Encore dans la mire
De Martine Latulippe , Norbert Spehner, François-Bernard Tremblay
Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 1 334Ko) d’Alibis 15, Été 2005
Massacre à Nankin
Bel exemple de synchronicité… Alors que dans l’actualité récente Japonais et Chinois se crêpent le chignon à propos d’atrocités nipponnes (ni mauvaises ?) commises lors du conflit sino-japonais qui a précédé la Seconde Guerre mondiale, Tokyo , de Mo Hayder, qui traite du massacre de Nankin en 1937, tombe comme par hasard dans ma boîte aux lettres!
Rappelons d’abord les faits. Comme certains Allemands après la guerre (Les camps? Quels camps ? Des atrocités ? Quelles atrocités ?), les Japonais souffrent d’une étrange et gênante amnésie collective ou, pire, de révisionnisme aigu. Entre autres, ils ne se sont jamais excusés pour le massacre de près de trois cent mille civils chinois lors du sac de Nankin en 1937. Pendant plus d’un mois, la soldatesque de l’Empire du Soleil Levant s’était livrée à des exécutions de masse, des tortures innommables et des viols en série sur une population sans défense. On comprend que les Japonais d’aujourd’hui veuillent oublier cet épisode peu reluisant de leur histoire, mais de là à trafiquer les livres d’histoire et à nier les faits, il y a un pas… qu’ils ont, semble-t-il, allégrement franchi.
Or donc, dans le roman de Mo Hayder, nous faisons la connaissance de Grey (elle n’a pas d’autre nom), une jeune étudiante anglaise, spécialiste du conflit sino-japonais, détentrice d’un terrible secret, qui débarque à Tokyo pendant l’été de 1990. Son objectif : contacter un Chinois expatrié, le professeur Shi Chongming, qui a été témoin du massacre. Non seulement il aurait vu se commettre un acte spécifique, d’une cruauté inhumaine, mais il aurait en sa possession un film de 16 mm, jamais diffusé, témoignant de ces atrocités. Pour survivre à Tokyo, Grey va travailler comme hôtesse dans un club spécialisé où elle rencontre un étrange vieillard en fauteuil roulant qui s’avère être le puissant yakuza Junzo Fukui, toujours accompagné de Nurse Ogawa, de sexe indéterminé, un personnage monstrueux qu’il ne faut surtout pas regarder ou provoquer. Selon le professeur Chongming, le chef yazuka possède le secret de la longévité. Il fait un marché avec Grey : elle s’arrange pour découvrir le dit secret, en échange de quoi elle pourra visionner le film tant convoité. Mais pour ça, il faudra que Grey pénètre dans l’intimité du puissant gangster et déjoue la surveillance maladive d’Ogawa.
Le titre original du roman, c’est The Devil of Nankin … Un titre bien plus éloquent que ce piètre Tokyo , pour un roman extrêmement noir, d’une violence et d’une étrangeté totales. La reconstitution des événements de Nankin est magistralement morbide, dangereusement fascinante. Quant aux personnages, ils sortent tout droit d’un cauchemar de Stephen King. Il y a une intrigue sentimentale complètement tordue, déjantée, malsaine au possible et tous ces protagonistes cachent de terribles, voire d’horribles secrets qui nous seront révélés en temps et lieu, notamment quand le passé rattrapera tous les personnages principaux. En fait, rien ne nous sera épargné dans ce roman qui, selon l’expression convenue, n’est vraiment pas fait pour les âmes trop sensibles. Magistralement sadique et diablement réussi ! (NS)
Tokyo
Mo Hayder
Paris, Presses de la Cité (Sang d’encre), 2005, 430 pages.
Sa Majesté Karin !
Halldis, une femme âgée qui vit éloignée de tout, est sauvagement assassinée. Errki Johrma, une espèce d’idiot du village, être fragile souffrant de problèmes psychologiques et véritable oiseau de malheur souvent présent sur les lieux des crimes commis dans la région, est aperçu rôdant près de la ferme d’Halldis au moment du drame. Le corps de la victime est à peine refroidi que déjà les soupçons se portent lourdement vers un meurtrier tout désigné : Errki. Pourtant, le commissaire Konrad Sejer a l’impression que quelque chose ne colle pas… Sans compter que la psychiatre d’Errki est persuadée que son patient ne peut tout simplement pas avoir commis ce crime.
Voilà un bref résumé de Celui qui a peur du loup , Prix des libraires norvégiens en 1997. Sur la quatrième de couverture, on présente Karin Fossum comme « la reine du crime en Norvège », rien de moins (le Daily Mail a été le premier à baptiser l’auteure ainsi et l’appellation a été allégrement reprise depuis!). Celui qui a peur du loup est le premier roman de Fossum que je lis et je dois avouer qu’il s’agit d’un très bon polar, qui laisse penser que la reine en question n’a pas usurpé son titre !
D’emblée, la structure du roman s’annonce mouvante, intrigante, comme si elle épousait l’esprit d’Errki, une pensée qui est tout sauf linéaire. Pourvu de deux intrigues parallèles – d’un côté, un whodunnit plus classique ; de l’autre, une situation absurde où un braqueur de banque prend un otage… qui s’avère recherché par la police pour meurtre ! –, le roman se lit d’une traite. Les deux intrigues se rejoignent habilement en cours de lecture, et les personnages, tous marqués par une grande solitude, ont une belle composition psychologique, ils semblent plus vrais que nature. Les scènes décrivant la folie, la psychose, sont particulièrement troublantes, tandis que les diverses descriptions apparaissent souvent comme autant de tableaux que l’on voit nettement.
Karin Fossum présente dans ce roman Konrad Sejer, un inspecteur hanté par la mort de sa femme, un personnage fort mais pourtant très vulnérable, qui n’est pas sans rappeler le Wallander de Henning Mankell, tant par sa façon de penser que par cette lassitude pesante qu’il semble porter sur ses épaules. Ma principale réserve quant à Celui qui a peur du loup tient un peu à Sejer, toutefois, ou plutôt à une idylle naissante de ce dernier, puisqu’on nous refait le coup de l’enquêteur triste séduit par la jolie et intelligente psychiatre… Une impression de déjà-lu! Autre aspect qui risque de déranger certains mordus de polar : on peut voir venir la fin sans trop de mal… mais personnellement, cela n’a en rien diminué mon plaisir de lecture ! (ML)
Celui qui a peur du loup
Karin Fossum
Paris, JC Lattès, 2005, 365 pages.
Delirium pas très mince !
Ken Bruen est la nouvelle coqueluche des amateurs de romans noirs britanniques dans la veine de Robin Cook et cie. Dans Delirium tremens , cet auteur irlandais (né en 1951 à Galway) nous présente son nouveau héros, Jack Taylor, un ancien flic de la Garda Siochana , viré pour alcoolisme sévère et parce qu’il avait flanqué son poing sur la gueule d’un politicien mal embouché qui contestait une contravention méritée (moment de jouissance extrême !). Toujours dans la brume mais bardé d’un sens de l’humour aussi blindé qu’un gilet pare-balles, Taylor écume les pubs des quartiers populaires de Galway en y traînant sa misère (c’est un éternel fauché, of course ) et son mal de vivre. Et, une page sur deux, quand ça n’est pas un paragraphe sur deux, il picole, éclusant des hectolitres de poisons divers, puis dégueule, puis re-picole, puis… Hips ! Excusez-moi… tout en promettant, bien sûr, de s’amender dès que possible. On a même droit à un séjour mémorable dans un centre de désintoxication.
Moi qui ai habituellement une sainte horreur de ces intrigues éthyliques mettant en scène de lamentables épaves au cerveau grillé et dont le foie crie au secours, je me suis surprise à traverser ce livre, et même à y prendre un certain plaisir malgré les vapeurs d’alcool omniprésentes. L’enquête policière se précise quand une femme, assez jolie, supplie Jack Taylor d’enquêter sur la mort de sa fille qui se serait soi-disant suicidée. Entre deux beuveries et milles gueules de bois mémorables, Taylor essaie de mener à bien cette mission qui s’annonce plus délicate, plus surprenante que prévue. Même qu’à un certain moment, Taylor ressent quelque chose qui pourrait être de l’amour…
Une grande partie de l’intérêt de ce livre provient du style de Bruen. Delirium tremens est un polar écrit , avec une plume trempée dans le Jameson, peut-être, mais écrit, ça mérite d’être souligné. Par ailleurs, Jack Taylor est un personnage complexe pour lequel on éprouve à la fois attirance et répulsion. On espère donc le retrouver dans une prochaine (més)aventure, et cela même si ses enquêtes ne sont pas passionnantes outre mesure. Z’auriez pas deux aspirines? (NS)
Delirium tremens
Ken Bruen
Paris, Gallimard (Série Noire), 2005, 314 pages.
Pour faire écho à Umberto
Le voici, le roman que l’on annonce comme le successeur au trône du Da Vinci Code. Il s’agit de La Règle de quatre , dont le romancier Nelson DeMille a dit : « Si Scott Fitzgerald, Umberto Eco et Dan Brown s’étaient réunis le temps d’un roman, ils auraient écrit La Règle de quatre. » Le faible niveau de modestie accompagnant ce roman est inversement proportionnel au battage médiatique qui a entouré la sortie du livre, l’éditeur Michel Lafon allant jusqu’à imposer aux journalistes un embargo (jusqu’au 7 mars 2005) sur un livre paru en édition originale un an plus tôt !
Le Songe de Poliphile, c ’est la seule chose vraie qui existe dans ce roman. Chef-d’œuvre de Manuce, l’Hypnerotomachia poliphili du moine Francesco Colonna, un dominicain, est constitué de 234 feuillets comprenant 171 gravures évoquant l’art des jardins, les fêtes de cour et des scènes érotiques. Il est considéré comme le plus beau livre de la typographie occidentale et François 1er, Charles Quint, Philippe II ainsi que Henri VIII auraient possédé leur propre exemplaire des cinq cents publiés. Le livre est un peu énigmatique en tant que tel puisqu’il est écrit dans une langue qui mélange le latin et l’italien, parsemée d’hébreu, de grec, d’arabe et même d’hiéroglyphes. Quant à l’auteur, il fut démasqué lorsqu’on découvrit l’acrostiche formé par les premières initiales de chacun des chapitres: « Frère Francesco Colonna aima Polia d’un grand amour ».
Princeton. L’année tire à sa fin et il est temps pour les finissants de remettre leur thèse. Dans une des résidences du campus, quatre amis vivent au rythme des découvertes que deux des leurs font sur l’Hypnerotomachia Poliphili . Paul et Tom se vouent jour et nuit à des recherches intenses sur ce manuscrit italien datant de la renaissance, éclaboussant au passage la vie de plusieurs sur le campus. Mais effrayé par les pouvoirs incroyables du livre, ayant peur de connaître le même sort que son père, un chercheur qui a passé plus de temps auprès d’un livre que des membres de sa famille et qui en est mort, Tom laisse Paul seul à ses recherches au moment où ce dernier fait des découvertes hallucinantes… et d’autres plus horribles. À la veille de déposer ses travaux, Paul trime encore sur le dernier code qui lui permettra de mettre à jour le mystère entourant un des plus grands livres de l’histoire. Jusqu’à ce jour, personne n’a encore réussi à percer ses énigmes. Les professeurs et étudiants qui s’y sont consacrés deviennent si obsédés par ses révélations qu’ils finissent par se déconnecter complètement de la réalité. Mais l’histoire bascule quand un collaborateur de Paul, un bibliothécaire, est assassiné.
Pourquoi la règle de quatre? Parce que les codes pour déchiffrer Le Songe de Poliphile fonctionnent avec le chiffre 4, parce que les protagonistes sur qui repose l’histoire sont au nombre de 4, et que ce roman est écrit à quatre mains… et d’autres choses, peut-être. Enfin, toutes ces réponses. L’énigme que proposent les deux auteurs américains est intéressante, mais il faut de la patience pour y arriver. En fait, il faut aux deux auteurs près de 150 pages (sur 367) de mise en place avant de proposer un peu d’action. À partir de ce point, on plonge littéralement dans cet univers de franche camaraderie universitaire en compagnie de Tom, le narrateur qui joue fréquemment avec la vitesse de son récit qui apparaît souvent en flash-back. Ces derniers servent bien à nous faire découvrir l’histoire de l’Hypnerotomachia poliphili et de toutes les recherches passées et présentes qui ont entouré le livre.
C’est l’écriture efficace et bien structurée des jeunes auteurs qui a attiré mon attention, bien au-delà de tout le bruit médiatique qui a entouré le roman et qui, à mon avis, est exagéré. Car au bilan, que reste-t-il ? Un bon roman doublé d’une bonne intrigue, certes, mais rien qui réinvente la littérature. Il reste que les inconditionnels du Da Vinci code et du Nom de la rose y trouveront leur compte. (FBT)
La Règle de quatre
Ian Caldwell et Dustin Thomason
Neuilly-sur-Seine, Michel Lafon, 2005, 367 pages.
Tempête de clichés !
Je les appelle les polars-gadgets . Ils surfent sur l’air du temps, avec des thèmes convenus, rebattus, comme par exemple les histoires de serial killers , les avocasseries, le coupable innocent, le meurtre maquillé en suicide et autres airs connus. On y trouve beaucoup de coïncidences heureuses, des deus ex machinas en veux-tu en voilà, et leurs intrigues sont à peu près aussi crédibles que les promesses de nos politiciens tous partis confondus. Beaucoup sont écrits par des avocat(e)s (mais où trouvent-ils le temps ?), de préférence américains. On les lit d’une traite, sans se casser la tête et, quelques heures après notre lecture, on les a oubliés ou on les confond avec ceux lus à un autre moment. Bref, ce sont des objets de consommation, des passe-temps, des bouquins de plage. Sans plus. Ceci étant dit, il y en a des bons, des moyens et des exécrables… Le Tueur des tornades , de la très américaine Alice Blanchard, se situe quelque part entre les moyens et les bons !
Nous sommes en Oklahoma, un état dans lequel la chasse aux tornades est devenue un loisir d’État, au même titre que l’ornithologie ou la cueillette des champignons, mais en plus dangereux, on en conviendra. Après une tempête dévastatrice qui s’est abattue sur un coin de pays (quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi il y a toujours des habitations sur la trajectoire des tornades et cela malgré la taille immense du territoire ?), le bilan est lourd. Une famille est retrouvée morte dans les décombres de sa maison. Mais sur place, le shérif Charlie Grover constate que les dépouilles portent de bien étranges blessures. L’autopsie va révéler que tous ont perdu la vie empalés sur des débris… que quelqu’un a pris soin d’aiguiser comme des couteaux. Dans la bouche de chaque cadavre, une dent a été arrachée et remplacée par une autre d’origine inconnue.
Quand le shérif apprend que des décès semblables, tous reliés à des tornades, ont été signalés au Texas, il réalise qu’il a affaire à un tueur en série qui s’y connaît en météo, un spécialiste extrêmement doué, capable de prévoir la formation et la trajectoire de ce phénomène naturel pourtant réputé imprévisible. Pour traquer ce tueur un peu spécial, Grover doit faire appel à des chasseurs de tornades, des passionnés assez fous pour se jeter au cœur des tempêtes. C’est là toute l’originalité de cette histoire.
Il est clair que la romancière a privilégié l’action. Le rythme est soutenu, le vent souffle fort et, par moments, ça décoiffe! Par contre, la psychologie des personnages est à peine esquissée. L’élément technique est intéressant sans être envahissant. Malgré cela, on n’y croit pas une seconde et il n’est pas très difficile d’identifier le coupable dont les motivations relèvent du cliché extrême : le pauvre serial killer battu par un méchant papa veut se défouler ! Alors, il tempête… Mais ça n’est jamais que du vent. Mais j’y pense… En 1991, Anne Wingate avait publié un polar intitulé The Eye of Anna dans lequel il était question de l’ouragan Anna dévastant une petite ville côtière du Texas. Parmi les décombres, des cadavres, mais tués d’étrange façon… Mais il est vrai qu’au Texas, les tornades, tempêtes et autres ouragans sont des phénomènes fréquents. Alors, on n’insistera pas… (NS)
Le Tueur des tornades
Alice Blanchard
Paris, Belfond (Nuits noires), 2005, 374 pages.
Photo finish et autres clichés !
Je suggère à nos piètres politiciens, plus souvent occupés à vider nos goussets qu’à les remplir, de voter un beau jour une loi utile, dite de salut public , qui obligerait tous les polardeux tâcherons de ce monde et du Québec, à lire, au moins une fois dans leur petite vie, les deux premiers chapitres ou les vingt premières pages d’un roman de Harlan Coben, histoire de leur apprendre ce qu’est le hook , l’hameçon, c’est-à-dire ce petit quelque chose de terriblement efficace qui piège le lecteur et l’oblige à continuer sa lecture même s’il est deux heures du matin ! Comprenons-nous bien… Harlan Coben écrit des polars-gadgets (voir ma critique du Tueur des tornades ), mais ils sont souvent excellents, les meilleurs dans cette catégorie. Qu’on en juge…
Grace Lawson, heureuse en ménage depuis dix ans, récupère des photos de famille qu’elle a fait développer. En ouvrant le paquet, elle découvre, insérée dans les clichés récents, une photo vieille de vingt ans, sur laquelle elle reconnaît son mari. Qui a glissé cette photo dans le paquet et pourquoi? Mystère… Intriguée, elle la montre à son compagnon et là, tout bascule. Monsieur prend ses grands airs, claque la porte, monte dans sa voiture et disparaît. À partir de ce moment, la vie de cette ménagère sans histoires va sombrer dans le cauchemar.
En maître habile du suspense, Coben distille l’information goutte à goutte en prenant soin de constamment relancer l’attention. Au fil des chapitres, alors que Grace tente de comprendre ce qui se passe, vont se succéder des traques, des disparitions, des assassinats. Évidemment, tout cela est lié à quelque chose qui est arrivé dans le passé. Pour le lecteur éberlué, c’est un véritable parcours du combattant qui l’attend, à travers une intrigue de plus en plus complexe, un peu emberlificotée par moments, avec beaucoup (trop) de personnages, dont un tueur sorti tout droit d’une BD trash. Pour une fois, la finale (point faible de nombreux récits de ce type) est plutôt réussie, le romancier ménageant une dernière révélation, un dernier coup de théâtre plutôt inattendu, dans la grande tradition de ce genre d’intrigue. Pour passer un bon moment sans trop se casser la tête. Mais ça prend du souffle… (NS)
Juste un regard
Harlan Coben
Paris, Belfond, 2005, 396 pages.
Salut Galarneau !
De retour d’un congrès une journée plus tôt que prévu, Pierre Vaugeois décide, sans prévenir sa femme de son arrivée, de filer tout droit au bar de danseuses comme il le fait régulièrement avant de rentrer à la maison – son couple ne va pas bien depuis longtemps. Mais il se trouve qu’elle est justement là, sa femme. Oui, juste là, sur la 116 avec sa vieille Ford tempo blanche dont l’aile avant droite est toute cabossée. Mais, ma parole ! pourquoi est-elle aussi loin de la maison et pourquoi rentre-t-elle dans ce parking du Motel Riviera? Pierre, qui commence à être inquiet, décide de la suivre mais garde tout de même ses distances. Sa femme a-t-elle une vie en dehors de lui ? Y a-t-il deux Ford Tempo blanches avec l’aile droite cabossée dans la ville de… ? Impossible. Ça ne peut pas être elle! Mais si. Surprise! Tel est pris qui croyait prendre et Pierre Vaugeois comprend qu’il est cocu en voyant ce type au crâne dégarni qui descend de la bagnole et va cueillir à la réception la clé de la chambre d’hôtel. Décidant d’espionner le couple adultère, Pierre se stationne plus loin, près de l’autoroute – en cette soirée de brouillard et de pluie, il va causer par mégarde un carambolage monstre au moment où le couple repart vers une autre destination. Ne voulant pas perdre de vue la Tempo de sa femme, Pierre Vaugeois commet un délit de fuite et ne se doute pas qu’à partir de ce moment, sa nuit va se transformer en enfer.
Les éditions JCL ont une fois de plus eu l’œil juste en misant sur ce premier roman de Gérald Galarneau. L’auteur, malgré une histoire plutôt banale, possède l’art du romancier populaire dans sa plus pure tradition, ce qui est rare. Si le procédé fonctionne, il y a tout de même quelques irritants. D’abord, faisons remarquer qu’une Ford Tempo n’est sûrement pas une voiture sous-compacte, ce qu’on répète peut-être dix fois dans le livre. Puis il y a beaucoup de répétitions inutiles de termes – crachin est employé pas loin d’une vingtaine de fois. Enfin, notons que le personnage de la jeune première en fait un peu trop – cette jeune policière qui sort de Nicolet est trop perspicace avec les seuls éléments qu’elle a en main –, n’est pas Hercule Poirot qui veut et cette facilité agace à la longue.
Mais qu’importe, le suspense est haletant et on veut traverser le roman d’un bout à l’autre sans vouloir être dérangé. (FBT)
Motel Riviera
Gérald Galarneau
Chicoutimi, JCL (Couche-tard 18), 2005, 260 pages.
Match show
Philippe Huet est un ancien journaliste amoureux de littérature. Il a publié des romans noirs de style simenoniens qui se déroulent toujours au Havre et dans ses environs.
Fred est un préretraité du journalisme. Malgré la soixantaine – qu’il ne fait pas –, les femmes le trouvent toujours très séduisant. Comme Viviane, une jeune, riche et belle femme mariée de qui il est l’amant depuis déjà plusieurs années. Mais Fred s’ennuie. Il décide de s’adonner au bookcrossing , cette activité qui consiste à abandonner volontairement dans un lieu public un roman que l’on a aimé pour en faire profiter quelqu’un d’autre. Fred choisit ce jour-là un roman d’Antoine Blondin que lui et Max, son ami récemment décédé, ont toujours aimé : L’Humeur vagabonde . La demoiselle qui le ramasse n’est pas sans rappeler à Fred Delmany un amour de jeunesse qui a mal tourné : elle s’appelait Brigitte. Il décide de suivre celle qu’il surnomme l’inconnue d’Antoine (Blondin) à travers la ville du Havre. Fred suivra cette inconnue et sa sœur jusque dans un des quartiers les plus délabrés de la ville, où elles répètent avec une troupe de comédiens populaires dirigée par Gabriel Pignol, une vieille connaissance de Fred. Afin de se rapprocher de celles qu’il aime épier, Fred, à la demande de Pignol, s’engage comme souffleur dans la troupe de théâtre. La mort de la belle Viviane, assassinée par son mari jaloux à Cuba, vient cependant brouiller les cartes alors que les flics débarquent au théâtre pour questionner le beau Fred. La présence de la police semble embarrasser Pignol et les deux sœurs, qui n’oublieront pas d’entraîner avec eux un Fred Delmany qui aurait mieux fait de rester dans les beaux quartiers de la ville.
Roman d’atmosphère. Roman sur la mélancolie, roman de l’homme qui refuse de vieillir et qui doit sans cesse combattre l’ennui et le décès des proches, de même que le quotidien qui rappelle inévitablement le passé sur lequel l’être se rabat. C’est aussi une belle écriture dans un cadre pittoresque, mais qui deviant vite noire – l’auteur nous y plonge à pied joint vers la fin. L’Inconnue d’Antoine apparaît aussi comme un roman un peu machiste. Histoire d’homme dans la soixantaine qui se tape constamment des jeunes femmes, fatales inévitablement, en manque de sexe, fantasme d’homme vieillissant qui désire combattre les apparences… Et il y a ce mythe de la femme énigmatique, qui sonne un peu cliché dans tout ce décor, quand même adorable et d’une rare sensibilité. (FBT)
L’Inconnue d’Antoine
Philippe Huet
Paris, Rivages (Thriller), 2004, 197 pages.
Sur une fausse note !
L’abbé Poitevin est retrouvé mort juste avant l’office qu’il devait présider. Fierté des résidants de Saint-Louis-en-l’Île (Paris), l’église attirait chaque dimanche, depuis un certain temps, le Tout-Paris. Loin d’être la cathédrale Notre-Dame, Saint-Louis-en-l’Île se distinguait par un abbé possédant un grand talent d’orateur et par l’extraordinaire musique de la nouvelle jeune violoniste qui venait de s’y installer. Plusieurs visiteurs arrivaient d’ailleurs plus tôt pour profiter du récital. L’ancienne élève du conservatoire, Julie, très douée, a préféré faire vibrer les cordes tendues de son nouvel instrument dans une église plutôt que de poursuivre un enseignement qui ne lui valait plus que jalousie de la part de ses collègues et de ses professeurs. Et tout ça à cause du son de la pucelle. La pucelle, c’est le nom que porte le Stradivarius de Julie. Un violon qui lui a été offert par un artiste peintre parisien. Mais qui est donc cet artiste qui offer de si généreux cadeaux ? Pourquoi l’ex petit copain de Julie, un voyou, apparaît-il soudainement partout ? Pour l’inspecteur Mercier, le meurtre de l’abbé Poitevin ne sera pas facile à résoudre. En plus, il y a Dédé qui vient de s’évader de prison et qui a promis de faire la peau à Gisèle, la jolie prostituée et indic. Mais au-delà de tout ça, tout le monde semble être tombé amoureux de Julie et du son de l’instrument qu’elle manie avec le plus grand talent. Quand même le commissaire divisionnaire semble envoûté, on comprend qu’il y a bien des pistes à suivre.
Les Violons du diable a reçu en 2005 le Prix du Quai des Orfèvres fondé en 1946 et destiné à couronner chaque année le meilleur manuscrit policier inédit présenté par un écrivain de langue française. Bon an mal an, le prix récompense des œuvres… inégales. À preuve, l’œuvre de Sylvie M. Jema, la récipiendaire de l’an dernier, était bien supérieure à celle de cette année. Il ne faut pas se le cacher, dans le cas du roman de Jules Grasset, le travail d’édition a été fait à moitié. L’auteur prend le mauvais pli de donner trop d’importance à des personnages (secondaires) dont il oublie l’existence par la suite. C’est le cas de Pignol, par exemple, dont on ne sait trop s’il est le personnage central ou un simple adjoint et qu’on ne revoit plus du livre par la suite. Puis il y a cette fin abrupte dans laquelle le lecteur se sentira un peu floué – le commissaire aurait dû venir régler des comptes.
Remarquez, ces commentaires n’enlèvent rien à l’écriture tout à fait agréable de ce roman dont les maladresses, toutefois, laissent des marques. (FBT)
Les Violons du diable
Jules Grasset
Paris, Fayard, 2004, 251 pages.
Dix petits nègres
Emmanuel Pierrat est avocat. Il a beaucoup publié: des fictions (Le Dilettante), des essais sur l’édition, des dictionnaires et des essais sur la sexualité, et un nombre important d’ouvrages juridiques. Avec son titre façon Agatha Christie ( Dix petits nègres ), Les Dix gros blancs se présente avant tout, tant par sa jaquette que par son titre, comme un polar humoristique.
Moustique. Une île privée des Caraïbes où il ne fait pas très bon vivre depuis quelque temps, surtout si vous êtes une vedette. En effet, après Mick Jagger, c’est David Bowie que l’on retrouve raide mort… juste avant de buter sur le cadavre d’Elton John. Mais il y en a d’autres qui sont présents, comme Lou Reed et Laurie Anderson. Comme il n’y a pas vraiment de police sur l’île et que cette dernière est isolée du reste du monde en raison d’un ouragan, tout le monde se met à paniquer. Surtout le personnel, des métis et des Noirs qu’exploitent les riches stars de Moustique. Seul Prosper Boniface, le médecin originaire de la Guadeloupe, semble vouloir s’improviser inspecteur. À l’aide de vieux livres de médecine légale datant du début du siècle, il commence son travail, autopsiant ici et là et menant son enquête petit bout par petit bout jusqu’à la résolution de l’affaire.
Outre l’île isolée et les morts, rien à voir avec le talent d’Agatha Christie. Le roman d’Emmanuel Pierrat me fait plus penser aux histoires du personnage de Peabody (Le serpent à plumes) et, encore là, le personnage créé par Patrick Boman possédait une certaine originalité, contrairement aux Dix gros blancs .
En fait, ce roman rate sa cible de plusieurs mètres et s’il s’annonce d’abord comme un roman humoristique, le contenu a peine à nous tirer un sourire. Côté polar, c’est le désastre. L’auteur préfère raconter le passé de cette île des Caraïbes plutôt que d’installer un suspense qui ne vient pas ou qui fuit dès le deuxième chapitre. Côté intrigue, là aussi on repassera, Pierrat révélant maladroitement le coupable un peu avant la fin du roman.
C’est à se demander comment Fayard peut encore laisser passer ce genre de roman. Faudra voir comment Patrick Raynal, qui a quitté la Série Noire pour venir relancer la collection « Fayard noir », saura s’entourer et prendre ses appuis afin que le polar qui s’y publie soit d’un niveau plus décent. (FBT)
Les Dix gros blancs
Emmanuel Pierrat
Paris, Fayard, 2005, 207 pages.
Banzaï au Sinaï
Âgé de 80 ans, Elmore Leonard vient de publier The Hot Kid , son 40e roman, une histoire de gangters se passant dans les années 30. En même temps, en traduction, la Série Noire réédite d’anciens titres comme Homme Inconnu no 89 et Le Don Quichotte du Sinaï, devenus introuvables, alors que chez Rivages on nous propose un roman inédit, Tishomingo Blues et un recueil de nouvelles intitulé Quand les femmes sortent pour danser . Avant de se consacrer au polar, Elmore Leonard a d’abord été un auteur de westerns mémorables (5 étoiles!) comme Hombre et Valdez is coming , adaptés de façon magistrale au cinéma par Martin Ritt et Edwin Sherin respectivement. De grands moments de cinéma ! Un critique du Publishers Weekly a dit des récits de ce vétéran qu’ils étaient de qualité comparable à ceux d’Ernest Hemingway, qu’il écrivait de meilleurs dialogues que George V. Higgins, bref que c’était un des meilleurs auteurs de polars américains vivants. Outre ses westerns, plusieurs récits policiers de Leonard ont été adaptés à l’écran, notamment par Quentin Tarantino. Ceci étant dit, question d’univers, d’ambiance, je n’ai jamais été très emballé par les polars d’Elmore Leonard. Ces livres sont peuplés de petits truands minables, combinards, dont les pérégrinations criminelles me laissent plutôt froid. Heureusement, l’action ne manque pas, les dialogues (sa marque de commerce) font mouche et une fois embarqués dans le récit, on ne regrette pas sa lecture.
Dans Le Don Quichotte du Sinaï , un roman d’à peine 200 pages, Elmore Leonard nous propose un récit d’aventures qui ressemble beaucoup à un western, sauf que ça se passe de nos jours et que le désert du Negev a remplacé les étendues arides de l’Arizona ou du Nouveau-Mexique. À la veille de prendre sa retraite, angoissé par cette perspective peu réjouissante, le sergent Davis, du corps des Marines, un soldat d’élite et homme d’action, se trouve mêlé à une sombre magouille impliquant quelques gangsters et de grosses sommes, le tout sur fond d’intrigue sentimentale. Poursuites, bagarres et fusillades se succèdent jusqu’au final explosif, le tout mené à un rythme d’enfer. Pas de grandes considérations sociologiques ou psychologiques pour retarder une intrigue strictement bâtie comme un scénario de film et entièrement tournée vers l’action. Ça se lit vite (évidemment), on passe un bon moment et voilà ! De la lecture de divertissement, dans la plus pure tradition du genre.
Elmore « Dutch » Leonard sait raconter une histoire. Pour apprécier toute l’étendue de son talent de conteur et la diversité de son inspiration, on peut aussi lire neuf de ses récits regroupés dans Quand les femmes sortent pour danser , qui contient des histoires criminelles, des récits westerns et des nouvelles « hors » genre comme « Traîner au Buena Vista ». Le dernier texte, intitulé « Tenkiller » est un mini-roman dont le héros, cascadeur de son état, a quelques problèmes dans ses rapports amoureux. Bref, du concentré de Dutch à son meilleur ! (NS)
Le Don Quichotte du Sinaï
Elmore Leonard
Paris, Gallimard (Série Noire), 2005, 204 pages.
Quand les femmes sortent pour danser
Elmore Leonard
Paris, Rivages (Écrits noirs), 2005, 192 pages.
Michael Simon: un émule de James Ellroy
Commençons par l’énoncé d’un paradoxe: ce roman n’est pas mauvais, bien au contraire, mais il nous laisse pourtant sur notre faim. Dans Dirty Sally , de l’Américain Michael Simon, on a un début sur les chapeaux de roue, un personnage principal comme on les aime, de l’action, de l’action et encore de l’action, un brin de romance bien intégré à l’ensemble, bref tout ce qu’il faut pour satisfaire le client. Mais, et c’est là que le bât blesse, on a aussi une nette impression de déjà lu. Si vous êtes un amateur de roman policier occasionnel seulement, vous avez toutes les chances de beaucoup apprécier ce roman. Ce sera moins le cas si vous êtes un amateur assidu, car alors vous ne serez guère surpris.
Une prostituée inconnue (Dirty Sally) est assassinée dans des conditions atroces, un jeune militant des droits civiques est écrasé par un autobus municipal dans un accident qui sent le traquenard, Dan Reles, un flic intègre et curieux, mène l’enquête et se heurte à un establishment hostile, alors que la panique s’installe dans les hautes sphères du pouvoir. Il me semble qu’on a là un scénario assez convenu, à quelques variantes près. Dan Reles étant du genre cabochard, prêt à souffler sur les braises, on sait que son enquête sera pleine d’embûches, que des flics corrompus lui mettront des bâtons dans les roues et que tout sera pour le mieux dans le pire des mondes. Et le dénouement est surprenant, pour ne pas dire frustrant. Seule note vraiment originale : l’action de ce thriller noir se passe à Austin, au Texas ce qui a fait dire à James Ellroy, le mentor de cet auteur, que Michael Simon avait fait pour le Austin des années 80 ce que lui-même avait entrepris pour le Los Angeles des années 50.
Michael Simon est un ancien acteur devenu dramaturge qui a également travaillé pendant cinq années en tant qu’officier chargé du contrôle judiciaire au Ministère de la justice d’Austin. James Ellroy en a fait son poulain et ce nouveau venu dans le monde du polar américain s’est retrouvé sur les listes des bestsellers dès son premier roman. (NS)
Dirty Sally
Michael Simon
Paris, Flammarion, 2005, 326 pages.
Barry vaut bien une messe
Tokyo Blues , de Barry Eisler, met le lecteur dans une position bien embarrassante… En effet, John Rain, le personnage principal de ce récit, est un tueur à gages spécialisé dans les morts naturelles. En tant que lecteur, nous allons donc « sympathiser » un peu, beaucoup, malgré nous avec un criminel qui a un tableau de chasse impressionnant et qui est la terreur des gangsters sadiques, des politiciens véreux, des agents doubles, troubles, et autres lie de la société. Moyennant rémunération, vous pouvez engager Rain pour éliminer quelqu’un. Votre cible (toujours une crapule) aura un accident. Les flics n’y verront que du feu. Mais attention… John Rain a des principes : il ne tue ni femmes ni enfants. Son ex-petite amie, dont il a tué le père, le décrit ainsi : « J’ai compris qui tu étais. Tu ne fais pas partie du monde réel. Du moins pas tel qu’il est pour moi. Tu es une sorte de fantôme, une créature condamnée à vivre dans l’ombre. Et je me suis aperçue que quelqu’un comme ça ne méritait pas la haine ».
Après les événements dramatiques survenus dans La Chute de John R. , premier roman de la série, Rain a décidé de prendre sa retraite. Mais, air connu, son passé le rattrape, il a des dettes. La mafia japonaise et la CIA, ses anciens employeurs, se rappellent à son bon souvenir. Sa nouvelle cible désignée est Murakami, un terrifiant yakuza expert en combats mortels. Adapté à l’écran, nul doute que Tokyo Blues ressemblerait à un hybride de film noir et de kung-fu. John Rain est un homme d’action qui nous entraîne sur son champ de bataille favori : les ruelles obscures de Tokyo, ses avenues grouillantes, ses bars à hôtesse et autres lieux de perdition exotiques Il y rencontrera un nouvel amour en la personne de Naomi, une métisse aux yeux verts.
Au menu, bagarres, poursuites, rendez-vous secrets, fréquentations douteuses, complots et duel final entre deux experts du combat à main nue. On ne s’ennuie pas, mais la morale, on la cherche encore, car Rain, faisant fi de ses « principes » sacrés, élimine une femme ! Notons que La Chute de John R. est disponible en édition de poche, chez Pocket. (NS)
Tokyo Blues
Barry Eisler
Paris, Belfond (Nuits noires), 2005, 388 pages.
En fait, pas grand-chose !
Andréa Camilleri est Sicilien d’origine. Il a pratiqué les métiers de metteur en scène, de réalisateur de télévision et de scénariste. C’est tardivement qu’il s’est fait connaître comme romancier, entre autres avec sa série des enquêtes du commissaire Montalbano. Fayard présente ici son tout premier roman écrit entre 1967 et 1968, mais qui fut publié seulement en 1978. Mal diffusé, il est réédité en 1998. Il s’agit de sa première traduction en langue française.
Le vieux Vito mène une existence paisible plutôt solitaire. Propriétaire d’un petit poulailler qui lui permet de s’arracher une vie de misère, seul son vieux copain Masino, le tenancier du bar de la petite bourgade sicilienne où il vit, a sa confiance. Mais la journée où il essuie deux coups de feu sur le pas de sa porte, la vie de Vito bascule. Qui peut bien en vouloir à cet être déjà solitaire et isolé ? L’adjudant Corbo, lui, n’hésite pas à recouper les coups de feu entendus en pleine nuit avec le cadavre d’un berger retrouvé le même jour.
Ce roman d’Andréa Camilleri n’est pas facile d’approche. Dès les premières pages, on se bute à un parlé régional pas facile du tout et à des expressions pour lesquelles le lecteur possède bien peu de référents. L’histoire est assez banale et renferme peu des qualités recherchées dans un polar. L’intrigue est là, mais l’auteur nous en détourne constamment pour mieux nous la remettre sous le nez tout à coup, et le suspense n’est efficace qu’à la fin, quand on nous amène enfin le dénouement.
Dans une postface intéressante, Camilleri nous apprend que ce roman a constamment été repoussé de publication en publication pour des raisons de changement de collection, d’intérêt soudainement moindre des éditeurs, bref pour toutes sortes de bonnes raisons (sic) qui n’avouent pas, en fait, que ce texte n’était peut-être tout simplement pas assez bien pour être publié. Et ce même si on en a tiré une adaptation en trois épisodes pour la télévision en 1978, réalisée par Pino Passalacqua et intitulée La Main sur les yeux .
Il faut donc voir ce roman comme un document inédit et intéressant pour les fans inconditionnels de Camilleri, qui en seront quittes pour une courte préface et une postface bien éclairante sur les ambitions de ce « premier essai ». (FBT)
Le Cours des choses
Andréa Camilleri
Paris, Fayard, 2005, 159 pages.
Si vous cherchez des histoires…
Roland Lacourbe est un de mes anthologistes favoris. Aux éditions de l’Atalante, dans la collection « Insomniaques et ferroviaires », il a fait paraître 25 histoires de chambres closes, une antho exemplaire et inégalée, 30 recettes pour crimes parfaits , susceptible de vous donner des idées noires (mais pratiques), Eaux mystérieuses et mers infernales , 20 défis à l’impossible et, dans la même veine que cette dernière, Vingt pas dans l’insolite qui, dans la logique tordue du titre, comporte 21 récits.
Le livre est divisé en quatre grandes parties: aux frontières de l’irrationnel, chez les magiciens, l’ange du bizarre, passés improbables et futurs incertains, parties séparées par un entracte. Le dit entracte est une nouvelle de J. Barine (pseudo de Paul Gayot et Pascal Dourcy, membre de l’OuLiPoPo) dans laquelle l’auteur va transgresser systématiquement les vingt règles de Van Dine afin de concevoir scientifiquement la plus mauvaise nouvelle policière jamais écrite ! Avec bien entendu un rappel des fameuses règles et des commentaires de l’auteur.
Ces excursions dans l’insolite, où le fantastique ne semble jamais bien loin, sont autant de tours de force parce que leur originalité est que leurs auteurs donnent toujours une explication rationnelle à des événements bizarres, incongrus ou fantastiques. C’est ainsi que j’ai (re)découvert avec plaisir la nouvelle d’Helen McLoy, « Le Miroir obscur » (dont on a fait un roman par la suite) et sa curieuse résolution. Comme toute anthologie de bonne tenue, le choix des auteurs est varié avec présence obligatoire de quelques auteursfétiches de Lacourbe : John Dickson Carr, Paul Halter, Edward D. Hoch, Joseph Commings (deux récits), René Reouven et quelques autres. Petit supplément fort apprécié : avec Lacourbe, les récits sont encadrés, les auteurs et les textes présentés, alors qu’une bibliographie vient compléter le tout, comme il se doit.
Meurtres en famille est la sixième anthologie thématique regroupant douze nouvelles à suspenses inédites et publiée par les auteurs appartenant à la Adams Round Table (dirigée par Mary Higgins Clark). On se souviendra que depuis quinze ans, Mary Higgins Clark réunit chaque mois les plus grands maîtres américains du suspense chez Adams, le célèbre restaurant new-yorkais, afin d’imaginer les intrigues les plus machiavéliques (on me dit qu’ils ont changé de resto depuis…).
Ici, réunis autour de Mme Clark, on retrouve Lawrence Block, Stanley Cohen, Dorothy Salisbury Davis, Mickey Friedman, Joyce Harrington, Susan Isaacs, Judith Kelman, Warren Murphy, Peter Straub, Whitley Strieber et Justin Scott. Avec au sommaire des spécialistes de l’horreur comme Strieber ou Straub, la vie de famille risque d’être mouvementée et on peut être certain que ça va saigner ! Contrairement à l’antho de Lacourbe, celle-ci est toute nue : aucune présentation ni des auteurs ni des textes avec juste une maigre et inutile intro de M. H. Clark. Dommage ! Ces récits de bonne facture mériteraient un peu plus d’attention. (NS)
Vingt pas dans l’insolite
Roland Lacourbe (dir.)
Nantes, L’Atalante (Insomniaques et ferroviaires), 2005, 580 pages.
Meurtres en famille
The Adams Round Table
Paris, Albin Michel, 2005, 400 pages.
Revue Alibis – Mise à jour: Juin 2005