Camera Oscura 54

 

Les trimestres se suivent et ne se ressemblent pas. Après une livraison hivernale de Camera oscura plutôt sombre et déprimante, voilà que comédie ridicule, pères-espions, huis clos angoissants et acteurs vieillissants forment l’étrange quatuor de cette chronique printanière.

 

Comédies policières consciemment ridicules

Si la mission d’Alibis (« Polar, noir et mystère ») a tendance à privilégier le drame criminel, le suspense angoissant et l’action sans répit, il faut bien avouer que la comédie fait aussi partie de l’univers du polar. Celle-ci a souvent tendance à devenir très noire, clairement destinée aux spectateurs déjà friands de polar plutôt qu’au grand public. Mais que se passe-t-il quand Hollywood se sert des outils du polar pour des comédies plus rigolotes que cyniques, s’adressant ainsi à des publics de masse ? Quatre exemples récents offrent des approches différentes.

En tant qu’exemple le plus désolant, on retiendra The Heat [Un duo d’enfer], un véhicule pour les personas comiques de Sandra Bullock (en policière ultra-professionnelle, célibataire, un peu trop renfermée – à mi-chemin entre ses personnages de Miss Congeniality et The Proposal, entre autres exemples) et Melissa McCarthy (en policière peu raffinée, violente et hédoniste – aussi à mi-chemin entre ses personnages habituels). Toutes deux sont forcées de collaborer pour une enquête dont les détails importent peu. À défaut d’autre chose, The Heat a au moins le mérite d’être un des trop rares films à grand budget conçus autour de deux actrices-vedettes et à dépendre de l’image qu’elles projettent.

 

Car personne n’ira voir The Heat pour les détails de son intrigue policière, ou pour la réalisation plutôt pédestre de Paul Feig. Si on y retrouve des narcotrafiquants bostoniens comme antagonistes, le film vise plutôt à mettre en valeur la relation cahoteuse entre deux partenaires mal assortis. C’est une vieille recette (avez-vous dit buddy movie ?), présentée avec des archétypes familiers. Les points forts du film sont éminemment prévisibles : les frictions initiales, la beuverie qui mène à une détente entre les héroïnes, les révélations qui expliquent leur personnalité… tout arrive selon l’horaire méticuleusement familier des comédies de ce type.

Est-ce que cela fonctionne ? Tout dépend de votre sympathie pour les personnages habituels des actrices en vedette. Si l’archétype de Bullock n’est pas particulièrement polarisateur (bien sûr qu’elle passe trop de temps au travail, bien sûr qu’elle apprendra de sa partenaire comment profiter un peu plus de la vie), on n’en dira pas autant de la quasi-psychopathe vulgaire jouée par McCarthy. Contrairement à Bridesmaids, qui suggérait qu’il vaut mieux une persona abordée à petites doses, The Heat a plutôt tendance à démontrer que trop, c’est trop, et que le fait de baser tout un film sur l’agressivité abrasive de McCarthy aura tendance à rebuter ceux pour qui son personnage n’est pas particulièrement comique. (Pour de plus amples exemples aux frontières du genre, on suggérera – ou pas – Identity Thief et Tammy.) Bref, à voir si McCarthy vous fait rire… et à éviter si elle vous exaspère.

Dans un registre fort similaire, on trouvera Ride Along [Mise à l’épreuve], comédie policière confrontant le charme infantile de Kevin Hart à la magnifique bougonnerie de l’ex-rappeur-choc Ice Cube. Projet ayant bourlingué pendant plus d’une décennie dans les coulisses du système hollywoodien, Ride Along semble avoir été assemblé de toutes pièces par des techniciens de la scénarisation : un homme un peu immature veut épouser sa bien-aimée et il pense obtenir l’approbation de son futur beau-frère policier en passant une journée avec lui, en patrouille dans les rues d’Atlanta.

Ici, tout est prévisible, tout est rodé selon les attentes du grand public. Peu de surprises au menu : les partenaires mal assortis en viennent éventuellement à découvrir leurs valeurs, la bien-aimée est menacée puis secourue, les criminels sont appréhendés ou éliminés… Le tout au service d’une comédie policière qui ne brise rien et qui renouvelle encore moins le genre. Ici aussi, on en arrive à la même question : est-ce que la personnalité des deux acteurs-vedettes est suffisante pour justifier le film ?

 

Heureusement, Ice Cube est tout à fait crédible dans la peau d’un policier bourru, son charme de bouledogue offrant à la fois une stabilité au film et une bonne opportunité de réagir aux pitreries de son partenaire. Le défi de Kevin Hart, en tant que comique accro aux jeux vidéo, était beaucoup plus délicat. Des acteurs aux personas similaires se sont souvent retrouvés plus irritants que sympathiques (les exemples de Martin Lawrence et Chris Tucker viennent à l’esprit), mais Hart réussit à demeurer amusant même quand il est le plus exaspérant, ce qui assure au moins au film une certaine affection minimale.

Malgré le succès d’exécution de Ride Along comparé à The Heat, il ne faut pas pour autant prétendre qu’il s’agit d’une comédie policière plus ambitieuse ou moins portée sur la comédie que sur la trame criminelle. C’est avant tout un divertissement ordinaire, peu ambitieux, rapidement oubliable et qui ne suscite presque aucun enthousiasme.

Il en va autrement de 22 Jump Street [V.F.]. On rappellera que son prédécesseur, 21 Jump Street, avait surpris plus d’un spectateur en adaptant une vieille série télévisée peu respectable en une comédie bien réussie qui en profitait pour répondre, parfois de manière hilarante, aux attentes des spectateurs les plus sceptiques. Les scénaristes/réalisateurs Miller/Lord (qui, entre-temps, ont aussi réussi un autre pari improbable avec The Lego Movie) renouent ici avec le succès inattendu en profitant d’une suite peu prometteuse pour se payer la tête de ceux qui pensent savoir à quoi s’attendre d’une suite peu prometteuse !

Car cette suite prend plaisir à recréer presque exactement la même situation que dans le premier film, ne laissant passer aucune occasion de souligner à quel point il s’agit de la même chose, mais avec un plus grand budget ! L’enquête semble absurdement similaire à celle du film précédent – jusqu’à ce que les personnages en viennent à reconnaître la paresse de leurs présomptions. Comme si ce n’était pas assez, 22 Jump Street se paie également la tête des films où deux partenaires doivent mener une enquête commune, établissant le parallèle entre une telle relation et une relation romantique. Bref, 22 Jump Street n’est pas seulement fort amusant, il a aussi une certaine profondeur thématique bienvenue.

 

Au-delà des intentions ambitieuses, 22 Jump Street est également réalisé avec dynamisme et fraîcheur. Les séquences accompagnant le générique final du film sont une pièce d’anthologie, présentant coup sur coup un aperçu des Jump Street 23, 24, 25… Les acteurs principaux du premier film renouent avec succès avec leurs personnages : Jonah Hill est égal à lui-même et Channing Tatum démontre à nouveau une certaine adresse comique, mais c’est Ice Cube qui obtient les meilleurs moments en policier bourru (oui, encore) poussé au-delà de ses limites par les agissements de ses subordonnés. Le succès de 22 Jump Street est d’autant plus remarquable qu’il œuvre dans le carcan peu prometteur des suites hollywoodiennes, dépassant les limites d’un tel cadre en multipliant les allusions montrant clairement à quel point les cinéastes savent ce à quoi ils s’attaquent.

Mais il y a moyen de se servir de la comédie policière pour sortir encore plus des sentiers battus, et c’est une façon de faire qui mène de manière improbable à The Grand Budapest Hotel [L’Hôtel Grand Budapest] de l’iconoclaste scénariste/réalisateur Wes Anderson. On utilise « improbable » pour reconnaître que la feuille de route d’Anderson est, jusqu’ici, jalonnée de comédies dramatiques fort particulières, aussi excentriques qu’hermétiques pour ceux qui ne partagent pas ses obsessions et son esthétisme. Il n’est pas, au premier abord, un réalisateur chouchou des amateurs de polar.

 

Mais cette feuille de route contient également la comédie criminelle animalière Fantastic Mr. Fox, et le succès de son film précédent, Moonrise Kingdom, suggérait que le style d’Anderson s’était suffisamment développé pour rejoindre un plus grand public. The Grand Budapest Hotel s’avère un film charmant, sympathique, drôle, occasionnellement indescriptible et pourtant suffisamment sombre pour avoir sans peine un intérêt aux yeux des lecteurs d’Alibis.

Après quelques mises en contexte un peu inutiles, on en arrive éventuellement au propos principal du film : un gérant d’hôtel, en pleine Europe de l’Est, favori de plusieurs veuves riches en manque de compagnie, s’avère impliqué dans une sombre histoire de succession quand il se fait léguer un tableau précieux. S’ensuivent alors un vol, des poursuites, un séjour en prison et un duel aussi haletant que ridicule entre notre héros et ceux qui lui en veulent.

Évidemment, rien de cela ne serait remarquable sans le cachet visuel tout à fait distinctif du film. Des visages familiers pour les admirateurs d’Anderson (qui a tendance à se fier à une compagnie commune d’acteurs de film en film) sont employés à bon escient, la cinématographie colorée est riche en détails, les dialogues sont savoureux, même les anachronismes sont délicieux… Bref, c’est une confection aussi distinctive que réussie. On notera, sans avoir besoin d’en ajouter davantage, que The Grand Budapest Hotel s’est valu deux poignées de nominations aux Oscars. Si, ici aussi, la structure de polar s’avère une excuse pour autre chose, le charme particulier d’Anderson mérite amplement le détour. Les sensibilités de The Grand Budapest Hotel resteront uniques, c’est garanti.

 

Thrillers en huis clos

À une époque où la magie des techniciens hollywoodiens rend tout possible, il est nécessaire de rappeler que le film à suspense profite de contraintes. Pour voir de quoi est fait un protagoniste, quoi de mieux que de l’obliger à se démener selon des contraintes de plus en plus sévères ? Limiter ses actions, isoler son environnement, effriter son sentiment de sécurité sont d’excellentes façons de le pousser au bout de ses limites. Deux films récents offrent de petites leçons en la matière.

On s’arrêtera d’abord en territoire doublement familier avec le thriller aérien Non-Stop [Sans arrêt], qui met à nouveau en vedette un Liam Neeson imposant. Presque une décennie après le succès-surprise de Taken, Neeson est devenu un authentique héros d’action, tabassant ses ennemis à un âge où d’autres acteurs ont de plus en plus de mal à demeurer crédibles en protagoniste prêt à cogner. Neeson a l’avantage d’être un acteur dramatique remarquable, ce qui lui permet de se mettre sans difficulté dans la peau d’un policier aux traumatismes profonds, manipulé de façon experte quand le vol transatlantique où il se trouve est menacé de destruction par un criminel aux exigences dispendieuses. Coincé dans les airs avec un simple téléphone, Neeson doit alors découvrir qui, à bord, se cache derrière les menaces et le chantage. Ses premières devinettes ne sont vraiment pas très bonnes…

 

Mené avec panache par le réalisateur Jaume Collet-Serra (à qui l’on doit aussi le délirant Unknown), Non-Stop s’inscrit dans l’honnête moyenne des thrillers aériens. Nettement plus intéressant que Flightplan, un peu moins fou que Snakes on a Plane, beaucoup plus frivole qu’United 93, Non-Stop offre à Neeson une autre occasion de peaufiner son image de solide gaillard. L’isolement du personnage est bien mené et le film communique effectivement le désespoir croissant de ses tentatives pour prévenir la catastrophe. Il y a une certaine profondeur thématique dans les motivations du mystérieux antagoniste (car faire un thriller aérien après septembre 2001 demande une reconnaissance des circonstances de l’époque), même si les détails de sa vengeance ne tiennent pas debout.

Ceci dit, Non-Stop répond au moins aux attentes élémentaires d’un public de thriller : le film bouge, offre un certain mystère, mène à une séquence finale assez spectaculaire (celle promise par l’affiche du film) et ne laisse pas trop d’arrière-goût amer. Le scénario familier n’en demeure pas moins efficace. Le thriller aérien a beau être convenu, c’est un sous-genre qui peut parfois foirer… ce qui n’est pas le cas ici. En revanche, on demeurera assez détaché de l’action qui s’y déroule – à moins de regarder le film en plein avion. Les personnages sont génériques et les situations dans lesquelles ils se trouvent sont (malgré quelques raffinements technologiques pas si novateurs, tels des textos en bulle flottante brisée à l’écran) assez familières.

Il en va autrement de Hours [V.F.], un tout petit film à suspense qui a l’avantage d’une prémisse qui saisit son public à la gorge et ne le lâche pas jusqu’à la toute fin. Jugez-en par vous-même : alors que commence le film à la fin août 2005, la Nouvelle-Orléans se prépare à subir l’ouragan Katrina. Personne ne sait encore jusqu’à quel point la situation s’envenimera, et surtout pas notre protagoniste, qui arrive à l’hôpital avec son épouse sur le point d’accoucher. Les choses dégénèrent rapidement : non seulement son épouse ne survit pas à l’accouchement mais, en plus, sa fille nouveau-née requiert une alimentation en oxygène continue pendant les 48 heures suivantes pour survivre. Puis les choses tournent vraiment au vinaigre : patients et personnel évacuent l’hôpital, laissant le père endeuillé seul avec sa fille en détresse. Mais ce n’est pas fini : l’électricité manque et les générateurs de l’hôpital lâchent, laissant le protagoniste tourner une manivelle pour garder sa fille en vie, chargeant trois minutes de courant électrique à la fois. Puis, voilà que la pile interne de l’appareil commence à ne plus tenir sa charge… Ajoutez l’environnement cauchemardesque d’un hôpital dévasté par un ouragan, la fatigue croissante du héros, la menace des rôdeurs en quête de fournitures médicales et vous comprendrez bien le cauchemar soutenu que représente Hours.

 

Virtuellement enchaîné à la manivelle gardant sa fille en vie, déchiré par un deuil soudain, le protagoniste de Hours s’avère un exemple presque parfait du héros poussé au-delà de ses limites. C’est un des derniers rôles du regretté Paul Walker et sans doute l’un de ses meilleurs. Walker retient l’attention plus efficacement que dans une performance semblable sur le plan des contraintes dans Vehicle 19. Il s’avère à la fois vulnérable, plein de ressources et déterminé jusqu’à la toute fin. Son interprétation constitue la pièce maîtresse d’un film au budget modeste mais bien utilisé. On en ressort avec le sentiment d’avoir été tabassé pendant un bon moment, reflet fidèle de la fatigue et du sentiment d’impuissance communs aux nouveaux parents. Prémisse et thèmes ainsi parfaitement alignés, Hours s’avère une découverte remarquable et un film modeste qui aurait avantage à être un peu plus populaire. Mais attention : l’expérience dépasse celle du simple divertissement.

 

Espion et homme de famille

Hours a beau traiter du « père-comme-héros », ce n’est pas la seule œuvre récente à faire le lien entre famille et action. Ainsi a-t-on récemment vu deux films où des espions assassins œuvrant en territoire européen sont abruptement appelés à protéger leur fille en raison de menaces professionnelles. Évidemment, les méthodes diffèrent, et les résultats aussi.

 

Le moins subtil de ces films est 3 Days to Kill [3 jours pour tuer], une tentative désolante de combiner les mécanismes du film d’espionnage à ceux de la comédie familiale. Ici, un agent secret vétéran apprend qu’il souffre d’un cancer fatal et décide de se rapprocher de son ex-femme et de sa fille adolescente qu’il voit rarement. Sa vie se complique encore plus quand la CIA lui promet un traitement expérimental en échange « d’un dernier service »… et quand sa femme part en voyage d’affaires, le laissant seul à s’occuper de sa fille. Évidemment, ses vies professionnelle et personnelle se recouperont rapidement, surtout que les exigences de son emploi vont à l’encontre de sa volonté de rétablir les liens avec sa fille.

Comme prémisse, ce n’est pas trop mal. Mais c’est sans compter les talents singuliers de Luc Besson à la scénarisation et son habileté surprenante à gâcher ce qui aurait pourtant dû être une valeur sûre. Les problèmes de 3 Days to Kill s’annoncent rapidement, alors que la trame d’espionnage du film semble tirée de mauvais films éculés. Amber Heard s’avère tout aussi immédiatement ridicule en agente soi-disant fatale, d’apparence plus prétentieuse que menaçante. Mais le film atteint son nadir lorsqu’il badine avec la torture, demandant à son public de rire alors qu’un personnage sympathique est torturé (à coup de charge électrique) par un protagoniste qui veut se rapprocher de sa fille et qui en profite pour lui demander des conseils…

Ce méli-mélo déplaisant d’approches est miné par l’écriture typiquement indisciplinée de Besson et par la réalisation purement professionnelle de McG. Le film s’améliore brièvement durant ses scènes d’action et personne ne reprochera à Kevin Costner sa performance crédible comme protagoniste, mais c’est trop peu trop tard, surtout lorsque des scènes d’un comique douteux viennent succéder aux rares moments d’action réussis. Bref, on en apprendra beaucoup sur la nécessité d’un ton contrôlé en visionnant 3 Days to Kill… et on comprendra pourquoi ce n’est pas parce que c’est ridicule que l’on rit.

 

The November Man [Nom de code : Novembre] n’est pas nécessairement un meilleur film, mais il a l’avantage indéniable d’une approche nettement plus contrôlée. Ici, c’est Pierce Brosnan qui joue un agent secret aguerri, happé par une sombre histoire quand les péchés passés de la CIA menacent de devenir publics. Forcé de protéger une témoin pas si innocente, il doit aussi se liguer contre ses ex-partenaires toujours à l’emploi de l’Agence et tenter de démêler une sombre intrigue aux conséquences politiques importantes. Évidemment, ce que ses ennemis découvriront au sujet de sa vie de famille sera utilisé contre lui…

Il n’est pas déplacé de parler de The November Man comme d’un projet de vanité pour Brosnan. L’acteur a lui-même acheté les droits de la série de romans d’espionnage de Bill Granger et a coproduit le film. On connaît l’expérience de Brosnan en tant que James Bond, et on peut faire remarquer que presque tous les acteurs de premier plan sont à la recherche d’une « franchise » de films leur assurant du travail continu… Brosnan a évidemment le beau rôle dans The November Man – il joue non seulement un agent secret d’une efficacité légendaire, mais il s’avère aussi un père capable de secourir sa fille lorsqu’elle est menacée.

Le film lui-même est plutôt moyen. Il y a des longueurs, des révélations ridicules avec un peu de recul, des moments difficiles à gober, une réalisation un peu molle et une portée qui manque de souffle. Ceci dit, The November Man s’inscrit sans retenue dans le courant du film d’espionnage européen, ce qui aura au moins le mérite de satisfaire les attentes de ceux qui sont à la recherche d’un film de ce type. Pour tout ce que l’on dira parfois sur les désavantages des formules narratives, il faut aussi reconnaître le confort offert par un exemple fidèle d’un sous-genre. Surtout lorsqu’on le compare aux divagations atonales d’échecs comme 3 Days to Kill.

 

Passé l’âge de la retraite

Camera oscura a déjà abordé la question, mais la vieillesse des acteurs n’a rien de drôle, surtout lorsqu’elle finit (malgré les progrès de la chirurgie plastique, du maquillage et des publicistes) par atteindre ce groupe sélect d’acteurs reconnus comme des héros d’action. Jadis rares et capables de prouesses physiques hors du commun, les héros d’action peuvent maintenant être construits de toutes pièces par un régime rigoureux d’entraînement qui a de quoi rivaliser avec les sacrifices faits par des générations d’actrices soucieuses de rester minces pour la caméra. On recommandera à ce sujet la lecture de deux articles récents qui démontrent comment le système hollywoodien demande maintenant autant de perfection physique de la part de ses acteurs que de ses actrices : « The Last, Disposable Action Hero »(www.nytimes.com/2014/03/02/magazine/the-last-disposable-action-hero.html), du New York Times, décrit comment les héros d’action d’une génération précédente sont remplacés par de jeunes hommes prêts à tout, alors que « Building a Bigger Action Hero »(www.mensjournal.com/magazine/building-a-bigger-action-hero-20140418), de Men’s Health, détaille les sacrifices physiques nécessaires pour y arriver.

 

Pour les héros d’action vieillissants, il y a de quoi s’interroger : est-ce sage de tenter de demeurer une tête d’affiche pour des rôles physiques demandants ? On ne trouvera pas meilleurs exemples que les films les plus récents de deux têtes d’affiche légendaires des années 1980, Sylvester Stallone et Arnold Schwarzenegger.

Des deux, Stallone paraît être celui qui s’avoue le moins être en route vers la retraite galopante. Ayant carrément capitalisé sur ses succès passés avec des suites tardives aussi peu subtiles que Rocky Balboa (2007) et Rambo (2010), Stallone semble s’accrocher à l’idée qu’il peut, en pleine soixantaine, jouer les mêmes rôles qu’avant. Dans Bullet to the Head [Du plomb dans la tête], par exemple, il se pavane dans le rôle principal comme s’il faisait partie de la royauté, incarnant un assassin à la fine pointe de son art, au corps aussi huilé que tatoué, et toujours capable de tabasser les jeunes impénitents qui osent le défier. Dans cette histoire d’assassin contre des assassins, il affronte la vedette montante Jason Momoa, et il montre la voie au tout aussi montant Sung Kang. Bref, le film s’avère un véhicule pour Stallone, qui se contente évidemment de répéter une recette déjà vieille dans les années 1980.

L’impression d’un film éculé n’est vraiment pas améliorée par un scénario ordinaire aux points d’intrigue familiers, ou par la réalisation vieille école du quasi légendaire Walter Hill. Bullet to the Head est un film d’action aussi classique que moyen, ce qui explique pourquoi on le regarde sans effort, mais il ne laisse pas d’impression remarquable. Oubliez toute profondeur thématique ou tout contenu intellectuel développé – on reste avec l’impression d’un film intéressant par sa démonstration éloquente des limites d’un acteur qui ne semble pas les avoir reconnues…

Son contemporain, Arnold Schwarzenegger, s’en tire généralement mieux. Évidemment, Schwarzenegger a passé un peu de temps à faire autre chose que des films : gouverneur de la Californie pendant un peu plus de sept ans, il est depuis redevenu acteur, d’abord dans des films d’ensemble (The Expendables), puis dans des films lui donnant un peu plus d’importance, tel The Last Stand. Sabotage [V.F.] est, pour lui, une tentative assez sage de renouer avec ses rôles d’action, tout en ne tentant pas de se pousser à des extrêmes ridicules.

Il y incarne le chef d’une équipe de policiers clandestins aussi agressifs que sans raffinement. À la suite d’une opération ayant mal tourné (se soldant par la mort d’un d’entre eux, et par le soupçon officiel qu’ils ont collectivement subtilisé près de dix millions de dollars), il est mis en retenue administrative pendant la durée de l’enquête. Innocenté faute de preuves, il revient au sein d’une équipe qui s’est désintégrée durant son absence et peine à recréer un esprit d’équipe. Mais alors que les choses s’améliorent, voici que les membres de l’équipe sont assassinés l’un après l’autre. Sont-ils devenus la cible de narcotrafiquants vengeurs ou y a-t-il une motivation plus sinistre à l’œuvre ?

 

Scénarisé par Skip Woods et réalisé par David Ayer (deux habitués de Camera oscura), Sabotage s’avère un thriller policier aussi noir que déplaisant, bourré de personnages antipathiques et de violence excessive. Le personnage le plus sympathique du film, une honnête policière ayant à composer avec ces policiers détraqués, n’est introduit qu’au deuxième tiers et est rapidement berné par le reste des personnages. Si Sabotage n’est pas dépourvu d’un certain mystère intrigant, de retournements conséquents et de séquences efficaces, ce n’est pas proprement dit un film plaisant : devant les seaux de sang répandus, plusieurs spectateurs seront contents de tout abandonner en cours de route sans grands regrets. Même ceux qui se rendront jusqu’à la fin auront de quoi regretter les cinq dernières minutes inutiles. (On leur conseillera de se renseigner sur les deux conclusions originalement tournées, toutes deux meilleures que ce qui a été utilisé dans le film.)

En revanche, on soulignera tout de même le rôle de Schwarzenegger en chef d’équipe macho. Schwarzenegger joue son âge (ne reniant ni les tempes grises ni les rides omniprésentes), privilégie le maniement de gros calibres aux prouesses physiques et parvient par la pure force de sa personnalité à dominer une distribution semée de performances remarquables, dont celles de Sam Worthingon (dans un rôle aux antipodes des sympathiques héros qu’il joue habituellement) et de Mireille Enos (en seule équipière, encore plus machiste que ses collègues masculins). Sabotage n’est nullement plaisant, pas particulièrement réussi et ne se classera jamais comme incontournable à visionner. En revanche, ce n’est pas un mauvais jalon dans la carrière de Schwarzenegger et c’est une preuve qu’il est possible de livrer une performance musclée à son âge sans avoir l’air ridicule.

 

Ayant vu ce dont Stallone et Schwarzenegger sont capables individuellement, la question suivante est inévitable : qu’est-ce qui se passerait s’ils étaient dans le même film ? La série The Expendables a donné un court aperçu du résultat, mais voilà qu’Escape Plan [Le Tombeau] vient consacrer un plein film à une union qui aurait jadis été un événement. Dans ce film à suspense aux limites de la science-fiction, c’est Stallone qui tient le rôle principal comme consultant expert en évasions. Sa spécialité : se faire engager par des directeurs de prison pour percer les failles de leurs établissements. Quand il se fait offrir un mystérieux contrat par la CIA pour valider un nouveau pénitencier super secret, il hésite mais finit par accepter. Mal lui en prend, car il disparaît alors du monde officiel et se retrouve derrière les barreaux, dans une prison nouveau genre, dans un endroit inconnu. Clairement trahi, il doit s’allier avec d’autres prisonniers pour tenter une évasion impossible.

Évidemment, tout cela n’est qu’une excuse pour voir Stallone et Schwarzenegger travailler côte à côte, se tabassant occasionnellement pour faire diversion. Si Stallone tient le rôle principal, c’est Schwarzenegger qui émerge du film comme étant le plus astucieux des deux. Mais pour un film présentant deux mégavedettes pâlies, Escape Plan s’avère curieusement inerte. Les séquences d’action ne sont guère remarquables, le tout est mené de manière ordinaire et, à l’exception d’une scène où le protagoniste découvre la véritable nature de la prison, aucun moment ne surnage en mémoire. En fait, à voir la conclusion à la portée si modeste, on reste sur sa faim. Quelque chose semble manquer à Escape Plan – une étincelle, un échange de répliques mémorables, une conclusion plus forte en action – pour être plus qu’un autre film d’action typique, absorbé rapidement puis oublié en quelques jours. Le danger d’une tentative de retour aux années 1980, c’est d’émuler des films retombés depuis dans l’oubli, et non ceux dont les forces en ont fait des films à la portée universelle. En attendant de voir mieux, souhaitons aux vétérans héros d’action de meilleurs scénarios… ou une retraite bien méritée.

 

Bientôt à l’affiche

Camera oscura est toujours à l’affût de nouveaux titres, et une demi-douzaine de nouveautés retiendront bientôt l’attention. Pour de l’action haute en couleur, on comptera sur Furious 7 et sur l’adaptation de la bande dessinée Kingsman : The Secret Service. Pour voir des acteurs familiers incarner des rôles intéressants, on retiendra Focus (Will Smith en arnaqueur prenant une jeune femme sous sa tutelle) et Everly (Salma Hayek, forcée de se défendre quand son appartement est attaqué par des assassins). Finalement, quelques réalisateurs d’expérience auront du nouveau à présenter, qu’il s’agisse de Pierre Morel avec The Gunman (avec Sean Penn), ou de Jaume Collet-Serra aux commandes de Run All Night avec l’implacable Liam Neeson.

En attendant, bon cinéma !

 

 

Christian Sauvé est informaticien et travaille dans la région d’Ottawa. Sa fascination pour le cinéma et son penchant pour la discussion lui fournissent tous les outils nécessaires pour la rédaction de cette chronique. Son site personnel se trouve au www.christian-sauve.com/.