De Christine Fortier, Jean Pettigrew, Norbert Spehner et François-Bernard Tremblay
Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 953Ko) d’Alibis 12, Automne 2004
Apprentis espions
Après Le Réseau Corneille et Code Zéro (Robert Laffont, 2001 et 2002), l’auteur britannique remet ça avec Le Vol du frelon, un troisième roman d’espionnage se déroulant durant la Seconde Guerre mondiale et dont la formule éprouvée commence à montrer des signes de faiblesse. Contrairement au Réseau Corneille, qui commençait lentement pour ensuite s’accélérer dans un suspense soutenu et efficace jusqu’à la fin, Le Vol du frelon prend son envol tardivement, et ne trouve jamais sa vitesse de croisière. Dans ce cas-ci, les passages palpitants sont presque toujours suivis d’un passage à vide au suspense quasi inexistant. Sur le plan historique, par contre, Le Vol du frelon est totalement réussi. D’où l’intérêt pour ce roman dont l’histoire commence au Danemark en 1941, soit un an après le début de l’occupation allemande.
Aucun doute là-dessus, Ken Follett demeure un excellent conteur. Ses personnages sont sympathiques et on s’intéresse d’emblée à leur histoire. Pourquoi se plaindre alors ? Parce que la trame de base de ses romans d’espionnages se ressemble toute. Comme Le Réseau Corneille, Le Vol du frelon débute avec l’échec d’une mission menée par les Britanniques contre les Allemands. Entre ensuite en scène l’héroïne de service, Hermia Mount, qui vient à bout de tous les obstacles grâce à son immense courage et à sa grandiose intelligence. De l’autre côté du ring se trouve le méchant de service. Ici, il s’agit de Peter Flemming, un policier danois à cheval sur les principes et tellement avide de pouvoir qu’il n’hésite pas à dénoncer ses concitoyens pour obtenir l’approbation de l’occupant. Au centre, Harald Olufsen, jeune étudiant trop curieux et futur ingénieur, qui découvre comment l’ennemi parvient à décimer les escadrilles de l’armée de l’air britannique.
Débute alors un chassé-croisé entre les trois héros du roman. Hermia demande aux « Veilleurs de nuit », le petit groupe d’espions qu’elle a créé avant de fuir en Angleterre, de découvrir où en sont les Allemands dans le développement du radar. De son côté, Peter tente de découvrir les membres du réseau d’espionnage pour ensuite les traduire devant la justice. Quant à Harald, désireux de mettre en échec les Allemands, il n’hésite pas à mettre sa vie en danger pour changer le cours de la guerre et donner aux Britanniques les informations dont ils ont absolument besoin. À travers cette première intrigue fort intéressante malgré son aspect prévisible, deux histoires d’amour, racontée en filigrane: celle de Harald avec la belle Karen, puis celle de Hermia et de Arne, le frère de Harald, qui se termine tragiquement.
Tout compte fait, Le Vol du frelon n’est pas un si mauvais roman. Ceux et celles qui n’ont pas lu les précédents livres de Ken Follett n’y verront que du feu. Quant aux autres, ils découvriront un aspect moins connu de la Deuxième Guerre mondiale. Dans tous les cas, les lecteurs savoureront le savoir de l’écrivain, qui étaye son roman par d’impressionnantes recherches, comme c’est le cas pour chacun de ses livres. (CF)
Le Vol du frelon
Ken Follett
Paris, Robert Laffont, 2004, 445 pages.
Karin ne fait pas dans la dentelle…
Au fil du rasoir, de Karin Slaughter, commence par une scène-choc : Jeffrey Tolliver, le chef de la police locale, est obligé d’abattre une adolescente qui menaçait son petit ami avec un revolver tout en suppliant qu’on la tue. L’autopsie révèle des choses horribles et troublantes. Le docteur Sara Linton et Jeff Tolliver vont essayer de découvrir ce qui a bien pu mener à ce drame terrible. Chapitre après chapitre, les faits se précisent, les témoins se dévoilent et l’atroce vérité se fait jour, encore plus révulsante que ce que l’on pouvait imaginer.
Karin Slaughter ne fait pas dans la dentelle. Je l’avais déjà remarqué dans son premier roman, Mort aveugle, mais là, elle se surpasse. Oubliez les comparaisons putassières avec Patricia Cornwell (est-ce vraiment encore un compliment ?) ou avec Thomas Harris (rien à voir), Slaughter n’a pas écrit un thriller, ni même un suspense, même si son récit emprunte des éléments aux deux pour plus d’efficacité. Ce qu’elle nous propose ici, c’est une sorte de roman criminel psychologique, une plongée dans l’horreur absolue des déviances sexuelles, dans le bourbier innommable de la pédophilie dans ce qu’elle a de plus extrême et de révoltant. Ce que découvrent Sara et Jeff dépasse l’entendement. Certains passages de ce livre nous hantent encore longtemps après la fin de notre lecture, surtout que le dénouement nous réserve de très mauvaises surprises. À ne pas lire dans une période de déprime… (NS)
Au fil du rasoir
Karin Slaughter
Paris, Grasset (Thriller), 2004, 440 pages.
En singeant l’Apocalypse
Attention ! Quand Pouy rencontre Raynal (et de Kerversau), tout peut arriver. Ils sont les créateurs du Poulpe, bien sûr, mais aussi du roman La Chasse à l’homme, paru en 2000 aux éditions Mille et une nuits. Dieu seul sait – et peut-être le Diable, sans doute – ce qui peut accoucher d’un tel copinage! Parlant de ces deux vieux loups (Dieu et Diable, pas les deux autres), c’est précisément eux qui sont les principaux protagonistes de cette comédie un peu noire (si peu) qui a pour titre La Farce du destin et qui vient juste de paraître dans la boîte d’Antoine de Kerversau, les Contrebandiers éditeurs. Voyons donc ce que font Lulu alias Lucifer et Gégé alias Jéhovah dans ce petit roman pas tristounet du tout…
Gégé et Lulu se retrouvent tous les dimanches dans un petit bistrot du onzième arrondissement. Ils picolent et rigolent en se remémorant leurs meilleurs (mauvais) coups, discutent de l’histoire de l’humanité (l’un critiquant plus que l’autre) et jouent aux cartes. Attention, pas de paquet voleur à l’horizon, de poker ou de Black Jack, mais un jeu de rôle qui pourrait bien tourner parfois à la roulette russe. Ils tirent des cartes représentant des personnes qui ne devraient pas se rencontrer… mais Gégé et Lulu arrangent bien des choses à leur convenance. Ici, c’est le destin d’Antoine qu’ils vont jouer aux cartes. Antoine, un moine au lourd passé judiciaire, qui a du mal, par les temps qui courent, avec sa vocation. Ce n’est pas qu’il s’ennuie sous la soutane, mais la simple évocation de la vierge arrive à le mettre dans tous ses états, alors imaginez les ménagères rencontrées au supermarché du coin, quand elles y vont parfois un peu fort sur les tenues suggestives… Mais ce n’est pas sur la simple ménagère en talons hauts et minijupe que va tomber Antoine, mais sur une effeuilleuse qui se sent attirée par la soutane !
On s’amuse beaucoup dans ce petit roman qui nous gave à la fois de bons mots et de situations comiques. D’autres, qui n’aiment pas voir leur polar envahi par la comédie, trouveront peut-être à redire, comme d’habitude. Cependant, il faut avouer que tout est amené avec goût et modération, ce qui devrait permettre aux plus exigeant d’apprécier cet opus à quatre mains, celles de deux des figures de proue du polar français.
Personnellement, j’ai trouvé la fin un peu précipitée, mais l’humour, l’efficacité et l’originalité de La Farce du destin, écrit par des écrivains pour qui le français veut encore dire quelque chose, l’emportent sur toutes les petites récriminations que j’aurais pu avoir. C’est à lire! (FBT)
La Farce du destin
Jean-Bernard Pouy & Patrick Raynal
Paris, Les Contrebandiers, 2004, 175 pages.
Je l’ai toujours cru : le King est vivant !
Quand j’ai reçu ce livre, je me suis dit spontanément que c’était un autre de ces polars gadgets dont on nous inonde depuis quelques années, un de ces trucs excentriques que je ne lirai jamais : polars hyper-régionalistes faisant la promotion touristique du coin, polars vinicoles (pas toujours des bons crus), polars félins (chat me rebute) polars sécurité sociale, polars médecine, polars qui n’en sont pas vraiment, héros improbables et j’en passe. Elvis Presley détective ? Et puis quoi encore ? Non mais…
Je devais être bien fatigué, épuisé après une longue lutte contre un brochet de quelques kilos particulièrement combatif, ou quelque chose du genre, pour que je condescende à me lancer dans la lecture de ce Kill me tender (Daniel Klein) dont j’attendais le pire et même plus. Croyez-le ou non, Elvis est presqu’aussi bon détective que chanteur et ce roman, malgré les apparences un peu kitsch, est un récit policier de bonne tenue que j’ai lu avec beaucoup de plaisir.
L’action se situe après le retour de Presley à la vie civile. Il a encore un peu de mal à regagner son ancienne audience quand les présidentes de ses fans-clubs commencent à tomber comme des mouches, tuées dans de mystérieuses conditions. Il décide d’enquêter lui-même, avec l’aide de quelques personnages de rencontre dont la séduisante Selma qui va, pendant quelque temps, lui faire oublier Priscilla, toujours en Allemagne. La Selma, elle sait y faire…
L’auteur, qui n’est pas un vrai fan Elvis, mais qui connaît tout de sa vie (ou presque), a situé l’enquête dans le cadre de la vie du King dans le Tennesse ségrégationniste du début des années 60. Les personnages réels (comme le fameux colonel Parker, le manager d’Elvis) y côtoient les personnages de fiction et, bien entendu, la musique est omniprésente. Il y a des séquences amusantes (Elvis se faisant passer pour un de ses sosies, les concours de sosies), mais d’autres sont plutôt noires. Même la fin est étonnante, quoique prévisible pour qui connaît un peu la biographie de Presley.
Ce roman est le premier d’une série de quatre. Je n’ai pas encore lu les autres, mais s’ils sont traduits, je jure que je retourne au Tennessee me goinfrer de beurre de cacahuète frit et de sandwiches à la banane, tout en chantant Blue Suede Shoes ou Don’t be cruel. Yeah ! (NS)
Kill me tender
Daniel Klein Paris,
Pygmalion (Suspense), 2004, 297 pages.
Pas l’ombre d’un Frankenstein !
Disons le tout net, L’Ombre de Frankenstein, de François Rivière, est un livre totalement insignifiant et sans intérêt. Je ne comprends d’ailleurs pas que ce texte d’une drabitude extrême ait trouvé un quelconque éditeur. Seul le titre est prometteur, mais après ça, quelle déception ! Et surtout, n’allez pas croire un mot de ce que dit le menteur de service sur le quatrième de couverture, à savoir que « Ce roman d’apprentissage est en même temps un récit de mystère et celui d’une innocence enfantine au point crucial où elle menace de chavirer et de se perdre définitivement ». Ce livre n’est ni un roman fantastique, ni un récit de science-fiction, et surtout pas un polar. Quant au mystère annoncé… Quel mystère? À la fin de l’été 1932, Tony Montero, un adolescent anglais, emménage avec sa famille dans une maison voisine de celle de l’acteur Boris Karloff. Karloff? Ah, ah… Et que se passet- il alors ? Verra-t-on surgir l’ombre de Frankenstein? Que nenni… L’intrigue (quel grand mot dans les circonstances !) peut se résumer ainsi : Boy meets Karloff – Hi Karloff ! Hi Boy ! Bye Bye Karloff ! – Rideau. That’s all Folks !
On est à la page 120 et on attend toujours la fameuse ombre. Une perte de temps, sauf peut-être pour les cinéphiles mordus et inconditionnels qui jouissent à la seule mention des noms de réalisateurs, d’acteurs et de scénaristes dont Rivière saupoudre son texte. Maigre consolation… (NS)
L’Ombre de Frankenstein
François Rivière
Paris, Cahiers du Cinéma, 2004, 120 pages.
Traitement de choc !
Les Ténèbres du crime est le premier roman de Michael Prescott que j’ai lu et je me suis promis de récidiver dès que possible car cet écrivain américain, qui partage sa vie entre le désert de l’Arizona et New York, sait raconter une histoire même si elle est parfois cousue de fil blanc (un comble pour un roman noir !).
Robin Cameron est une psychiatre qui a mis au point un instrument magnétique qui doit permettre aux criminels de retrouver le souvenir refoulé des traumatismes subis dans leur enfance. Ainsi pourront-ils guérir. C’est du moins ce dont elle est persuadée, mais encore faut-il le prouver. Elle compte expérimenter cette nouvelle technique sur un policier nommé Brand, condamné pour avoir tué un malfaiteur qui se trouvait en légitime défense. Hélas, elle ignore que Brand, manœuvré par des mafieux infiltrés dans la police, risque de révéler une vérité gênante pour lui-même et les truands qu’il fréquente. Ces derniers passent à l’action en enlevant Meg, la fille de Robin. Commence alors une descente aux enfers, Robin Cameron n’ayant qu’une obsession: retrouver sa fille vivante. Elle aura un allié surprise dans la personne d’un redoutable tueur de jeunes femmes sur qui le traitement semble avoir eu des effets bénéfiques.
Tout ça est très efficace, à condition, bien entendu, de mettre en veilleuse son esprit critique. En effet, si tous les faits sont plausibles, ils sont aussi hautement improbables, comme c’est souvent le cas dans ces best-sellers à l’américaine. Disons, pour être polis, que les héros ont beaucoup de chance et que les méchants, ma foi, ont mal choisi leur vocation, même si l’auteur insiste pour dire qu’ils sont les meilleurs dans leur domaine : le mal.
Il y a beaucoup de coups de théâtre, c’est très distrayant et la partie de bras de fer entre l’idéalisme naïf (très agaçant, parfois) de la psychiatre et le cynisme des policiers est plutôt réjouissante. De ce même auteur, chez le même éditeur, on peut lire aussi L’Arracheur de visages, le Tueur des bois, L’Étrangleur masqué, et La Prochaine victime. (NS)
Les Ténèbres du crime
Michael Prescott
Paris, Pygmalion (Suspense), 2004, 396 pages.
Un traître sympathique
Le Traître, de Guy Walters, est à la fois un roman de guerre, un récit historique, un livre d’espionnage et un bon suspense. Pour écrire cette tragique et poignante histoire, l’auteur s’est inspiré d’un fait peu connu, parce que peu glorieux, de la Seconde Guerre mondiale: l’existence d’un corps de Waffen SS britannique dont l’idéal (si on peut dire…) était de combattre le bolchévisme.
Le roman raconte l’histoire de John Lockhart, un officier anglais qui est capturé en Crète par les Allemands en novembre 1943. Plutôt que de le fusiller comme espion, les Nazis lui proposent un étrange marché : s’il accepte de collaborer (donc, de trahir son pays), sa femme, prisonnière dans un camp de concentration, aura la vie sauve. Lockhart fait semblant d’accepter et se retrouve sous l’uniforme allemand à la tête d’une unité de renégats britanniques, fascistes convaincus ou opportunistes recrutés dans les stalags. Quand il apprend que les Allemands ont une arme secrète (V2 + gaz Sarin) avec laquelle ils veulent anéantir la population de Londres, il voit là une occasion de se racheter. Il retourne contre les Allemands la bande de traîtres qu’on l’a contraint à former et va tout tenter pour empêcher le massacre. La suite du récit raconte les préparatifs et les circonstances dramatiques dans lesquelles va se dérouler cette étrange mission-suicide.
Certes, le thème du traître malgré lui n’est pas entièrement nouveau dans le roman d’espionnage, mais il reste que, question de goût personnel, j’aime beaucoup ce type de roman qui mêle adroitement une réalité historique peu connue à une aventure fictive riche en action, avec des personnages très forts, notamment le héros, et surtout son ennemi juré, l’Allemand Strasser dont le portrait nuancé est fort réussi.
Le Traître est le premier thriller de Guy Walters, qui a travaillé pendant huit ans comme reporter pour le Times de Londres. À suivre… (NS)
Le Traître
Guy Walters
Paris, Presses de la Cité, 2004, 494 pages.
Je le braderai, c’est sûr !
C’est une icône. Un incontournable. L’un des grands de la littérature états-unienne de l’imaginaire du XXe siècle. Les inoubliables Chroniques martiennes, le très poétique Homme illustré, le dramatique Fahrenheit 451 sont autant de chefsd’œuvre qui survivront au passage des décennies, voire des siècles, si tant est que l’Humanité ellemême réussisse à ne pas sombrer entre-temps!
Hélas, le dernier opus du vieux maître n’est pas à la hauteur. Certes, Bradbury a toujours été moins dominant en polar, mais les pérégrinations dans une Californie hollywoodienne des années 60 du narrateur (l’auteur) et de son acolyte, Crumley le détective, ne tiennent pas la route. Car tout ça n’est que le prétexte d’une revisite nostalgique d’un passé révolu, une sorte d’autobiographie imaginaire et un peu puérile.
Le projet était noble; le résultat est décevant. On me permettra donc, pour les émotions, de plutôt conseiller la (re)lecture d’Un remède à la mélancolie. (JP)
Il faut tuer Constance
Ray Bradbury
Paris, Denoël (& D’ailleurs), 2004, 227 pages.
Mise à jour: Septembre 2004