Christian Sauvé
Paru en primeur dans les pages d’Alibis 47, été 2013
C’est un retour en arrière que présente cette édition de Camera oscura. Des huit films abordés, cinq sont purement historiques, et les trois films contemporains sont tellement « vieux jeu » qu’on croirait les avoir vus à n’importe quel moment depuis la création des règles du cinéma à suspense. Qu’il s’agisse de réexaminer le réalisateur Alfred Hitchcock, de réécrire la petite histoire de l’esclavage américain, de rendre hommage à des ancêtres bootleggers ou bien d’affirmer la supériorité des policiers sur le crime organisé, Camera oscura se paie une série de petits voyages dans le temps… qui en ont long à nous dire sur notre époque et la façon dont le cinéma sombre la reflète.
Pères protecteurs
Depuis toujours, le thriller porte sur la protection des faibles et des innocents. Que l’on parle d’un quidam luttant pour assurer sa survie, d’un policier tentant de protéger la sécurité publique ou de l’espion veillant à maintenir l’intégrité du mode de vie occidental, le film à suspense s’assure que la menace soit contenue, que l’honnête citoyen ait la vie sauve. Trois films récents viennent illustrer cette formule sous ses airs les plus simples; Taken 2, Stolen et Safe n’ont pas que des titres succinctement évocateurs en commun, ils présentent tous une figure masculine protectrice de jeunes femmes en danger, sous un angle de filiation plutôt que de romance.
Les amateurs du premier Taken (2008) savent déjà trop à quoi s’en tenir pour la suite: Liam Neeson incarne de nouveau un père aux talents clandestins prodigieux. Quand la famille endeuillée d’une de ses victimes du premier film décide de se venger en kidnappant sa fille et sa femme, il se voit encore forcé d’exterminer une longue série d’ennemis tout en assurant la survie de ses proches. Le tout a beau profiter des extérieurs colorés d’Istanbul, la formule ne pourrait pas être plus familière.
Et c’est là le problème principal de Taken 2 [L’Enlèvement 2], qui ne parvient pas à se hausser au niveau même modeste de son prédécesseur. Au-delà de la réalisation plutôt ordinaire d’Olivier Megaton et du scénario tout aussi fade du duo Besson/Kamen, cette suite piétine sur un terrain déjà familier. Liam Neeson est maintenant bien connu comme héros d’action (après The A-Team, Un known et The Grey) et la surprise de le voir se révéler un protagoniste prêt à torturer et tuer s’est considérablement émoussée depuis le premier film. Heureusement, sa crédibilité demeure, même si la surprise n’y est plus. Les quelques revirements dramatiques du film (tel le père emprisonné guidant sa fille vers lui, inversion du schéma narratif du premier film) peuvent plaire un peu, mais ne réussissent pas à assurer le plaisir de visionnement. Taken 2 réussira tout au plus à meubler une soirée tranquille, mais ne nous leurrons pas: ce n’est pas un film qui vaut le détour. Au moins, le tout finit bien, l’unité familiale en sortant encore plus solide qu’avant.
Cette dernière constatation n’est pas qu’une formule lapidaire à coup de minces compliments: c’est une des exigences élémentaires du sous-genre pratiqué à une échelle aussi intimiste. L’unité familiale en vedette doit être renforcée par les tribulations subies. À voir le nombre de pères distants, séparés ou divorcés dont les relations sont rendues plus fortes par un kidnapping cinématographique éventré, il y a de quoi se faire de fausses idées sur la thérapie familiale la plus efficace. On n’a qu’à voir le protagoniste de Stolen [v.o.a], cambrioleur de banque de génie fraîchement sorti de prison après huit ans, confronté à une fille adolescente qui ne veut guère le voir… Ce n’est qu’après son kidnapping par un ex-associé de son père qu’elle en vient à trouver en lui un allié extraordinaire.
En tant qu’exercice de genre convenu, Stolen a au moins le mérite d’être bien mené. Confié au réalisateur chevronné Simon West, le film est bien exécuté, avec une certaine fluidité cinétique et un rythme narratif soutenu. La Nouvelle-Orléans s’avère un endroit bien coloré pour les poursuites du film (évoquant des souvenirs de 12 Rounds, Déjà Vu et Hard Target) alors que l’interprétation divertissante de Nicolas Cage en père protecteur aura de quoi faire plaisir aux admirateurs de l’acteur. Pour un film diffusé dans à peine plus d’une centaine de cinémas en tant qu’apéritif à une véritable sortie vidéo, le résultat n’est pas trop mauvais. Même si on est décidément sous la moyenne, le tout reste préférable à Taken 2.
Un constat légèrement plus optimiste s’impose pour Safe [Saine et sauve], troisième film de protection familiale du trimestre. On avouera que le terme « familiale » est un peu généreux pour décrire Safe. Après tout, aucun lien de famille n’unit le dangereux ex-policier joué par Jason Statham à la jeune fille d’origine chinoise qui a manifestement besoin de sa protection. Mais la relation qui se développe entre les deux alors qu’il la protège de criminels et policiers corrompus dépasse la simple amitié. À la fin du film, ils en sont venus à se tirer mutuellement du pétrin si souvent qu’ils sont devenus une famille.
Si cette conclusion paraît un peu trop sentimentale, le reste du film ne l’est pas du tout. On y découvre initialement Statham en sans-abri sans ressource. La jeune fille est quant à elle conseillère pour les triades en raison de sa prodigieuse mémoire pour les chiffres. Quand elle est contrainte de mémoriser un long chiffre mystérieux, c’est tout le New York interlope qui part à ses trousses. Arrivé au hasard au milieu de tout cela, Statham s’avère plus compétent que le suggèrent ses vêtements défraîchis et il réussit à manipuler la situation à son avantage… tout en assurant la survie de sa nouvelle charge.
Safe est, à plusieurs égards, « un autre film de Jason Statham », dans la longue lignée qui a établi sa réputation en tant qu’un des héros d’action contemporains les mieux cotés depuis The Transporter. Il y joue à nouveau un dur de dur, capable de comploter autant que de tabasser. Deux séquences d’action quasi subjectives remarquables viennent rehausser le niveau d’un film autrement assez ordinaire: le réalisateur Boaz Yakin sait utiliser les éléments à sa disposition, et Safe offre quelques occasions supplémentaires de surprendre. En plus du nombre invraisemblable de cadavres laissés derrière par les affrontements du film, la conclusion est enjolivée par un combat longtemps annoncé mais auquel on coupe court par un gag inusité. Sans passer à l’histoire, Safe se démarque occasionnellement de la masse. Combiné à une conclusion qui a de quoi réconforter tout le monde, ça aurait pu être pire.
Grand maître déboulonné
Même plus de trente ans après son décès, l’ombre d’Alfred Hitchcock continue de dominer le cinéma à suspense. C’est lui qui a codifié nombre de techniques et philosophies du genre, et c’est pourquoi Camera oscura a longtemps été chapeauté de sa silhouette iconique. Encore aujourd’hui, son influence continue d’inspirer nombre de réalisateurs… à un point tel qu’on a récemment vu pas moins de deux films s’intéresser à lui, chacun recréant la réalisation d’un film-clé de son œuvre pour s’intéresser au personnage et aux relations qu’il entretenait avec les femmes de son entourage. L’un d’entre eux fait d’Hitchcock le héros d’une comédie romantique maritale; l’autre dépeint le cinéaste comme un harceleur digne d’être l’antagoniste d’un de ses propres films.
La plus ordinaire des deux productions est sans doute Hitchcock [v.f.], film à budget moyen mettant en vedette Anthony Hopkins dans le rôle du cinéaste et Helen Mirren dans celui d’Alma Reville, épouse de celui-ci. Film librement inspiré de l’essai Alfred Hitchcock and the Making of Psycho de Stephen Rebello, l’intrigue profite des événements entourant la réalisation de Psycho pour donner un aperçu des méthodes et de la psychologie particulière du réalisateur. Hopkins adopte avec joie la cadence verbale distinctive de son sujet d’étude, livrant ses dialogues avec un roulement prononcé et profitant de chaque bonne réplique accordée. (« That, my dear, is why they call me the Master of Suspense », dit-il à propos d’un compliment longtemps attendu, récoltant le plus franc rire du film.) La réalisation de Psycho est décrite avec moult détails, faisant comprendre jusqu’à quel point le film représentait un risque pour Hitchcock et se démarquait de ce qui précédait en matière de film à suspense.
Mais ceux qui sont familiers avec le livre de Rebello constateront rapidement qu’Hitchcock n’est pas particulièrement fidèle à ses origines. Comme tout film hollywoodien qui se respecte, cette bio-fiction adopte sans scrupule une structure en trois actes qui met l’accent sur un aspect à peine perceptible du livre d’origine: d’exposé documentaire qu’il était sur papier, Hitchcock devient à l’écran une comédie romantique durant laquelle le réalisateur et son épouse passent des moments difficiles avant de se rendre compte qu’ils sont parfaits l’un pour l’autre. De plus, les événements entourant la réalisation de Psycho s’avèrent une charpente sur laquelle le scénariste se sent obligé de mentionner, obliquement ou ouvertement, tout ce qui doit être dit sur l’ensemble de la carrière d’Hitchcock.
L’effet n’est pas toujours habile. La dynamique entre Hitchcock et son épouse semble modifiée, au point de suggérer l’adultère, tout comme les moments où l’intrigue s’interrompt pour permettre de commenter l’ensemble de la carrière d’Hitchcock. (« Je n’ai jamais reçu un Oscar », se lamente le réalisateur). Pour une raison ou une autre, le scénariste montre à quelques reprises Hitchcock en discussion avec une vision imaginée du meurtrier Ed Gein et lui fait manier le couteau durant le tournage de la célèbre scène de la douche… peu importe l’atonalité de telles séquences. Le tout semble décidément « arrangé avec le gars des vues », au sens le moins subtil de l’expression. On ne boudera tout de même pas tout le résultat. Les férus de Hitchcock ou bien de films portant sur le Hollywood d’antan y verront une recréation potable du personnage et de son époque, avec suffisamment de moments forts (telle une séquence où Hitchcock mime une orchestration macabre en écoutant un public qui réagit au film) pour récompenser des attentes modestes.
En comparaison, The Girl [v.o.a.] est un tout autre film… qui montre plutôt Hitchcock non pas comme un génie brusque mais ultimement sympathique, mais plutôt comme un harceleur sexuel pas si différent des antagonistes de ses propres thrillers. Le film est basé sur l’autobiographie de l’actrice Tippi Hedren, qui avait profité de ses mémoires pour peindre un portrait extrêmement négatif du réalisateur. Téléfilm à petit budget pour la BBC et HBO, The Girl se donne tout de même la mission de recréer la réalisation de The Birds. Ici, c’est Toby Jones qui incarne Hitchcock, lui donnant un air repoussant pour refléter l’inquiétude progressivement générée par le personnage. Sienna Miller incarne Hedren, et le film reflète carrément sa version des faits. Pendant les tournages de deux films (The Birds et Marnie), Hitchcock passe des blagues salées à une tentative d’agression sexuelle puis à une campagne de harcèlement prolongée envers la jeune mère célibataire. Son obsession est tellement maladive qu’il en vient à soumettre l’actrice à de réelles blessures et tourments psychologiques lors du tournage de The Birds. Bref, Hedren la victime et Hitchcock le psychopathe… The Girl devient un thriller digne de ce nom.
Inutile de dire que l’accueil du film n’a pas été unanime. Plusieurs autres actrices ayant tourné avec Hitchcock (dont Eva Marie Saint et Kim Novak) ont tenu à préciser que leurs expériences ne ressemblaient en rien à celle décrite par Hedren, alors que d’autres biographes spécialisés ont écrit regretter la présentation monocorde d’un homme nettement plus complexe. D’un point de vue purement cinématographique, le petit budget du téléfilm, son rythme inégal et sa réalisation plutôt pédestre auront de quoi refroidir toute ardeur pour le film.
En revanche, son visionnement s’impose comme point de comparaison avec Hitchcock, et il y a de quoi admirer l’audace conceptuelle qui transforme le réalisateur en antagoniste. Les acteurs se débrouillent bien (et ce, même si le Hitchcock de Jones n’est pas aussi réussi que celui de Hopkins) et l’aperçu derrière les scènes d’une production hollywoodienne des années soixante, même à petites doses, aura de quoi faire plaisir aux cinéphiles.
Personne ne pense que Hitchcock aurait été ravi de l’existence de tels regards sur lui… mais il est possible de l’imaginer ricanant jovialement devant l’ironie de devenir un héros romantique, puis un antagoniste. Chose certaine, sa réputation d’homme remarquable sera renforcée par ces deux regards bien différents.
Exploitation respectable
Pour le cinéphile blasé (ce qui décrit bien l’auteur de Camera oscura et une bonne partie de son lectorat), la sortie de n’importe quel film de Quentin Tarantino est un événement à ne pas manquer. Le cinéaste américain a beau ne pas faire l’unanimité, ses films offrent habituellement une oasis de pure compétence cinématographique au milieu d’un désert de tâcherons. Ses dialogues fleuris, son sens de la mise en scène débridée, son habileté à faire exploser les conventions reconnues et son humour particulier ont fait bien des adeptes.
Avec Django Unchained [Django déchaîné], Tarantino s’attaque au western… ou plutôt au « southern » puisque l’essentiel de l’action se déroule dans le sud des États-Unis un peu avant la guerre civile américaine. C’est là qu’un esclave affranchi (l’on-ne-peut-plus-cool Jamie Foxx) s’allie avec un justicier antiesclavagiste allemand (Christophe Waltz, dans une autre performance impeccable) pour secourir sa femme des griffes d’un vil « gentleman » sudiste (Leo DiCaprio, dans un rare rôle perfide). Évidemment, Tarantino se livrant à ses excès habituels, Django Unchained s’avère être un hommage à la vengeance – tels les Américains se vengeant des nazis dans le précédent Inglourious Basterds, ici ce sont les esclavagistes qui en prennent pour leur rhume. À la fin de Django Unchained, le public est sur ses pieds, applaudissant une réécriture tellement satisfaisante de l’histoire.
Chose certaine, le plaisir de visionnement est au rendez-vous. Les talents de cinéaste de Tarantino ne sont plus à prouver, celui-ci manie parfaitement la grammaire cinématographique et Django Unchained est, à nouveau, une démonstration de pur cinéma menée de main de maître. Qu’il s’agisse de longues séquences ininterrompues, de dialogues délicieux qui ne sont pas exclusivement moteurs d’intrigue, de la façon inusitée de présenter des scènes familières, Tarantino pose sur les choses un regard différent et pourtant accessible. Pour le cinéphile capable de tolérer ses excès de violence, Django Unchained demeure un plaisir du début à la fin.
Mais attention : Tarantino s’avouant fièrement inspiré du camp du cinéma d’exploitation, son film ne lésine pas sur un portrait cru de la violence infligée aux esclaves dans les plantations sudistes. Les esclaves servent et vivent selon le bon vouloir des esclavagistes et Django Un chained comporte beaucoup de scènes où gicle le sang (de manière exagérée, comme le veut la tradition des films d’exploitation). Il ne s’agit pas pour autant d’excès purement gratuits.
Car au royaume des films traitant de l’esclavage, nombreuses sont les œuvres soi-disant sérieuses qui évitent pourtant de montrer de manière viscérale toute l’horreur du système esclavagiste, à commencer par des sévices corporels bien réels. Django Unchained a côtoyé au cinéma le très sérieux drame spielbergien Lincoln, et les deux films n’auraient pas pu être plus différents malgré leur propos anti-esclavagiste commun. Alors que Tarantino montre des esclaves se faisant fouetter, battre à mort, enfermer dans une boîte de métal exposée en plein soleil, voire même dévorés vifs par des chiens, Lincoln discute d’esclavagisme en termes politiques, abstraits, voire philosophiques. Lincoln est supposé être respectable alors que Django Unchained n’est pas censé l’être – pourtant, lequel de ces films laisse l’impression la plus viscéralement négative de ce triste pan de l’histoire américaine? Exact: le film soi-disant exploitatif; celui qui livre ultimement le triomphe aux opprimés.
Évidemment, impossible de parler de tels enjeux sans mentionner les multiples controverses qui ont entouré la parution du film. Aux États-Unis, l’esclavage plane toujours comme un oiseau de malheur au-dessus de toutes les discussions au sujet du racisme. Qu’un blanc comme neige (génétiquement, pas nécessairement culturellement) tel Tarantino puisse obtenir le financement requis et la latitude nécessaire pour mettre à l’écran une épopée anti-esclavagiste a certainement de quoi déplaire aux cinéastes noirs œuvrant pour présenter des projets similaires selon leur perspective. De quel droit Tarantino s’approprie-t-il un tel héritage culturel? Est-ce approprié de réaliser un crowdpleaser sur un sujet toujours aussi délicat? Ultimement, tous auront à répondre à ces questions à leur manière – en voyant les choses avec optimisme, soulignons que Django Unchained a tout de même remis à l’agenda culturel contemporain une discussion sur l’esclavagisme que d’autres films n’ont su susciter. À en croire les commentaires lus sur Internet, spectateurs noirs et blancs se sont retrouvés unis dans leur appréciation de la vengeance de Django envers non seulement un esclavagiste pervers, mais tout un système abrutissant.
De quoi faire réfléchir sur le rôle que peut occuper le cinéma sombre en général, et le cinéma d’exploitation en particulier…
Pas tout à fait des épopées criminelles
Crimes et leçons d’histoire ont longtemps fait bon ménage au cinéma hollywoodien. Reflétant sans doute un pays avec un riche héritage criminel, l’attrait de retourner dans le temps pour décrire des épopées criminelles demeure entier, même de nos jours. L’ère de la Prohibition continue de fasciner les foules, et l’influence de la pègre sur l’Amérique de l’après-guerre n’est pas sans un certain intérêt. Le hors-la-loi continue de séduire autant qu’il repousse, en autant qu’il soit valeureux et ne s’attaque pas à des innocents, qu’il lutte contre des lois injustes et qu’il cherche à améliorer son sort et celui de ses proches. Quand le criminel transgresse ces règles élémentaires, il devient une cible… et les héros sont ceux qui doivent le pourchasser par tous les moyens pour rétablir l’ordre social.
Rien de plus naturel, alors, que de voir se succéder au grand écran deux films agissant comme une machine à remonter dans le temps. Deux films au scénario enrobé de narration en voix off, comme pour prêter un air grave à des aventures parfois frivoles, et ce, malgré les moments de violence impitoyable. Entre les bootleggers héroïques de Lawless et les policiers déchaînés de Gangster Squad, il y a de quoi se farcir un petit cours d’histoire criminelle au vingtième siècle… même si les deux films enseignent souvent les mauvaises leçons.
Lawless [Invincibles] est probablement le film le plus respectable de ce duo. Prenant pour propos les aventures de bootleggers de la Virginie durant la Prohibition des années trente, Lawless laisse la vedette aux trois frères Bondurant. L’aîné (Tom Hardy, laconique et menaçant à souhait) est incontestablement le chef de la bande, profitant de sa station-service comme couverture pour son véritable gagne-pain illicite, et ayant un penchant pour la violence nécessaire à toute entreprise criminelle. Quand le frère cadet (Shia LaBoeuf) décide de partir à son propre compte, les ennuis se multiplient… surtout quand arrive en ville une jolie jeune femme au passé trouble (Jessica Chastain) et un policier (Guy Pearce) aussi incorruptible que répréhensible. Si les frères protagonistes sont en mesure de négocier avec les policiers locaux, le nouvel arrivé au poste n’est pas raisonnable… et son badge cache un sadisme vite exposé.
Lawless n’est pas un mauvais moment à passer en compagnie de sympathiques brigands. L’atmosphère de l’époque est bien rendue, et la brochette d’acteurs assemblés pour l’occasion est tout de même remarquable. L’époque de la Prohibition, telle que perçue en milieu rural, a un certain charme d’antan et le film décrit avec une certaine affection les agissements de « trois bons gars » nettement moins répréhensibles que leurs rivaux criminels ou policiers. Si le tout donne l’impression d’un hommage aux frontières de l’hagiographie, ce n’est pas accidentel: après tout, Lawless est basé sur une bio-fiction, The Wettest County in the World, écrite par Matt Bondurant – le petit-fils d’un des protagonistes.
Cette glorification des criminels n’est pas, cependant, sans laisser un mauvais arrière-goût. Alors que se succèdent les épisodes violents, le film n’est pas aussi fluide, aussi rythmé, aussi clairement réussi que ne l’espèrent les cinéastes. La patine nostalgique sur les aventures des frères Bondurant est confortable en début de film mais ne fait rien par la suite pour contrecarrer la scénarisation plutôt ordinaire du film. Le tout reste un peu trop retenu, un peu trop ordinaire, un peu trop ennuyeux, en fait, étant donné les éléments disponibles pour le réalisateur. Lawless vise la portée quasi mythique de films tel que The Godfather, mais doit se contenter de livrer un divertissement acceptable. Ce qui n’est tout de même pas rien.
Lawless essaie au moins de livrer un peu de substance et profite d’un ton généralement contrôlé. Ce n’est pas vraiment le cas de Gangster Squad [Escouade gangster], qui hésite trop longtemps avant de trouver ses meilleurs moments en un quasi-pastiche des films de gangsters classiques. Le tout commence à Los Angeles à la toute fin des années quarante. Les policiers locaux, souvent des vétérans de la Deuxième Guerre mondiale, voient d’un mauvais œil la montée du gangster Mickey Cohen, qui est en bonne voie de former une pègre locale aussi pernicieuse que celles des villes de l’est du pays. La gangrène a atteint le service policier; le maire ne sait plus à qui se vouer. Les agissements d’un policier particulièrement incorruptible font en sorte qu’il se trouve chargé d’une mission secrète : assembler une équipe pour s’attaquer à Cohen avant qu’il ne mette la main sur la ville. Tous les moyens sont permis, y compris ceux qui échappent aux bonnes procédures policières.
Par moments, Gangster Squad s’avère fort satisfaisant, surtout lorsqu’on le considère au deuxième degré. Après tout, le film semble parfois recréer un type de cinéma complètement révolu: les films anti-gangsters, si près de la propagande, qui avaient fait les beaux jours d’Hollywood. Quand s’assemble ladite « Escouade Gangster », les rôles sont tellement basés sur des archétypes, les sous-intrigues tellement classiques, les enjeux tellement présentés en noir et blanc que l’on se met à soupçonner la parodie, ou au moins l’hommage intentionnel. Faut-il rigoler ou apprécier des répliques crachées du type « Go back to Chicago and tell them what you saw tonight. You tell them that Los Angeles belongs to Mickey Cohen! »? Avec un visage pince-sans-rire et des ficelles narratives que l’on croyait à la retraite, Gangster Squad mord dans un sujet classique, presque cliché. Le résultat aurait dû être bien plus satisfaisant.
Car si certains des meilleurs moments du film sont effectivement ceux où il semble s’abandonner à son propre ridicule surfait, le ton est inégal. Les décisions des personnages sont inexplicables, le film tente sans succès de faire appel à un drame plus sérieux, les moments comiques plus francs viennent miner le pastiche, les situations sont complètement invraisemblables… et c’est sans compter l’inexactitude historique flagrante du tout. Gangster Squad est inspiré tellement librement de son matériel d’origine (Tales from the Gangster Squad de Paul Lieberman) qu’il contredit même un résumé essentiel du livre. (Entre autres inexactitudes assez évidentes, le gangster Mickey Cohen ne fut jamais appréhendé pour meurtre par l’escouade gangster, mais a fait de la prison pour évasion fiscale une dizaine d’années après l’époque du film.)
Ajoutons à cela le manque d’introspection de la rectitude morale de policiers livrés à eux-mêmes et Gangster Squad a parfois l’air d’une bande dessinée… ce qui suggère une autre approche qui aurait pu profiter au film: oublier la respectabilité, minimiser les moments dramatiques, mordre à pleines dents dans le pastiche et s’en donner à cœur joie pour présenter un film intentionnellement décalé de la vérité et aussi débridé que possible, au risque de recréer une autre version de Dick Tracy. Les meilleurs moments de Gangster Squad sont déjà dans cette veine, alors pourquoi ne pas doubler la mise?
Ceci dit, Gangster Squad n’est tout de même pas sans offrir sa part de petits plaisirs. Le Los Angeles de 1949 est vivement recréé avec couleurs et énergie. La brochette d’acteurs réunis pour l’occasion est souvent fort sympathique à contempler, entre le charme mutuel de Ryan Goslin et Emma Stone (des acteurs qui parviennent, par pur charisme, à triompher d’une sous-intrigue romantique mal conçue), la mâchoire carrée de Josh Brolin en quasi-superhéros, l’agressivité maniaque de Sean Penn comme Mickey Cohen ou bien le toujours fiable Michael Peña dans un petit rôle remarquable. L’humour est souvent au rendezvous, et les détails d’époque font plaisir à contempler. Hélas, rien de tout cela ne réussit à faire en sorte que ce film arrive tout à fait à la hauteur de son potentiel. Comme quoi il n’est plus suffisant de présenter des policiers luttant contre des gangsters pour obtenir la bénédiction populaire.
Bientôt à l’affiche
L’été est habituellement une bonne saison pour les aventures futuristes et les fantaisies super-héroïques, les thrillers devant attendre leur tour pendant la saison froide. Néanmoins, la saison estivale 2013 comporte son lot de matériel intéressant pour le cinéphile en mal de suspense. Qu’il s’agisse de l’action de Fast & Furious 6, des retournements dramatiques de Now You See Me, des rires faciles de The Heat, de l’aventure western de The Lone Ranger, des partenaires dépareillés de 2 Guns ou de la combinaison action/comédie de Red 2, Camera oscura ne sera pas sans matériel durant la saison creuse. En attendant de voir ce qui mérite d’être vu, bon cinéma!