sont bien décidés à ne pas permettre ce « festin des loups », à freiner l’appétit des pays qui veulent profiter du cataclysme pour prendre le contrôle. L’arrivée en Turquie est prenante. Le polar cède la place un temps au roman-catastrophe. La situation des rescapés après les séismes n’est que misère et désolation et ne cesse de dégénérer : prêts à tout pour manger, des rescapés se transforment en pillards pendant que de jeunes orphelins en sont réduits à manger des rats morts (et à en mourir…). Le chaos est total. L’horreur est constante, parfois côtoyée par le sublime, par la générosité, l’abnégation, l’amour aussi. L’amour fulgurant, à tel point que ces coups de foudre démesurés, ces personnages rendus passionnés en quelques minutes peuvent déranger le lecteur. Mais le contexte peut s’y prêter : ce romantisme contraste avec un désespoir profond, il illustre le besoin des rescapés de s’accrocher, de rêver, de croire. Une autre réserve s’ajoute, qui peut aussi agacer pendant la lecture : dans La Malédiction de Constantin, tout n’est pas toujours limpide pour comprendre qui travaille pour qui, qui ordonne quoi et pour quelle raison…
Cependant, malgré ces petits bémols, le roman est rythmé, les personnages attachants, le récit très intéressant (et la fin est tellement ouverte que nul ne sera surpris d’apprendre que la suite existe déjà, mettant en scène les mêmes personnages !). On ressort de ce roman troublé, avec le sentiment que la situation imaginée pourrait bien devenir un jour réalité. Hélas. (ML)
La Malédiction de Constantin
Mine G. Kirikkanat
Paris, Métailié (Noir), 2006, 245 pages.
Se perdre dans le brouillard écossais !
Ça n’a pas pris plus de trente secondes au jury pour rendre son verdict : lire Voile de Pierre d’Ake Edwardson est une perte de temps irritante et un voyage pénible au pays de l’ennui ! Comme tout le monde, j’ai découvert les enquêtes du commissaire Erik Winter en lisant Danse avec l’ange, en 2002. On présentait alors Edwardson comme le nouveau Mankell, rien de moins. Je me souviens d’avoir eu beaucoup de mal à terminer cette première histoire à cause de son style très particulier. Je progressais dans le texte avec l’impression pénible d’être à côté de mes pompes… Bref, je n’avais pas aimé l’expérience. Les choses se sont un peu arrangées par la suite, notamment avec Ombre et Soleil et Je voudrais que cela ne finisse jamais. Ce dernier titre me trottait dans la tête alors que je cheminais douloureusement dans Voile de pierre et que je rageais intérieurement en me disant : « Je voudrais que ça finisse tout de suite ! ».
Si je me suis rendu au bout de ce pensum, c’était pour connaître le fin mot des deux histoires qui composent l’intrigue. Mais pour ajouter l’insulte à l’injure (ou l’inverse), aucune des deux histoires n’a de véritable dénouement. On a avancé dans le brouillard pendant 530 pages, on finit dans une incroyable purée de pois, avec plus de questions que de réponses ! Quelle frustration !
Le premier récit, qui met en vedette Winter, concerne la disparition du père d’une amie de longue date. Quand on retrouve le cadavre du disparu, Winter se rend en Écosse pour enquêter. À première vue, il s’agirait d’une mort naturelle (une crise cardiaque). Mais Winter veut en avoir le cœur net. L’affaire n’est pas claire, car elle implique une autre disparition, celle du grand-père, soixante ans plus tôt. S’en suivent de nombreux coups de téléphone – le cellulaire sera la mort du polar ! – beaucoup de déplacements en voiture, de nombreuses conversations sans aucun intérêt, des longueurs à n’en plus finir, des dialogues bizarres, déconnectés, et un dénouement qui n’en est pas un. Tout ça pour ça ? Diantre ! De son côté, la collègue de Winter, l’inspectrice Aneta Djanali, s’intéresse à ce qui semble être un cas de violence conjugale. La victime a-t-elle été battue ? Oui ? Non ? Peut-être ? Pas du tout ? Mais encore ? Par qui ? Diable ! On finit par s’en f… comme de l’an quarante tellement c’est tarabiscoté, pas clair et finalement sans intérêt. Quant au dénouement de cette histoire qui n’a aucun lien avec celle de Winter, il est tout simplement risible.
Bref, chers auteurs débutants et/ou apprentis polardeux, si vous désirez savoir comment égarer, écœurer votre lecteur en abusant de sa bonne volonté, en multipliant les erreurs, prenez exemple sur cette brique indigeste qui vous offre deux histoires ratées pour le prix d’une. Quant aux autres, ne perdez pas votre temps avec cette bouillie prétentieuse ! (NS)
Voile de pierre
Ake Edwardson
Paris, JC Lattès, 2006, 528 pages.
Polar ? Roman historique ? Quid ?
Pendant plusieurs jours, j’ai hésité. Vais-je ou ne vais-je pas parler de ce livre qui ne m’a pas particulièrement emballé, même si par ailleurs il ne manque pas de qualités et de potentiel, malheureusement mal exploité. J’aurais pu l’ignorer en prétextant que ça n’est pas vraiment un roman policier, mais voilà, sur la quatrième de couverture il est marqué « roman d’enquête » et le personnage principal est un détective privé nommé Antoine Morel. Mais de cadavre, il n’y en aura point, alors ?
Antoine Morel est engagé par les Sulpiciens pour enquêter sur la disparition ou le vol de documents dans leurs archives. Visiblement, les bons religieux sont inquiets, la chose doit être importante. Premier irritant : ils sont tellement paranoïaques qu’ils fournissent un minimum d’information au détective, prétextant à tout bout de champ que c’est trop ceci, trop cela, qu’il n’a pas besoin de savoir ceci, ni de savoir cela. À sa place, j’aurais claqué la porte en leur faisant un doigt d’honneur. Mais le brave homme veut mener sa mission à terme : rechercher un jeune étudiant venu consulter des archives compromettantes et qui a disparu, emportant quelques documents. À quelle fin ? Mystère…
Tout ça n’est pas très clair et Morel, tout comme le lecteur, avance un peu à l’aveuglette. On finit par comprendre que toute cette affaire est reliée aux événements qui se passent sur une réserve amérindienne, aux droits de propriété et aux revendications territoriales des autochtones. Même si la police tente, pour d’obscures raisons, de mettre des bâtons dans les roues de son enquête, Morel persiste et signe et découvre qu’un deuxième individu, un activiste amérindien est dans le coup. Se pose un problème d’identité : qui est vraiment l’étudiant recherché ? Serait-il cet activiste amérindien recherché par la police ? S’agit-il de deux individus distincts ou d’une seule et même personne ? À vrai dire, ça n’a que peu d’importance parce qu’à aucun moment on ne se laisse entraîner dans ce récit qui s’éternise, où on parle beaucoup mais où il ne se passe pas grand-chose. Quant au dénouement, un grand mot dans les circonstances, il est plutôt frustrant.
L’écriture est correcte et les amateurs d’Histoire y trouveraient peut-être quelque satisfaction. L’auteur, Michel Vallée, a visiblement des connaissances solides sur l’histoire de Montréal, sur les congrégations religieuses, et toutes ces sortes de choses. Mais L’Homme au visage peint n’est ni un polar, ni vraiment un roman historique. C’est un « récit d’enquête » plutôt fade. (NS)
L’Homme au visage peint
Michel Vallée
Longueuil, La Veuve Noire (Le Treize noir), 2006, 466 pages.
Dupuy jusqu’au cachot
Marie-Bernadette Dupuy est née Angoulême. Auteure de plus d’une vingtaine de titres, elle a donné dans beaucoup de genres comme les biographies historiques, les romans d’amour, quelques monographies sur la Charente et bien sûr les romans policiers. C’est maintenant la maison d’édition québécoise JCL qui publie ses œuvres.
Diane est une journaliste québécoise en vacances en Écosse. Pendant ses diverses sorties touristiques, elle se lie d’amitié avec Jérémie et Sarah, un jeune couple québécois en voyage de noces. Lors de leur visite au Château de Hautefaille, Sarah a de drôles de visions. Devant le malaise de la jeune femme, les résidants du château leur offriront l’hospitalité. Une série de meurtres vient cependant gâcher peu à peu le séjour des Québécois en Écosse, surtout lorsque Sarah devient la dernière victime en lice du meurtrier. Cependant, la jeune femme, qui porte en elle de lourds secrets, ressortira à peu près indemne de l’événement.
De retour au Québec, le couple a du mal à remonter la pente et fait appel à leur amie Diane afin de retrouver autour d’eux quelques repères qui leur permettront sans doute de raviver la flamme. Mais dès que le bonheur se pointe le bout du nez sous la forme d’un nouveau-né, le couple reçoit une visite inattendue qui apportera son lot de nouvelles péripéties. A-t-on arrêté le bon meurtrier en Écosse ? Diane, Jérémie et Sarah et leur ami Harrisson mèneront l’enquête jusque dans les Highlands, pays du Loch Ness, dans le but de servir la vérité et de protéger leur quotidien.
Voilà un roman policier qui se situe à mi-chemin entre le roman d’aventures et le roman d’amour. Il s’agit en fait d’une espèce de gros Harlequin dont l’intrigue manque parfois de profondeur. Les personnages agissent souvent de façon un peu ridicule face à certaines situations. Il y a aussi de ces phrases passe-partout et fausses qui agacent, comme « … les Canadiens francophones maîtrisent bien l’anglais ! » (p. 65) L’auteure, qui n’en est pas à ses premières armes côté roman, se sort tout même bien d’impasse en faisant se succéder les péripéties plus étonnantes les unes que les autres, ce qui pourrait probablement plaire aux amateurs de roman à l’eau de rose. (FBT)
Le Cachot de Hautefaille
Marie-Bernadette Dupuy
Chicoutimi, JCL, 2006, 318 pages.
Le chat et la souris
Sonia est une jeune femme indépendante et libre qui a bien du mal à déterminer qui elle est. Son mari Frédéric, qu’elle n’a jamais vraiment su aimer, est emprisonné dans un asile psychiatrique parce qu’il a tenté de la tuer. Chaque semaine, il demande à Sonia de signer les papiers qui lui permettront de quitter l’asile afin d’effectuer son retour en société. Mais Sonia n’est pas prête à voir réapparaître celui qui l’a attaquée. Avant que le mal de vivre ne la rattrape, une offre d’emploi lui permet de retourner à son ancien métier de physiothérapeute dans un hôtel espace-forme qui offre bains thermaux et massages, le tout situé dans le merveilleux décor des hautes montagnes suisses. Pour Sonia, il s’agit surtout d’une échappatoire, d’un moyen de ne plus jamais entendre parler de Frédéric, de commencer une nouvelle vie et de se retrouver. Malou, une amie de longue date, demeure le seul et unique lien avec son passé. À l’hôtel Gamander cependant, quelqu’un joue à effrayer les employés. Sonia soupçonne le coupable de mettre en scène les éléments de la légende locale, appelée « Le diable de Milan ». Qui a intérêt à faire peur à la patronne de l’hôtel ? Aux employés ? Aux clients ? Le passé de Sonia semble la rattraper lorsque la mère de Frédéric débarque à l’hôtel pour faire signer à sa bru les papiers qui feront libérer son fils.
Question : Est-on en présence d’un polar ? Si oui, où le classe-t-on ? Voilà assurément un roman qui plaira aux lecteurs de littérature blanche puisque Le Diable de Milan possède d’indéniables qualités littéraires. L’approche est lente, descriptive, et c’est dans l’ambiance et les décors créés par Martin Suter que ce roman d’atmosphère prend, tranquillement mais sûrement, des teintes grisonnantes et noires… comme les décors suisses évoqués. Une fine écriture, donc, par laquelle la traque se met en place lentement, la proie se faisant toujours repousser dans de lointaines tranchées, ce qui oblige à poser constamment la question : Alors ! On joue ou on ne joue pas ?
Un peu à la manière du Chat, de Simenon, même si le livre de Suter se situe à des lieux de ça. (FBT)
Le Diable de Milan
Martin Suter
Paris, Christian Bourgois, 2006, 311 pages.
Entre Mao et le kung-fu
Dans la littérature chinoise classique, on retrouve fréquemment un personnage auquel le peuple chinois s’identifie depuis des siècles : le hors-la-loi violent mais au grand cœur. Même à l’époque de Mao, ce type de héros a continué à fleurir, incarnant l’homme du peuple, parfois brutal, qui lutte contre la corruption des classes dirigeantes traditionnelles. On le retrouve encore aujourd’hui dans tous les films du cinéma chinois qui dépassent un peu la simple démonstration de kung-fu.
Le jeune romancier Ma Xiaoquan, né dans le Hunan en 1978, reprend ce mythe dans son premier roman : Confession d’un tueur à gages. Et, contrairement à d’autres auteurs de polar chinois, il vit en Chine. Critiquer la société chinoise représente dès lors pour lui un certain risque. Et il l’assume.
Le personnage principal, Chu Xiaolong (Petit dragon), est un orphelin élevé dans une petite ville par ses grands-parents. À peine sorti de l’adolescence, il décide de fuir le destin banal qui l’attend dans son patelin et de s’exiler vers la grande ville. Là, peu à peu, il devient homme de main dans les milieux criminels. Il recouvre des dettes, il dirige des expéditions punitives contre des compétiteurs ou des clients récalcitrants et, au besoin, il liquide des opposants. Il travaille en indépendant jusqu’au jour où il remplace son meilleur ami comme « chargé de la sécurité » et bras droit du Parrain local. Il aime la jolie Su Li qui le lui rend bien, il couche allègrement avec les prostituées du coin et jouit d’une bonne réputation dans le milieu. La vie est belle, et même confortable.
Tout roulerait donc parfaitement bien si, un jour, il ne se mettait en tête de découvrir les secrets de ses origines. Dès lors, tout déraille et il commettra la bêtise suprême pour quelqu’un de son métier : perpétrer un crime pour son propre compte.
Dans ce court roman écrit tout d’une traite (sans chapitres), l’auteur, Ma Xiaoquan, nous entraîne dans une description assez crue des bas-fonds des villes chinoises d’aujourd’hui. Comme dans la plupart des polars chinois, l’auteur nous montre la violence et la corruption des nouvelles élites et de ceux et celles qui gravitent autour. On y voit la dégradation et la perte des valeurs traditionnelles et le désarroi d’une jeunesse laissée à elle-même, tiraillée entre deux pôles : d’une part l’honnêteté officielle du régime qui entraînera une vie de travail mal payé et frôlant l’esclavage ; d’autre part, la participation à l’enrichissement d’un petit groupe de nantis, mais au détriment de presque toutes valeurs morales. Le personnage, lui, a vite fait son choix.
Parfois, dans Confession d’un tueur à gages, le récit est un peu naïf (certains personnages manquent de nuances), mais il décrit bien cette société qui se transforme à une vitesse effarante. Et comme l’auteur est âgé de moins de trente ans, on peut espérer que d’autres romans de la même trempe suivront. (AJ)
Confession d’un tueur à gages
Ma Xiaoquan
Paris, L’Olivier, 2006, 186 pages.
La belle aux (a)bois dormants !
Si je devais faire un rapide bilan de l’édition de polars en 2006, je dirais spontanément que si la quantité était au rendez-vous, la qualité, elle, faisait cruellement défaut. Bien sûr, il y a eu quelques exceptions tant québécoises qu’étrangères, mais en général, le niveau était faible ou carrément médiocre avec un abus de clichés, de situations convenues, de schémas éculés, de recettes éprouvées. Jeunes femmes en détresse traquées par un ou des psychopathes, chapelets de « Da Vinci clones », thrillers fabriqués en usine, polars historiques ou érudits dans lesquels l’intrigue policière n’est qu’un prétexte, romans harlequins déguisés en thrillers, n’en jetez plus la coupe est pleine.
Sleeping Beauty est l’exemple parfait de cette production de clichés à la chaîne, de ce polar fast food mettant en scène une brillante jeune femme poursuivie par un improbable tueur en série, pas crédible pour deux sous. Phillip Margolin est un de ces bricoleurs doués, un peu dans le style Harlan Coben mais en moins brillant, qui s’est cassé les méninges pour concocter une intrigue assez ingénieuse, avec un certain suspense.
Alors qu’un écrivain fait une tournée de promotion pour son livre Sleeping Beauty qui raconte les malheurs de la jeune Ashley (père poignardé à mort, amie violée et assassinée, ben de la misère, quoi !), la mère de cette dernière est assassinée à son tour. Or, elle venait de participer à un atelier d’écriture au cours duquel le professeur avait lu des extraits d’un manuscrit racontant en détail la mort horrible de son mari (le père d’Ashley). Le prof est évidemment suspecté mais clame son innocence.
Alternant entre le présent et le passé, multipliant les retours en arrières, Margolin nous plonge dans un labyrinthe de fausses pistes, avec des faux coupables, des apparences trompeuses, un flirt insolite entre la fiction et le réel, bref, tout ce qu’il faut pour que le lecteur tourne les pages selon les conventions éprouvées du récit à suspense. Les ficelles sont peu subtiles, la psychologie des personnages aussi vraisemblable que les théories sur le Triangle des Bermudes (que fait Ashley après les malheurs épouvantables qui devraient ébranler son psychisme ? Elle se teint les cheveux !), mais ça marche si on se laisse faire, par exemple un soir où votre sens critique est en voyage.
Sleeping Beauty est un simple divertissement pour lecteurs pas trop exigeants et rien de plus. Une fois qu’on l’a lu, on hausse les épaules, et on passe au prochain… serial killer ? La concurrence est forte. Au suivant ! (NS)
Sleeping Beauty
Phillip Margolin
Paris, Albin Michel, 2006, 388 pages.
Revue Alibis – Mise à jour: Décembre 2006