Encore dans la mire
De Christine Fortier, Christian Sauvé, Norbert Spehner, François-Bernard Tremblay
Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 1 434Ko) d’Alibis 14, Printemps 2005
Comme polar, le manuscrit « pha dur » !
L’unique raison pour laquelle j’ai lu Le Manuscrit Phaneuf , de Gilles Marcotte, c’est une phrase qui termine le baratin de quatrième de couverture et qui affirme ceci : « Roman policier, au sens le plus exact et le plus passionnant du terme, ce livre est aussi une méditation à la fois sérieuse et onirique sur l’identité des êtres et les surprises de l’existence ». Un roman policier ? Vraiment?
Voyons voir… Il y a une victime : un auteur d’une certaine notoriété, mort dans des circonstances troubles. Un mystère : la disparition de son manuscrit. Il y a un enquêteur teigneux, un peu ridicule, qui fume la pipe et se prend pour un quelconque Maigret. Il y a des suspects, des mobiles possibles, sans oublier Gilles Marcotte qui de temps à autre fait quelques références à la littérature policière, notamment aux romans de Colin Dexter. Mais disons-le tout net, voilà un polar (si ce livre en est vraiment un) plutôt médiocre, sans grand intérêt.
Je l’ai lu en entier, plus par respect pour son auteur, ex-professeur émérite et un de nos meilleurs critiques littéraires, que par véritable intérêt. Si la première moitié se lit sans ennui, ça s’enlise par la suite pour nous entraîner dans une finale d’une redoutable banalité. Il y a bien, ici et là, des considérations intéressantes ou amusantes sur l’édition, sur les écrivains, sur la langue, mais dans l’ensemble, j’ai trouvé ça anodin, avec une intrigue plutôt dispersée.
On ressort de la lecture de ce récit, avec la fâcheuse impression que l’auteur a hésité entre l’écriture d’un véritable polar et quelque chose d’autre. Il a employé les codes du genre pour finalement les diluer dans une histoire différente. Et c’est là que le bât blesse… Le résultat est pour le moins hésitant , comme si l’auteur n’avait finalement jamais tranché.
En toute honnêteté, je trouve que c’est là un de ces romans inutiles comme il s’en publie trop, au Québec ou ailleurs. Combien d’arbres sacrifiés pour publier un type de bouquin dont on aurait finalement pu se passer. Je vois d’ici les objections : ce manuscrit a tout de même trouvé un éditeur, et pas n’importe lequel ! Comment cela est-il possible ? Quitte à porter un gilet pare-balles pendant quelques semaines, je vous soumets une hypothèse de réponse. Mais il vous faudra la mériter. Suspense! Je crois que vous trouverez des éléments de réponse à la page 11 de ce polar qui n’en est pas vraiment un. C’est écrit en toutes lettres. Inutile d’insister. Je n’en dirai pas plus… Le gilet ne protège jamais la tête et je ne m’abaisserai pas à porter un casque ! (NS)
Le Manuscrit Phaneuf
Gilles Marcotte
Montréal, Boréal, 2005, 217 pages.
Le dernier Hillerman: ni cochon, ni sinistre!
Un auteur culte peut-il écrire un mauvais roman ? Certainement… Voyez Stephen King qui a parfois joyeusement alterné chefs-d’oeuvre et navets. Tony Hillerman, le père du polar ethnologique peut-il écrire un roman qui soit assez quelconque ? Il faut croire que oui…
Le Cochon sinistre (quel titre débandant !) n’est pas exactement mauvais , le terme serait trop fort, mais c’est sûrement ce que j’ai lu de moins achevé de cet auteur talentueux. Accident de parcours ? L’avenir nous le dira sans doute, mais force est de constater que dans ce récit, Hillerman a emprunté au polar ce qu’il y a de plus critiquable – la coïncidence heureuse au service d’une intrigue emberlificotée – tout en négligeant l’essentiel de ce qui fait l’intérêt de ses oeuvres, leur aspect « ethnologique » et poétique. Je m’explique…
Comme c’est trop souvent le cas dans le polar américain actuel, l’intrigue comprend deux volets en apparence distincts. Jim Chee enquête sur la mort d’un homme d’âge mûr, bien habillé, abattu d’une balle dans le dos et dont le cadavre a été trouvé à l’endroit où le pays navajo rencontre la réserve Apache Jicarilla. Au même moment, près de la frontière mexicaine, l’agente Bernadette Manuelito (qui ne travaille plus aux côtés de Chee) traque un suspect jusqu’à un ranch où sont élevés des animaux africains. Elle y rencontre de curieux et dangereux personnages. Une fois de plus, le hasard faisant bien les choses (hélas! trois fois hélas!), on va vite découvrir qu’il y a un lien entre ces deux affaires qui n’en font qu’une. Cela permettra à Chee et à Manuelito non seulement de résoudre une obscure affaire impliquant des détournements de redevances dues aux Indiens, mais aussi de mettre de l’ordre (enfin !) dans leurs affaires de coeur. À la fin du roman, on nous fait comprendre que l’agente Bernadette Manuelito, vraiment pas douée, renonce à sa carrière dans les forces de l’ordre pour se consacrer à sa nouvelle vie de famille. Souhaitons bonne chance à cette gaffeuse de première, et prions les dieux navajos que Hillerman ne s’enlise plus dans des intrigues sentimentales à la noix, domaine où il ne semble pas très à l’aise, pas plus d’ailleurs que dans le prêchi-prêcha moral concernant la lutte contre la drogue dont il émaille son texte.
Ce qui fait que Le Cochon sinistre est un polar plutôt banal, conventionnel, sans grande originalité (sans être vraiment ennuyeux, précisons- le tout de même), c’est que la « magie Hillerman » est quasiment absente. L’essentiel de l’action se déroule en dehors de la réserve indienne, près de la frontière mexicaine. La culture indienne parfaitement intégrée dans les autres romans, et qui leur donnait leur couleur particulière, est presque totalement évacuée, même si elle figure encore dans le glossaire (maigre consolation). Bref, la poésie navajo fout le camp… Espérons qu’il ne s’agit là que d’une absence temporaire. Quant à Joe Leaphorn, son rôle est tellement secondaire qu’on se demande pourquoi Hillerman se donne encore tant de mal pour l’intégrer à ses intrigues.
Et le sinistre cochon dans tout ça? C’est à la fois un animal et une machine, mais je ne vous en dirai pas plus… (NS)
Le Cochon sinistre
Tony Hillerman
Paris, Rivages, (Thrillers), 2005, 201 pages.
Le Véritable Massacre n’est pas un Art
Cette phrase, qu’on peut lire dans le troisième roman traduit en français de l’auteur britannique Robert Wilson, décrit assez bien ce qu’on ressent en terminant la lecture de Meurtres à Séville . C’est un mélange d’écoeurement et d’admiration pour cette histoire qui semble ne jamais vouloir se terminer et qui, pourtant, réussit à nous tenir en haleine jusqu’à la toute fin. On peut sans contredit dire de Robert Wilson qu’il est un écrivain habile, surtout lorsqu’il est question de décrire avec acuité la psychologie de ses personnages et l’atmosphère particulière – dépravée – de la vie à Tanger après la Seconde Guerre mondiale. Il s’y connaît aussi beaucoup dans la noirceur humaine, comme le démontre la cruauté incroyable avec laquelle le meurtrier fait souffrir – et mourir – ses victimes. Ils les attachent sur une chaise, et s’ils refusent de contempler l’horreur qu’il est venu leur présenter, il leur coupe les paupières ! C’est par ailleurs sur un premier meurtre atroce que s’ouvre l’intrigue. On assiste impuissant à la mise à mort de Raul Jimenez, un homme d’affaire âgé de Séville, marié avec une femme plus jeune, qui devient d’emblée le suspect principal de l’enquête que mène l’inspecteur Javier Falcon.
Même si Robert Wilson aborde son histoire par le biais de l’enquête policière, Meurtres à Séville est avant tout un thriller psychologique qui tourne autour de la quête identitaire de l’inspecteur Falcon. Ce dernier se remet difficilement de la fin de son mariage avec Inez, une brillante avocate, et dès qu’il pose les yeux sur Raul Jimenez, sa vie bascule dans l’ombre, pour ne pas dire la folie. À partir de ce moment, la démarcation entre l’enquête et la vie privée de Javier disparaît, et chaque nouvel indice le pousse à se questionner davantage encore sur son enfance, qu’il a en grande partie oubliée. Puis, lorsqu’il découvre que la première victime et son père, Francisco Falcon, se sont connus, l’inspecteur plonge pour de bon dans le passé. Il se met à lire le journal intime de son père décédé. Ce qu’il y trouve le sidère. Le célèbre Francisco Falcon, renommé à cause de quatre nus à la sensualité étourdissante qu’il a peints dans les années soixante, est un monstre. Robert Wilson ne se contente pas d’évoquer le contenu du journal intime de Francisco Falcon dans Meurtres à Séville . Il se trouve dans le roman (comme un roman dans le roman), sous forme de fragments. (Sachez toutefois que les fragments qui se rapportent aux dernières années du peintre à Tanger se trouvent en anglais dans Internet, au www.harcourtbooks.com).
Ainsi, grâce au journal intime de son père, les pièces du puzzle s’imbriquent graduellement, et sur fond de Semaine sainte à Séville et de corrida, Javier identifie le tueur. Puis fait la paix avec son passé. Après nous avoir tenus en haleine pendant 500 pages, la conclusion de Meurtres à Séville constitue presque un soulagement. Autrement dit, pour apprécier le roman, il faut vraiment aimer les intrigues d’ambiance, qui avancent à petits pas. (CF)
Meurtres à Séville
Robert Wilson
Paris, Robert Laffont (Best-Sellers), 2004, 512 p.
À la guerre comme à la mer
Ce qui est dommage avec les thrillers militaires, c’est qu’ils arrivent sur les tablettes des libraires pratiquement dotés d’une date d’échéance. Et comme le contexte sociopolitique sur lesquels ils reposent change de plus en plus vite depuis le 11 septembre 2001… Il peut donc paraître étrange de voir un éditeur traduire en 2005 un thriller militaire publié en 2000, ce qui est le cas de Mission Seafighter, roman dans lequel on nous demande de croire qu’une force amphibie américaine, sous contrôle onusien, tâche de maintenir l’ordre en Afrique occidentale ! Disons que, pour le moins, c’est un scénario qui a plus à voir avec les années Clinton que l’ère Bush II. Mais cet éloignement de la réalité du moment ne doit pas être un prétexte pour ignorer ce roman puisqu’il s’agit d’un des meilleurs thrillers militaires du début de la décennie.
Aux États-Unis, James H. Cobb s’est taillé une place de romancier naval avec une série de quatre romans publiés entre 1998 et 2002, qui met en vedette le capitaine Amanda Garrett et le destroyer USS Cunningham, un navire ultrasophistiqué. Mission Seafighter (traduction de… Seafighter ! ) est le troisième roman de la série et le seul à proposer un contexte différent : alors que le Cunningham est en cale sèche pour réparations (il a été amoché dans le deuxième volume), Garrett se voit offrir une « simple » mission : maintenir la paix et l’ordre dans une région de l’Afrique où un dictateur en puissance, le général Belewa, commence à faire des siennes. Or, Belewa possède non seulement des ambitions démesurées mais aussi l’intelligence pour tenir tête aux forces de l’ONU et empêcher les États-Unis d’intervenir avec leur puissance militaire. Du coup, le « sale petit conflit » qui s’ensuit prend rapidement l’allure d’une partie d’échec, Belewa et Garrett s’échangeant les coups astucieux.
Les amateurs de sensations fortes seront immédiatement happés par ce roman rapide et efficace. Cobb a une longueur d’avance sur ses confrères tant il sait rendre son intrigue limpide même à ceux qui ne sont pas des habitués des fictions militaires. Ses personnages ont beau être découpés à la hache, ils n’en sont pas moins compétents et de sympathiques. En matière d’écriture, Cobb écrit avec un rythme soutenu et clair, un choix que respecte bien le traducteur Jean-Paul Mourlon. Et s’il y a toujours une certaine étrangeté à lire de la fiction militaire américaine en français, Mourlon réussit toujours à préserver l’énergie du texte d’origine.
Les lecteurs en quête d’idées originales et de scènes spectaculaires seront également bien servis : pour eux, l’attrait principal de Mission Seafighter sera de voir à l’oeuvre des hovercrafts de nouvelle génération, et là Cobb ne se gène pas pour les mettre à l’épreuve dans le cadre de combats prenants.
Thriller militaire écrit selon les règles de l’art, roman accessible aux lecteurs qui ne sont pas des vétérans ou des experts, Mission Seafighter représente sans doute pour le moment ce qu’il y a de mieux dans le genre sur les tablettes de nos libraires. (CS)
Mission Seafighter
James H. Cobb
Paris, L’Archipel, 2005, 406 pages.
Une contre-enquête ou un con enquête
On sait peu de chose de Raphaël Majan, sinon qu’il est né en 1963 à Saint-Sébastien, qu’il a travaillé (sic) comme fonctionnaire au ministère de l’intérieur et que p.O.L. vient de faire paraître en rafale au moins six titres des « Contre-enquête du commissaire Liberty » : L’Apprentissage , Chez l’oto-rhino , Le Collège du crime , Les Japonais , L’Auteur de polars et Vacances merveilleuses.
Dans Le Collège du crime , le commissaire Liberty (Paul Wallance) reçoit une invitation pour une réunion des anciens élèves du Collège évangélique Jésus de Voltaire. Mais celui qui était le souffre-douleur de tout un groupe d’adolescents est devenu commissaire de police et il ne va pas se faire chier à renouer avec des camarades de classe qu’il ne peut blairer. Pourtant, plus la date des retrouvailles approche, plus le commissaire Liberty a bien envie de montrer à ses amis qu’il est devenu quelqu’un d’important… aussi se rend-il à la rencontre avec une seule et unique idée en tête : et s’il se vengeait ? Mais lequel de ses anciens compagnons devrait-il éliminer ou envoyer en prison en premier ? Et s’il essayait le hasard ? Il les déteste tous ou presque : il y a le père Bouchabet, Claude Potiron dit La soupe, Bastien Biralomunise, Marie-Christine de la Borne et Rémi Zoc… Et pourquoi ne pas s’occuper de tout ce beau monde ? Après tout, c’est lui, le commissaire, non?
Dans Les Japonais, le commissaire Liberty se questionne… et quand il se questionne, il risque d’y avoir de la casse ou, à tout le moins, quelques crimes. Liberty est un drôle de pistolet et s’il ne tue pas pour se créer un palmarès de serial killer, il n’en demeure pas moins qu’avec tous les crimes effectués, il n’a jamais tué de Japonais et ce fait commence de plus en plus à le hanter. Et puis, lorsqu’il se met à la recherche d’un de ceux-là, ils semblent s’être tous volatilisés de France. Et comment être sûr qu’il s’agira bien d’un Japonais? Pour lui, les Orientaux se ressemblent tous. Il n’est quand même pas assez stupide pour aller leur demander leur nationalité. Mais peut-être que si… après avoir commis autant d’erreur sur la personne.
Il va de soi que ces aventures du commissaire Paul Wallance, dit Liberty, en raison du film L’Homme qui tua Liberty Valance , de John Ford, sont sous le signe de l’humour et donc, par le fait même, appartiennent au polar humoristique. Dans cette veine souvent exploitée, peu de chose agréable à couronner. Ainsi, si certains abordent le genre avec succès, d’autres vont souffrir de s’y être frotté – n’est pas Charles Exbrayat ou Donald Westlake qui veut ! L’oeuvre de Raphaël Majan navigue, justement entre deux eaux. Non pas que ce soit mauvais ou inintéressant, au contraire. Son personnage est original, savoureux et ne souffre d’aucun complexe. Cependant, les oeuvres qui composent la série des « Contre-enquête du commissaire Liberty » deviennent, elles, vite répétitives, l’intérêt de leur lecture décline au rythme où l’on tourne les pages. Un roman ça va, deux passent encore, mais je n’irai pas jusqu’à la lecture d’une troisième oeuvre de cette série.
Toutefois, il faut ajouter en toute honnêteté que Majan a une plume bien aiguisée et que ses petits romans tiennent bien la route côté structure et écriture, là-dessus, rien à dire. Seulement, il faudra que l’auteur nous offre autre chose que les « enquêtes du commissaire Liberty » s’il veut un tant soit peu qu’on parle de lui comme d’un auteur de polar prometteur. Car il ne faut pas se le cacher, dans son cas, le talent est là. (FBT)
Le Collège du crime
Raphaël Majan
Paris, p.O.L., 2004, 205 pages.
Les Japonais
Raphaël Majan
Paris, p.O.L., 2004, 199 pages.
Pour découvrir le polar norvégien…
J’ai un aveu à faire (mauvaise habitude) : avant de lire Rouge-Gorge, de Jo Nesbø, je n’avais jamais été attiré par les polars des éditions Gaïa dont je n’aimais ni le format excentrique, ni les caractères d’imprimeries style « vieille dactylo » de la quatrième de couverture, et dont la plupart sinon tous les auteurs aux noms imprononçables m’étaient parfaitement inconnus. Vous les connaissez, vous, ces Gunnar Staalesen, Frederik Skagen, Marten Harry Olsen, Leif Davidsen et autres Jo Nesbø? Moi non. Du moins, jusqu’à présent.
Tout ça va changer parce que j’ai découvert l’oeuvre de Jo Nesbø, un auteur norvégien, et son personnage, Harry Hole, un héros de polar à mettre dans le même musée que Kurt Wallander (Henning Mankell) et ses émules.
Bourré de faiblesses, mais très attachant, Harry Hole se lance dans une affaire périlleuse dont l’origine remonte à la Deuxième Guerre mondiale, à un épisode peu connu et pas très glorieux de l’histoire de la Norvège. Occupés par les Allemands, les Norvégiens ont soit résisté à l’occupant, à leurs risques et périls, soit ont collaboré, pour le meilleur et pour le pire.
Le récit commence en 1941. Des jeunes Norvégiens idéalistes (ils partent lutter contre le bolchevisme) s’engagent dans les rangs de la Waffen-SS pour combattre sur le front de l’Est. Méprisés par leurs alliés allemands, plongés dans l’enfer des combats au coeur de l’hiver russe, traqués par les Soviétiques qui ne font pas de prisonniers, ils perdent leurs illusions et ne pensent qu’à une chose : survivre. Quand Daniel, alias Urias, leur chef de leur groupe, se fait tuer, chaque membre de la division va suivre sa propre route et tenter de sauver sa peau. Retour au temps présent, où Harry Hole est chargé d’enquêter sur le milieu néo-nazi, soupçonné de préparer un attentat à l’occasion de la Fête nationale. Il se documente sur le passé nazi de la Norvège, rencontre les engagés volontaires survivants, désabusés, jugés à la libération comme traîtres à la patrie. Commencent alors des heures d’angoisse, car le temps est compté, la menace de plus en plus précise.
Dire que j’ai dévoré ce gros roman est un euphémisme, d’autant que j’ai un faible pour les polars dans lesquels l’auteur intègre les récits de guerre à une énigme criminelle, et dans lesquels les mystères du présent trouvent leur explication dans les limbes du passé. Ajoutez à cela des personnages fascinants, un sens de la narration impeccable et vous avez là un roman qui fait honneur au genre et à cette collection que je ne snoberai plus, je le jure ! Ah, les préjugés ! (NS)
Rouge-Gorge
Jo Nesbø
Paris, Gaïa, (Polar), 2005, 484 pages.
Qu’est-ce qu’on se fait suaire !
Le thriller médical ne m’a jamais particulièrement attiré. Peut-être pour des raisons tout à fait terre à terre. Pour moi, la vraie horreur, viscérale, totale, absolue, se trouve dans tout ce qui est médical, tourne autour de la médecine, du scalpel au virus en passant par le scanner ou la roulette du dentiste ! Le lieu qui me terrorise le plus, ce n’est pas la crypte du vampire, mais la chambre d’hôpital. Alors me farcir en plus, de mon plein gré, des histoires de virus Ebola, de bactéries cannibales et autres épouvantes, non merci ! Exception faite de son premier roman, Coma, j’ai donc toujours soigneusement évité les thrillers bactério-viraux de Robin Cook. Mais comment résister à ce roman intitulé Crises dont la quatrième de couverture me promet une histoire où il est question d’un patient que l’on va traiter avec de l’ADN prélevé sur le suaire de Turin? Diantre, me dis-je, Robin Cook aurait-il attrapé un quelconque virus davincicodesque ? Il fallait donc que j’en aie le coeur net, que j’aille visiter la clinique du bon Dr Lowell tout en priant le ciel que les charmes de l’infirmière de service me fassent oublier la terreur glacée ambiante !
Quelle déception ! Rarement aura-t-on vu une idée aussi prometteuse gâchée par un écrivain sans inspiration, qui écrit sur le pilote automatique tout en puisant allégrement dans le Dictionnaire des clichés en dix volumes pour auteurs de best-sellers et La médecine pour les nuls . Ce qui aurait pu être un formidable roman de suaire-fiction devient une très médiocre histoire de magouilles politico-médicales, sur fond de scènes de ménage, avec quelques apartés intéressants (tout de même) sur les relations troubles entre le pouvoir politique et le savoir médical, la recherche, les manipulations génétiques, les cellules souches et toutes ces sortes de choses affreusement biologiques !
Et oubliez le suaire : c’est un attrape-nigaud qui ne mène nulle part, un prétexte pour attirer le client friand de mystère (Ça marche ! J’en suis la preuve imbécile…). Ce qui en résulte est tout simplement grotesque, sinon clownesque à défaut de clonesque ! (NS)
Crises
Robin Cook
Paris, Albin Michel, 2005, 524 pages.
Kristeva m’endormir
Julia Kristeva est une des plus grandes figures de la critique littéraire universitaire des trente dernières années. Psychanalyste de renom, ses apports à la sémiotique et à la linguistique sont reconnus comme étant majeurs : Sèméiotikè, Recherche pour une sémanalyse (1969) et Le Langage cet inconnu (1981) figurent parmi ses essais les plus marquants. Elle a aussi écrit des romans. Meurtre à Byzance est son quatrième titre publié chez Fayard.
Journaliste à L’Événement de Paris, Stéphanie Delacour est dépêchée à Santa Barbara (ville imaginaire) pour enquêter sur de mystérieux meurtres en série. Elle sera aidée dans ses recherches par le commissaire Rylski, un quinquagénaire fort séduisant et cultivé.
De son côté, Sébastien Chrest-Jones récolte les honneurs et les doctorats honorifiques (un peu comme Kristeva) et se passionne pour le métissage des populations. Du moins, c’est ce que tout le monde connaît de lui, mais le professeur s’intéresse en cachette à la première Croisade. C’est à travers l’écran de son ordinateur que nous faisons la rencontre d’Anne Comnène, une célèbre héroïne d’un roman bulgare, et ce parce que Chrest-Jones écrit lui aussi un roman sur cette femme célèbre et féministe, bien en avance sur son temps. À partir de là, les histoires se croisent et le roman de Kristeva prend l’allure d’un roman écrit en forme de poupées russes.
Le dernier roman de Julia Kristeva est peut-être un polar, mais il n’a rien à voir avec le concept de littérature populaire de Jean-Patrick Manchette qui définissait ainsi le genre : « Vite écrit, vite lu ! » Ici on est plutôt devant un étalage d’érudition qui donne un texte dense et d’un hermétisme navrant. Le roman est ennuyant, rempli de digressions qui n’en finissent plus. Un roman à clé, un roman des origines dans lequel seul le crime justifie probablement l’appellation polar et la présence de cette recension dans nos pages.
Toutefois, le roman pourrait évidemment attirer quelques adeptes : des universitaires qui aiment se donner un genre (sic), sûrement pas policier, mais aussi ceux qui recherchent une langue rare, pleine de mots riches et qui ne lèvent pas le nez sur les romans à clé… Mais quel ennui ! Les efforts que j’ai déployés à reprendre à maintes reprises la lecture de ce roman justifient à eux seuls la remise de mon papier. (FBT)
Meurtre à Byzance
Julia Kristeva
Paris, Fayard, 2004, 337 pages.
Sardaigne à l’huile !
Un jour, quelqu’un devrait organiser un concours : celui de la quatrième de couverture la plus débile, du championnat de l’enflure verbale et du baratin le plus racoleur. Les aspirants au titre seraient fort nombreux. Le jury aurait bien du mal à trouver un gagnant dans ce concert d’hyperboles fallacieuses qui rappellent étrangement les discours de nos politiciens. Un exemple, parmi d’autres : à propos de La Peur et la Chair , de Giorgio Todde, on affirme sans rire que « ce romancier sarde renouvelle complètement le polar italien ». Misère! Si c’était vrai, ça se saurait et j’arrêterais illico de lire les auteurs italiens. De grâce, éditeurs, attaché(e)s de presse et autre promoteurs, arrêtez de nous prendre pour des articles de voyage… C’est tout à fait contre-productif, ça nous braque ou nous met d’humeur très fâcheuse ! Hé ! On a fait des études, on sait lire…
Tout ça pour vous dire que contrairement à ce qu’affirme le menteur de service, La Peur et la Chair ne révolutionnera pas le genre. Mais ça n’est pas pour autant un roman qui manque d’intérêt. Nuance… L’action se situe à Cagliari (Sardaigne), en 1861. On a découvert le corps de l’avocat Giovanni Laconi, un bras arraché et le crâne brisé par une pierre. Mais l’autopsie révèle qu’il est mort de peur avant d’être atrocement mutilé. D’autres morts vont suivre, et peu à peu la peur s’installe. Ce qui m’amène à un autre « mensonge » : il n’y a strictement rien de fantastique dans ce roman, et surtout pas de créature étrange, mi-homme, mi-bête semant l’épouvante. Non, les choses sont plus terre à terre, comme le montrera l’enquête du docteur Efisio Marini, un jeune médecin et auteur d’une méthode révolutionnaire de pétrification des corps. En fouinant un peu, il va mettre à jour des secrets de famille peu reluisants où l’avidité le dispute à la sensualité et aux amours malsaines. Il y a sur cette île des secrets de famille inavouables. Quelqu’un est prêt à tuer pour ça.
Précisons qu’il s’agit là de la deuxième enquête d’Efisio Marini. La première, L’État des âmes , est parue en 2003. Le style de Giorgio Todde est assez particulier. Il faut lire quelques pages pour apprivoiser le rythme très particulier, un peu déroutant des phrases. Ce roman inaugure une nouvelle collection chez Albin Michel. Intitulée « Carré jaune », elle propose des ouvrages d’un format intermédiaire entre le livre de poche et la brique de gratte-ciel (13 x 20 cm) et des récits où s’unissent littérature et polar. Une affaire à suivre… (NS)
La Peur et la Chair
Giorgio Todde
Paris, Albin Michel (Carré jaune), 2005, 280 pages.
Histoire de coque et de coquille
Il y a de ces décisions d’édition que l’on peut questionner. Comment comprendre, par exemple, qu’un éditeur décide de ne faire traduire que le deuxième tome d’une série ? Comment expliquer la présence d’une coquille énorme sur une quatrième de couverture ? Mais la véritable surprise, c’est de découvrir que la coquille peut avoir un impact plus important que la décision de ne pas traduire le premier livre d’une série.
Car si Piège en eaux profondes de Joe Buff est bien la traduction de Thunder in the Deep, le deuxième tome de la série « Jeffrey Fuller », il n’y a pas de quoi s’en formaliser outre mesure. Quiconque a lu les deux premiers romans de cette série de thrillers militaires en version originale sait que le deuxième est non seulement supérieur au premier, mais que son intrigue est un calque amélioré sur la structure narrative de son prédécesseur. Qui plus est, l’intrigue du premier livre est tellement mince que le prologue du deuxième tome réussit sans peine à combler les trous. On acceptera donc que Fleuve Noir ait décidé de traduire le meilleur livre des deux.
En revanche, la coquille sur la quatrième de couverture risque de rebuter plus d’un lecteur potentiel. Car si la série de Buff se déroule en 2011, dans un monde où les pays anglophones sont à nouveau en guerre contre l’Allemagne, un doigt a dû glisser à l’étape de la photocomposition et c’est ainsi que les milliers d’exemplaires du livre en librairie débutent par : « 2001. Une nouvelle guerre mondiale… ». Aïe! Mais peut-être s’agit-il là d’un lapsus révélateur, car l’univers dans lequel évolue le capitaine Jeffrey Fuller a toujours appartenu à une réalité parallèle. Écrite à partir de 2000, la série de Joe Buff sert essentiellement à montrer les progrès des armes sous-marines. Ainsi, on assiste à une guerre entre Anglophones et Germanophones à coup d’armes nucléaires tactiques sans que la dimension politique d’un tel conflit ne soit approfondie (comme vous pouvez vous y attendre d’un écrivain américain, la France a capitulé dès les premières heures du conflit…).
La coquille « 2001 » est tout de même dommageable, car elle mine la force principale du livre, soit l’annonce du renouvellement des combats sous-marins. Si votre conception de cet univers tactique dépend encore d’ Octobre Rouge de Tom Clancy, dites-vous que les choses ont bien changé depuis 1984. Buff, spécialiste en technologies submersibles, nous livre une vision des choses dominée par des sous-marins en céramique et des armes de la prochaine génération. De plus, l’auteur prend soin de situer ses combats dans des environnements réalistes : loin des duels de torpilles dans une baignoire infinie, les personnages de ce roman s’affrontent dans des plans d’eaux aux nombreuses particularités géographiques. L’océanographie est une science omniprésente dans ce roman, et le résultat est bourré de trouvailles ingénieuses, d’ailleurs la conclusion a lieu… sur les flancs d’un volcan sous-marin.
Ceci dit, avertissement nécessaire : ce roman s’adresse aux férus de thrillers militaires. La caractérisation est primaire, le rythme traîne et le jargon prend souvent toute la place du dialogue. Si les amateurs convaincus se glisseront avec aisance dans l’atmosphère du roman, le public général risque d’être rebuté par l’hermétisme du livre. Patrick Marcel a accompli un travail héroïque de traduction technique, mais il ne peut pas faire de miracles face à la prose d’origine et, pour des raisons évidentes, le roman est doté d’un glossaire. Il n’y a que les États-Unis pour avoir un lectorat spécialisé suffisamment important et permettre l’existence d’un tel type de romans : reste à voir le succès du livre en français… en espérant, bien sûr, que les lecteurs ne tiendront pas compte de la coquille ! (CS)
Piège en eaux profondes
Joe Buff
Paris, Fleuve Noir, 2004, 441 pages.
Les nouveaux déboires d’un marchand de bières
Le Croque-mort à tombeau ouvert , de Tim Cockey, est le troisième roman d’une série mettant en vedette Hitchcock Sewell, un croque-mort de Baltimore déjà présenté dans Le Croque-mort a la vie dure et Le Croque-mort préfère la bière , parus chez le même éditeur. Petit aparté : on aime bien la bière chez Alvik éditions puisque le personnage principal de L’Ombre de la Napola , de Reiner Sowa (voir critique dans Alibis 14 ), est aussi un entrepreneur de pompes funèbres. Mais le ton y est un peu plus tragique que dans les aventures plus légères de Hitchcock Sewell, qui rappellent par moments les premiers épisodes de la série Six Feet Under (avant qu’elle ne sombre lamentablement dans le soap ). Humour noir, situations absurdo-comiques, protagonistes un peu déjantés, le ton est résolument décontracté, mais l’auteur ne sombre jamais dans les sanantonâneries beaufrèresques.
Or donc, Hitch reçoit un coup de téléphone hystérique d’une amie d’enfance en détresse : elle vient de flinguer son amant, le patron d’une boîte de nuit interlope. Il est à l’hôpital, dans une situation critique, quand quelqu’un vient le poignarder, histoire d’achever le travail. Secondé par son ex-femme, son chien Alcatraz (pas trop envahissant, dieu merci !) et Munger, un drôle de privé plus que dépressif, Hitch se lance dans une affaire périlleuse pour tirer sa copine de la situation épineuse dans laquelle elle s’est fourrée. Oui, elle a tiré sur le sale type pour se défendre, mais non, elle ne l’a pas achevé à coups de couteau. Encore faut-il le prouver et trouver le véritable assassin.
Son enquête, riche en rebondissements, va amener notre croque-mort favori dans des boîtes de jazz enfumées où des chanteuses à la voix rauque et aux courbes rebondies font augmenter votre pression sanguine, et dans le petit monde illégal des jeux de hasard où il est facile de laisser sa chemise ou sa peau, c’est selon…
Hitchcock Sewell est un personnage coloré qui sait garder son calme en toutes circonstances (métier oblige). Quand ça va mal, il se sert de son humour tantôt loufoque, tantôt subtil, toujours noir, pour survivre dans des situations périlleuses, potentiellement mortelles. Certains dialogues sont de véritables trouvailles. Bref, on ne s’ennuie pas avec ce croque-mort sympathique. Tim Cockey est incontestablement un auteur à découvrir. (NS)
Le Croque-mort à tombeau ouvert
Tim Cockney
Paris, Alvik (Polar), 2005, 412 pages.
Des nouvelles du polar américain
Contrairement à ce qui se passe chez les Anglo-Saxons, et plus particulièrement aux États-Unis, il se publie peu d’anthologies chez les éditeurs francophones. Le public les boude, paraît-il, ce qui fait qu’elles ne sont pas rentables. Il faudra un jour se pencher sur cette diversité culturelle. Pour ma part, je crois que ce sont les revues qui font la différence. Le lecteur américain a pris l’habitude de lire des textes brefs, des nouvelles, dans les nombreuses revues disponibles aux États-Unis, alors qu’elles sont relativement rares dans la francophonie.
Or donc, si les nouvelles vous intéressent, deux anthologies parues récemment devraient vous satisfaire. Le « Best of » des maîtres du polar ( Vous avez bien lu, il n’y a pas d’erreur, c’est bien un titre franglais !) est une anthologie présentée par Lawrence Block et qui est bâtie selon un principe intéressant : il a demandé à chaque auteur de choisir sa nouvelle préférée puis, dans un deuxième temps, de sélectionner son texte favori chez un auteur de son choix. D’où le sous-titre: « Vingt-six histoires de mystère et de suspense par les maîtres d’aujourd’hui et ceux qui les ont inspirés ». Ainsi Doug Allyn nous propose « Le Paradis de chiots », texte jumelé à « L’Enfant d’autrefois » de William Bankier (un nouvelliste canadien), Mary Higgins Clark a retenu « L’Homme d’à côté », jumelé avec « Le Coeur révélateur » d’Edgar Allan Poe, un auteur sélectionné aussi par Joyce Carol Oates. Und so weiter … comme disent les Bretons. L’opération est répétée treize fois pour un total de vingt-six textes variés, de thèmes et d’inspiration très différents, jamais inintéressants.
Moisson noire 2004 (Les meilleures nouvelles policières américaines) est une anthologie présentée par Michael Connelly. Tous les ans, Otto Penzler (libraire, critique, expert ès polars) demande à un prestigieux représentant de la littérature policière de réunir les vingt meilleures nouvelles parues dans l’année. Cette anthologie m’a permis de mesurer à quel point je connaissais peu ou pas les auteurs de la relève. Car il y a peu de gros noms au sommaire : Walter Moseley, Elmer Leonard, John Peyton Cooke, Joyce Carol Oates, George p. Pelecanos ou James Crumley. Parmi les inconnus (pour moi qui ne lis pas de revues américaines), mentionnons Robert McKee, Hannah Tinti, Monica Wood, Brendan DuBois, Scott Woven, Daniel Stashower (avec un pastiche holmesien) et quelques autres avec des histoires de braquages, de complots, de manipulations, de confessions et autres activités peu recommandables. (NS)
Le « Best of » des maîtres du polar
Lawrence Block (dir.)
Paris, Albin Michel, 2004, 540 pages.
Moisson noire 2004
Michael Connelly (dir.)
Paris, Rivages (Thriller), 2004, 350 pages.
Revue Alibis – Mise à jour: Mars 2005