Camera Oscura 9


Christian Sauvé

Exclusif au supplément Internet (Adobe Acrobat, 1 515Ko) d’Alibis 9, Hiver 2004

Après le désastre que fut l’été 2003 en matière de polar, l’automne a offert une bonne demi-douzaine de films tout à fait dignes de l’intérêt des lecteurs d’Alibis. En fait, les titres qui suivent ont un trait en commun : ils sont (presque) tous des divertissements honnêtes sans grande prétention. Pas de quoi crier au génie (dans un cas en particulier, on attendra la suite), mais quand vient le moment de meubler une froide soirée hivernale avec un ou deux choix au vidéoclub, rien ne sert d’être trop demandant.

Du pain et du beurre

Il va sans dire qu’au nombre de films qui paraît annuellement, tous ne peuvent pas être des chefs-d’œuvre : voilà pourquoi il vaut mieux ne pas entretenir d’attentes démesurées. Si les deux premières sélections ne révolutionnent rien et comportent leur part de fautes, elles se classent tout de même honorablement au rayon des machines à suspense finement huilée, des thrillers qui sollicitent notre attention.

Prenons Out Of Time [ Temps Limite ]. Situé en pleine Floride tropicale, ce film tourne autour du sheriff Matt Lee Whitlock (Denzel Washington), un solide gaillard qui semble à première vue incarner le modèle parfait du représentant de la loi et de l’ordre. Mais lorsque son ancienne copine a besoin d’argent pour une procédure médicale, voilà qu’il hésite à peine à lui prêter une valise bourrée de narcodollars confisqués. Hélas, la situation se complique lorsque la maison de la copine est incendiée et que sa dépouille carbonisée est retrouvée dans les décombres… sans la valise. Grâce à des coïncidences que l’on voit seulement dans ce genre de film, Whitlock est obligé de courir contre la montre pour tenter d’élucider l’affaire sans pour autant attirer l’attention du FBI sur lui. Dans sa hâte de camoufler son implication dans l’affaire, sera-t-il tenté de commettre des crimes encore plus graves ?

Il n’y a pas grand-chose de particulièrement nouveau dans Out Of Time, scénaristiquement parlant. Le protagoniste défait par une petite faille morale, l’amie de cœur tragique, l’épouse ambitieuse, l’ami agaçant mais utile, les petits truands, les agents fédéraux arrogants sont des archétypes qui ont fait leur preuve. Idem pour le magot que tous recherchent, pour les revirements de situation, pour l’escalade des mensonges rendant la vie difficile à tous. Mais le film fonctionne précisément grâce à l’emploi judicieux de ces lieux communs, la montée impitoyable de la tension et la justesse de la réalisation. Le réalisateur Carl Franklin se contente de laisser l’histoire parler d’elle-même et la présente de la façon la plus efficace possible. Ce n’est pas un travail spectaculaire, mais c’est un travail efficace ; l’intrigue avance rapidement, et seule la finale déçoit un peu par le recours à des clichés sans astuces.

Entre-temps, on admirera le professionnalisme de la production. Denzel Washington est irréprochable comme personnage principal, bien qu’il doive partager la vedette avec la direction photo : ce troisième film floridien de l’année (après 2 Fast 2 Furious et Bad Boys 2 ) profite d’une atmosphère somptueuse, riche et torride. Tous les personnages sont couverts de sueur : on peut presque sentir leur soulagement quand ils entrent dans des édifices climatisés. On annonce la sortie du film sur DVD en plein mois de janvier : si vous ne pouvez pas vous payer un billet d’avion pour Miami, vous savez ce qu’il vous reste à faire…

[Couverture]Si Out of Time mise sur l’atmosphère avant de mettre son suspense en branle, Runaway Jury [ Le Maître du jeu ], un thriller adapté du roman de John Grisham, démarre en trombe et continue au même rythme. J’insiste sur le mot « adaptation », car si vous avez lu l’œuvre originale, vous serez sans doute fort surpris par le film. La trame de base reste la même : au cours d’un procès civil aux enjeux énormes, des « jury consultants » conseillant un cartel industriel sont surpris par l’arrivée en scène d’une femme mystérieuse qui semble être en mesure de contrôler les actions du jury.

Mais au-delà des prémisses et des noms de personnages, les amateurs du roman de Grisham pourront aborder le film comme s’il s’agissait d’une nouvelle œuvre. Au lieu d’un procès contre « Big Tobacco », le film s’intéresse à une poursuite contre un fabriquant de pistolets automatiques. Un changement étonnant mais nécessaire ; depuis la sortie du livre en 1996, « Big Tobacco » a entre-temps perdu quelques procès civils avec des pénalités exorbitantes, rendant le précédent historique de l’intrigue beaucoup moins pertinent. En revanche, les manufacturiers d’armes n’ont pas encore perdu de poursuites au civil… et leurs produits sont plus spectaculaires à l’écran.

Le scénariste Brian Koppelman ne s’est cependant pas borné à changer ces détails : Grisham avait fait de l’avocat de la poursuite un manipulateur aussi retors que celui de la défense, dans le film il apparaît plutôt comme un bon idéaliste vertueux. Si les autres personnages restent à peu près les mêmes dans un cas comme dans l’autre, quelques-uns sont évacués de l’intrigue à des moments différents. Certaines sections du livre sont réduites à de simples microsecondes dans le film, lorsqu’elles ne sont tout simplement pas éliminées. Pour compenser, les méchants sont définitivement plus actifs sur l’écran que sur la page : le film ajoute quelques scènes d’action où les protagonistes se font courir après et taper dessus. Cré Hollywood !

Après tous ces changements, n’importe qui serait en mesure de se demander s’il reste quelque chose du livre, et – si oui – s’il s’agit des bonnes choses. Surprise : non seulement la version cinématographique de Runaway Jury reste-t-elle fidèle à l’esprit et à la prémisse du livre, mais elle se révèle bonne en soi. Tout comme avec Out Of Time, l’intérêt tient à ces personnages forts et bien interprétés ainsi qu’à une intrigue captivante qui bouge rapidement.

Le réalisateur Gary Fleder n’est pas particulièrement connu, mais sa prestation est souvent époustouflante; des montages vifs et des télescopages de scènes permettent de faire avancer l’intrigue sans gaspiller une seconde. De plus, la réalisation réussit à bien utiliser une distribution du tonnerre : les fans de John Cusack, Gene Hackman, Dustin Hoffman et Rachel Weisz ne seront pas déçus de leurs performances.

En fait, les seuls défauts que l’on peut reprocher au film sont mineurs… et peut-être inévitables dans une œuvre qui privilégie la vitesse aux dépens du détail. On aurait voulu voir certains personnages plus souvent (Luis Guzman est dans le film comme un des douze jurés, mais soyez attentifs car il n’apparaît qu’à quelques reprises). Par ailleurs, le film passe trop vite sur les manipulations que le protagoniste emploie pour contrôler le jury – seulement un peu de psychologie inverse à la fin et c’est tout : le roman était nettement plus satisfaisant à cet égard. Seule autre ombre au tableau ; la finale un peu trop sentimentale, encore une fois inévitable peut-être, compte tenu du sujet du film.

Runaway Jury n’est pas le premier film à s’intéresser à l’art de la manipulation d’un jury (on se souviendra entre autres de l’infâme The Juror, avec Demi Moore, ou de Trial by Jury, avec Armand Assante), mais c’est certainement un des thrillers les plus satisfaisants de l’année. Réalisé avec compétence et adapté avec beaucoup d’astuce, voilà un choix assez sûr au vidéo-club. Non, ce n’est pas génial. Mais après une période de disette, une offrande honnête peut parfois ressembler à un festin.

Voleurs, escrocs et autres truands sympathiques

Le criminel, « bon » ou « méchant », a toujours été au cœur du polar, peut-être même davantage que le policier ou le détective. Pourquoi s’embarrasser de la loi et de l’ordre quand on peut tout simplement mettre en vedette un gentil truand en prise avec de pires bandits ? C’est un peu le propos des deux prochains films.

Le plus connu d’entre eux est certainement Matchstick Men [ Les Moins que rien ], le plus récent film de Ridley Scott, qui met en vedette Nicolas Cage dans le rôle d’un escroc de génie affligé d’une variété de tics obsessifs compulsifs. Il est imbattable lorsqu’il mène une arnaque ; il peut alors se faire passer pour n’importe qui, d’un agent fédéral à un touriste inoffensif à un richissime homme d’affaires. Mais dès qu’il revient chez lui et délaisse son métier, ses tics prennent le dessus; il doit tout nettoyer méticuleusement, fermer les portes à trois reprises (en comptant dans une langue étrangère) et dépendre sur des pilules à un degré qui ferait rougir d’envie un hypocondriaque.

Matchstick Men n’est pas tant un simple film d’escroquerie que le portrait d’un personnage sur le seuil d’une évolution fondamentale. Mais escroquerie il y a. Plusieurs escroqueries, même : les spectateurs avertis s’attendront sans doute à se faire euxmêmes berner et ils n’auront pas tort – c’est tout simplement ce genre de film. (Avec Identity, Basic et Confidence, on peut même dire que l’année 2003 nous y avait déjà préparés.) Les indices sont là et peut-être même un peu trop gros… mais peu importe : au-delà des détails fascinants sur la vie d’escroc professionnel et de l’efficace mécanique des arnaques pratiquées par les personnages, Matchstick Men est un drame personnel plus qu’un film noir.

Adapté du roman d’Eric Garcia, Matchstick Men respecte résolument le ton du livre et ajoute aux détails des escroqueries une étude approfondie du personnage principal. Cette décision thématique se reflète également dans la finale du film, qui semble un peu trop bonnement heureuse dans un contexte purement noir, mais qui s’avère tout à fait appropriée si l’on considère que le film trace la transformation du personnage principal en un homme nouveau. Certains risquent d’être déçus ; la plupart seront bien contents du résultat. Le criminel bourré de remords comme objet d’étude. Fallait y penser.

Ceux qui connaissent bien Ridley Scott reconnaîtront plusieurs des tics de réalisation qui ont affligé ses quelques derniers films : utilisation de stocks de films divers, séquences impressionnistes, cinématographie variée… Il s’agit de choix artistiques discutables, surtout lorsque l’histoire est aussi intimiste. Ceci dit, Nicolas Cage s’en sort très bien avec une autre variation sur les personnages complexés qu’il interprète si bien. Ses fans auront même droit à quelques moments jouissifs à le voir hurler à tue-tête dans une pharmacie, prouvant ainsi que Cage est rarement aussi amusant que lorsqu’il joue un personnage complètement déréglé.

[Couverture]En revanche, le trio de héros criminels dans Foolproof [ À toute épreuve ] est nettement plus conventionnel. À proprement parler, il n’est même pas exact de les qualifier de « criminels » puisqu’au moment où débute le film, ils ne font que s’amuser à concevoir des plans tout à fait théoriques pour cambrioler des endroits réels. Mais leur recherche d’un plan « foolproof » (« à l’épreuve d’un idiot ») devient dangereuse lorsque leur tout dernier chef-d’œuvre est dérobé… et exécuté. Mais ça ne s’arrête pas là : le criminel d’expérience ayant fait le coup à leur place décide de les faire chanter : ils devront l’aider à réaliser un autre coup fumant, sans quoi la police recevra des preuves bien convaincantes de l’identité de ceux qui auraient commis le premier crime. Seront-ils en mesure de coincer ce maître chanteur qui semble avoir prévu toutes les éventualités ?

Produit au Canada (c’est-à-dire à Toronto, très visiblement) avec un budget minuscule, Foolproof réussit quand même à éviter la plupart des problèmes que l’on associe d’ordinaire à ce type de série B. Peu importent les moyens employés, voilà un divertissement efficace et rondement mené. Ryan Reynolds et Kristin Booth animent le film en incarnant deux protagonistes beaucoup plus intéressants que ce à quoi on pourrait s’attendre. Comme à peu près tous les films de cambriolage, l’arnaque n’est jamais très loin et Foolproof fonctionne bien en se pliant assez fidèlement aux règles de l’art. Quelques raccourcis maladroits trahissent l’inexpérience du scénariste/réalisateur William Phillips (on pensera en souriant à la « barbiche maléfique » de Joris Jarsky en « Rob ») mais pour le reste, Foolproof se défend admirablement dans un sous-genre fort chargé depuis quelque temps. La distribution quasi confidentielle du film (seulement au Canada, et encore là dans moins de 200 salles) signifie que le film sera, pour plusieurs, équivalent à un straight-to-video . Jetez-y un coup d’œil : sans casser la baraque, Foolproof suit la formule et atteint tous ses objectifs.

Viva l’international !

D’une formule à l’autre, du crime à l’aventure, ce n’est pas d’hier qu’est venue l’idée d’une comédie mettant en vedette deux partenaires mal assortis et plongés malgré eux dans des situations difficiles. Hélas, les œuvres récentes dans le genre ont souvent été pénibles (rappelez-vous National Security ). The Rundown [ Le traqueur ] ne s’annonçait guère différent. En vedette : l’ex-lutteur Dwayne "The Rock" Johnston dans le rôle d’un dur à cuire tenaillé par un caïd américain qui lui confie une dernière mission : aller en Amazonie retrouver son fils (Seann William Scott) et le ramener aux États-Unis. Cela paraît simple… jusqu’à ce que le « propriétaire » du village de Helldorado, où est terré le fiston, refuse de coopérer. Il n’en faudra pas plus pour que s’ensuivent scènes de combats entre experts en arts martiaux, exploration archéologique, explosions et… révolución .

La première surprise du film, en fait, est de voir Johnston s’acquitter adéquatement de son rôle, projetant aisément le charme et l’assurance physique nécessaire. L’autre surprise, c’est que le reste du film se déroule exactement comme il se doit ; rapidement, spectaculairement et de façon très amusante. Le mélange n’est pas sans passages à vide (il y a des singes, que dire de plus ?), mais l’effet final est réussi. Certains combats, augmentés d’effets digitaux, sont à couper le souffle, alors même que la camaraderie entre les protagonistes contribue à maintenir un intérêt constant pour leurs péripéties. Alors que rien ne le laissait présager, The Rundown trouve tout à fait sa place à côté des autres films honnêtes et divertissants du trimestre. S’il vous manque une seule autre raison pour y jeter un coup d’œil, sachez seulement que l’antagoniste est campé par le très saint Christopher Walken, patron des vilains impayables. (« There’s been a change in the narrative… an unexpected twist… ») Charmant !

[Couverture]Master And Commander : The Far Side of the World [ Maître à bord : De l’autre côté du monde ] est tout autre chose. Premièrement, rien de prête à rire dans cette œuvre du réalisateur Peter Weir, une recréation fascinante de la marine du XIXe siècle. Ici, c’est Anglais contre Français dans un combat à finir entre les deux côtés de la guerre napoléonienne. Rien à voir avec la fantaisie estivale de Pirates of the Carribean : Master And Commander est d’un réalisme tout ce qu’il y a de sérieux.

Après un échange catastrophique avec l’ Acheron , un navire français ultra-sophistiqué au large du Brésil, l’équipage du brave HMS Surprise doit composer avec les dommages laissés par la brève bataille. Étant donné les dégâts et les blessures, le docteur (Paul Bettany) suggère un retour au bercail. Mais le capitaine (Russell Crowe) ne l’entend pas ainsi et se lance à la poursuite de son adversaire. Même si leur cible est plus large, plus manœuvrable et mieux armée, l’équipage du Surprise n’en démord pas : leur périple les amènera à contourner le Cap Horn en pleine tempête et à faire escale aux îles Galápagos.

Cette histoire, plutôt simple, n’est pas la raison d’être de Master and Commander, qui se veut plutôt une succession d’aventures à l’époque triomphante du bateau à voile: la recréation convaincante de la vie à bord d’un navire anglais de l’époque prend ici toute la place. Les conditions difficiles, la médecine primitive, la météo impitoyable, les marins ridiculement jeunes… le film est un voyage dans le temps vers une autre époque. Grâce aux nouveaux moyens de production cinématographique (le film a été tourné au même studio aquatique que TITANIC), le film atteint des sommets inégalés de réalisme. En salles de cinéma, les effets sonores à eux seuls sont une merveille, de la basse vibrante des canons aux craquements constants du bois du navire provenant de toutes les directions.

En revanche, les heureux détenteurs du DVD pourront profiter des sous-titres, car l’accent britannique ne facilite en rien la compréhension d’un texte crié dans des conditions difficiles. De plus, malgré ce que l’on pourrait penser de l’excellente direction photo, elle est souvent trop chaotique et trop rapprochée pour que l’on puisse en saisir le plein effet au grand écran. Malgré quelques plans spectaculaires, le réalisateur Peter Weir préfère présenter les scènes d’action de façon très confuse et intimiste, un choix qui ne fera pas l’unanimité. On notera aussi un attachement bien modeste aux personnages, à l’exception évidente du capitaine et du docteur. Problème évident : tous les marins étant sensiblement du même âge, du même sexe et d’un même groupe ethnique, il n’est pas difficile de perdre la trace de quelques-uns d’entre eux.

Mais ceci n’enlève que très peu de mérite à Master And Commander, un film d’atmosphère qui prouve que, parfois, les nouveaux raffinements techniques de Hollywood ne débouchent pas toujours dans la débauche pure et simple d’effets spéciaux. Ce n’est pas un film particulièrement amusant, mais personne ne niera sa force, son pouvoir de fascination et son côté satisfaisant. Un film d’aventures dans le vieux sens du terme, malgré le caractère épisodique que cela implique. Les cinéphiles équipés d’un bon système de cinéma maison seront… submergés.

Auteur! Auteur ! Aut… à suivre !

Camera oscura n’a plus à expliquer le concept du réalisateur considéré comme véritable auteur d’un film. Le cinéma à suspense a donné forme à la théorie avec Hitchcock, dont l’œuvre était d’une uniformité beaucoup plus grande que ne pouvaient l’indiquer les scénaristes avec lesquels il travaillait. Encore aujourd’hui, des artistes tels David Fincher, Martin Scorsese ou Tim Burton continuent à représenter l’idée du réalisateur comme force créative principale derrière un film. Ce trimestre-ci, oh bonheur! pas moins de trois de ces auteurs nous ont livré leur dernière réalisation en salles.

[Couverture]Wunderkind cinématographique, Robert Rodriguez appartient au club sélect de ceux pour qui l’étiquette d’ auteur a été inventée. Réalisateur, scénariste, cinématographe, monteur, compositeur… il contrôle ses films avec la liberté que peut seulement obtenir celui qui travaille en marge des studios hollywoodiens, avec des résultats bien particuliers. Pour Once Upon A Time In Mexico [ Il était une fois au Mexique ], troisième volet de la trilogie inaugurée par El Mariachi et Desperado, le « look Rodriguez » est de retour avec une force d’impact dévastatrice. À nouveau, même le grand écran semble trop petit pour contenir sa vision épique, voire « opératique ». Mélange habile d’action d’inspiration chinoise et de western à saveur latine, Once Upon A Time In Mexico est un exercice de style plus qu’une tentative de livrer une histoire. Ceci dit, peu de spectateurs resteront sur leur faim à cet égard; alors que Desperado avait une intrigue minimale, Once Upon A Time remplit l’écran de mercenaires, narcotrafiquants, militaires, politiciens, agents américains (CIA, FBI et DEA) en plus des inévitables mariachis . Le tout débouche sur rien de moins qu’un coup d’État en plein Dia de los Muertos .

Plusieurs des acteurs au générique de Once Upon A Time In Mexico sont des habitués des films de Rodriguez, et il n’est pas surprenant de voir pourquoi ils sont de retour à voir la façon dont le réalisateur soigne leur image : Antonio Banderas, Salma Hayek, Danny Trejo et surtout Johnny Depp ont rarement été aussi bien servis par la caméra que dans ce film.

Une chose est certaine, ce n’est pas une œuvre pour tout le monde; la violence atteint un paroxysme presque onirique, stylisé à un degré proche de la fantasmagorie pure. Rodriguez est un réalisateur efficace et il donne à un film modeste une allure et un souffle qui rivalisent de majesté avec des films beaucoup plus ambitieux. Pour les amateurs de cinéma stylisé et les férus de Rodriguez, Once Upon A Time In Mexico est un triomphe incontesté. Réussite de l’auteur, plaisir du spectateur.

[Couverture]En revanche, la touche habituelle des frères Coen est beaucoup moins évidente quand vient le moment d’évaluer Intolerable Cruelty [ Intolérable cruauté ], leur dernier effort mettant en vedette George Clooney et Catherine Zeta-Jones. Ici, les Coens s’éloignent un peu de leurs thèmes habituels pour s’attaquer à une… comédie romantique. Mais pas n’importe quel type de comédie romantique, bien sûr. Dès la première scène, d’un cynisme remarquable (un producteur hollywoodien surprend sa femme en flagrant délit d’adultère : elle s’échappera en l’attaquant avec son Lifetime Achievement Award , mais il aura le dernier mot en photographiant ses blessures !), il est évident que ce film ne sera pas une comédie romantique rose bonbon. Le générique d’ouverture renforce l’impression en combinant chérubins à l’entraînement et « Suspicious Minds » d’Elvis Presley. Ce que Intolerable Cruelty parvient à faire, c’est d’exploiter un profond cynisme romantique au profit d’une histoire d’amour et d’humour. Ici, toutes les femmes sont à la recherche de fortunes faciles et tous les hommes sont prisonniers de leur propre libido. (Naturellement, personne ne prétend que ce film est un reflet fidèle de notre réalité, même si à Hollywood, personne ne peut jurer de rien.) Est-ce que Clooney, en avocat renommé mais blasé, a finalement trouvé sa mesure avec Zeta-Jones, une soi-disant « carnivore » en quête d’indépendance financière ? Le cynisme des frères Coen parviendra-t-il à bout des conventions du film romantique ? Faudra attendre jusqu’à la toute fin pour savoir.

Ceci dit, Intolerable Cruelty se rattache aux champs d’intérêt de Camera oscura de par son utilisation de plusieurs des tics habituels des films noirs (la vision corrompue du monde, les avocats véreux, les clichés d’un drame juridique) au profit d’un regard différent sur les comédies romantiques. Le résultat est suffisamment drôle et étrange pour mériter l’étampe des Coens. Si leur bizarrerie légendaire n’est pas aussi prononcée que d’habitude, la plupart des deuxièmes rôles sont tout aussi délicieux ici que dans leurs autres films. (Attendez de voir l’assassin nommé « Wheezy Joe », ou le « Baron Krauss von Espy » !)

On remarquera que c’est la première fois qu’ils portent à l’écran un scénario qu’ils n’ont pas eux-mêmes écrit. Peut-être s’agit-il d’un développement intéressant dans leur carrière, ou bien d’une expérience qu’ils ne seront pas tentés de répéter. Peu importe ; il y a suffisamment de bon matériel dans Intolerable Cruelty pour plaire aux amateurs de thrillers policiers, même ceux qui, normalement, ne se hasardent jamais à visionner une comédie romantique !

[Couverture]Enfin, il est difficile de parler de réalisateurs/auteurs sans mentionner Quentin Tarantino, celui par lequel le cinéma criminel a tellement changé d’allure depuis 1994 et Pulp Fiction. Après un silence prolongé depuis Jackie Brown (1997), voici qu’il revient à l’écran avec Kill Bill Volume 1. Mais comme le titre le suggère, il ne s’agit que d’un demi-retour : il faudra attendre quatre mois avant de voir la conclusion en salles. Il serait tentant de discuter de ce premier volume, des indulgences fantastiques que se permet Tarantino, de la violence grand-guignolesque, des performances exceptionnelles, de la réalisation délicieusement originale ou bien du sentiment de bonheur complet que les cinéphiles auront à confronter une œuvre d’un véritable féru du cinéma. Mais ce ne serait que juger une moitié de film, et c’est pourquoi il faudra attendre la sortie du deuxième volet avant d’en parler de façon intelligente. À la prochaine chronique, donc…

Bientôt à l’affiche

Vous aurez compris que le film le plus attendu du trimestre hivernal sera sans doute Kill Bill Volume 2, prévu pour la mi-février 2004. Sinon, les gros cannons de la prochaine livraison de Caméra oscura seront des œuvres historiques, de l’après-guerre civile américaine ( The Last Samurai, mettant en vedette Tom Cruise) à la Deuxième Guerre mondiale ( The Great Raid ). D’autres titres à l’allure mystérieuse promettent également certains frissons : Torque, Mindhunters et The Big Bounce, surtout, mais aussi Taking Lives, ce dernier film mettant en vedette Angelina Jolie qui avait reçu un battage publicitaire important lorsqu’on avait annoncé le tournage d’une scène sur le pont de Québec… Peu importe ; on en reparlera à la prochaine livraison. En attendant, bon cinéma !

Christian Sauvé est informaticien et travaille dans la région d’Ottawa. Sa fascination pour le cinéma et son penchant pour la discussion lui fournissent tous les outils nécessaires pour la rédaction de cette chronique. Son site personnel se trouve au http://www.christian-sauve.com/

Mise à jour: Décembre 2003

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