De Christine Fortier, Norbert Spehner et François-Bernard Tremblay
Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 1 607Ko) d’Alibis 11, Été 2004
Croire ou ne pas croire
Croire ou ne pas croire. Voilà qui résume assez bien L’Empêcheur, le premier roman de l’énigmatique Sinclair Dumontais. Et il faut bien l’avouer, voilà une question fort louable, à laquelle on ne réfléchit pas très souvent. C’est d’ailleurs probablement pour cette raison que l’auteur, qui travaille dans le milieu du marketing en plus d’être le concepteur et éditeur du site Internet Dialogus (www.dialogus2.org) a imaginé ce huis clos de quelque 216 pages pour obliger ses personnages à se poser des dizaines de questions existentielles, même si en bout de ligne, une seule interrogation s’impose : croire ou ne pas croire?
Rémi Bastien est un paléontologiste dont l’existence banale est réglée au quart de tour. Un beau jour, des hommes se présentent chez lui et lui ordonnent de faire ses valises et d’écrire une note dans laquelle il explique à son père qu’il ne reviendra pas. Croyant à une méprise, Rémi accepte de suivre les inconnus. Après tout, il lui arrive assez fréquemment de quitter la maison pendant quelques jours, sans préavis. Il se réveille ensuite dans une chambre inconnue et il n’a absolument pas la moindre idée de l’endroit où il se trouve. Il fait peu après la connaissance de Janon, la porte-parole de l’organisation sans nom et sans appartenance qui l’a choisi, avec trois autres personnes, pour poursuivre une mission pour le moins originale : surveiller un homme vieux de 2000 ans et cacher son existence au reste de l’humanité. Voilà pourquoi il ne pourra jamais quitter le manoir où il se trouve. En fait, non. Il peut quitter le manoir. Mais il le fera les pieds devant.
Pendant 216 pages, Rémi se questionne sur le comment et le pourquoi, mais surtout, sur le qu’est-ce que ça change de savoir que cet homme vieux de 2000 ans a bel et bien existé ? Eh bien, ça change tout. Et en même temps, ça ne change rien, sinon que les personnages de L’Empêcheur sont condamnés à vivre leur existence dans un manoir situé dieu seul sait où, pour surveiller une momie qui respire.
Qualifié de thriller métaphysique pour les questions qu’il pose, L’Empêcheur est aussi un suspense railleur et sardonique, dans lequel Sinclair Dumontais prend un plaisir fou à tourner en rond. Malgré l’absence totale d’action, l’auteur maintient efficacement la tension tout au long de l’histoire, qui se termine, il va s’en dire, de manière totalement inattendue. À découvrir. (CF)
L’Empêcheur
Sinclair Dumontais
Montréal, Stanké, 2004, 216 pages.
La belle et la bête
Carol Néron est éditorialiste au journal Le Quotidien. S’il est en contact chaque jour avec les faits de l’actualité, la fiction de son côté lui permet de se laisser aller, d’inventer ce qu’il veut sans contrainte. Mais il avoue sans gêne que sa fiction, inconsciemment, se retrouve rapidement le miroir du réel. Son deuxième roman, Rebecca, est la suite de Rosalie, un roman paru 14 ans plus tôt, en 1989.
Taïssak, un petit village de l’arrière-pays où en cet été 1960 tout le monde, tous les gestes sont influencés par la canicule. Il y a Abel qui a pourtant tout de son alter ego Caïn. C’est un jeune homme de 12 ans qui se croit l’être Élu. Il fait la vie dure aux chiens, aux chats, au cimetière qu’il vandalise, avant de s’en prendre au clochard de l’endroit… puis à Rebecca, sa sœur aînée âgée de 15 ans, toute en féminité et qui a envie de goûter la vie et de bien en profiter. Un soir, alors qu’elle s’adonne à la masturbation, Abel décide de la faire chanter. La jeune femme se sauve du village où son destin lui fait croiser plusieurs individus qu’elle n’attendait pas. Puis, il y a le feu qui détruit tout le village de Taïssak. Quarante années s’écoulent. Rebecca n’a pas oublié, ronger par son passé, elle sait que son frère rôde toujours et qu’il pourrait frapper fort. À Beaumont, les gens ne vivent plus tranquille.
Voilà un roman terrifiant et dont la mécanique fonctionne bien. Carol Néron connaît les mécanismes du thriller. Ses personnes sont crédibles et l’atmosphère qu’il réussit à créer est embarrassante. Malgré toutes les qualités du roman, ses phrases sont cependant longues, trop longues, si bien qu’à certains endroits on pourrait en enlever une sur deux que ça n’y changerait rien. De nombreuses digressions aussi sur des personnages qui sont accessoires, et qui ne permettent en rien la progression de l’histoire. Cela peut paraître un détail, mais j’ai eu personnellement du mal à entrer dans ce long roman. Pourtant, une fois qu’on réussit à s’y installer, c’est pour aller jusqu’au bout. La deuxième partie de ce long roman de 470 pages est beaucoup plus agréable parce que plus fluide.
Il ne faudrait pas non plus décourager le lecteur par ces propos négatifs, Rebecca est un roman qui possède, à l’inverse, plusieurs qualités que le lectorat saura aussi apprécier. Carol Néron a certes du talent, mais il faudra établir un contrôle rigoureux sur les prochains romans de cet auteur si l’on veut faire de ces bons romans des œuvres qui survivront aux années.
Une lecture d’été d’un auteur québécois que l’on recommande. (FBT)
Rebecca
Carol Néron
Chicoutimi, JCL, 2003, 470 pages.
Re-fais-moi un Dessaint
De passage au Québec dans le cadre du dernier Salon du livre de Montréal – dont la thématique en 2003 était, rappelons-le de nouveau, le Polar –, le Toulousain Pascal Dessaint (qui se prépare à signer un polar-photo sur la belle ville de Toulouse, un livre qui sera publié dans une nouvelle collection dirigée par Claude Mesplède aux éditions Autrement) a vu une nouvelle version de son premier roman, Les Paupières de Lou (1992), réédité au début 2004 chez Rivages.
Julien, un écrivain public sans le sou, partage son appartement avec son chat Blaise, sa caille Arthur, son pote Cyrille, qui débarque se saouler la gueule une fois par semaine, et Lou… Lou qui vient et qui repart, Lou qui fait le tapin et qui collectionne les hommes dans une petite chambre d’hôtel, aventures sans lendemains. Julien reçoit, de son côté, des manuscrits à corriger et ça, il sait bien le faire. Mais il s’inquiète de Lou. De ses présences, de ses absences, de Lou qu’il aime toujours (à sa manière), mais qui déserte le navire en même temps qu’il apprend son éviction de son appartement déjà envahi par la forte présence de Bruce Springsteen, crachée des haut-parleurs du nouveau voisin. Puis l’univers bascule, le réel rattrape la fiction et aidé par Cyrille, Julien enquête sur la disparition de Lou et apprend à se connaître un peu plus à mesure qu’il découvre les secrets de cette dernière.
On retrouve avec plaisir une bonne partie des thèmes et des personnages utilisés par Pascal Dessaint dans ce premier roman et les lecteurs d’Une pieuvre dans la tête et du dernier roman de l’auteur, Mourir n’est peut-être pas la pire des choses (voir Alibis 8 Internet), pourront faire des rapprochements. L’univers décrit est assez miteux et ressemble parfois à ceux créés par Philippe Djian. C’est le quotidien qui vient sortir les personnages du banal, leur mettre le pied au cul pour ne pas qu’ils se fossilisent dans le confort de leur appartement. Le rythme est lent, comme dans plusieurs autres textes de Dessaint, et s’il y a meurtre, c’est à la fin. Le récit, quant à lui, est cependant noir du début à la fin. Bref, une réédition agréable, si vous aimez les longs préliminaires textuels. (FBT)
Les Paupières de Lou
Pascal Dessaint
Paris, Rivages (Noir), 2004, 278 pages.
Actes de vengeance
Près d’un demi-siècle après les faits, Max Menuchen, un professeur d’études bibliques à Harvard Divinity School, découvre que l’homme qui a massacré toute sa famille pendant la Deuxième Guerre mondiale et qui l’a laissé pour mort au milieu des cadavres, coule des jours paisibles à quelques kilomètres seulement de sa résidence. Que faire ? Dénoncer le coupable et le livrer à la justice qui le condamnera comme criminel de guerre? Ça serait la solution logique. Il y a juste un problème, et il est de taille : l’excapitaine de la milice lithuanienne, Marcellus Prandus, grand massacreur de Juifs, est atteint d’un cancer et mourra avant que la lente machine bureaucratique de la Justice ait pu faire quoi que ce soit. Que doit faire Max ? S’attaquer aux membres de la famille de Prandus pour le faire souffrir, lui rendre la monnaie de sa pièce, avec à la clef un certain nombre de problèmes moraux et légaux ? « Peut-il être juste d’ôter la vie à un enfant innocent dans l’unique but de punir son aïeul malfaisant d’avoir massacré d’autres innocents? », se demande-t-il. Le principe de la vendetta… Max décide de passer aux actes avec les conséquences que l’on peut imaginer. Le procès qui s’en suit sera spectaculaire et réservera bien des surprises.
Le problème abordé dans ce roman n’est pas vraiment nouveau. La loi du talion ou la vengeance personnelle peut-elle remplacer une justice défaillante, incapable de punir comme il se doit les coupables de crimes atroces? On ne compte plus les récits qui traitent de ce thème. L’auteur tente de répondre à ces épineuses questions, mais n’y réussit qu’à moitié. La gravité du propos et la complexité de la situation peuvent difficilement être abordées dans le cadre d’un thriller qui procède par raccourcis et coups de théâtre. Jusqu’à un certain point, l’auteur sait nous tenir en haleine, mais les événements se succèdent à un rythme trop rapide, l’approche est plutôt superficielle et la finale un peu trop ambiguë (en tout cas politiquement correcte!) pour que nous soyons vraiment satisfaits. Un tel sujet exige plus de réflexion, plus de profondeur, alors qu’ici on a parfois l’impression de lire un scénario de film. (NS)
Just Revenge
Alan M. Dershowitz
Paris, Ramsay, 2004, 364 pages.
Destins croisés
Peut-on échapper à son destin ? L’auteur, scénariste et cinéaste Jean-Guy Noël (à qui l’on doit les longs-métrages Tu brûles… Tu Brûles et Ti-Cul Tougas) tente de répondre à cette question dans son troisième roman, un thriller noir à saveur existentialiste. Un homme est un homme met en scène cinq personnages dont la destinée est à jamais compromise à la suite de rencontres fortuites et inattendues, mais lourdes de conséquences.
L’histoire débute avec un meurtre, celui de Karine, une jeune danseuse au passé tragique qui se prostitue pour soulager les hommes. Un soir de fête avec des amies, elle fait la rencontre de Samir, réfugié politique d’origine algérienne qui tire le diable par la queue dans l’espoir de faire venir un jour à Montréal femme et enfants restés en Algérie. Exaspéré de solitude et persuadé que toutes les femmes qui croisent son chemin cherchent à se moquer de lui, Samir se résout à payer les services de Karine pour assouvir son besoin de proximité avec une femme. Malheureusement, la rencontre se déroule de mal en pire et Karine finit dans une ruelle. Samir, convaincu qu’il a tué la jeune prostituée/danseuse parce qu’il n’avait pas le choix, contacte un avocat, du nom de Corneille, qui lui a remis sa carte d’affaires pas plus tard que la veille. Tiens, tiens, quelle coïncidence ! La police entre évidemment en scène à la suite de la découverte du corps de Karine. C’est le lieutenant-détective Byrd qui se charge de l’enquête, qui ne dure pas longtemps, puisque Samir se livre à la police.
En filigrane de cette première intrigue, on découvre à l’arrière-plan l’histoire de chaque personnage et ses motivations, toutes justifiées (croient-ils) par un passé tragique. L’histoire de Monik, la mère de Karine au passé morbide, en est un bon exemple. Parce qu’elle n’a pas su aimer sa fille, l’écart entre les deux femmes s’est élargi jusqu’à ce qu’elles perdent contact. Inévitablement, quand Monik décide de rétablir les ponts, il est trop tard. Même chose pour Corneille, il accepte de défendre Samir pour des raisons très personnelles, liées à son passé tandis que Samir, en bon sociopathe, tente d’excuser ses actes en blâmant les autres et son enfance pas facile. Même le lieutenant-détective Byrd n’échappe pas à son passé, qui revient le hanter de manière totalement inattendue.
Enfin bref, malgré son humour noir, Un homme est un homme est avant tout un roman sur le mal de vivre et les mauvais tours que jouent parfois le destin. Peut-on néanmoins excuser ses actes en citant les malheurs qui nous ont affligés dans le passé? Tout le roman repose sur cette question.
Malgré des arguments plutôt convaincants, des situations parfois très divertissantes et un personnage fort sympathique (Byrd), Jean-Guy Noël ne parvient pas à nous faire croire à la bonne foi de Samir. Un homme est un homme n’en reste pas moins un bon roman, ne serait-ce que par la présence inusitée du personnage corbeau, témoin sarcastique des événements qui se déroulent sous ses yeux d’oiseau de malheur. (CF)
Un homme est un homme
Jean-Guy Noël
Montréal, Libre Expression, 2004, 403 pages.
Des nouvelles de la bande à Zidane
Thierry Jonquet est un des auteurs les plus importants de la mode nommée néopolar. Peintre du quotidien – et du réel par surcroît –, il décrit une société pas bien encourageante où l’humour grinçant côtoie l’horreur. Son œuvre est résolument noire – lire Mygale (1984) et Moloch (1998), Prix mystère de la Critique. Les deux nouvelles qu’il présente ici se fondent aussi dans le sillage déjà tracé par l’auteur. La Folle Aventure des Bleus… est une nouvelle parue dans le journal Le Monde à l’été 2002, tandis que DRH est un texte adapté d’une dramatique radiophonique diffusée par France-Culture en novembre 2002, dont le titre était La Leçon de management.
Ça va mal pour Adrien. Après la victoire des Bleus au Stade de France en 1998, il a tout perdu. Quatre ans plus tard, à l’aube de cette nouvelle Coupe du monde de football, Corée-Japon 2002, il espère que son équipe, avec Zidane en tête, pourra renverser pour lui la vapeur si elle gagnait. Mais Adrien est pris avec sa gangrène, qui ne va pas en s’améliorant, et Zizou, le héros de la Coupe en 98, est blessé à la cuisse… Pas facile de rester optimiste lorsque tout va mal.
Danglar et Ranoult rentrent ensemble d’un congrès. Les deux hommes sont DRH, directeur des ressources humaines. Dans un train quasi désert, ils partagent l’important espace clos avec cinq autres individus : trois jeunes adolescents qui se rendent à un mariage et un homme qui sort tout juste de prison, accompagné de sa jeune et fringante fiancée. Alors que les esprits s’échauffent entre le groupe d’ados et le jeune couple, les deux DRH se posent en observateurs et portent un regard analytique sur leurs semblables, car la déformation professionnelle est tout à fait applicable dans leur cas.
Deux nouvelles noires qui représentent bien, mais à des niveaux différents, tout le mal de vivre du monde. Il n’est pas nécessaire d’être un adepte du ballon rond pour savourer tout le malaise social sur lequel Jonquet veut que le lecteur pose son regard. C’est d’ailleurs cette dimension du social qui rapproche les deux textes, bien différents pourtant, mais dans lesquels Jonquet utilise l’ironie pour en faire ressortir toute la dureté.
En deux mots, les adeptes de Jonquet n’auront pas trop de mal à s’y retrouver. (FBT)
La Folle Aventure des Bleus… suivi de DRH
Thierry Jonquet
Paris, Gallimard (Folio 2 euros), 2004, 93 pages.
Frissons et glaçons garantie
Voici le troisième roman adapté de la populaire série télévisée Les Experts. On y retrouve les mêmes personnages qu’au petit écran qui gravitent toujours autour de deux histoires construites en parallèle pour chacun des épisodes.
Sara et Gil quittent Las Vegas pour assister à une conférence médico-légale dans l’État de New York. Premiers arrivés sur les lieux – un hôtel en montagne – en compagnie d’un collègue de l’Ouest canadien, les deux acolytes, profitant de la neige qui tombe abondamment pour faire une petite randonnée en plein air, découvrent le cadavre d’un homme après avoir entendu des coups de feu. Les traces qu’a laissées le meurtrier dans la neige mènent droit à l’hôtel et, curieusement, au moment où ils allaient quitter les lieux, le patron et leur collègue CSI canadien arrivent sur la scène du crime. Évidemment, tout le monde est suspect sauf Gil et Sara, mais la tempête continue et les accès à la montagne deviennent impraticables pendant que la neige s’accumule sur la scène de crime. Gil et Sara devront faire confiance à leur collègue canadien, qui se dit expert dans ce genre de scénario, pour réussir à boucler cette enquête.
À Las Vegas, ce n’est guère plus drôle. Le cadavre d’une femme est trouvé en bordure du lac Mead… décongelée! Elle était disparue depuis plusieurs mois. Catherine, épaulée par Nick et Warrick, doit résoudre cette affaire en l’absence de Grissom, parti à la montagne avec Sara. Aidée de ses hommes, elle mène l’enquête et n’a pas grand-chose à se mettre sous la main. Un deuxième cadavre est découvert, lui aussi décongelé, et il viendra apporter de l’eau au moulin des spécialistes en scène de crime, qui n’ont pas de mal à lier ce cadavre au premier découvert. Ils devront cependant trouver qui possède un congélateur de marque Kenmore commercialisé par la chaîne Sears.
Un cadavre tout frais qui se fait ensevelir par la neige sous les yeux de Sara et Gil, un autre qui dégèle sur le bord d’un lac devant Catherine, Warrick et Nick, voilà certes une thématique pour nous glacer le sang ou, du moins, nous tirer un frisson. Ce troisième roman de la série n’a rien à envier aux deux premiers, qui étaient excellents. Les histoires sont intéressantes, les scénarios réels et crédibles.
Un suspense constant, un livre que l’on traverse d’une traite et qu’on a du mal à lâcher. (FBT)
Le Linceul de glace
Max Allan Collins
Paris, Fleuve Noir (Les Experts 3), 2003, 318 p.
Hippocrate l’hypocrite
Sylvie M. Jema est médecin spécialiste dans un service de gynécologie. De plus, elle joue une passion sans borne à la littérature policière. Elle a trouvé le moyen d’allier son travail et son amour des livres dans son premier roman, Les Sarments d’Hippocrate, qui a enlevé les honneurs du Prix du Quai des Orfèvres 2004, un prix de renom qu’ont déjà gagné Gérard Delteil (1993) et G.-J. Arnaud (Saint-Gilles) en 1952.
Le professeur Desseauve est furieux. Le patron du département de gynécologie-obstétrique vient de recevoir une autre lettre anonyme de menaces. Qui peut bien lui faire parvenir ces lettres ? Les candidats à ce titre sont nombreux, le professeur ayant plus d’ennemis que d’amis. Il en parle à son interne, Cécile, dont la sœur Stéphane fait partie des services de police. Mais la même journée, la secrétaire et maîtresse de Desseauve est retrouvée morte. Le lieutenant Stéphane Brandoni et le capitaine Pujol de Ronsac mènent l’enquête. Les morts se succèdent et les arrestations se multiplient. Eh oui ! Lorsqu’il y a trop de personnes à qui le chapeau de l’assassin fait, ce n’est pas toujours facile de mettre la main sur le bon.
Les rebondissements sont nombreux dans ce premier roman de Sylvie M. Jema et, à la longue, cela nuit à la qualité du suspense. Tellement qu’on se demande pourquoi il faudrait se rendre à la fin du bouquin. Mais ayez un peu de persévérance si c’est le cas, car Jema nous gardent encore des surprises pour la toute fin. Le roman, quant à lui, est bien écrit, même si quelques incohérences deviennent un peu agaçantes. Donnons seulement cet exemple du lieutenant Brandoni qui n’a pas son permis pour conduire un véhicule automobile et qui ne se promène qu’en moto (pour un inspecteur de police, ça ne fait pas très sérieux)… mais qu’on empêche de boire de l’alcool quelques pages plus loin, car elle doit repartir avec sa voiture !
Dans l’ensemble, le livre est agréable à lire et l’on attendra la sortie d’un deuxième roman dont l’auteure a déjà commencé la rédaction. (FBT)
Les Sarments d’Hippocrate
Sylvie M. Jema
Paris, Fayard, 2003, 343 pages.
Bons baisers de Tokyo !
Qui est Harry Niles, né de parents américains, mais plus japonais que bien des Japonais ? Un espion à la solde du gouvernement américain? Un traître qui travaille au contraire pour les Japonais ? Ou simplement un petit escroc un peu désinvolte qui tente de sauver sa peau ? Car il n’est pas bon d’être un Américain à Tokyo, la veille de l’attaque japonaise sur Pearl Harbor.
Niles, qui a deviné les intentions hostiles des Japonais et qui connaît leurs objectifs, tente de prévenir les autorités américaines, qui font la source oreille (on se méfie de lui…) alors que par ailleurs, il refile de fausses informations aux Japonais dans le seul but de prévenir un conflit dont il redoute les formidables conséquences. Dans les dernières heures, avant le début de l’attaque, le problème le plus crucial de Niles est de trouver une place sur un avion en partance pour ailleurs, en compagnie de sa maîtresse, la femme de l’ambassadeur anglais, et cela à l’insu des autorités militaires japonaises et de sa compagne Michiko dont il redoute le romantisme suicidaire et la fureur vengeresse. Pauvre Harry! Traqué par la police secrète japonaise, rejeté par les siens, Niles doit aussi échapper à la folie meurtrière d’un samouraï, un colonel de l’armée, qu’il a humilié dans le passé et qui veut lui couper la tête.
Toute une partie du roman nous raconte la vie de ce Harry Niles, un anti-héros tiraillé entre deux cultures. Harry est un personnage fascinant qui nous fait découvrir un monde: le Japon d’avant la Seconde Guerre mondiale, une société étrange, raciste, militariste, à la fois raffinée et cruelle, refermée sur elle-même, férue de tradition et qui se sent à l’étroit dans ses frontières. D’où ses vues belliqueuses et les conséquences tragiques que l’on sait. À la fois fresque historique, récit d’espionnage et thriller, Tokyo Station ne manquera pas de combler les fans de Martin Cruz Smith même si le dénouement (un bien grand mot dans les circonstances) nous laisse sur notre faim. On s’attendait à mieux… (NS)
Tokyo Station
Martin Cruz Smith
Paris, Robert Laffont, 2004, 364 pages.
Petits meurtres entre amis
Marc Sich est journaliste depuis une vingtaine d’années et il est reporter pour la célèbre revue Paris-Match. Il remportait en 1999 le Prix polar de la ville de Cognac pour son troisième roman, Mortels abîmes. Un bon ange est son cinquième.
Zot Yavotski est un flic sur le déclin, désabusé par son métier et probablement par lui-même, et il hait tout ce qui ressemble à un cadavre et à une enquête. Son meilleur copain, Paul Damien, qui n’a cessé de prendre du galon et qui agit maintenant comme conseiller auprès des ministres de l’Intérieur, lui demande, au nom de leur amitié, d’enquêter sur une sale affaire : le cadavre mutilé d’un jeune travesti drôlement accoutré. Mais l’enquête tourne au vinaigre dès le départ: Paul Damien se fait arrêter et Yavotski lui-même est soupçonné d’être complice dans cette affaire. C’est l’inspecteur Sarral qui est chargé de l’affaire, mais Yavotski a une longueur d’avance sur ce dernier et trouve plusieurs morts similaires dans le passé, cependant les dossiers sont minces, voire inexistants. Zot persiste quand même à croire que son ami Paul n’a rien à voir avec ces histoires de meurtres et il poursuit son enquête, bientôt aidé par une danseuse du nom de Jenny et un ange gardien anonyme qui semble veiller au bon fonctionnement de sa mission. Yavotski est bien loin de s’imaginer que ses recherches vont l’amener à déterrer le passé caché de son meilleur copain, qui renferme bien des mystères.
Marc Sich a certainement un bon talent d’écrivain. Le choix de la narration à la première personne du singulier est judicieux dans ce cas-ci, l’histoire est bien racontée et bien écrite, ce qui est déjà beaucoup. Le problème, si problème il y a, se situe au niveau de l’intrigue. Là, réellement, l’auteur aime se compliquer la vie. Ce n’est pas que cela soit mauvais ou ennuyant, mais c’est plutôt tordu et compliqué inutilement. Cependant, l’auteur ne perd jamais le contrôle de ses ficelles, qu’ils dirigent de main de maître. À lire, donc, si vous aimez les intrigues tordues. (FBT)
Un bon ange
Marc Sich
Paris, Plon, 2003, 223 pages.
Mise à jour: Juin 2004