Encore dans la mire
Christine Fortier, Norbert Spehner et François-Bernard Tremblay
Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 1 087Ko) d’Alibis 18, Printemps 2006
Point trop de déception, même si c’est du Brown !
Avertissement aux inconditionnels : si vous avez aimé Da Vinci Code, vous risquez d’être déçus en lisant Deception Point, le troisième roman de Dan Brown (publié en 2001, entre Anges et Démons et Da Vinci Code). Ici, pas de mystère antique, occulte ou autre, pas de sectes secrètes, de méchants religieux, ni même d’éléments historiques, mais un techno-thriller dans la plus pure tradition de Michael Crichton. Comme il m’est arrivé de lire État d’urgence de cet auteur la même semaine que le bouquin de Brown, j’ai fini par confondre les deux intrigues à cause de certains parallèles : les deux livres parlent d’un complot avec des composantes scientifiques, dans les deux romans il y a un héros et une belle héroïne et des tas d’explications scientifiques intégrées avec plus ou moins d’adresse dans une intrigue de thriller. J’ai apprécié la plupart des romans (surtout les premiers) de Crichton, Da Vinci Code m’a donné des boutons, mais en toute honnêteté, techniquement parlant, le bouquin de Brown est plus intéressant que celui de Crichton, littérairement pourri, probablement ce qu’il a écrit de pire. Mais revenons au point de déception !
Alors que la NASA est menacée d’être démantelée pour être revendue à des intérêts privés, un de ses nouveaux satellites découvre la trace d’une météorite géante sous les glaces du cercle polaire. Une fois récupérée, on s’aperçoit que cette pierre venue de l’espace en l’an 1716 contient des fossiles d’insectes géants, preuve irréfutable que la vie existe ailleurs. Une découverte extraordinaire qui va certainement relancer l’agence spatiale et couper l’herbe sous les pieds de ses détracteurs ! Comme les États-Unis sont à la veille d’une élection présidentielle, le Président envoie Rachel Sexton, une brillante et sexy analyste des Services secrets, vérifier l’authenticité de la découverte. Le hasard romanesque faisant bien les choses, Rachel est aussi la fille du plus redoutable adversaire politique du président, ce qui complique évidemment une situation déjà épineuse. Sur place, elle rencontre Michael Tolland, un océanologue brillant et sexy lui aussi, un expert dans son domaine. Ce qu’ils découvrent est une mystification audacieuse, un complot ourdi par des personnages très puissants qui n’hésiteront pas à tenter de supprimer ceux qui se mettent en travers de leurs projets.
Les péripéties abondent, les invraisemblances aussi. Qu’on puisse se tirer une fois d’une situation potentiellement mortelle, soit, mais quand ça arrive plusieurs fois, ça devient lassant, on n’y croit plus. Bref, les ficelles narratives sont grosses, mais reconnaissons que pour une fois, Brown maîtrise assez bien une intrigue qui ne s’éparpille pas à travers mille énigmes ésotériques, avec un vrai début et une vraie fin. Et le débat sur la pertinence ou pas d’investir des milliards dans la recherche spatiale est toujours d’actualité.
Je le répète : pas de Marie-Madeleine, encore moins de Templiers, mais plein de vilains politiciens machiavéliques et meurtriers ! Divertissant. (NS)
Deception Point
Dan Brown
Paris, JC Lattès, 2006, 576 pages.
Le blues mossad du Vatican
J’implore toutes les pleureuses médiatiques qui ont décrété la mort du roman d’espionnage de cesser de proférer des âneries. L’espionnage et la prostitution se disputant le privilège d’être le plus vieux métier du monde, des putes, il y en aura toujours (faites confiance aux politiciens) ; quant aux espions, ils sont apparus dès qu’il y a eu plus d’une famille, plus d’un groupe, un clan, une tribu ou une nation. Ils ne sont pas prêts de disparaître, le roman d’espionnage non plus. Et ça n’est pas la chute d’un mur, d’un rideau quelconque qui y changera quelque chose. Après la chute du Mur de Berlin et l’effondrement de l’Union Soviétique, le roman d’espionnage s’est modifié, de nouveaux thèmes sont apparus et la production, il est vrai, a marqué le pas. Il y a moins de titres, mais il arrive parfois que la qualité compense la quantité. Tant pis s’il y a moins d’OSS 117 et autres barbouzades, il nous reste tout de même des Robert Littell, Percy Kemp. Andy McNab, Henry Porter, ou Daniel Silva dont je viens de finir Le Confesseur qui aborde un thème aussi, sinon plus explosif, que l’affaire des caricatures de Mahomet : le rôle et la responsabilité de l’Église catholique, du Vatican et de Pie XII face à l’Holocauste. Pourquoi le Pape est-il resté silencieux ? Par calcul politique ? Par lâcheté ? Parce que dans le fond, il n’était pas vraiment contre ce qui se passait ? Un peu de tout cela ?
Quand l’agent secret israélien Gabriel Allon enquête sur la mort suspecte d’un vieil ami, il est loin de se douter qu’il vient de donner un sérieux coup de pied dans un sacré nid de frelons. En effet, son ami Stern, un spécialiste de l’histoire de l’Holocauste, était en train de rédiger un livre dont le contenu pouvait ébranler la hiérarchie du Vatican et menacer l’équilibre des relations internationales. Il a été abattu par Le Léopard, un terroriste recyclé en tueur à gages de haut niveau, responsable de la mort de la femme et de la fille d’Allon (L’Assassin anglais). La lutte qui oppose les deux hommes sera sans merci alors qu’au Vatican, un nouveau pape se prépare à faire une annonce extraordinaire : il veut reconnaître officiellement les torts de l’Église, demander pardon au peuple juif. Mais les puissants membres de la Crux Vera, une organisation secrète du Vatican qui défend les intérêts supérieurs de l’Église, vont tout faire pour que cela échoue.
Le dénouement est à la fois dramatique et ingénieux. Daniel Silva mélange de manière habile les éléments historiques (certains réels, dont il donne les sources) et les péripéties d’une action menée à un train d’enfer. Tout le monde y trouve son compte ! Recommandé. (NS)
Le Confesseur
Daniel Silva
Paris, Presses de la Cité, 2006, 416 pages.
Panier de crabes
Rien n’est plus agréable que de lire un roman qu’on ne veut pas terminer, parce qu’on n’a pas envie de se séparer de ses personnages. Cavalier Seul, le douzième livre de la prolifique écrivaine américaine Tami Hoag, rassemble tous les critères d’un bon roman accrocheur : du suspense, un crime assez tordu pour qu’on ne parvienne pas à trouver le coupable avant la fin, et des personnages forts et attachants.
D’entrée de jeu, on sent un lien puissant entre Tami Hoag et son personnage central, Elena Estes, un ancien flic désabusé et estropié par la vie. Durant une mission qui a mal tourné, Elena a provoqué la mort d’un de ses collègues, en plus de passer elle-même à deux doigts de la mort. Pour panser ses plaies, elle s’est réfugiée dans le ranch de son ami Sean Avadon à Palm Beach, en Floride. Chaque jour, elle prend un flacon de Vicodin, le vide et compte les cachets qui pourraient la libérer définitivement de la souffrance physique et mentale dans laquelle elle se trouve. Mais son amour des chevaux l’aide à continuer.
Sur son site officiel, et dans la préface du roman, Tami Hoag assure qu’elle se ressemble pas du tout à Elena, mais qu’elle partage son grand amour des chevaux : « Ils sont ma passion loin du travail ; ma joie, mon refuge, ma thérapie, mon salut et mon réconfort », écrit-elle. Plusieurs chevaux de l’écrivaine, qui participe chaque année à des compétitions de dressage, ont même des petits rôles dans Cavalier Seul ! L’amour de l’auteur pour le monde équestre rend le roman d’autant plus intéressant qu’elle est bien placée pour décrire le milieu dans lequel Elena évolue.
Quant à Elena, c’est avec un réel dédain qu’elle entreprend une enquête qu’elle n’aurait jamais cru mener un jour. Mais voilà, du plus profond de son désespoir, elle cherche une nouvelle raison de vivre, et c’est la jeune Molly Seabright qui va la lui donner en lui demandant de retrouver sa sœur Erin, qui ne donne plus signe de vie. Devant l’indifférence des parents d’Erin et de la police, Molly s’est résigné à contacter Elena, qu’elle prend pour une détective privée. Incapable de refuser d’aider la fillette, Elena retrouve ses instincts de policière et plonge dans un univers aux apparences trompeuses. Son objectif premier : accumuler juste assez d’indices pour convaincre la police de s’impliquer dans le dossier, mais une fois que c’est fait, elle est incapable de faire marche arrière et continue d’embarrasser de sa présence les multiples suspects ; Don Jade, un dresseur de chevaux soupçonné d’avoir tué des bêtes pour toucher à l’assurance ; Thomas Van Zandt, un acheteur sans scrupule qui se croit irrésistible : Bruce Seabright, le beau-père d’Erin qui voudrait bien que l’embarrassante adolescente ne réapparaisse jamais, et Trey Hugues, un richissime propriétaire de chevaux incapable de réfléchir par lui-même.
Tout en talonnant James Landry – l’enquêteur de la police de Palm Beach qui finit par s’occuper du dossier lorsqu’il devient clair qu’Erin a bel et bien été enlevée –, Elena poursuit ses propres recherches sur ses pistes toutes plus dangereuses les unes que les autres. Les dialogues remplis d’humour acerbe et la tension sexuelle qui ne manque pas de naître entre James et Elena rendent la traque encore plus palpitante. Assez pour qu’on souhaite que le duo de choc revienne dans une nouvelle enquête, mais comme l’explique encore une fois Tami Hoag sur son site, c’est très improbable. (CF)
Cavalier Seul
Tami Hoag
Paris, Robert Laffont (Best-Sellers), 2005, 479 pages.
Les déviances du critique
Déviances, de Richard Montanari, est le quatrième polar de cet auteur, mais le premier qui soit traduit en français. Et, comme disent les cousins transatlantiques, ce bouquin me cause du souci. Supposons que vous soyez un lecteur de polars occasionnel et pas un mordu qui dévore ses trois ou quatre titres dans la semaine : vous aimerez probablement ça. Montanari a du métier, il sait raconter une histoire, ménager ses effets et sait vous accrocher au bon moment. Supposons maintenant que vous soyez un lecteur aguerri, un amateur pur et dur… Il y a de fortes chances que vous soyez, comme moi, partagé entre une certaine admiration pour le talent indéniable de l’écrivain sur le plan de l’écriture, et la vive déception de lire une histoire qui reprend allégrement tous les poncifs du genre : un tueur en série enlève puis assassine des adolescentes en les mutilant atrocement. Le fêlé en question, un exalté du cortex qui ne jure que la religion, laisse dans les mains de ses victimes, un rosaire. D’où le titre original, The Rosary Girls. Sur les traces du tueur, Kevin Byrne, un vétéran de la police criminelle de Philadelphie, qui doit faire équipe avec une jeune et jolie recrue Jessica Balzano dont le mari est aussi policier.
La narration passe régulièrement du point de vue du tueur (sans identité, of course) à un point de vue plus général. Quand la fille de Balzano devient la cible du tueur, on se dit qu’on a déjà lu ça mille fois et on n’aura pas tort. Il n’y a rien de nouveau ici, rien d’original dans ce roman pourtant bien ficelé et que j’ai lu d’une traite, non sans agacement. Déjà en 1980, William Kienzle avait écrit une histoire un peu semblable intitulée The Rosary Murders. Je n’insinue pas qu’il y a eu plagiat, loin de moi cette idée, c’est juste que tout ça manque vraiment d’oxygène. Tout est prévisible dans cette histoire, sauf l’identité du tueur. À la manière de Patricia Cornwell dans Postmortem, son premier roman, où le tueur apparaissait seulement à la toute fin, celui de Montanari arrive comme ça, à l’improviste, alors que la liste des suspects était déjà relativement limitée. Premier manquement aux règles (non écrites) du polar. Par ailleurs, selon une mauvaise habitude qui a malheureusement tendance à faire boule de neige, l’auteur utilise au moins une fois une astuce retorse pour nous induire en erreur. Désolé, mais j’appelle ça tricher… Deuxième manquement aux règles. Il y a là un manque de fair play évident ! Bilan mitigé donc : a priori un bon thriller, sur le plan technique en tout cas, mais qu’on a l’impression de relire ! (NS)
Déviances
Richard Montanari
Paris, Le Cherche Midi, 2006, 476 pages.
Ces romans qui tuent…
Jaloux, de Sandra Brown, appartient à ce sous-genre du polar qu’on appelle « biblio-mystery » chez nos voisins anglophones, c’est-à-dire un récit policier où il est question de livres, de bibliothèques, de libraires, de manuscrits et autres accessoires qui gravitent autour de l’édition. Il s’en publie des dizaines tous les ans. Malgré un titre peu invitant et un auteur qui écrit plus vite que son ombre des polars à suspense romantique, ce roman m’a séduit dès les premières pages et s’est avéré être une des bonnes surprises des dernières semaines.
Quoique parfois prévisible – il y a une structure sous-jacente de roman Harlequin – l’histoire est assez ingénieuse, les personnages assez forts pour nous entraîner dans l’aventure de Maris, une éditrice new-yorkaise qui a reçu un manuscrit d’un certain p.M.E. Comme l’auteur n’est pas passé par un agent, son manuscrit a fini sur la « trash pile ». C’est par le plus grand des hasards (le destin, dans les récits d’amour !) que Maris a lu quelques pages. Elle comprend tout de suite que c’est un best-seller potentiel et cherche à entrer en contact avec le mystérieux expéditeur du manuscrit. Elle va le retrouver sur une île perdue en Géorgie (étrange démarche pour un éditeur) où il vit en reclus dans une ancienne et inquiétante demeure coloniale. On aura reconnu la petite touche gothique souvent présente dans ce type de récit.
L’intrigue évolue ensuite sur deux plans : le roman que Parker Evans écrit, (dont il faut soigneusement lire les extraits) et l’aventure des personnages du livre que nous tenons entre nos mains. Un lecteur aguerri aura vite compris qu’entre la fiction qu’écrit Parker, et les personnages de l’histoire, il y a des liens, des rapports que l’on va découvrir au fur et à mesure de la progression de l’intrigue. C’est assez corsé et passablement machiavélique ! Je ne suis pas un grand amateur d’intrigues sentimentales, je laisse les romans Harlequin aux dames qui en raffolent (il y en a quand même quelques millions), mais j’ai beaucoup aimé cette histoire qui se déroule en partie dans le monde de l’édition. Exception faite du « méchant », qui frise la caricature, les personnages principaux sont intéressants, la joute amoureuse entre la belle éditrice et l’homme des cavernes de Géorgie ne manque pas de piquant (comment faire jouir madame dans une chaise roulante et autres galipettes), la trame policière est bien ficelée.
La belle Sandra Brown (elle a déjà été mannequin) a écrit plus d’une cinquantaine de polars, principalement des suspenses psychologiques, auxquels il faut ajouter quelques romans sentimentaux : bref, elle a du métier. Recommandé pour passer un bon moment… (NS)
Jaloux
Sandra Brown
Paris, JC Lattès (Suspense), 2006, 522 pages.
Un polar fantastique
A-t-il encore besoin qu’on le présente ? Brussolo est assurément aujourd’hui un des maîtres des littératures de l’imaginaire. Il a reçu de nombreuses distinctions très importantes, rappelons seulement le prix RTL-Lire, le prix du Roman d’aventures et le prix Paul Féval remis à un auteur pour l’ensemble de son œuvre.
1963. Sarah Katz est la fille d’une ancienne starlette hollywoodienne qui est morte assassinée. Elle est née de père jusque-là inconnu et élevée par un ami de sa mère, un technicien de plateau de tournage qui l’a peu à peu intégrée au métier. Pour Sarah, les contrats se font rares, en fait presque autant que les hommes qui la côtoient et qui fuient devant son corps marqué pour la vie par un incendie criminel. Aussi, quand le richissime collectionneur Adrian West l’engage pour inventorier les décombres de l’ancienne demeure du grand acteur Rex Feinis, un être qui semble abriter plusieurs secrets pas très rassurants, elle n’a d’autre choix que d’accepter le contrat. Même si elle a de drôles de pressentiments face à cette histoire, elle recrute tout de même une équipe pour l’accompagner, et ce malgré le fait que certaines expéditions précédentes n’en sont jamais revenues. Sarah se retrouve donc en plein désert en compagnie de sa meilleure amie Antonia et de deux beatniks plutôt occupés à se défoncer qu’à chercher. Quatre conteneurs hermétiquement scellés renferment les restes de la maison des murmures, l’étrange demeure Rex Feinis, engloutie par un séisme à Beverly Hills. Que contiennent ces sarcophages du passé ? Qui était vraiment Feinis ? Un grand acteur ? Un tueur psychopathe ? Comment le passé de Sarah se retrouve-t-il mêlé aux histoires du dieu vivant d’Hollywood, Rex Feinis ? Est-ce parce qu’à Hollywood, les morts possèdent le pouvoir de revenir à la vie ?
Avec La Maison des murmures, Serge Brussolo revient au genre policier avec un roman à suspense qui survole, de manière très consciente cependant, la littérature fantastique. Dangereux mélange des genres, diront certains, mais quand on a le métier que cet écrivain français possède, il faut s’abandonner et se laisser guider.
Pari intéressant que ce roman à tendance historique qui se situe temporellement entre le décès de Marilyn Monroe (5 août 1962) et l’assassinat du 35e président américain John F. Kennedy (22 novembre 1963). Recommandé pour ceux qui rêvent de chevaucher leur polar bien en selle sur un fantastique quelque peu fringant. (FBT)
La Maison des murmures
Serge Brussolo
Paris, Plon, 2005, 329 pages.
Une nouvelle reine du crime ? Peut-être…
Il y a parfois des éditeurs qui ne doutent de rien et se lancent dans des aventures risquées. Maxime Chattam ayant quitté Michel Lafon pour aller chez Albin Michel, l’éditeur a décidé de miser sur un nouvel auteur, une jeune Irlandaise nommée Alex Barclay, dont il a publié le premier roman, Darkhouse, avec un tirage initial de 50 000 exemplaires et un budget promotionnel de 200 000 euros, rien de moins. Alex Barclay (née à Dublin en 1974) a, paraît-il, créé une certaine commotion dans le monde de l’édition anglo-saxonne où, commerce oblige, on l’a intronisée d’office nouvelle reine du crime. Je me méfie de plus en plus de ces campagnes de « hype » ultra-sophistiquées, où volent les superlatifs, les stéroïdes sémantiques, les points d’exclamation et autres orgasmes éditoriaux destinés à endormir notre sens critique et à convaincre les gogos. Très souvent, le plus souvent, « y a rien là »… Du vent, avec juste de la pub hyper-super-toomuch autour, et une déception en bout de ligne. Qu’en est-il avec Darkhouse ? Pour le moment, ni l’un, ni l’autre…
Pas de quoi se rouler par terre, les yeux dans le beurre, pas de quoi non plus figurer dans notre rubrique redoutée et redoutable « Ici on flingue » ! Darkhouse est une zillionième variante sur le thème éculé du tueur en série et raconte l’histoire d’un flic de New York, Joe Lucchesi, qui a quitté la police après une mésaventure professionnelle particulièrement atroce. Il s’installe dans un petit village irlandais avec sa femme (une conne de première !) et son fils (pas plus brillant que la mère) pour trouver la paix. Mais, coquin de sort, quelqu’un a la mauvaise idée de trucider la petite amie de son fils et voilà tout ce beau monde plongé en plein drame. Les flics locaux soupçonnent le fils (faut dire que l’imbécile n’aide pas sa cause), détestent le flic new-yorkais et ses grands airs. Par ailleurs, le pauvre Joe (quand ça va mal, ça va mal) se rend compte que sa femme lui ment, que son fils se drogue et lui ment, et qu’il a un psychopathe revanchard aux trousses (séquelle du drame new yorkais).
Diantre ! À vrai dire, il n’y a là rien de bien nouveau sous le soleil, mais pour un premier roman, c’est quand même assez prometteur. Par contre, si Alex Barclay veut vraiment mériter son titre de reine, elle devra nuancer davantage ses personnages, et surtout trouver une façon plus subtile de dénouer son intrigue. Car voilà un roman qui ne finit qu’en partie. Il y avait deux « méchants » : dans un cas, justice sera faite, dans l’autre, il faudra probablement attendre son retour dans une suite éventuelle. Pour ma part, les tueurs en série qui ont la fâcheuse idée de revenir dans plusieurs romans, je n’y crois tout simplement pas. Ce gadget narratif a gâté la sauce chez Patricia Cornwell, Thomas Harris, André Japp et quelques autres. Un serial killer est un être d’exception (au sens négatif du terme, dois-je le préciser). Faites-le revenir (avec des petits oignons) et ça devient juste du mauvais grand guignol ! Barclay est en train d’écrire un deuxième roman qui s’intitulera The Caller. À suivre, donc… (NS)
Darkhouse
Alex Barclay
Paris, Michel Lafon, 2006, 370 pages.
Rebus et le politicien
Piège pour un élu est un roman inédit de Ian Rankin, paru au Livre de Poche, dont le titre original est Strip Jack (1992) et qui met en scène l’inspecteur John Rebus dont c’est ici la quatrième enquête.
À Édimbourg, John Rebus est présent lors d’une descente de police dans un bordel discret de la capitale écossaise. À sa grande surprise, et à celle de ses collègues, il y trouve Gregory Jack, un jeune et brillant député pour lequel Rebus a une certaine admiration. La présence d’un nombre inhabituel de journalistes et de photographes, arrivés rapidement sur les lieux de la rafle, met la puce à l’oreille du détective. Il soupçonne le coup monté. Quelqu’un a intérêt à démolir la réputation du député, venu engueuler sa sœur qui o(ri)fficiait dans les lieux ! La thèse du complot semble se confirmer quand on découvre peu après le cadavre d’Elizabeth, la femme du même député, flottant dans la rivière. Cependant, ce meurtre ressemble à celui d’une autre victime, morte dans des circonstances semblables quelque temps auparavant. La police trouve un suspect qui se vantait du premier meurtre mais celui-ci leur fausse compagnie après avoir donné une adresse fictive.
Occupé par une affaire de livres rares volés, Rebus ne peut s’empêcher de mettre son nez dans l’affaire du député et du meurtre de l’épouse. Pour ce faire, il doit rencontrer le clan qui entoure Gregory Jack, dans l’espoir de trouver des indices. Mais toute enquête qui touche au monde de la politique comporte sa part de difficultés supplémentaires : la hiérarchie devient nerveuse et tatillonne, les journalistes bourdonnent comme des mouches (arrêtons là la métaphore), l’entourage du député est un univers de faux-semblants, et tout ce beau monde marche sur des œufs.
Chose remarquable, le très solitaire Rebus semble amoureux. Il y a une femme dans sa vie. Prénommée Patience, elle n’a pas vraiment le prénom approprié pour vivre avec un homme aussi imprévisible que l’inspecteur John Rebus, avec son obsession du métier, ses sautes d’humeur et ses horaires de fou ! Mais ça a l’air de fonctionner…
Encore une fois, Ian Rankin nous entraîne dans une enquête qui nous accroche dès les premières pages. Le livre n’a rien d’un thriller haletant, mais comme l’intérêt ne faiblit jamais, on ne voit pas le temps passer, en grande partie à cause des personnages forts qui peuplent les polars de Rankin, décidément un des grands maîtres du genre. (NS)
Piège pour un élu
Ian Rankin
Paris, le Livre de Poche, 2006, 412 pages.
Avec Batya, on ne se Gour pas !
Barya Gour, que l’on a surnommée la « p.D. James israélienne », née à Tel Aviv en 1947 et décédée en 2005, a publié six polars mettant en scène le commissaire Michaël Ohayon. Ces livres ont été traduits en au moins douze langues. Meurtre sur la route de Bethléem, cinquième titre de la série, publié par Fayard en 2003, vient de sortir en édition de poche, conjointement avec le sixième, Meurtre en direct qui, lui, paraît dans la Série Noire revampée.
Sous-titré « une enquête du commissaire Michaël Ohayon », Meurtre sur la route de Bethléem est un roman de procédure policière dont l’action se passe à Bethléem et à Jérusalem, en pleine Intifada. Un peu comme les polars de Henning Mankell, ce livre est à la fois un polar, dans la bonne tradition du genre, et une étude de mœurs car Batya Gour, qui était professeur de littérature, a toujours jeté un regard très critique et sans concession sur les multiples facettes de la société israélienne. Cette fois, une enquête sur meurtre débouche sur l’un des secrets les plus honteux, les plus enfouis de l’histoire d’Israël : l’adoption (après kidnapping) d’enfants yéménites arrachés à leurs familles et faussement déclarés morts.
Par ailleurs, si comme moi, un peu naïvement, vous vous dites qu’après ce qu’ils ont subi un peu partout dans le monde, les Israéliens doivent être vaccinés contre toute forme de racisme ou de discrimination, vous vous trompez joyeusement. Ce roman met en lumière de façon crue, brutale, les nombreuses disparités de la société israélienne, les fractures douloureuses comme le mépris, la haine, la persécution et l’exploitation éhontée des Palestiniens, et, encore plus surprenant la « guerre » des clans entre juifs dits « ashkénases » (venus principalement de l’Europe de l’Est) et les juifs dits « séfarades », originaires du bassin de la Méditerranée et d’Afrique du Nord. Pas facile, dans ces conditions, de garder la tête froide et de mener une enquête efficace sur le meurtre atroce d’une belle jeune femme défigurée à coups de planche, quand les suspects appartiennent à deux familles qui se détestent à mort depuis leur arrivée en Israël.
Ce roman, très instructif et mené de manière professionnelle, est mon premier contact avec l’univers littéraire de Batya Gour. Je compte bien récidiver… (NS)
Meurtre sur la route de Bethléem
Batya Gour
Paris, Gallimard (Folio Policier 400), 466 pages.
Le blues de l’alchimiste…
Appelons ça le « syndrome Da Vinci Code ». De façon régulière, et de plus en plus fréquemment, nos éditeurs favoris nous présentent des polars avec l’inévitable poncif, l’argument de vente déjà éculé (souvent mensonger) : « dans la tradition de Dan Brown et d’Umberto Eco ». D’une part, mettre sur le même plan un littéraire érudit comme Eco et un tâcheron comme Brown relève de l’ignorance crasse, voire de l’insulte, d’autre part, si c’était vrai, les auteurs concernés seraient tous multimillionnaires, ce qui n’est pas le cas, que je sache. Or donc, dans ce type de bouquin, il y a généralement deux parties : une énigme historique (manuscrit rare contenant un grave secret historique, relique mystérieuse, etc.) et une intrigue contemporaine : quelqu’un a eu vent ou découvert l’existence du secret. Cela a des conséquences dramatiques, il va de soi, le secret millénaire ne devant pas être révélé. La recette consiste à tricoter serré les deux histoires tout en sachant doser habilement le suspense et l’érudition, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Même si je ne suis pas un admirateur de Brown, force est de reconnaître que son succès est dû en partie à son habileté de conteur, alors que la plupart de ses imitateurs cassent le rythme, engluant de façon malhabile leur intrigue dans une érudition lourde et empesée.
C’est le principal point faible du premier roman de l’Américain Jon Fasman, La Bibliothèque du géographe, qui a tous les ingrédients de base de la formule. Une première histoire commence en 1154, à Palerme, quand un voleur dérobe un sac dans la bibliothèque d’al-Idrisi (un personnage qui a existé), le géographe du roi Roger II de Sicile. Le sac contenait quinze artefacts mystérieux qui sont dispersés de par le monde, retrouvés par des collectionneurs qui connaissent tous une fin tragique. L’histoire de chacun des objets occupe un chapitre, c’est la partie la plus longuette de cette histoire. En alternance, nous suivons les tribulations d’un jeune journaliste, un peu naïf et ambitieux, qui doit rédiger la notice nécrologique d’un professeur excentrique d’origine estonienne. Ce qui semblait n’être qu’une affaire de routine, expédiée en quelques heures, se transforme en périlleuse enquête policière à laquelle se trouve mêlée la mystérieuse Hannah, une amie du défunt qui devient la maîtresse de Tom, le journaliste. Selon les règles éprouvées de la formule, les deux histoires vont se croiser, se confondre, pour déboucher sur une intrigue où l’alchimie et le fantastique apportent une dimension nouvelle et insolite à cette drôle d’histoire.
La Bibliothèque du géographe n’est pas un mauvais roman, loin de là. Il souffre de quelques longueurs, certains des objets n’ayant qu’un intérêt mineur. Par ailleurs, l’identité des personnages est parfois difficile à saisir (il y a des immortels qui traversent les âges en changeant de nom). Quant au personnage et au rôle d’Hannah, il est plutôt invraisemblable. On a du mal à comprendre ses motivations, surtout à la fin. Mais dans l’ensemble, et à condition d’être patients (ça n’est pas haletant !), les amateurs de polars historiques, occultes mais pas incultes, y trouveront leur compte. (NS)
La Bibliothèque du géographe
Jon Fasman
Paris, Seuil, 2005, 394 pages.
Revue Alibis – Mise à jour: Mars 2006