de Denis Lebrun, Stanley Péan et Christophe Rodriguez
Exclusif au supplément Internet (Adobe Acrobat, 386Kb) d’Alibis 1, Hiver 2001/2002
Noir continent noir
Sans détective privé cette fois, John Le Carré nous entraîne dans une quête qui s’apparente au roman noir. Justin Quayle est un diplomate anglais sans histoire, jardinier amateur en poste au Kenya. Sa femme Tessa, avocate militante dans une organisation humanitaire, est assassinée en compagnie d’un médecin africain. Ils enquêtaient sur une grande multinationale pharmaceutique anglaise ayant des racines en Europe et au Canada et qui se sert de l’Afrique comme réservoir à cobayes pour tester ses médicaments. La diplomatie anglaise tente de maquiller l’affaire en meurtre passionnel. Justin n’y croit pas. Il se lance clandestinement à la recherche des tueurs et progressivement reprend l’enquête de sa femme. Une enquête qui dérange tous ceux qui de près ou de loin sont menacés par des révélations gênantes : la multinationale, le foreign office, le pouvoir kenyan et même les scientifiques payés pour approuver la mise en marché des médicaments.
Quel roman ! Le Carré se bonifie en vieillissant. La psychologie de ses personnages est fouillée, crédible. Les réalités sociales et politiques du continent africain s’imbriquent dans une trame sans faille ou les conséquences désastreuses de la diplomatie occidentale sont clairement énoncées. Si on y croit tellement, et c’est le génie de Le Carré, c’est qu’on sait que l’histoire colle de très près à la réalité. Cette charge incisive contre les méfaits de la mondialisation appliquée au continent africain va au- delà de la fiction. Un des meilleurs romans de Le Carré, et certainement le plus noir. (DL)
La Constance du jardinier
John Le Carré
Le Seuil, 512 pages.
Bonjour la police !
Le romancier Daniel Da serait- il un fan de Rock et Belles Oreilles, le défunt groupe à l’humour savoureusement bête et méchant ? La fréquentation de sa série Les Aventures hallucinantes de Gusse Oualzerre pourrait certes le laisser croire. Vendu dans un petit sac de plastique refermable (du genre de ceux où l’on range les pièces à conviction d’une affaire criminelle), Projet Danaïde, le deuxième épisode, témoigne du peu d’intérêt que porte l’auteur aux règles du genre policier d’une part et de la vraisemblance d’autre part.
L’intrigue, puisqu’il faut bien en glisser un mot, s’articule autour d’une guerre que se livrent la mafia italo- montréalaise et les Wok Machines, redoutable gang de motards chinois récemment installé dans la métropole. Après que les Wok aient fait disparaître un livreur de pizza à l’emploi du caïd Tony Lamotha, le mafioso porte plainte auprès de la police au lieu de répliquer par la bouche de ses canons. Flic lourdaud et peu enclin à se botter le cul, l’inspecteur Ross Hainré aurait préféré ne pas avoir à intervenir dans ce conflit, lui qui frémit à entendre le nom des Wok comme… comme de l’huile chaude au fond d’un wok, justement ! Avec le soutien de son maladroit assistant et beau- frère Julius De Lepen, Hainré choisit de filer le Rital pour gagner du temps… Le tout ne tardera pas à dégénérer dans un entrelacs de situations absurdes, que devront résoudre à leur corps défendant l’héroïque Oualzerre et sa dulcinée Amanda Bellérophon, enceinte jusqu’aux oreilles et impliquée par hasard dans cet imbroglio.
Vous l’aurez compris : Les Aventures hallucinantes de Gusse Oualzerre ne se laissent pas résumer aisément, tant leur auteur aime multiplier péripéties, coups de théâtre et digressions, les unes plus insensées que les autres. D’ailleurs, la citation de Vian placée en exergue donne mieux le ton du Projet Danaïde que le synopsis le plus exhaustif du monde : « Il y a deux façons d’enculer les mouches : avec ou sans leur consentement. » Qu’on se le tienne pour dit : les livres de Daniel Da sont de joyeuses parodies de polar, à mi-chemin entre San Antonio et la série L’agent fait la farce. (SP)
Les Aventures hallucinantes de Gusse Oualzerre : Projet Danaïde
Daniel Da
L’effet pourpre, 267 pages.
En dessous de la note de passage…
Imaginons que la célèbre Virginie (oui, celle du téléroman à succès) se retrouvait prise au beau milieu d’une affaire criminelle… Dans un tel cas, on est prêt à parier qu’avec l’esprit et la plume facile que nous lui connaissons, Fabienne Larouche pourrait nous concocter un polar d’enfer (sa télésérie Fortier est là pour le prouver). Il en va tout autrement du premier roman de Johanne Janson, qui semble avoir peaufiné entre deux accalmies ou cloches de sortie un suspense qui hélas n’en est pas un, même si la structure et tous les « trucs » du métier sont respectés.
Voici peut- être la plus grande erreur de cette aventure qui sent bon l’académisme et la lecture studieuse des grands classiques de la littérature policière. N’est hélas pas Sherlock Holmes qui veut et encore moins Nero Wolfe, pour qui le signataire de ces lignes a une véritable aversion. Ces propos peuvent vous sembler sévères, certes ; il ne faut pas désespérer « Billancourt », ainsi qu’on le disait à une certaine époque ! Et pourtant, il faudra confesser ici, sans une once de malveillance, une certaine déception. Le Dernier Bulletin raconte l’amitié qui unit deux professeures, autant dans leurs salles de cours respectives que dans leurs amours : Mathilde Genet et Marie- Claude Demers. Au cours d’une soirée semble- t- il très arrosée, cette dernière passera de vie à trépas. Ses antécédents médicaux conduiront tout le monde, y compris le médecin légiste, à conclure à une mort naturelle. Après un trop long deuil où elle n’arrête pas de se répéter « Marie- Claude, Marie- Claude… », Mathilde finit par avoir des doutes sur cette disparition…
Si quelques remarques sur les joies de l’enseignement pouvaient nous faire sourire aux premières pages du roman, le plaisir de lecture s’en va en diminuant au fil de l’enquête, qui est à mille lieues de l’atmosphère étouffante et violente de Blackboard Jungle ou même des romans pour adolescents de la collection Souris Noire, qui avaient très souvent pour thème l’école et son environnement immédiat. La quête de l’identité du meurtrier devient vite reléguée au second plan de ce roman cousu de fil blanc, à la construction malhabile. Malgré les leçons bien apprises, Le Dernier Bulletin dégage un certain amateurisme, une impression d’inachèvement. Les situations sont éculées et on n’aura pas à attendre « les cinq dernières minutes » pour deviner l’identité du coupable, dont la révélation est fort simpliste. Désolé, mais meilleure chance la prochaine fois ! (CR)
Le Dernier Bulletin
Johanne Janson
Libre Expression, 358 pages.
Mise à jour: Novembre 2001