Encore dans la mire
De Christine Fortier, Jean Pettigrew, Norbert Spehner et François-Bernard Tremblay
Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 1 583Ko) d’Alibis 16, Automne 2005
Relation empoisonnée
Andréa H. Japp poursuit les aventures d’Helen Baron – alias Julia Holmer puis Constance Wilson – dans ce troisième thriller, qui n’est pas spécialement captivant sans être totalement dénué d’intérêt. En fait, une mise en garde s’impose : ceux et celles qui n’ont pas lu De l’autre, le chasseur (2001) et Un violent désir de paix (2003) devraient assurément le faire avant de plonger dans Sang Premier. Ils bouderaient sinon une grande partie de leur plaisir, puisque l’auteure a construit au fil des ans des personnages qui poursuivent leur évolution d’un roman à l’autre. Et Andréa H. Japp ne prend pas la peine de revenir sur les événements passés ; elle ne fait que les évoquer, et même si on finit par comprendre de quoi il retourne, on ne réalise pas toujours leur portée. D’où mes réserves par rapport à ce roman, dont le tueur en série – particulièrement intelligent, beau, retors et crapuleux – est l’un des criminels les plus recherchés des États-Unis.
Cordell Taylor-Caedon est pourtant libre d’aller à sa guise, et bien déterminé à retrouver son épouse, Julia Holmer. Cette dernière s’est réfugiée dans un petit village d’Écosse afin de refaire sa vie à la suite de son précédent affrontement avec Cordell. Cependant, au lieu de repartir à neuf sous le nom de Constance Wilson et d’oublier son horrible passé, Julia rumine sans fin. Chacune de ses pensées est tournée vers le passé, elle tente encore de comprendre comment elle a pu aimer un homme comme Cordell, qui a tué sans pitié une trentaine de personnes, dont ses parents et sa chère nounou. Les autres protagonistes de Sang Premier, l’analyste informatique Nina Kreoger, Dougray J. Doyle, du FBI et sa collègue Esperanza Lorca, sont eux aussi obnubilés par Cordell. De toute évidence, ils n’arrivent pas à se remettre des événements survenus dans Un violent désir de paix. Eh bien, ça tombe pile puisqu’ils auront bientôt une nouvelle occasion de traquer Cordell. Après une accalmie, il s’est remis à tuer pour tester le piège qu’il a mis au point dans le but de capturer Julia. Bien évidemment, son ex-épouse s’y jette sans hésiter, convaincue d’avoir une chance de l’abattre.
Avec un grand sens du détail, l’auteure française et toxicologue de formation – elle a notamment travaillé pour la NASA – met en scène des personnages torturés par la vie et tellement portés sur l’auto-analyse que cela en devient harassant. On aimerait qu’ils agissent un peu plus au lieu de constamment réfléchir au pourquoi du comment. Cela étant dit, Sang Premier n’est pas exempt de suspense. C’est même pour cette raison qu’on poursuit notre lecture jusqu’à la conclusion de l’histoire, que l’auteure a laissée ouverte. On peut donc s’attendre à retrouver Julia, Dougray, Espy, Nina et Dame Sara Chifley-Stanton dans un prochain roman. (CF)
Sang Premier
Andrea H. Japp
Paris, Calmann-lévy (Suspense), 2005, 380 pages.
Quand le thriller s’ensable…
Premier mystère: que vient faire ce roman d’aventures de pseudo-fantasy, de pseudoscience-fiction, dans une collection de polars, avec l’étiquette thriller ? Deuxième mystère : comment peut-on écrire de telles inepties au début du XXIe siècle?
Le Chant des sables, de Brigitte Aubert, est un de ces ovnis (para)littéraires qui commencent comme une sorte d’archéo-polar à la Indiana Jones – la découverte d’étranges pierres gravées au cœur du désert iranien –, pour virer au thriller d’intrigue internationale – accidents incompréhensibles, faux militaires, terrorisme, massacres – avant de sombrer dans un mauvais récit de science-fantasy qui rappelle vaguement (et en nettement moins bon) les romans d’Abraham Merritt et cie.
Dès les premières pages, nous rencontrons Roman, le guide d’une petite expédition scientifique chargée de retrouver les vestiges de l’âge du bronze en Asie centrale. Quand ces savants personnages découvrent d’étranges pierres gravées, les ennuis, les déboires s’accumulent. Et c’est là que le bât blesse… Il arrive tellement de trucs en très peu de temps qu’on finit par ne plus y croire et on décroche très vite. Encore plus quand on finit par découvrir le thème central de cette histoire sans queue ni tête : la vengeance des Néanderthaliens contre la race humaine. En effet, ils ont survécu et attendaient le moment favorable pour revenir et régler leurs comptes. Après l’islam radical, Ben Laden et les kamikazes, voilà autre chose ! Peut-être que je n’ai plus l’âge pour embarquer dans ce genre de truc tiré par les cheveux, avec grandes prêtresses, vilains à volonté, menaces apocalyptiques, cultes secrets et tout le bazar.
Bref, Le Chant des sables est un roman dans la tradition des pulps, un livre qui s’est trompé de siècle. Il ne m’a pas emballé outre mesure (euphémisme) et j’ai eu beaucoup de mal à le terminer. (NS)
Le Chant des sables
Brigitte Aubert
Paris, Seuil, (Thrillers), 2005, 342 pages.
Wagons morts… au feuilleton
Georges-J. Arnaud n’a plus vraiment besoin de présentation. Auteur de polar depuis 1952, il a lancé en 1980 la saga d’anticipation La Compagnie de glaces (98 titres en 25 ans), série pour laquelle il vient d’ailleurs d’écrire le chapitre final qui paraîtra en novembre 2005. Arnaud, qui n’a jamais arrêté de publier du polar, compte maintenant s’y remettre à temps plein, histoire, peut-être, de rattraper le temps perdu… en polar, cela s’entend !
En attendant, on peut se régaler de cette commande que lui a passé l’éditeur Roger Martin (anciennement de chez Encre) pour sa nouvelle collection Wagons-livres aux éditions Quai N° 3, qui n’aura eu le temps que de compter cinq romans puisqu’elle est déjà défunte.
La famille Herkinson est à l’abandon. Depuis que le père, que tous sans exception appellent l’Américain, est parti se remarier aux États-Unis, Astrid, la mère, n’a pas vraiment réussi ses rencontres amoureuses, surprotégé par Manuel, l’aîné, les jumeaux Julien et Julia et Zoup, le vieux chien handicapé qui aime bien les Smarties. Un soir de match de l’OM (Olympique de Marseille) au stade Vélodrome, Manuel, devenu handicapé mental à la suite d’un accident de scooter et qui aime jouer avec des petites autos, se perd dans le train (TER) Toulon-Marseille. Julien, qui l’accompagnait, ne s’est pas aperçu que son grand frère ne le suivait plus. Toute la famille et la police se mettent à la recherche du disparu que le désagréable voisin, monsieur Labartin, accuse d’avoir ouvert le poêle au gaz dans sa maison pour y causer une explosion qui l’a défiguré. De plus, Labartin menace la famille d’intéresser la police aux produits dangereux que renferme leur vieille usine désaffectée, dont les jumeaux n’ont pas le droit de s’approcher. Et ajoutons à tout cela la disparition du chien Zoup et la mère qui commence à s’absenter un peu trop souvent le soir au goût de Julien. Lorsqu’un jeune garçon trouve une petite auto ayant appartenu à Manuel et Julia, puis qu’une des Smarties du chien est retrouvée dans un endroit inhabituel, les recherches prennent une nouvelle tournure…
Un psychanalyste aurait bien du plaisir à se pencher sur le cas de la famille Herkinson, car il semble bien que l’absence de figure paternelle y ait posé un problème de castration non résolu. Toutes les explications meurtrières émergent de ce constat. Digne des meilleurs romans qu’Arnaud a publié dans la défunte, mais ô combien importante collection Spécial Police du Fleuve Noir, ce court roman se lit d’un trait.
Vivement le retour d’Arnaud à son genre de prédilection, le polar. (FBT)
Les Indésirables
Georges-J. Arnaud
[S.L.], Quai N° 3 (Wagons-Livres), 2005, 122 p.
Arnaud un jour, Arnaud toujours !
L’important journal belge Le Soir s’est lancé dans l’aventure éditoriale de petits polars en publiant la « Collection noire », dans laquelle il décidait dernièrement de rééditer le dernier polar de G.-J. Arnaud paru au Fleuve Noir (en 2000), Spoliation.
Bachir, Louette, Mick et Zon, des jeunes paumés sans grand avenir, ont trouvé l’endroit idéal à squatter: la partie condamnée de l’immense appartement de Daisy, une vieille veuve quasi abandonnée par ses enfants, les jumeaux René et Léontine. Une partie de l’appartement est peut-être condamnée, mais elle recèle d’incroyables richesses du passé et se révèle l’endroit idéal pour ces jeunes. Afin de s’assurer qu’on ne leur mettra pas la police au cul, les quatre SDF décident de terroriser la vieille d’à côté au moment où Zon, à l’insu des autres, commence à créer des liens d’amitié avec elle. Mais lorsque Mick et Louette pillent l’appartement pour revendre des draps brodés d’une valeur inestimable, les problèmes surviennent. Peut-être auraient-ils mieux valu laisser sur place ces vestiges d’une autre époque ? À force de remuer le passé, il revient au galop et Daisy, ainsi que ses jumeaux, René et Léontine, ne sont pas vraiment prêts à l’affronter.
Quel plaisir de relire ce roman qui avait reçu d’excellentes critiques à sa première parution. Spoliation, c’est l’écriture assurée d’un des plus grands auteurs de romans noirs contemporains, une histoire abracadabrante qui nous plonge au cœur de la Deuxième Guerre mondiale et de la déportation des Juifs. Sans oublier les révélations que Daisy fait à Zon, la jeune squatteuse, et qui viennent nous glacer le sang dans un final dur, très dur. Une histoire émouvante dont on ne ressort pas indemne.
Voilà un bon roman pour ceux qui n’ont encore jamais pris contact avec Arnaud. Il faut en profiter, car ses polars disponibles se font de plus en plus rares. (FBT)
Spoliation
G.-J. Arnaud
[S.L.], Paperview-Le Soir (Collection noire 16), 2004, 167 pages.
Jibé Pouy est mort… je l’sais, je viens de le croiser à Paris
Autre épisode chaotique dans le feuilleton interminable du Poulpe. Chaque fois que l’on croit la série définitivement terminée, le Seuil, et en particulier le liquidateur de la collection, Jean-François Platet, pousse l’audace et sorte au dernier moment un nouveau Poulpe de leur manche.
Bourde monumentale dans la quatrième de couverture de ce nouvel opus, selon les nouveaux administrateurs, il s’agirait là du 249e Poulpe publié. Eh bien non ! Il s’agit plutôt de la 249e publication des éditions Baleine, détail que soulignait très justement Julien Védrenne sur la défunte liste mauvaisgenres.com. Et selon mes propres calculs, si je me fie à différents sites Internet et à mes connaissances, il s’agirait du 161e Poulpe à ce jour, en faisant abstraction du Krivine auxquels certains catalogues attribuent le numéro 247, alors qu’il n’a jamais vu le jour.
Gabriel Lecouvreur dit Le Poulpe (enfin, ce qu’il en reste car il n’est plus très fortiche, le Gaby) débarque au Nouveau-Mexique. Pour y faire quoi ? Il ne le sait pas lui-même. Pourtant, une chambre a été réservée pour lui à l’hôtel et son bienfaiteur n’a pas négligé d’abandonner dans sa chambre un gros sac bien rempli de beaux billets. On s’occupe aussi de lui fournir un flingue. Mais dans quelle galère le Poulpe s’est-il encore embarqué?
De plus en plus schizophrène (ça date des derniers épisodes), il entend une voix qui le guide plus ou moins dans le comportement qu’il doit adopter. En tout cas, ça ne l’empêche pas de s’enfiler quelques Budweiser dans son gosier un peu trop sec – c’est peut-être dû aux dunes de sable blanc – et de commencer à s’inquiéter des disparitions de quelques personnes qui l’entoure.
Oh la la ! Quel massacre ! Non mais, quel massacre ! Poulpe fiction n’a rien à voir avec Pulp fiction ! Le roman est quasi illisible tellement il est mal écrit. La structure est aussi défaillante que le reste. Sauf peut-être quelques pages vers la fin, qui ressemble à un semblant d’enquête. Et la bible (le cahier des charges) dans tout ça? Niet ! mis à part quelques mentions de Cheryl et Gérard, et la petite fin qui se passe au Pied de porc. En fait, le seul intérêt du roman réside dans le retour du Poulpe au bistrot de Gérard, à Paris, où Gabriel décide de flinguer, devant Cheryl et Gérard, son propre créateur, Jean-Bernard Pouy. Tuer le Père. La symbolique est assez puissante puisque si le but de Platet et du Seuil est d’assassiner le Poulpe et de mettre fin à la série (en tout cas, les dernières parutions semblent nous amener sur cette malheureuse voie), ils viennent bien de rater le bateau, car le père Pouy mort sans avoir régler son compte à sa créature, Gabriel Lecouvreur devient donc éternel.
Est-ce un message à Jean-Bernard Pouy pour lui signifier qu’il n’écrira jamais SA fin qu’il avait prévue pour Gabriel Lecouvreur? SA fin dans lequel le Poulpe devait disparaître sans qu’on sache trop s’il a passé l’arme à gauche ? Une chose est certaine, Pouy ne la publiera sûrement pas au Seuil ! Le gros éditeur joue d’ailleurs un drôle de jeu, un jeu que les amateurs du Poulpe, ou en tout cas ce qu’il en reste, n’aiment pas beaucoup. Pourquoi ne pas laisser le soin aux maîtres d’œuvre de la série d’y mettre un chapitre final ? Ne serait-ce que pour saluer les vrais fans, frustrés, et les laisser goûter un dernier épisode d’un personnage qui leur a fait vivre de belles aventures. Allez ! Tuez Gabriel Lecouvreur en gentleman, au moins. (FBT)
Poulpe fiction
Hubert Michel
Paris, Seuil (Le Poulpe), 2005, 153 pages.
Un Canadien errant…
James W. Nichol est un dramaturge canadien qui a remporté le Prix Arthur-Ellis du meilleur premier roman avec Ne te retourne pas (version française de Midnight Cab) dont les personnages sont issus d’une pièce radiophonique à succès diffusée en trente-cinq épisodes d’une demi heure dans les années 90. Ce thriller psychologique très prenant est l’histoire d’une quête, celle de Walker Devereaux, âgé de dix-neuf ans, qui est à la recherche de ses origines, de son vrai nom et de ses parents. En 1979, l’enfant, âgé de trois ans, avait été retrouvé, seul, agrippé à une barrière de l’autoroute 69. Toutes les recherches de la police s’avérant vaines, on avait confié le gamin à diverses familles d’accueil avant qu’il ne soit adopté par les Devereaux. Ayant atteint l’âge légal pour ce faire, Walker consulte son dossier dans lequel il trouve assez d’éléments pour entamer ses recherches : une photo prise au bord d’un lac, une lettre d’une adolescente à sa meilleure amie (la mère présumée de Walker), et une destination : Toronto, où le jeune homme va s’installer, trouver un emploi (chauffeur de taxi) et une petite amie, Krista, une jolie fille handicapée qui va l’accompagner dans sa quête. Dès les premiers jours, cette dernière s’avère pleine d’embûches. Quelqu’un veut empêcher Walker de découvrir la vérité sur son identité.
En parallèle, l’auteur nous raconte l’histoire de Bobby, un jeune garçon plutôt inquiétant, aux tendances sadiques et meurtrières. Le lecteur aguerri se doute bien que le mystère qui entoure le passé de Walker et les agissements meurtriers de Bobby sont liés, que les deux récits vont finir par n’en faire qu’un. Tout cela se fait très subtilement, sans effets spéciaux ni rebondissements artificiels.
Hormis une scène du dénouement qui est un peu « forcée » (les héros de polars ont souvent de la chance!), cette histoire est très réaliste. Le moins qu’on puisse dire, c’est que James W. Nichol a fait une entrée réussie dans le monde du roman en général et du polar en particulier, avec cette histoire qui nous prend dès les premières pages, non pas tant pour l’action (pas de feux d’artifice !) qu’à cause des personnages, des dialogues et de la narrration.
James W. Nichol, retenez ce nom… Un auteur à suivre. (NS)
Ne te retourne pas
James W. Nichol
Paris, Fleuve Noir, 2005, 280 pages.
Les hauts et les bas de Boston Teran
Boston Tera (un pseudonyme) est né dans le Bronx et réside actuellement en Californie, en préservant farouchement sa véritable identité. J’ai découvert cet auteur en lisant l’extraordinaire Méfiez-vous des morts, un drame très noir aux accents shakespeariens. J’ai déchanté un peu avec Satan dans le désert, son second, pas mauvais, mais moins prenant que le premier. Discovery Bay, le troisième, est malheureusement le moins bon de ses récits. La quatrième de couverture nous dit que ce roman est construit sur la métaphore du labyrinthe. Cela explique peut-être pourquoi je me suis perdu à quelques reprises dans les méandres de cette intrigue un peu tarabiscotée, bâtie sur un schéma conventionnel : un étranger qui perturbe les relations et sème le chaos dans la communauté où il vient d’arriver.
Cet outsider, c’est Dane Rudd, un énigmatique jeune homme qui débarque pour une cérémonie du souvenir organisée en mémoire de Taylor Greene qui s’est suicidé. Dane n’est autre que la personne à qui l’on a greffé la cornée du disparu, lequel avait fait don de ses organes à la science. Très rapidement on s’aperçoit que Dane Rudd a d’autres motivations. Avec l’aide d’Essie, la petite amie du disparu, il recherche la vérité cachée derrière le prétendu suicide de son donateur. Mais la famille Greene est un véritable nœud de vipères et Dane va mettre à jour des secrets inavouables et potentiellement mortels.
Ce qui est embarrassant avec ce bouquin, c’est que quelques heures après l’avoir terminé, j’étais incapable de me souvenir de la moindre péripétie et j’avais oublié la plupart des personnages. J’ai dû recourir à des résumés trouvés sur Internet pour me rafraîchir la mémoire. Mauvais signe ! J’ai une très bonne mémoire et je suis capable de discourir longuement sur les romans que j’ai appréciés, comme les deux précédents de cet auteur. Mais là, ce fut le blocage. Comprenons-nous bien… Ce roman noir, qui est aussi un récit d’amour, ne manque pas d’intérêt, mais une intrigue quelque peu sinueuse, des protagonistes principaux trop stéréotypés et la multiplication des personnages secondaires, tout cela nuit à la qualité de l’ensemble. Plus grave, il manque ici cette cruauté extrême, cette noirceur délétère qui donnait du relief et du mordant à ses œuvres précédentes. Il ne faudrait surtout pas que Boston Teran s’embourgeoise… (NS)
Discovery Bay
Boston Teran
Paris, Le Masque, 2005, 430 pages.
Papy fait de l’espionnage…
Charles McCarry est un des maîtres du roman d’espionnage. Ancien journaliste et agent secret pour la CIA (avec des missions en Afrique et en Asie) il connaît parfaitement les rouages du métier d’agent secret. Il a profité de son expérience sur le terrain pour écrire une série de thrillers, dont Les Larmes de l’automne, où il tentait d’expliquer l’assassinat du président Kennedy à Dallas. On sait que Robert Littell, un autre as du roman d’espionnage, a fait un retour fracassant au roman avec son chef d’œuvre, La Compagnie. Après vingt ans d’absence, Charles McCarry retrouve l’univers de son héros Paul Christopher, l’agent secret aussi expert en bons vins qu’en affaires.
En ce qui me concerne, ce retour est une grande déception. Old Boys est une invraisemblable jamesbonderie qui veut nous faire croire que des anciens de la CIA peuvent voyager à travers le monde allégrement, de la Chine au Brésil en passant par Rome, Tel Aviv, Budapest, Moscou, combattre des extrémistes islamistes dans le désert, affronter la mafia russe et déjouer les services secrets américains comme au bon temps de leur jeunesse (Ce sont des petits vieux !). Et tout ça dans une intrigue labyrinthique qui ressemble à une mauvaise salade russe où l’on retrouve pêle-mêle d’anciens nazis (dont le sinistre Heydrich), des Arabes mal intentionnés dirigés par un Ben Laden de service, des armes nucléaires dérobées, des Tchétchènes revanchards, des Communistes chinois enragés, des Israéliens, des peintures de valeur, des trafiquants d’œuvres d’art et, ombre du Code da Vinci, un mystérieux manuscrit biblique, Le Manuscrit de l’Amphore, dont le contenu révélé pourrait bouleverser la Chrétienté !
Au milieu de tout ça, les pépés espions échappent à des embuscades, font le coup de feu, le coup de poing, massacrent leurs opposants à mains nues ou à coup de pistolets mitrailleurs, sans le moindrement être incommodés par l’âge de leurs artères. Bref, ça ressemble plus à du mauvais Ludlum qu’à du LeCarré.
C’est divertissant (à la rigueur), mais on ne croit pas une minute à cette pochade tirée par les perruques ! (NS)
Old Boys
Charles McCarry
Paris, Grasset, (Thriller), 2005, 484 pages.
Bernie et les coïncidences heureuses
Lawrence Block est un vétéran de la littérature policière qui a reçu toutes les distinctions possibles, publié une bonne cinquantaine de romans, avec plusieurs séries dont les héros se nomment Evan Tanner, Matt Scudder, ou Bernard « Bernie » Grimes Rhodenbarr. Le Cambrioleur en maraude est le dixième récit de la série des Bernie Rhodenbarr, un spécialiste du livre ancien, gentleman-cambrioleur à ses heures.
Dans ce roman de facture légère, le héros se lance dans une aventure tout à fait rocambolesque, riche en coïncidences extraordinaires. Les amateurs de littérature policière n’ignorent pas le fait malheureux que souvent, trop souvent hélas, certains auteurs gâtent la sauce en employant le vieux truc de la coïncidence qui leur permet d’échapper au piège narratif dans lequel ils se sont fourrés. Ici, l’emploi de cette échappatoire ennuyeuse (qui ressemble parfois à de la tricherie) est volontaire. Il y a plusieurs de ces situations improbables et l’auteur les souligne, s’en moque joyeusement tout en relançant son intrigue de manière subtile et drôle. Rien que pour ça, ce roman mérite qu’on s’y intéresse.
De plus, il y a une galerie de personnages assez excentriques dont Carolyne Kaiser, la copine de Bernie, une lesbienne qui gagne sa vie en toilettant les toutous, et le flic Ray Kirschman qui aime bien Bernie, mais bien entendu désapprouve ses activités criminelles. Lawrence Block se paie même le luxe d’une finale à la Agatha Christie. En effet, après une aventure mouvementée impliquant un viol, plusieurs meurtres, un redoutable criminel de guerre letton et beaucoup de clins d’œil à la littérature policière, Bernie réunit les vingt-deux protagonistes dans la salle de séjour du principal suspect et, à la manière d’Hercule Poirot ou de Charlie Chan, il se met à spéculer sur l’affaire, explique le rôle de chacun, émet des hypothèses en espérant que le véritable coupable se trahisse. Tout cela dans une scène plus burlesque que tragique, avec des résultats spectaculaires.
Le Cambrioleur en maraude n’est pas un grand roman policier, mais c’est un récit intelligent, agréable et divertissant, à déguster entre deux romans plus noirs. (NS)
Le Cambrioleur en maraude
Lawrence Block
Paris, Seuil, (Policier), 2005, 322 pages.
Plus de science que de suspense
Qu’est qu’un polar érudit ? On peut dire que ce type de récit policier a été initié par Umberto Eco quand il a publié Le Nom de la Rose en 1980. Dans ce genre de livre, l’intrigue policière (efficace dans le cas d’Eco) n’est souvent qu’un prétexte pour que l’auteur étale ses connaissances pointues dans un domaine particulier de la littérature, des arts ou des sciences. Le Maestro à la tête fracassée, de l’italien Hanz Tuzzi et Le Secret des Flamands, de l’Argentin Federico Andahazi, en sont de bons exemples.
Sous le pseudonyme de Hans Tuzzi se cache un grand érudit, un bibliophile de réputation internationale. On ne sera donc pas surpris d’apprendre que l’intrigue de son roman se déroule en grande partie au sein du monde occulte des marchands et collectionneurs de livres. À la page 219, l’auteur écrit : « S’il y avait quelque chose de superflu dans cette enquête peu ordinaire, c’étaient les digressions ». Tentative d’humour? On ose l’espérer car sans ces fameuses digressions portant sur le commerce, le trafic de livres rares, le bouquin n’aurait plus beaucoup de pages. Oui, certes, le commissaire Melis (héros de la série) a un premier cadavre sur les bras et mène une enquête de routine à Milan. Mais dès que la piste le mène auprès des marchands de livres anciens, le suspense s’étiole et de longs développements sur ce monde un peu mystérieux viennent ralentir une action déjà très peu trépidante.
C’est certainement passionnant pour qui s’intéresse aux livres anciens, mais l’amateur de littérature policière doit prendre son mal en patience. L’enquête sera longue, riche en savoir, mais pauvre en action.
C’est encore plus évident dans Le Secret des Flamands. L’histoire se passe à l’aube de la Renaissance alors que Monterga, un peintre florentin, et les frères Van Mander, des peintres flamands, se livrent une guerre impitoyable pour déchiffrer le code Saint Augustin, la formule de la couleur pure dissimulée dans les écrits du philosophe. Cette lutte fait des victimes. Il y a plusieurs meurtres mais pas l’ombre d’une enquête policière.
Dans ce récit criminel, ce pol-art, qui est un hommage à l’art et à la peinture, le lecteur est bombardé d’informations pointues sur le monde de la peinture à Florence et à Bruges. Mais – c’est là le principal problème du polar érudit – l’intrigue n’est guère passionnante et, dans le fond, plutôt secondaire. J’irais même jusqu’à affirmer que la mention « roman policier très original » de la quatrième de couverture est discutable. Roman ? Certes… Original ? Peut-être… Policier ? Pas vraiment… Plutôt une encyclopédie de poche de la peinture, avec parfois comme dominante la couleur rouge sang ! (NS)
Le Maestro à la tête fracassée
Hans Tuzzi
Montréal, Libre Expression, 2005, 391 pages.
Le Secret des Flamands
Federico Anhanzi
Paris, Nil, 2005, 260 pages.
Noire Écosse
Une jeune fille de bonne famille, Flip Balfour, qui disparaît, un cercueil de bois miniature qui est trouvé sur la propriété familiale, un mystérieux Quizmaster qui sévit sur Internet, puis la découverte du corps de Flip dans un endroit surprenant, et voilà l’inspecteur Rebus qui rempile pour une nouvelle enquête dense, complexe, où s’entremêlent, comme à son habitude, les vicissitudes de sa vie personnelle et celles de la ville d’Édimbourg. Et de nouveau, c’est un peu cette ville, avec laquelle Ian Rankin est manifestement en amour, qui de nouveau se taille la part belle dans ce roman au rythme lent, mais qui ne permet pas au lecteur de s’ennuyer tant son contenu est riche. D’ailleurs, dans La Colline des chagrins, il devient de plus en plus évident que Rebus est la personnification même de « sa » ville, avec son passé torturé, son haleine qui fleure souvent l’alcool, ses relations difficiles avec l’autorité, ses semblables etc.
Est-ce parce qu’une partie de mes racines profondes est toujours ancrée là-bas que cet auteur – et son personnage – ne m’a jamais déçu? Peut-être. Mais à constater les ventes que l’œuvre de Rankin génère, je me doute qu’il y a plus que ça et vous n’auriez certes pas de difficulté à me convaincre que cet Écossais, né en 1960, est devenu, dans la dernière décennie, le meilleur auteur de polar anglo-saxon du moment présent !
Vivement la publication de l’intégral des enquêtes de John Rebus ! (JP)
La Colline des chagrins
Ian Rankin
Paris, Le Masque 2005, 525 pages.
En 24 heures chrono, Les Experts envoient Buffy Six pieds sous terre
« Destinées au public adolescent (Buffy, Angel, Smalville, Roswell) ou à des spectateurs adultes (Six feet under, Les Soprano), elles font désormais appel aux techniques visuelles les plus high-tech (Alias, 24 heures chrono) et à des scénarios d’une grande sophistication (Boomtown, New York section criminelle). Cruelles et percutantes (Oz, The Shield) ou douces-amères (Dead like Me), hyperréalistes (Les Experts, Without a trace) ou décalées (Twin Peak, Carnivàle), qu’elles puisent dans la SF (The X-files, Deep Space Nine, Babylon 5) ou dans la réalité contemporaine (À la Maison Blanche, Cold Case), les œuvres décryptées dans ce livre sont les miroirs obscurs de la société américaine. » (4e de couverture).
Voilà une phrase qui présente assez bien de quoi il est question dans ce bouquin très bien fait et fort intéressant dirigé par Martin Winckler, le tout avec la facture superbe de l’éditeur Au diable Vauvert.
On ne parle pas de thèse universitaire ici. Plutôt d’un panorama analytique. L’essai est rédigé par l’amateur passionné pour l’amateur de téléséries. On y apprend moult détails, du plus banal au plus croustillant. Outre la tournée individuelle de chacune des séries, on a droit à un entretien avec Rene Balcer, créateur, producteur et scénariste de la série Law & Order ; un article intéressant signé Alain Carrazé nous informe sur comment on produit des séries à Hollywood et nous permet de mieux cerner les combats que se livrent les grands réseaux entre eux. Puis quatre auteurs s’intéressent et analysent la vie des séries en France ou ironiquement, comment on les dénature en ne respectant pas l’ordre de parution initiale. Un ouvrage de référence indispensable, donc, pour le néophyte et l’amateur.
Mais qu’est-ce que cela vaut ? Avons-nous un moyen de vérifier le travail effectué par le spécialiste amateur qui nous dégage les grandes lignes d’une série par son analyse? Personnellement, je ne suis pas toutes les séries présentées dans Les Miroirs obscurs et je veux bien donner ma confiance quasi aveugle quand tout semble bien fait. Et même si j’ai adoré ce livre et que je le consulte régulièrement depuis que je l’ai entre les mains, un détail continue de m’agacer. Ceux qui me connaissent savent que je m’intéresse fortement à la série CSI/Les Experts. Or, je ne peux m’empêcher de souligner le fait que Brice Ferré et Mélanie Zaffran n’ont pas trop vérifié leurs sources lorsqu’ils avancent que les Experts « …disposent ainsi d’une grande quantité d’appareils ou d’accessoires qui sont loin d’être des gadgets, car à aucun moment on a l’impression que les instruments utilisés sont là pour impressionner et non pour élucider l’affaire. Dans Bully for you (saison 2, ép. 1), Warrick recourt à un appareil électronique dernier cri pour déceler des odeurs. De son côté, Catherine utilise une méthode de grand-mère, une paille et une pipette remplie de craie. L’ustensile de Warrick se révèle peu fiable face à la technique éprouvée de Catherine… » (p. 241). Je veux bien être d’accord avec eux sur le rôle des nouvelles technologies dans cette série, mais l’exemple utilisé est très boiteux, et mal cité en plus. D’abord, l’épisode Bully for you est plutôt l’épisode 4 de la deuxième saison donc (saison 2, ép. 4). Puis ce n’est pas Catherine qui dit à Warrick d’utiliser la méthode de grand-mère, mais bien Gil Grissom. C’est déjà pas mal, mais il y a plus : on essaie de nous dire ici que la vieille méthode est plus efficace que l’ancienne alors que c’est précisément à cause du logiciel qui accompagne le nouvel appareil qu’utilise Warrick que l’on réussira à identifier le parfum Chanteuse, qui aidera nos experts à mettre le doigt sur le bon suspect. Grissom fera même une demande de plusieurs milliers de dollars à l’État à la fin de l’épisode pour justement faire l’acquisition du matériel que Warrick mettait à l’essai.
Je ne veux pas faire le procès du livre. Peut-être est-ce la seule erreur qu’il contient… Néanmoins, ce livre est une extraordinaire source de trouvailles de toutes sortes pour tous les amateurs de télé séries. (FBT)
Les Miroirs obscurs
Présenté par Martin Winckler
La Laune, Au diable Vauvert, 2005, 462 pages.
Revue Alibis – Mise à jour: Septembre 2005