Jean Pettigrew, Norbert Spehner, Marie-Claude Mirandette, Richard D. Nolane et François-Bernard Tremblay
Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 1 203Ko) d’Alibis 20, Automne 2006
Attention, flics de choc…
Les voilà, accrochez vos ceintures, ça va barder dans les chaumières, ils sont de retour, les ripoux à faire pâlir tous les ripoux, l’inspecteur James Robert et le sergent détective Tom Brant, alias R & B, dans R & B : Les Mac Cabées, de Ken Bruen, le champion incontesté toutes catégories de l’humour noir, très noir. À vrai dire, j’ai rarement lu un polar aussi cyniquement drolatique et jubilatoirement grinçant que ce bijou d’impertinence paru dans la Série noire. Bruen écrit parfois des horreurs, mais son style sec comme un pet de buse, ses dialogues acérés font agréablement passer la pilule.
Or donc, Roberts et Brand ont de nouveaux problèmes. L’inspecteur principal Roberts est à la poursuite de l’assassin de son frère, un dénommé Tommy Logan, une petite frappe londonienne teigneuse qui est en train de gravir les échelons de la hiérarchie criminelle. Pour le coincer, Roberts devra faire preuve de patience, d’intelligence et de ruse et le malheureux Tommy ne perd rien pour attendre. Pendant ce temps, Brant et Falls, une inspectrice aussi noire que jolie, sont chargés de traquer un violeur en série qui sévit dans les boîtes de nuit du coin. Quand ils réussissent à mettre la main au collet de l’infâme, il s’en suit une scène qui fera grincer des dents à plus d’un lecteur politiquement correct car Brant agit dans la réalité comme nous le ferions dans nos pires fantasmes débridés de gens civilisés respectueux de la loi, à la morale irréprochable mais qui, dans le fond, aimeraient donc que (censure !)… Brant, lui (ou Roberts), n’a pas ces scrupules de petit bourgeois. Il agit.
Ken Bruen sait faire passer les pires horreurs grâce à son style particulier (très jazzé), ses dialogues punchés et une description très réaliste du monde brutal dans lequel évoluent les protagonistes. Certes, pour Brant et Roberts, la ligne qui sépare le bien du mal est aussi floue que les discours mensongers et nébuleux de certains de nos politiciens, mais comme le dit l’adage populaire, « On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre » et on ne capture pas un mafieux en lui lisant les Évangiles. Brant et Roberts sont plus proches des brutes qu’ils poursuivent que du citoyen ordinaire. Le génie de Bruen, c’est de nous les rendre sympathiques malgré tout car ces flics hors norme ne sont pas de quelconques charlots musclés, rapides sur la gâchette. La tragédie n’est jamais loin et il leur arrive régulièrement d’encaisser des coups très durs, d’où cette carapace de cynisme et de fatalité qu’ils affichent en tout temps.
Ce troisième volet des aventures de R & B est une expérience de lecture assez spéciale. Signalons en terminant qu’un autre roman de Bruen est paru récemment dans la même collection. Il s’agit de Toxic Blues (Une enquête de Jack Taylor), deuxième volet (après le très original Delirium Tremens) des aventures de ce privé toxicomane et alcoolique qui flambe sa vie comme on craque une allumette mais qui est aussi, dieu merci, le roi de l’absurde et un grand tendre. (NS)
R & B : Les Mac Cabées
Ken Bruen
Paris, Gallimard (Série Noire), 2006, 168 pages.
Sea, Sex & Sun…
Dans le sillon des populaires romans de complots au sein de l’église et des sectes de tout acabit, Giacometti et Ravenne proposent le polar franc-maçon, genre à travers lequel ils exposent, en plus de l’intrigue de mise dans tout bon polar, certaines pratiques des loges maçonniques. On dit – mais est-ce là une première volonté de forger la légende ? – que l’aventure aurait débuté par un différend entre amis : Ravenne est maçon, Giacometti pas et se fait un honneur de se tenir à distance de toute obédience, ce qui aurait été le ferment de nombreuses conversations qui se prolongèrent bientôt en écriture puis en roman, pour le plus grand plaisir des amateurs de ce sous-genre nouveau.
La Conjuration Casanova, second titre de ces duettistes français, propose une intrigue permettant au néophyte de pénétrer les arcanes de la franc-maçonnerie, mouvement des plus occultes qui accueillit en ses rangs Mozart et Franklin, pour ne nommer qu’eux. Signe des temps ce goût pour le complot historique teinté qui de religieux, qui de mystique, voire des effluves des sectes les plus célèbres de l’histoire occidentale ? Probablement, mais force est de constater qu’il y a chez ces auteurs une aisance de l’écriture et un humour qui insufflent au récit un degré de vérisme plus satisfaisant que chez la plupart des pisse-copies fréquentant depuis quelque temps ce genre de récit… et dont on se plaît même, en cours d’intrigue, à mentionner l’existence en un clin d’œil plein de malices…
Marcas, le flic parigo de ce duo hors norme, appartient à une loge du « Grand Orient ». C’est un pur qui croit sans faillir aux sacro-saintes valeurs républicaines et aux bienfaits de sa laïcité. À chaque enquête, on lui coltine un néophyte ès franc-maçonnerie à qui il s’acharne à expliquer les idéaux de ses frères, mais aussi leurs dérives. Après une première enquête sur fond de relations entre nazis et franc-maçons (Le Rituel de l’ombre), Marcas reprend du service cette fois dans un récit qui fait la part belle aux sectes de tout acabit. On y découvre un étrange et séduisant gourou, Dyonisos, se réclamant de Casanova, qui recrute ses adeptes en leur promettant l’extase ultime telle que décrite dans un manuscrit secret du séducteur vénitien. Mais au rêve de nirvana sexuel et de jeunesse éternelle succède brutalement une réalité tout autre : celle d’un bûcher où Dyonisos sacrifie ses recrues afin de les rendre… immortelles.
C’est avec ce surprenant incident au cœur d’un groupe d’adeptes de la Magia Erotica que débute l’action de ce roman. Flairant de possibles liens entre une affaire sur laquelle il travaille à Paris – la mort, inexpliquée, de la maîtresse d’un important ministre alors qu’ils venaient de faire l’amour –, un cas étonnement similaire en Espagne dont on lui refuse l’accès au dossier – le décès subit d’une star de la chanson au terme d’une torride nuit avec sa femme – et l’immense bûcher humain érigé sur une plage sicilienne, Marcas mène l’enquête. Car le hasard qui fait si bien les choses le met en contact avec l’unique survivante – la nièce d’un frère maçon – de l’horrible rituel dont on se demande s’il s’agit d’un suicide collectif ou d’un horrible massacre prémédité.
Rapidement, Marcas remonte la filière jusqu’à Dyonisos, évasive et énigmatique figure de « maître de secte » doublé d’un richissime collectionneur qui a récemment acquis, à très fort prix, un manuscrit inconnu de Casanova lors d’une vente publique. Le séducteur vénitien y relate une expérience qui l’aurait mené à l’extase absolue, expérience sur laquelle le « Dieu soleil » a justement fondé son « abbaye » dont la devise est : « Fays ce que tu voudras ». La chance étant du côté de Marcas, une collègue de travail, elle aussi franc-maçon, est justement spécialiste des sectes et le met rapidement sur la piste des émules d’un certain Aleister Crowley, excentrique anglais du siècle dernier qui, dans le sillon de Casanova, avait fondé une secte apocalyptique de magie rituelle où le sexe occupait l’espace central. La table est désormais mise pour un festival de poursuites, de jeu de cache-cache et de révélations surprenantes, sur fond de sexe débridé.
Littérature, sectes, sexe, fric et pouvoir, tous les ingrédients sont là pour un bon petit divertissement estival, ce qu’ont habilement réussi Giacometti et Ravenne, malgré quelques lieux communs et retournements prévisibles. (MCM)
Conjuration Casanova
Éric Giacometti et Jacques Ravenne
Paris, Fleuve Noir, 2006, 445 pages.
Humour acide et vengeance sadique…
Je croyais faire partie de ce groupe sélect et rétro de trois ou quatre amateurs de polars qui n’avaient encore jamais lu de roman de Carl Hiaasen quand je suis tombé sur un article du Nouvel Observateur (6-12 juillet 2006) intitulé « Ces best-sellers que la France boude » dans lequel j’ai appris que cet auteur faisait partie, avec Dean Kontz et James Patterson, de ces auteurs qui ne percent pas en traduction. Alors qu’aux États-Unis chaque titre de Hiassen atteint des centaines de milliers d’exemplaires, en France, il s’en écoule péniblement entre 4000 ou 6000 exemplaires. Étrange ! J’ai donc décidé de me faire une idée et j’ai lu Queue de poisson, son sixième roman à paraître chez Denoël. Au-delà des préoccupations environnementales bien réelles de Hiassen, qui se bat contre la destruction inexorable des Everglades, inquiétude qui transparait dans tous ses bouquins, Queue de poisson est une œuvre satirique, drôle, dans la lignée des romans de Westlake, quoique un tantinet moins burlesque.
Chaz Perrone est probablement le pire docteur en biologie de cette fichue planète, lui qui ne sait même pas dans quelle direction coule le Gulfstream (de haut en bas, comme chacun sait !). Chargé de vérifier les taux de phosphate dans un coin sinistre des Everglades peuplé de serpents et de crocodiles, il falsifie outrageusement les données au profit d’un groupe agroalimentaire dirigé par une sombre crapule du nom de Hammernut. Quand il croit que sa femme Joey a découvert sa combine (il est grassement rémunéré pour sa fraude), il décide de l’éliminer et profite d’une croisière romantique pour la balancer par-dessus bord. Mais voilà, adepte de la natation, sa femme survit. Elle est recueillie par un ex-flic plutôt sympathique, survivant de trois mariages, et tous les deux, ils décident de la venger. Non, elle ne dénoncera pas Chaz aux flics, mais lui prépare plutôt un chien de sa chienne. S’en suivent des centaines de pages de péripéties drolatiques où le pauvre Chez en voit de toutes les couleurs et où le lecteur, un peu éberlué, rencontre un inspecteur de police plutôt bizarre, propriétaire de deux pythons, un truand simiesque au bon cœur et une foule de joyeux zigues qui participent chacun au calvaire du malheureux mari. Il y a des moments épiques (quand Chaz se met au Viagra avec des résultats inattendus, quand les pythons de l’inspecteur décident de se donner un petit congé, etc.), des moments de tendresse aussi (quand l’étrange brute Toole rencontre la vieille Maureen qui se meurt d’un cancer).
Une excellente lecture de plage, avec en prime une fin toute en finesse où la morale est sauve et les méchants punis à leur juste valeur. Aux États-Unis, Carl Hiaasen est une star et ses romans sont des succès internationaux. Il vit en Floride et collabore au Miami Herald. (NS)
Queue de poisson
Carl Hiaasen
Paris, Denoël, 2006, 486 pages.
Le sport, à la vie, à la mort !
Qui, déguisé en arlequin, a tué Michel Albans, directeur financier adjoint de l’USAP, le célèbre club de rugby de Perpignan ? Albans préparait discrètement un « gros coup » pour prendre la direction de cette institution sportive de premier plan et chacun sait que l’argent tue aussi sûrement dans le sport qu’ailleurs… À commencer par le lieutenant de police Nuria Puigbert qui a demandé sa mutation de Paris à Perpignan après le décès de son mari et qui a conscience que cette enquête est peut-être le dernier moyen qui lui reste pour accélérer un avancement qui se fait attendre. Et puis le rugby étant dans sa famille une religion tout autant que dans le reste de la région, elle est peut-être mieux placée que ses collègues pour essayer de démêler le mystère… Mais rien n’est simple dans le crime et Nuria voit filer une à une entre ses doigts toutes les pistes qui se présentent alors que la pression s’accroît sur elle.
Les liens suspects, pour ne pas dire plus, entre certains sports médiatiques et l’argent plus ou moins propre, ont déjà fourni bien des idées aux auteurs de romans policiers et aux scénaristes de la télévision et du cinéma. Mais le rugby n’avait pas encore fait son apparition dans la liste noire des sports « pourris », comme disent les puristes, égratignés par le polar. Voilà qui est fait sous la plume de Philippe Ward, grand amateur doublé d’un excellent connaisseur du milieu du ballon ovale et pour qui l’écriture de Meurtre à Aimé Giral s’est présenté comme un défi à relever. Car Philippe Ward est surtout connu pour d’excellents romans fantastiques, bien éloignés des stades de rugby catalans, ainsi que pour sa direction de la collection « Rivière Blanche », qui a ressuscité l’esprit du Fleuve Noir « Anticipation ». Mais il a su passer avec brio d’un genre à l’autre et il fait toucher du bout du doigt ici le désarroi qui s’empare de tous ceux qui voient leur sport favori (et qu’ils soutenaient avec ferveur) passer de l’esprit de Pierre de Coubertin à celui de Wall Street. Bien des gens au Canada ont ressenti cela il y a des décennies quand le hockey est devenu un vulgaire spectacle de millionnaires casqués…
Donc, un bon premier essai marqué dans le roman policier par Philippe Ward avec cette histoire humaine et attachante publiée dans une collection en poche agréablement présentée par un éditeur régional à la hauteur. Et grâce en soit rendue à Internet, on peut se le procurer par courrier chez toutes les grandes librairies en ligne de France. (RDN)
Meurtre à Aimé Giral
Philippe Ward
Perpignan, Mare Nostrum (Les Polars Catalans), 2006, 168 pages.
Une réputation gonflée aux hormones médiatiques
Panique est le huitième roman de Jeff Abbott (un neuvième, Fear, vient de paraître aux États-Unis) et sur la page couverture nous avons de chaudes recommandations de Harlan Coben qui affirme que c’est là « l’un des meilleurs livres de l’année », rien de moins, alors que Michael Connelly affirme que c’est un roman « impossible à lâcher ». Si vous n’avez jamais lu de polar ou de roman d’espionnage de votre vie, vous serez peut-être d’accord avec ces deux affirmations. Dans le cas contraire, ça m’étonnerait beaucoup… Pour ma part, je ne vois là qu’une opération commerciale de plus, car ces compliments sont loin d’être justifiés…
Au mieux, Panic se lit comme un banal script de film d’action de série B. Les premières pages sont bien punchées, mettent en place un mystère à la Harlan Coben : un jeune cinéaste dont la carrière est en train de décoller reçoit un coup de téléphone de sa mère qui lui demande de venir la retrouver toutes affaires cessantes. Lorsqu’il arrive chez ses parents, il trouve sa mère sauvagement assassinée et échappe de peu à une tentative de meurtre. À partir de là, les scènes d’action vont s’enfiler comme saucisses dans un pique-nique jusqu’au final convenu et sans surprise. Il n’y a guère de temps mort dans ce thriller d’espionnage et pourtant je l’ai trouvé longuet, invraisemblable et peu original. L’innocent pourchassé-pour-on-ne-sait-quelle-mauvaise-raison par des agents secrets qui veulent sa peau, on a déjà lu mieux que ça, notamment sous la plume efficace de Robert Ludlum qui reste le maître incontesté du genre. On a bien du mal à croire en la transformation du héros Evan Casher qui, du jour au lendemain, devient une sorte de James Bond qui échappe constamment à ses poursuivants, fait le coup de feu comme un pro et surmonte tous les obstacles. Rien de nouveau non plus avec le sac de nœud que forment les divers assaillants dont on ne sait trop s’ils sont de la CIA, du FBI, free-lance, d’une organisation secrète, etc. Même Dezz Jargo, le tueur psychotique, on connaît bien…
Bref, rien de nouveau sous le soleil, que du déjà-lu et pas du meilleur ! Je préfère les intrigues subtiles de Harlan Coben qui sait soigner le suspense et un certain mystère (ici, pas de surprise, dès les premières pages on sait le pourquoi des choses : des fichiers informatiques que les méchants veulent récupérer mais dont le héros ignore l’existence – autre schéma convenu). Quant aux personnages, ils m’ont laissé froid. Ce ne sont que des marionnettes, certaines à la limite de la caricature. En définitive, ce roman pêche par manque d’originalité, de vraisemblance, par excès de longueur (d’où répétitions lassantes de certaines scènes d’action) et j’ai eu quelque difficulté à le terminer.
Ce ne sont pas les quelques révélations juteuses qui apparaissent dans le dernier tiers qui sauvent cette histoire, déjà mille fois racontée, de la médiocrité. Dommage, car il est évident qu’Abbott a du métier, bien servi par un style nerveux. Au fait, ceci explique peut-être cela : les droits d’adaptation pour le cinéma ont déjà été cédés à un producteur. À suivre… (NS)
Panique
Jeff Abbott
Paris, Le Cherche Midi, 2006, 422 pages.
La bastringue, la bastringue !
Baltringue : Bouffon, incompétent, personne méprisable.
Après Brindezingue publié en 2000 (réédité en 2005) et Les Diables rouges en 2001, Patrick Delahais propose Le Chant du baltringue.
D’un côté il y a Léo : Rmiste (sur l’aide sociale) pas mal convaincu et pilier de taverne qui passe le plus clair de son temps à pratiquer le rugby en dernière division dans un club pourri tout en montant des arnaques foireuses. La dernière en lice consiste à emprunter du matériel photographique haut de gamme à un copain afin de se rendre au célèbre Bois de Boulogne prendre quelques clichés compromettants de notables en pleine action, le but évident étant de les faire chanter et de récolter les beaux billets. De l’autre côté, il y a Potier qui se construit un petit domaine en région bordelaise en droguant tout ce qu’il trouve de clochards, contrôlant bientôt une vraie belle petite secte dont il devient le gourou. Ajouter à cela un inspecteur un peu (lire beaucoup) con, deux cousins gitans et dealers de drogues qui n’ont absolument rien à envier à Rambo, et l’on est fin prêt pour danser la bastringue sous le chant du baltringue.
Ce qui frappe d’abord lorsqu’on amorce la lecture de ce livre, c’est le parler populaire français du zonard Léo Dvorak avec lequel on jongle un peu dans les premières pages. Bien sûr, cela coule de source plus on est initié. Monde de bassesses où la pourriture apparaît à chaque coin de rue, on pourrait croire le roman noir et très dur, mais l’auteur préfère nous mener vers l’anecdote, ce qui rend le texte propice aux situations loufoques.
Attention ! C’est du bon ! Rapidement, Dalahais nous met de connivence et on l’accompagne volontiers dans ses excès puisqu’il a tout même le mérite de respecter les codes d’usage du genre. Un bon moment de lecture si on cherche la légèreté. (FBT)
Le Chant du baltringue
Patrick Delahais
Rennes, Terre de brume (Granit noir 41), 2006, 310 pages.
Mon doux Seigneur !
Claude Forand n’en est pas à ses premières armes dans le roman policier. En 1999, il publiait Le Cri du chat, un roman qui, selon Norbert Spehner (voir Le Roman policier en Amérique française, Alire, 2000), avait fait l’unanimité auprès de la critique. Ainsi parle le Saigneur, son deuxième roman, met en scène le même enquêteur, Roméo Dubuc.
Le Saigneur est-il le dernier gardien du catholicisme pur au Québec ? Est-il envoyé par Dieu pour punir les brebis égarées ? Est-il une sorte de gourou ? Un fanatique religieux ? Un fou ?
En tout cas, il vient de faire de deux adolescents ses premières victimes en incendiant la voiture dans laquelle ils faisaient l’amour. L’enquête policière n’avancera pas assez rapidement pour empêcher le Saigneur de frapper à nouveau et la police ne sait plus trop où donner de la tête. C’est un détective privé qui apportera son aide aux policiers, mais ils se pourraient bien que ce soit justement des gens bien connus de la police qui soient visés la prochaine fois, comme par exemple la belle journaliste Manon Pouliot.
Somme toute, Ainsi parle le Saigneur se laisse assez bien lire. Claude Forand possède une plume agréable et il sait bien créer le suspense en manipulant les événements qui vont ferrer le lecteur jusqu’à la fin.
Il y a cependant de malheureux irritants parsemés tout au long du texte. Par exemple, le fait que les enquêteurs d’une petite ville du Québec continuent de mener une enquête sur un tueur en série sans obtenir grand renfort de leurs collègues spécialistes des grandes villes est plutôt loufoque quand on connaît l’importance des divers métiers de la police d’aujourd’hui. En plus, c’est à un privé, que personne ne connaît, que l’on fait ouvertement confiance pour faire avancer l’enquête qui piétine. Il y a aussi ce policier qui se fait tabasser dans un bar par deux trois petites brutes de l’endroit sans que personne ne lève le petit doigt, et des hasards un peu trop « organisés » qui viennent en aide à la police, ou encore le fait qu’on dise à une personne de retourner vivre avec son ancien chum et qu’elle réponde : « Vous parlez avec sagesse. Ça mérite réflexion. »…
Bref, même si je sais que ce roman peut et pourra plaire à plusieurs… alors moi, je vous le dis tout net : j’ai carrément décroché. (FBT)
Ainsi parle le Saigneur
Claude Forand
Ottawa, David (Voix narratives et oniriques), 2006, 209 pages.
Plus SF que polar
On connaît l’engouement créé par la publication en français de la série des Hommes de paille, qui a fait un malheur ici comme en France. J’ai d’ailleurs parlé en ces pages de l’intérêt de chacun des trois volumes parus. Quand j’ai appris la sortie de deux nouveaux titres du sieur Marshall, je me suis donc précipité, non sans me dire qu’il y avait anguille sous roche : « deux » nouveautés en même temps, voilà qui est plutôt louche ! Puis j’ai vu les illustrations de couvertures, qui rappellent un peu celles de la série publiée chez Michel Lafon, et j’ai lu les quatrièmes. C’est à ce moment que j’ai compris.
Frères de chair et La Proie des rêves ne sont pas des nouveautés, mais la réédition d’ouvrages que j’avais lus voici quelques années. L’auteur d’alors s’appelait Michael Marshall Smith (vous me suivez ?), un jeune prodige de la science-fiction anglaise dont on vantait la puissance de la plume et l’originalité débridée de son imagination. Ces deux titres avaient été traduits au départ dans la collection « Suspense » de Calmann-Lévy, avant d’aboutir en format poche dans la collection SF chez Pocket.
En 2006, l’éditeur les relance donc en grande pompe dans l’espoir que tous les inconditionnels de la série de Marshall se précipitent sur ces « nouveautés » qui, disons-le d’emblée, sont de remarquables romans de… science-fiction. Dans lesquels, certes, on trouve ce qu’on peut appeler, à la rigueur, une trame polar, mais attention ! si vous n’avez jamais lu de science-fiction, vous allez trouver que ça déménage pas mal du neurone dans ces nouvelles intrigues de Marshall. Prenons comme exemple Frères de chair…
Dans quelques siècles : New Richmond est une mégalopole mobile de deux cents étages. C’est en ses murs que Jack Randall, ex-cop, retourne avec six « alters » – des clones qui servent de pièces de rechange –, fuyant la Ferme qu’il a opérée pendant cinq ans et où il a tenté de donner une vie décente à ces humains sans statut. Randall s’est réfugié chez un ancien collègue, Hal, mais alors qu’il est sorti, la place est attaquée par des inconnus. À son retour, Randall trouve le cadavre de Hal et Suej, l’une des alters, qui a échappé au carnage.
Dès lors, Randall tente de récupérer les alters kidnappés, mais aussi de tuer Vinaldi, un des truands notoires de la mégapole qui a assassiné sa femme et sa fille, ce qui avait provoqué à l’époque le départ de Randall. Cependant les choses se compliquent quand Randall comprend que Vinaldi, lui aussi, est menacé par les mystérieux agresseurs qui lui en veulent. Tout en tentant désespérément de comprendre qui est derrière tout ça, Randall perçoit de plus en plus des manifestations de la Brèche, un étrange espace virtuel qui a été le théâtre d’une guerre délirante. Or, Vinaldi, tout comme lui, a été dans la Brèche comme soldat. Faisant fi de leur haine, les deux hommes mettent en commun leurs informations et retournent dans cet espace infernal afin de retrouver les alters, pour l’un, et d’éliminer ses poursuivants, pour l’autre. Mais cette virée dans la Brèche permet surtout de dévoiler une nouvelle couche du mystère, celle de Maxen, l’homme le plus puissant de New Richmond, le propriétaire de l’entreprise qui contrôle les fameuses fermes d’élevage…
De l’excellente science-fiction, vous dis-je, écrite par celui-là même qui nous a donné par la suite la série des Hommes de paille. Dans le genre, c’est tout aussi solide, avec la même écriture précise, friande de phrases chocs, de métaphores audacieuses et de dialogues à l’emporte-pièce, le même sens de l’à-propos, la même profondeur de réflexion.
Bref, polar ou science-fiction, Marshall ou Smith, faites comme moi, ne boudez pas votre plaisir ! (JP)
Frères de chair
Michael Marshall
Paris, Calmann-Lévy, 2006, 354 pages.
Qui s’y plonge Chinois !
C’est sans trop savoir à quoi m’attendre que j’ai commencé la lecture de Sale Cabot, premier roman traduit de Heinrich Steinfest, un Allemand dont la quatrième de couverture nous dit qu’il est l’un des favoris du public et de la critique Outre-Rhin.
Les cent premières pages m’ont quelque peu désarçonné : toujours en quatrième de couverture, j’avais lu qu’il y serait question d’un détective de Stuttgart, Markus Cheng, un Chinois manchot toujours accompagné d’Oreillard, son chien. Or, plus j’avançais dans ma lecture, plus je me demandais si j’étais dans le bon livre. Certes, je lisais avec intérêt ce qui arrivait à Moritz Mortensen, un écrivain sans envergure et, surtout, sans lecteur, qui, apercevant un homme emprunter ses trois romans à la bibliothèque, ne peut s’empêcher de le suivre. Après quelques péripéties et beaucoup d’introspection non sans intérêt, la filature se termine, par hasard et au plus grand étonnement (pour ne pas dire plus) de Moritz, par la décapitation de son lecteur… qui ne le sera pas ! Ce n’est qu’après l’annonce que la police a mis la main sur un suspect – qui, à la surprise de Moritz, n’est pas l’assassin – que Mortensen se décide enfin à révéler à quelqu’un ce qu’il sait. Mais comme il craint d’être pris lui-même pour l’assassin, il fait appel à un détective. Et c’est donc à la page 104 qu’il rencontre Markus Cheng et, disons-le, que le polar débute vraiment !
Malgré la lenteur de cette entrée en scène, on ne s’ennuie nullement dans ce roman. D’une part parce que Steinfest, qui écrit fort bien, a le don de camper de façon exemplaire ses personnages et, d’autre part, parce qu’il ne s’empêche pas d’entrer dans le détail, tant et si bien que le lecteur a l’impression de faire partie de l’action au même titre que les protagonistes. Évidemment, si vous êtes un inconditionnel du fast track, qui privilégie l’action au détriment des personnages et des décors, vous aurez tendance à sauter quelques lignes, voire le livre entier. Par contre, en agissant ainsi, vous vous priverez d’une lecture passionnante puisque Cheng et son chien valent vraiment le détour, ne serait-ce que par leur parfaite incongruité tant dans leur apparence, leur style et leur façon d’être.
Pour tout dire, après avoir fait connaissance avec Cheng, j’ai poursuivi avec encore plus de délices mon immersion dans ce polar surprenant, qui réserve des surprises de taille, et ce jusqu’à la fin. Une belle découverte, donc, qui augure bien pour la suite. (JP)
Sale Cabot
Heinrich Steinfest
Paris, Phébus (Rayon noir), 297 pages.
Mise à jour: Septembre 2006