Encore dans la mire
Christine Fortier, André Jacques, Christian Sauvé, Norbert Spehner et François-Bernard Tremblay
Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 1 468Ko) d’Alibis 17, Hiver 2006
Mort et résurrection de la Série Noire !
Oyez, oyez, amateurs de polars, collectionneurs impénitents et autres amateurs de romans noirs : la Série Noire n’est plus, du moins dans le format poche que l’on connaissait jusqu’à présent. Malgré ses soixante ans bien comptés, elle n’aura pas atteint les 3000 titres. Les collectionneurs noteront que le dernier volume numéroté est le 2743, Le Dernier Coup de Kenyatta de Donald Goines, lui-même abattu de plusieurs balles dans la tête le 21 octobre 1974 (aucun rapport, je sais, mais ça vous prouve que je connais des trucs…) Mais comme le phénix, la Série Noire renaît de ses cendres et fait peau neuve.
Avec une nouvelle livrée, assez élégante, et un nouveau directeur nommé Aurélien Masson (Patrick Raynal a déménagé chez Fayard), la collection adopte un plus grand format ; elle arbore une couverture ornée d’une photographie en noir et blanc dont la typographie évoque la maquette d’origine dessinée par Picasso. Par ailleurs, elle fusionne avec La Noire et inscrit ses choix au sein du programme littéraire composé par les différentes collections des éditions Gallimard. Avis aux collectionneurs : ces nouveaux volumes ne sont pas numérotés… Les deux premiers titres, parus en octobre 2005, sont King Bongo, de Thomas Sanchez, et Dr Jack, de Norman Green.
L’action de King Bongo se déroule à Cuba, en 1957, sous le régime du dictateur Battista. Des attentats à la bombe secouent la capitale alors que des révolutionnaires barbus, dirigés par un dénommé Fidel Castro, menacent le régime. Le personnage principal. King Bongo, le meilleur batteur de La Havane, agent d’assurance et détective privé à ses heures, assiste au réveillon du jour de l’An au célèbre cabaret Le Tropicana. Il échappe de peu à la mort quand une bombe explose dans le club. Sa sœur, une très belle danseuse exotique surnommée la Panthère a disparu dans la confusion qui a suivi l’explosion. Est-elle morte ? L’a-t-on enlevée ? Mystère…
Le roman raconte la quête désespérée de Bongo, décidé coûte que coûte à retrouver cette sœur jumelle à qui il est lié par des liens très particuliers. Mais il n’est pas le seul à vouloir retrouver la Panthère. Elle intéresse un groupe de tueurs mafieux, mais aussi et surtout, le très inquiétant et cruel Humberto Zapata, un membre de la police secrète, un tortionnaire sadique de la pire espèce qui adore faire souffrir les révolutionnaires capturés. Plus qu’un roman d’action, King Bongo, dont l’intrigue est complexe, nous propose une galerie de personnages exotiques, bien campés et un tableau troublant de la société cubaine, minée par la corruption et la décadence, avant l’arrivée des communistes de Castro, dans laquelle la musique joue un rôle prépondérant. Comme l’affirme un ami du héros, après le dénouement sanglant : « …le pays aura toujours besoin de toi ! Tu as le rythme ! Tu es le roi du bongo ! Sans musique, nous mourrons ! ». (NS)
King Bongo
Thomas Sanchez
Paris, Gallimard, 2005, 384 pages.
Dolmen, menhirs et autres fantômes
« Rocambolesque, adj. • 1898 ; de Rocambole, personnage de romans-feuilletons de Ponson du Terrail • Extravagant, plein de péripéties extraordinaires. Aventures rocambolesques. Cette histoire est rocambolesque. » Le Petit Robert
Rocambolesque donc, voilà le mot le plus juste pour décrire Dolmen, le roman à quatre mains de Nicole Jamet et de Marie-Anne Le Pezennec. La première a commencé sa carrière comme comédienne ; la seconde est issue du milieu du journalisme et de la publicité. Depuis le milieu des années 90, toutes deux ont souvent travaillé à la scénarisation de téléfilms et de séries policières pour la télévision française.
Cette fois, elles ont fait le pari d’écrire en même temps une série télévisée et un roman. La série fut diffusée l’an dernier en France et elle a fracassé toutes les cotes d’écoute : treize millions de téléspectateurs à chaque épisode. Le roman, quant à lui, a été presque ignoré par la critique française « sérieuse », critique qui, il faut le dire, se méfie toujours des succès populaires. Mais que raconte cette sombre histoire ?
Marie Kermeur, jeune inspectrice de la police judiciaire de Brest en Bretagne, retourne sur l’île de Ty Kern où elle est née pour y épouser celui qu’elle aime depuis toujours et à qui elle était en quelque sorte promise : Nicolas, le skipper d’un grand voilier de compétition. Mais les préparatifs de la noce sont vite interrompus par un meurtre sanguinaire, celui de Gildas, le frère de Marie. Dans ce lieu mythique et brumeux imprégné de légendes celtiques, les meurtres vont se succéder à un rythme affolant. Et, pour ajouter au mystère, chaque crime sera accompagné de phénomènes étranges et paranormaux : pierres levées qui pleurent le sang, vents déchaînés qui charrient des formes étranges et fantomatiques, rappel de vieilles légendes de naufrageurs. La table est mise et le lecteur est entraîné de rebondissement en rebondissement avec tous les revirements qu’on peut imaginer dans le plus délirant des feuilletons.
Entre policier et fantastique, quelque part à la conjonction des genres, ce roman plaira à ceux et à celles qui ont aimé Dix petits nègres d’Agatha Christie, L’Île aux trente cercueils de Maurice Leblanc ou Le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas. Dolmen est en effet une joyeuse macédoine de ces grands classiques.
Il pèche toutefois par quelques faiblesses. Au début, le nombre considérable de personnages déconcerte. Il y a là une véritable brochette un peu folklorique : la famille noble et son châtelain arrogant, les notables parvenus et jaloux les uns des autres, les pêcheurs et les ouvriers du petit chantier naval et toute une galerie de femmes aux caractères granitiques. Sans oublier, bien sûr, l’idiot du village. Pendant un moment, on se perd dans les croisements de tous ces îliens. C’est un problème que rencontrent parfois les scénaristes qui, comme nos auteures, se lancent dans le roman : habituées à montrer par l’image, elles ne décrivent pas assez les personnages qui finissent par se confondre. À l’écran, le spectateur les voit et les distingue tout de suite. Pas dans le livre. Mais on s’y fait et, au fur et à mesure que les cadavres s’accumulent, on reconnaît mieux les survivants.
Il y a aussi quelques invraisemblances. Qu’on laisse Marie, dont le frère est la première victime, se mêler de l’enquête étonne. Peu de corps policiers laisseraient une personne aussi directement impliquée s’immiscer à ce point dans l’enquête. Il faut préciser toutefois que l’enquête officielle est confiée au jeune inspecteur Lucas Fersen, spécialiste des crimes rituels, mais il est vite à la remorque de la belle et fougueuse Bretonne. Assez invraisemblable aussi, l’à-propos de certains rebondissements et de certains revirements qui arrivent un peu trop à point. C’est parfois presque aussi « arrangé… » (vous savez avec qui…) que la main qui se tend juste au moment où l’héroïne va tomber du haut de la falaise.
Mais, en bout de ligne, on se laisse prendre, comme on se laissait prendre par Dumas ou Leblanc, et le roman nous entraîne à un rythme assez endiablé. Il ne faut pas bouder son plaisir. Les plus cyniques garderont un sourire en coin. Les autres attendront avec impatience la suite : une nouvelle aventure de Marie Kermeur et de Lucas Fersen que les auteures ont déjà annoncée. (AJ)
Dolmen
Nicole Jamet et Marie-Anne Le Pezennec
Neuilly-sur-Seine, Michel Lafon, 2005, 435 pages.
Faire parler les morts
Tel qu’annoncé, la populaire anthropologue judiciaire situe l’intrigue de son septième roman à Montréal. Elle s’inspire aussi des nombreux dossiers qu’elle a traités dans la Belle Province. Dans ce cas-ci, il s’agit de la découverte, il y a quelques années, de trois squelettes dans le sous-sol d’une pizzeria de la rue Sainte-Catherine. C’est d’ailleurs justement dans le sous-sol du commerce en question qu’on retrouve l’alter ego de Kathy Reichs, Temperance Brennan, en ouverture de Meurtres à la carte.
Les fans qui ont lu les précédents romans de l’auteure, qui travaille une partie de l’année à Montréal et l’autre à Charlotte, en Caroline du Nord, ne seront pas surpris, ni déçus, par ce retour en forme. Dans Meurtres à la carte, Tempe est obsédée par les trois squelettes de jeunes femmes qu’elle a déterrés. Elle tient absolument à savoir quand, comment et pourquoi elles sont mortes. Pas question de s’en tenir aux conclusions hâtives du détective Paul Claudel, qui est persuadé qu’il s’agit de vieux ossements et que ça ne vaut pas le coup de perdre du temps à élucider ce mystère. Il n’en faut pas plus pour convaincre l’anthropologue judiciaire de s’accrocher à l’enquête. Elle consacre donc toutes ses énergies à trouver des réponses à ses questions. Et il semble qu’elle a raison de s’acharner puisqu’elle reçoit un appel étrange provenant d’une dame affirmant avoir des détails à lui raconter au sujet des ossements.
Une bonne part de Meurtres à la carte est aussi consacrée aux états d’âmes de Tempe, qui se pose mille et une questions au sujet de sa relation avec le détective Andrew Ryan. A-t-elle rêvé où est-il vraiment plus distant depuis quelque temps? Alors qu’elle n’arrive plus à se décider sur la conduite à suivre, Anne, sa meilleure amie, débarque à Montréal, en pleine dépression. Préoccupée par son amie, inquiète au sujet de Ryan, constamment furieuse contre Claudel, Tempe mène son investigation avec sa détermination habituelle, et n’hésite pas à mettre sa propre vie en danger pour trouver la vérité. Et c’est là que le bât blesse. Dans chaque roman de Kathy Reichs, Tempe finit toujours par être la cible du tueur. On a par conséquent l’impression de se faire servir du réchauffé. Tout n’est quand même pas noir, car en tant que telle, le déroulement de l’enquête est captivant, et la conclusion – les motifs ayant conduit aux meurtres – nous rappelle que, malheureusement, notre société est peuplée de spécimens complètement détraqués.
Même si les romans de Kathy Reichs n’ont plus le même effet de nouveauté, il faut quand même saluer l’impressionnant soucis du détail de l’écrivaine. Dans Meurtres à la carte, elle entraîne le lecteur à la découverte de Montréal, de son architecture et de son atmosphère comme jamais auparavant. Fait cocasse ; on dit souvent que les Québécois sont obsédés par la météo. Eh bien, on dirait que Kathy Reichs souffre dorénavant elle aussi de notre manie : le froid, la neige, les mauvaises conditions routières, tout y passe. Un bon divertissement. (CF)
Meurtres à la carte
Kathy Reichs
Paris, Robert Laffont (Best-Sellers), 2005, 372 pages.
Un autre défi à l’impossible
Paul Halter est vraiment un cas à part dans le polar français contemporain. Il persiste d’ailleurs à aller à contre-courant des modes entourant le roman noir et le thriller pour se consacrer au roman d’énigme entretenant un goût particulier pour les récits impossibles et les meurtres en chambre close. Sa dernière nouveauté, Les Larmes de Sibyl, vient de remporter le prix maison des éditions du Masque (Le Masque de l’année), démontrant hors de tout doute que l’auteur incarne la stabilité dans cette maison où les changements et les bouleversements des dernières années ont parfois modifié le programme de publication. Ce dernier roman met en scène l’inspecteur Hurst de Scotland Yard et le docteur Twist, des personnages récurrents dans l’œuvre de Halter, face à un défi à l’impossible qui donnera des cheveux blancs aux deux amis.
Croyez-vous aux pendules ? Aux sources magiques ? Aux dons divinatoires qui permettent de retrouver des personnes disparues ou des objets volés ? C’est du moins ce que prétend pouvoir faire Patrick Markale, nouveau venu dans le petit village de Cornouailles et clairvoyant extralucide à ses heures. L’inspecteur Oliver Kendall n’y croit pas beaucoup, lui, à ses supercheries. Pourtant, grâce à Markale et à ses dons, la police va résoudre plusieurs mystères inexpliqués. Il faudra l’apport de l’inspecteur Hurst et de son ami le docteur Twist pour démêler le vrai du faux dans cette nouvelle aventure abracadabrante de l’actuel maître des récits impossibles.
Rien de neuf sous le soleil avec ce roman qui confirme à nouveau le talent exceptionnel de Halter pour ce genre dans lequel il excelle. Peut-être un peu de redites cependant avec la méthode employée qui nous propose toujours un nombre élevé de personnages qui n’ont d’autre but que de nous égarer afin que l’auteur puisse mieux nous confondre. Mais le roman est bien tourné et ferme la boucle, comme toujours chez Halter. À recommander aux inconditionnels et à ceux qui n’ont encore jamais pris contact avec Paul Halter. (FBT)
Les Larmes de Sibyl
Paul Halter
Paris, Le Masque, 2005, 220 pages.
Allez, d’Icône pas, c’est pas du Brown !
Dan Brown est pire qu’un virus ! La grippe aviaire n’est rien à côté de tous ces Damned Brownies (imitations de…) dont nous menacent les éditeurs. Par exemple, L’Icône, de Neil Olson, nous est vanté comme étant « dans la lignée de Ian Pears et de Dan Brown ». Ceci, encore une fois, est absolument faux. L’Icône, quoique pas plus folichon que ça, n’a strictement rien à voir avec le médiocre Da Vinci Code (médiocre ? Quoi ? Des millions de lecteurs ne peuvent pas se tromper. Oh que si ! Ils sont juste un peu plus nombreux à avoir tort). Ça n’est pas non plus la révélation de l’année. En fait, dans une conversation de taverne, ça donnerait à peu près ça : « Ouais, bon, bof – intro obligée – ça se lit, mais ça manque un peu de nerf et l’icône, la fameuse icône ne m’a pas impressionné outre mesure. Pis y a trop de Grecs avec des noms bizarres et comme ils adoptent tous des noms de guerre et que les personnages eux-mêmes s’amusent à s’attribuer mutuellement ces sobriquets, on en perd son latin (même si ce sont des Grecs !). » Enfin, quelque chose dans ce goût-là…
Toute l’action de ce thriller qui manque un peu de nerf (je me répète, mais c’est comme ça) tourne autour d’une précieuse icône que l’on pensait disparue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Vierge de Katarini, réputée pour ses pouvoirs extraordinaires et maléfiques, pouvoirs qui ne jouent qu’un rôle mineur, l’auteur n’ayant pas su ou pas voulu exploiter davantage cet aspect de l’histoire. Le lecteur navigue entre la Grèce, pendant la guerre, et le New York contemporain. Des membres de la résistance grecque ont fait un marché avec un officier nazi : l’icône contre une cache d’armes pour pouvoir combattre les communistes, une fois le conflit terminé. L’icône disparaît puis se retrouve entre les mains d’un collectionneur d’art et banquier suisse. À sa mort, elle revient à sa fille qui va chercher à s’en défaire. C’est là que les choses se compliquent car il y a des gens prêts à tout, y compris au meurtre, pour mettre la main sur la précieuse chose. Et, bien entendu, le passé refait surface. Plusieurs des personnages du roman sont des octogénaires, des survivants des événements tragiques qui se sont déroulés une certaine nuit pendant la guerre.
Neil Olson est un agent littéraire qui a sauté la barrière. L’Icône est son premier roman et nous savons qu’il n’a pas eu (loin de là) le succès de Da Vinci Code ou de tout autre opus dudit Brown. Et pour cause… J’ai trouvé l’intrigue un peu molle. Olson a du mal à maîtriser sa narration, les personnages sont nombreux et aucun d’entre eux n’impressionne vraiment. Même le héros, Matthew Spear, un conservateur adjoint du Metropolitan Museum, n’est pas très bien défini. Certains passages, notamment ceux qui se passent pendant la guerre, sont meilleurs que d’autres, mais dans l’ensemble, cette histoire d’œuvres d’art volés par les nazis manque de vrai suspense et de mystère. (NS)
L’Icône
Neil Olson
Paris, Albin Michel, 2005, 414 pages.
Beau casting
Rouge cendres est le cinquième roman de Frédéric Castaing. Expert en autographes et en manuscrits originaux, il a aussi publié Signatures, un dictionnaire des écritures.
Un libraire parisien spécialisé en autographe est sollicité par une milliardaire américaine lors de la foire du livre ancien de New York. Les motivations de cette dernière ? S’approprier le monopole de la mémoire écrite, c’est-à-dire prospecter, en France surtout, un maximum de manuscrits tant dans les collections publiques que privées. Bien sûr, l’expert français ne travaillera pas seul pour constituer la collection. Dès le début des collectes, Jonathan et Blandine s’avèrent pour lui de précieux complices : le premier pour ses initiatives et la deuxième pour la qualité de ses charmes. Mais rapidement, les collectes de manuscrits et d’autographes se font de moins en moins efficaces. En effet, plusieurs groupes sociaux n’ont pas l’intention de laissé la mémoire écrite de la France s’envoler sans lever le petit doigt. Au génie qui ne suffit plus à se procurer de nouvelles raretés, on accole des gros bras afin de dénouer les impasses et défoncer quelques portes fermées. Joe et Augustin sont engagés par la milliardaire pour rejoindre le trio de prospecteurs et faire débloquer les choses. Justement, la nouvelle quête du groupe est une collection volée à Sacha Guitry qui renferme un billet signé de la main de Christophe Colomb, ce qui devrait assurer l’avenir de tout le groupe et leur descendance pour l’éternité. Mais les cadavres commencent à se multiplier et le groupe se divise de plus en plus, surtout quand le billet de Colomb apparaît soudainement dans la valise d’un des membres du groupe.
Voilà un roman qui plaira à ceux qui aiment entendre discuter de la grande littérature, de manuscrits et d’originaux : Flaubert par-ci, autographe de Racine par-là, lettre de Rimbaud à Verlaine d’un côté, billet de Zola de l’autre, l’auteur fait intervenir nombre de lettres, de billets, de manuscrits discourant tantôt sur l’importance sociale et monétaire de chacun des écrits, tantôt sur l’importance de garder en France ces richesses nationales. Certes, Frédéric Castaing est un spécialiste de l’achat et de la vente d’autographes célèbres, et il réussit assez bien à nous intéresser dès le départ à son domaine de prédilection malgré le fait que la plupart des lecteurs sont néophytes en ces domaines. Mais l’intrigue, elle, s’enlise peu à peu et l’intérêt pour le roman diminue d’autant qu’on y trouve quelques invraisemblances.
Tout de même, s’il reste que ce texte s’avère une jolie curiosité en raison de la spécialité qu’il ose aborder, on ne le retiendra cependant pas pour les qualités de son intrigue policière. (FBT)
Rouge cendres
Frédéric Castaing
Paris, Ramsay, 2005, 229 pages.
Pour passer un bon moment en mauvaise compagnie !
Pour commencer, je voudrais vous soumettre un problème de vocabulaire. N’est-il pas un peu audacieux, ou risqué, en ces temps de folie du politiquement correct, d’employer l’expression consacrée « une chasse à l’homme » quand la personne traquée est… une femme ? Nous laisserons quelques féministes enragées fouiller dans les entrailles fumantes de leur dernière victime mâle pour y dénicher l’oraculaire réponse. Quant à moi, je me contenterai de signaler que le problème se pose dans Un très sale boulot, un thriller noir de Stuart Woods, qui met en scène Marie-Thérèse du Bois (qui n’en est pas sortie…). Cette jeune femme, très rapide à la détente (de son pistolet), s’est fait une spécialité d’éliminer depuis des années les membres des services secrets britanniques. Quand Stone Barrington, un ancien flic new-yorkais, retrouve son amie anglaise Felicity, il est loin de se douter qu’elle est elle aussi dans le collimateur de la mante religieuse. Commence alors une course-poursuite meurtrière, échevelée, sans temps mort mais avec beaucoup de cadavres jusqu’au dénouement à la fois explosif, tragique et touchant.
Qu’on ne s’y trompe pas… Un très sale boulot est un excellent divertissement made in USA, ni plus ni moins. Un personnage central fort, décontracté, courageux et sexy, de l’action à gogo, des cadavres à la pelle, des libertés avec la vraisemblance, quelques coïncidences heureuses, bref de quoi faire un excellent film débile à l’américaine avec Mel Gibson ou quelque autre guignol adepte de la gâchette. Ce qui m’amène à cette autre question existentielle : pourquoi ce genre de récit d’action, qui stimule vos hormones plutôt que votre matière grise, n’est-il pas publié directement en livre de poche ? Aux États-Unis, ils ont les mass market paperbacks pour y publier des livres destinés à un vaste public qui ne veut pas trop se casser la tête ou qui cherche à tuer le temps dans un train ou dans un avion. Des romans de gare, quoi… On ne peut pas se taper les œuvres de Wittgenstein ou de Derrida (qui n’a jamais déridé personne) tous les jours. Un très sale boulot est un excellent roman à suspense, écrit par quelqu’un qui a du métier, mais ça n’est jamais que ça, même si à la fin, la morale est sauve, ce qui, dans les circonstances, et vu le contexte, n’est pas un mince exploit. (NS)
Un très sale boulot
Stuart Woods
Paris, L’Archipel, 2005, 328 pages.
Avocats… prêts… partez !
Les avocasseries polardières sont envahissantes. Dans tous les sens… C’est fou le nombre de membres de cette joyeuse confrérie qui abandonne le métier (des gens de robe qui se défroquent, jolie absurdité, non ?) pour se lancer dans l’écriture de polars et nous raconter, bien entendu, des histoires de prétoire, de procès, de judicieuses et juteuses erreurs judiciaires, et j’en passe.
Phillip Margolin est un ancien du métier, reconverti à l’écriture. C’est la première fois que je lis un de ses romans et, foi de juré, Un lien très compromettant est un excellent passe-temps. Je suis bien conscient du fait que ce terme peut être mal interprété, alors précisons : un polar divertissant, pour moi, c’est un récit à suspense, avec une action soutenue, beaucoup de rebondissements, une tension permanente, avec un dénouement réussi. On les lit pour passer le temps et non pas pour se poser de graves problèmes existentiels. La vie, dieu merci, n’est pas faite que de profondes réflexions ! Mais revenons à nos avocats, fort occupés dans cette histoire rocambolesque dans laquelle il est question d’un « club » très privé et très puissant qui pratique le meurtre comme rite d’initiation et entretient des liens très étroits avec le cartel mexicain de la drogue. Son but ultime : place leur marionnette à la tête des États-Unis. À voir l’état du monde actuel, on se dit qu’ils ont sans doute réussi, mais dans le roman il en va autrement puisqu’ils auront affaire à Amanda Jaffe, avocate de choc qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Elle doit défendre Jon Duprey, le patron d’un réseau de call-girls de luxe accusé du meurtre d’un sénateur. Comme ce même Duprey a déjà assassiné son avocat précédent, et cela en pleine prison, l’affaire sera plus compliquée que prévue. Par ailleurs, Duprey, qui clame malgré tout son innocence, prétend détenir des informations compromettantes sur une sorte de société secrète, constituée d’hommes au-dessus de tout soupçon, dont les ramifications s’étendraient jusqu’à la présidence des États-Unis. Ce que découvre Amanda Jaffe a de quoi donner froid dans le dos. Si le lecteur complice accepte de fermer un œil sur la vraisemblance de toute cette histoire, il sera récompensé par un récit nerveux où l’action et les cadavres ne manquent pas. Et malgré la pourriture ambiante, la morale sera presque sauve. Bref, comme dans le cas du roman de Stuart Woods, Un très sale boulot (voir ce titre), ce passionnant thriller judiciaire de Phillip Margolin se déguste à cent kilomètres à l’heure, mais il aurait dû paraître lui aussi dans une édition de poche. (NS)
Un lien très compromettant
Phillip Margolin
Paris, Albin Michel, 2005, 402 pages.
Une remontée difficile
Le domaine du techno-thriller militaire a ses niches bien particulières, bien divisées entre métiers et services : sous-marins, bombardiers, porte-avions, chasseurs, infanterie… Cette spécialisation reflète la réalité, les auteurs de ce type de fiction étant souvent des vétérans exploitant leur expérience militaire pour écrire sur ce qu’ils connaissent.
Mais quand une niche devient moins d’actualité, cela peut frapper dur : avec la fin de la guerre froide, le service sous-marin américain s’est inquiété, car passée la menace d’une vaste attaque nucléaire, pourquoi garder la force de frappe dissuasive des boomers ? Pourquoi dépenser autant sur ses sous-marins d’attaque quand la Russie n’est même pas capable de garder sa flotte en bon état de marche ? La guerre sous-marine est l’affaire des grandes puissances navales : est-ce qu’elle en vaut encore le prix en ces temps de guerre au terrorisme ?
DiMercurio a longtemps évité la question en poursuivant une troisième guerre mondiale fictive avec sa série « Michael Pacino ». Mais cette dernière ayant frappé un cul-de-sac narratif avec des contraintes quasi science-fictionnelles, il devait trouver une alternative. Avec Alerte : Plongée immédiate, premier livre de la nouvelle série « Peter Vornado », DiMercurio revient à un environnement contemporain… et réussit à y combiner les vieux enjeux de la guerre froide avec les nouvelles craintes des attaques terroristes. De fait, l’intrigue met en scène un commandant naval américain en mission clandestine pour intercepter des terroristes qui ont réussi à se procurer un sous-marin soviétique.
On remarquera dans Alerte : Plongée immédiate une structure un peu plus intéressante que la moyenne, dotée de deux prologues très longs préparant un affrontement redouté entre deux amis. DiMercurio se permet même quelques détours à l’extérieur de ses sous-marins et un peu d’espionnage et des complications sentimentales hissent le livre au-delà de la stricte aventure militaire, sans toutefois en faire beaucoup plus. Car si le roman a sa part de bons moments et de trouvailles intéressantes, c’est sur le plan de l’exécution que ça se corse.
Il n’y a pas à douter des connaissances techniques ou militaires de DiMercurio, un sous-marinier vétéran qui profite habituellement de ses entrevues pour critiquer Tom Clancy. Malheureusement, il tombe dans le même panneau que plusieurs de ses confrères d’armes : il explique avec trop de détail, ne sait pas comment alléger ses scènes des détails inutiles et, ce faisant, sape une bonne partie de l’énergie de son intrigue. De plus, des problèmes de vraisemblance viennent hanter les aspects non militaires : la CIA et le département d’État laisseraient-ils vraiment des terroristes s’emparer d’un sous-marin, même en sachant avoir des agents à bord ?
La traduction ne réussit pas à faire de la magie avec un matériel original assez laborieux. Même le bon travail de Dominique Chapuis à gérer la tonne impériale de jargon propre à ce genre de fiction ne parvient pas à éliminer le sentiment d’étrangeté qui consiste à lire en français ce genre de fiction typiquement américain.
Malgré l’attachement de l’Archipel à publier l’intégrale des romans de l’auteur, force est d’avouer que DiMercurio reste un joueur mid-list dans un genre raréfié et surtout publié en format poche bon marché. On espère que ses fans francophones auront plaisir à découvrir un nouveau livre de cet auteur, car le reste du lectorat ne criera guère au génie. (CS)
Alerte : Plongée immédiate
Michael DiMercurio
Paris, L’Archipel, 2005, 454 pages.
Quand l’Atlantide coule d’aplomb !
On sait que dans le monde scientifique on ne rigole pas avec les nouvelles théories, surtout quand elles concernent des domaines un peu marginaux ou des sujets délicats comme les objets volants non identifiés, la vie extraterrestre, les monstres marins, les civilisations disparues et autres fariboles qui ont fait la fortune des Bergier, Pauwels, Charroux, Von Däniken et autres collectionneurs d’énigmes historiques, souvent farfelues. C’est pourquoi il arrive parfois qu’un spécialiste, un scientifique, un universitaire se serve du roman pour passer une théorie controversée, histoire de la tester auprès du public et de ses collègues. Cela donne habituellement les résultats suivants : d’une part, des romans de science-fiction ou des thrillers à caractère scientifique, honorables quand ils sont écrits par des Fred Doyle, Isaac Asimov, Michael Crichton et cie, et d’autre part, des trucs ratés, des thèses de doctorat arides avec de mauvais dialogues, comme c’est malheureusement le cas avec Atlantis, de David Gibbins, un pseudo-roman qui combine très mal des éléments de SF (la découverte de l’Atlantide) avec ceux du thriller d’intrigue international (il y a des terroristes arabes dans la mouvance d’Al-Quaïda Youkaïdi Aida !), le tout baignant dans une sauce techno-thriller tout à fait indigeste. Le quatrième de couverture nous dit pourtant que ce livre est à la fois thriller, leçon d’histoire et roman d’aventure, le Da Vinci Code d’une nouvelle génération. L’inévitable comparaison avec le médiocre opus de Dan Brown n’est qu’un gadget promotionnel agaçant qui, dans ce cas, est absolument mensonger. Va pour la leçon d’histoire et toute la partie consacrée à l’Atlantide, mais ça n’est pas un roman digne de ce nom. Des personnages interchangeables sans aucun relief, (le « héros » est une très pâle copie du Dirk Pitt de Clive Cussler) discutent à longueur de page des civilisations disparues, d’architecture, de manuscrits, d’écritures anciennes, etc. De la matière à essai, rien d’autre. La partie romanesque est juste risible ! Il y a des passages dignes des plus mauvais feuilletons quand, par exemple, le héros, gravement blessé, discute tout aussi gravement de questions historiques, archéologies, tout en poussant de temps en temps un soupir, histoire de rappeler qu’il est tout de même blessé par balle, qu’il faudrait peut-être faire quelque chose, mais d’abord voyez-vous professeur, ces inscriptions qui datent du VIIIe millénaire avant Jésus-Christ, eh bien, bla bla bla, Oh la la, mais je suis blessé… Et ainsi de suite !
David Gibbins, un universitaire de Cambridge, docteur en archéologie, est sans nul doute une autorité reconnue dans le domaine des civilisations disparues et son hypothèse sur la localisation et l’histoire de l’Atlantide est fascinante. Mais c’est un bien piètre romancier. Atlantis est l’exemple typique du thriller dit « érudit » où trop de science finit par ruiner complètement le peu de suspense. (NS)
Atlantis
David Gibbins
Paris, First, 2005, 406 pages.
Kassak : Du palindrome aux énigmes policières
Au contraire de ses collègues des années 60-80 (Arnaud, Dard, Mazarin, Pelman…) qui publièrent des centaines de romans, Fred Kassak, de son vrai nom Pierre Humblot, refusait de publier les romans dont il était insatisfait. Une dizaine de titres en tout, donc, pour celui qui voua une bonne partie de sa carrière à l’écriture de nombreuses dramatiques pour Les Maîtres du mystère, célèbre émission radiophonique qu’animait Pierre Billard et qui réunissait chaque mardi soir des millions d’auditeurs. Kassak créa par la suite des jeux concours policiers pour le magazine Elle. Il a obtenu le Grand prix de la littérature policière pour son roman On n’enterre pas le dimanche, dont l’adaptation cinématographique obtint le célèbre prix Louis-Delluc (1960). Le cinéaste Michel Audiard adaptera plusieurs de ses romans dont le très connu Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas… mais elle cause.
Avec ce passé de touche-à-tout, Fred Kassak n’est pas sans rappeler chez nous un auteur comme Pierre Daigneault alias Pierre Saurel, bien que Kassak ait décidé de miser sur la qualité plutôt que sur la quantité comme l’auteur québécois.
Les éditions Cheminements présentent ici un recueil de ses meilleures pièces radiophoniques et jeux d’énigmes policières, le tout accompagné d’une trop courte préface de Jean-Marie David.
Au menu : « La Puce », « Vendu occupé », « Cas de force majeure »… en tout dix textes dont quatre nous sont fournis avec la solution de l’énigme.
On se laisse séduire encore aujourd’hui par ces courts textes voués à une forme dramatique qui a presque totalement disparu, j’entends par-là, les pièces radiophoniques. En effet, ce genre fit les beaux temps de la radio dans les années 40-60, période qui vit la naissance et le positionnement de la télévision pour les années à venir. Même si certains textes ont plus de mal à vieillir que d’autres, l’écriture et le talent indéniable de Kassak nous font revivre une époque où le polar se résumait à peu près seulement au récit à énigme.
Fred Kassak est un des rares auteurs de cette époque à être sans cesse réédité aujourd’hui. Pour en savoir plus sur lui, on consultera les « Entretiens » publiés en 2004 dans le numéro 8 de la revue Temps noir. (FBT)
On ne tue pas pour s’amuser
Fred Kassak
[s.l.], Cheminements (Chemin noir), 2005, 343 pages.
Madame « Massacre » persiste et signe…
J’aime bien les polars de Karin Slaughter, tous publiés chez Grasset. Contrairement à certaines de ses consœurs, elle ne distille pas un vague sirop sucré/salé au goût écœurant destiné à un lectorat féminin frileux, sensible et pas toujours très regardant, mais nous propose au contraire des romans très noirs, violents, d’un réalisme parfois insoutenable. Des romans de mecs, lisibles par les femmes qui aiment aussi les romans de mecs ! Voilà, c’est dit… Son premier, Mort aveugle, avait révélé une romancière de choc qui faisait honneur à son nom (rappelons à nos rares lecteurs obstinément unilingues que « Slaughter » signifie boucherie ou massacre en anglais). Le suivant, Au fil du rasoir, confirmait ce nouveau talent. À froid (quel titre banal si on le compare à l’original : A Faint Cold Fear) est en quelque sorte sa suite, mais il n’est pas indispensable d’avoir lu les romans précédents pour suivre l’action.
On retrouve donc la pédiatre Sara Linton, médecin légiste à ses heures, qui enquête sur un cas de suicide sur le campus universitaire de Grant County. Elle emmène sa sœur Tessa qui, pendant que Sara observe les lieux du suicide, s’éloigne dans un boisé environnant et se fait brutalement agresser. Quand deux autres cas de suicide apparents se révèlent être des meurtres, l’enquête prend une autre tournure. Sara est obligée de travailler avec Jeffrey Tolliver, son ex-mari qu’elle a quitté pour cause d’adultère mais qu’elle aime toujours. Lena Adams, qui a quitté la police et qui soigne ses propres blessures (une sœur assassinée, elle-même violée et torturée) est elle aussi mêlée à cette sombre et assez complexe histoire d’abus sexuels, de perversions diverses où convergent plusieurs histoires inextricablement liées. Karin Slaughter contrôle tout ça à la perfection. Il m’a semblé malgré tout que l’ambiance était un peu moins macabre, la violence plus contrôlée que dans les romans précédents. Mais A froid reste un polar puissant avec des personnages forts. (NS)
À froid
Karin Slaughter
Paris, Grasset (Thriller), 2005, 450 pages.
Le blues verlan de Nick Travers
Bonne nouvelle ! Blues Bar (traduction banale de Dark End of the Street) est le premier roman d’Ace Atkins à paraître en français. Mauvaise nouvelle ! Ce roman est le deuxième de la série des enquêtes de Nick Travers et fait suite à Crossroad Blues, inédit en français, où apparaissent non seulement le personnage principal mais aussi celui de Jesse Garon, ce tueur psychopathe fêlé qui se prend pour le frère jumeau sinon la résurrection d’Elvis Presley. Avec un peu de chance, nous aurons donc droit à ce premier volet après que les autres aient été publiés, dans le plus grand désordre, comme il se doit. Ne cherchez pas le respect du lecteur dans tout ça, il a été occulté par les impératifs commerciaux…
Ceci dit, ne boudons pas notre plaisir, parce que Blues Bar est un récit qui captivera tous les amateurs de polars qui aiment les intrigues noires et moites se déroulant à Dixie (le Sud profond, dont la Louisiane et le Tennessee), avec comme toile de fond le monde du blues et du jazz (en passe de devenir d’hénaurmes clichés dans le genre !).
Le personnage principal est un gars cool qui s’appelle Nick Travers. Ancien professionnel de football (autre cliché !), joueur d’harmonica virtuose, c’est un spécialiste de l’histoire du blues, détective privé à ses heures. Dans ce deuxième volet de ses aventures dans le Sud profond, il se lance à la recherche de Clyde James, le plus grand chanteur de soul de sa génération, disparu après le meurtre de sa femme et de son enfant, crime auquel il avait assisté en témoin impuissant. Alors que Nick commence son enquête, une jeune femme dont les parents ont été assassinés est enlevée par des inconnus qui cherchent à lui subtiliser des documents compromettants laissés par son père avocat. Une série de coïncidences heureuses fera que Nick délivrera in extremis cette jeune femme, une demoiselle dont le père, voyez-vous ça, était à la recherche de, devinez qui… Vous ne voyez pas ? Eh oui… le chanteur Clyde James décidément bien énigmatique et qui intéresse bien du monde pour d’obscures et dangereuses raisons. Chienne de vie, hein ?
Blague à part, si on fait abstraction de quelques clichés thématiques et du hasard qui fait trop bien les choses, on a un polar tout à fait honorable, plein d’action et de personnages inoubliables comme cette dingue de Mlle Perfect ou de Jesse alias Jon, le fou d’Elvis, des politiciens pas nets, une bande de fachos déjantés appelés The Sons of the South, des caïds de la pègre sadiques et la famille d’adoption de Nick qui survit à travers tout ça. Avec en toile de fond une lancinante musique de blues qui, au dénouement, se transforme en charge de la cavalerie légère pour accompagner une fusillade finale aussi échevelée qu’inattendue, digne des meilleures séries B.
Vous aurez compris que, malgré certaines réticences somme toute mineures, j’ai bien aimé ce roman. Mais quitte à chialer un peu, j’aimerais me plaindre de la traduction. Prof à la retraite, j’ai tout de même enseigné le français pendant quarante ans. Alors quand je lis un polar (c’est pas du Todorov, bigre là !) et que je ne comprends pas certaines phrases soi-disant traduites en français, il me semble qu’il y a un problème. J’ignore ce qu’est un « zarbi », un « zicos » et autres mystères linguistiques franchouillards. Je devine que l’un doit être du verlan pour « bizarre », mais l’autre ? Une abréviation hexagonale pour « musicos » ? Version argotique de musicien ? Misère ! Et ces abominables « Je veux » ou « Ça craint » ! Quelle horreur ! Dans dix ans, ces textes seront tombés en désuétude, certains termes étant passés de mode, remplacés par d’autres conneries. J’aimerais pouvoir lire et non pas passer mon temps à deviner ! Les Français sont les pires ennemis de leur langue, mais ils auront tout de même l’incroyable culot d’accuser l’impérialisme culturel américain d’être responsable de leur déclin. Misère bis, comme dirait Raminagrobis ! (NS)
Blues Bar
Ace Atkins
Paris, Le Masque, 2005, 404 pages.
Pepetela, Popotin et son gros cul !
En toute sincérité, un polar traduit du portugais, écrit par un auteur se nommant Pepetela (tout court), dont l’action se déroule en Angola, n’a pas a priori de quoi me séduire. Et pourtant… Je ne me souviens déjà plus pour quelle raison au juste (probablement la curiosité) j’ai commencé à lire Jaime Bunda, agent secret, mais une fois plongé dans cette histoire, je n’en suis plus sorti. Bien que ça se passe en Afrique, il ne s’agit pas d’un roman noir (!) mais d’un polar plutôt satirique, très agréable à lire, dans lequel l’auteur radiographie avec verve et truculence une société angolaise où la corruption est un mode de vie, où il faut distinguer ce qui est illégal et pas permis de ce qui est illégal mais toléré, où la paranoïa se cultive à longueur de journée (d’où la multiplication des services de police chargés de surveiller… les services de police), le tout avec une autodérision toute réjouissante. L’improbable héros de cette aimable plaisanterie s’appelle Jaime Bunda, un agent très secret surnommé Popotin à cause de son impressionnant derrière sur lequel il est resté vissé pendant les débuts de sa carrière. (la traductrice mentionne que « bunda », en portugais, désigne familièrement le postérieur). Et voici, qu’à la surprise générale (la sienne et celle de ses collègues sceptiques), on lui confie une mission délicate : retrouver l’assassin d’une gamine de quatorze ans, violée et tuée après avoir été prise en stop par un inconnu roulant dans une luxueuse auto noire. L’agent Popotin est un grand amateur de romans policiers, qui ne jure que par Hammett, Chandler… ou Sherlock Holmes dont il admire les méthodes. De là à les appliquer à Luanda, dans des services de police minés par l’incompétence, la corruption et la paranoïa, il y a une marge. C’est ce que notre sympathique limier ne va pas tarder à découvrir quand il va bousculer les habitudes de ses confrères et de ses supérieurs avec ses remarques insolites, ses méthodes peu orthodoxes, parfois loufoques.
Ce que j’apprécie particulièrement dans ce récit savoureux, c’est l’humour pince-sans-rire et subtil qui fuse à chaque paragraphe. On est loin des rigolades grasses et hénaurmes des polars rigolards (ça rime avec lard) à la française. On est plus proche de Westlake que de San Santonio. De plus, lire ce roman, c’est voyager dans une contrée lointaine, exotique, c’est découvrir les mœurs, la nourriture, la géographie d’un pays avec lequel on n’est pas nécessairement familier. Et pour cela, les narrateurs successifs sont de très bons guides, sensibles aux détails et à la couleur locale.
Pepetela est le pseudonyme de Artur Carlos Mauricio Pestana dos Santos, un Blanc né à Benguela, en 1941. Il a combattu comme guerillero dans les rangs du MPLA (mouvement de libération angolais) puis a été vice-ministre de l’Éducation (sur un site Internet on prétend qu’il a été ministre). Aux dernières nouvelles, il enseignait la sociologie à l’Université d’Angola. C’est un écrivain de tout premier plan, auteur d’une œuvre abondante, récipiendaire en 1997 du prix Camoes, le plus prestigieux prix littéraire en portugais. En 2003, il a publié une autre aventure de Popotin, encore inédite en français, Jaime Bunda e a morte do americano. (NS)
Jaime Bunda, agent secret
Pepetela
Paris, Buchet Chastel, 2005, 446 pages.
Revue Alibis – Mise à jour: Décembre 2005