Camera Oscura 33

Christian Sauvé

Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 1.1Mo) d’Alibis 33, Hiver 2010

Alors que s’achevait la première décennie du vingt et unième siècle, un seul thème a hanté Camera oscura : celui de l’originalité. Reflet d’un critique blasé, d’une industrie hollywoodienne en manque d’idées ou simplement de films sans distinction se bousculant en salle durant l’automne 2009, cette chronique examinera la question sous huit angles différents. Qu’il s’agisse de bien suivre des formules, de satisfaire des attentes évidentes, de tordre légèrement des prémisses connues ou d’expérimenter franchement, les films du trimestre permettent de trancher lorsque vient le moment d’expliquer quand l’originalité est prisée… et quand elle n’est pas nécessaire.

Zéro degré d’originalité

Au cinéma, la façon la plus évidente de manquer d’imagination est de présenter à nouveau une intrigue familière. On ne compte plus les polars où des policiers doivent affronter un tueur en série, ou bien les thrillers durant lesquels des quidams découvrent une terrible conspiration qui les oblige à fuir. De telles intrigues sont non seulement familières, mais éprouvées : en se fiant à ces formules, les scénaristes risquent peu et rejoignent un public qui sait à quoi s’attendre – un public qui comprend également producteurs, techniciens et acteurs susceptibles de s’investir pour transformer le scénario en film.

 [Couverture] C’est pourquoi il n’est pas surprenant de revoir, à une énième reprise, une histoire où un jeune protagoniste se rend compte qu’une menace mortelle couve au sein du foyer familial. The Stepfather [Le Beau-père] a au moins la franchise de reconnaître ses sources d’inspiration. C’est un remake avoué d’un thriller du même titre de 1987, alors scénarisé par Donald E. Westlake et librement inspiré du meurtrier John List : un jeune homme découvre, lors de son retour à la maison après un exil involontaire, que sa mère, divorcée, a rencontré un nouvel homme et que celui-ci semble tout à fait disposé à remplacer son père. Mais les agissements suspects du beau-père éveillent en lui des soupçons. Le public, lui, sait déjà tout grâce à un prologue montrant l’homme en question fuyant une maison où il a assassiné le reste de sa famille. Le drame est sur le point de se répéter, surtout quand le jeune homme commence à percer les secrets du nouvel homme de la famille…

Entre d’autres mains plus compétentes, peut-être qu’il y aurait eu moyen d’en tirer mieux qu’un thriller qu’on oublie immédiatement. Après tout, la possibilité d’un assassin domestique n’est pas sans causer des frissons naturels, et l’idée d’un beau-père meurtrier cadre parfaitement avec l’anxiété suscitée par l’arrivée d’un étranger en plein cadre familial reconstitué. On remarquera la performance tantôt sympathique, tantôt glaçante de Dylan Walsh dans le rôle-titre, et quelques astuces superficielles de scénarisation (téléphones cellulaires, accès Internet, couple gai) qui donnent un air contemporain à une histoire qui aurait pu rester figée dans les années quatre-vingt. La réalisation livre la marchandise, ce qui est une façon comme une autre de dire que les plus grands problèmes du film ne sont pas là.

Non, pour cela il faut plutôt regarder du côté du scénario, qui livre évidence après évidence. Un seul visionnement de la bande-annonce révèle tout de la structure narrative du film, qui s’annonce sans surprises après le prologue, où sont immédiatement révélées les habitudes homicidaires du beau-père. Le film avance à petits pas annoncés d’avance, jusqu’à la séquence finale où s’affrontent héros et meurtrier pas si futé… Un seul épilogue inusité récolte une parcelle d’attention, mais provoque autant de dégoût que d’inquiétude : The Stepfather n’est tout simplement pas assez bon pour mériter une finale de la sorte. Le reste du temps, on assiste à un film fait sur mesure pour combler un trou de programmation : celui du thriller domestique destiné aux spectateurs plus jeunes et moins blasés. Dans le même sous-genre, peu de gens se souviennent de Mr Brooks ou bien de When A Stranger Calls… et personne ne se souviendra bien longtemps de The Stepfather.

 [Couverture] En revanche, on sera un peu plus indulgent envers Ninja Assassin [vf], et cela même si le film s’avère déterminé à éviter la moindre déviation originale. Le titre tout à fait générique (et redondant) du film annonce à lui seul la fidélité de l’œuvre à tout un genre cinématographique. Car le scénario (apparemment réécrit en catastrophe par J. Michael Straczynski à partir d’un concept de Matthew Sand) se veut un hommage à toute la tradition du film de ninjas. D’où l’enchaînement de clichés, de situations familières et de dialogues obligatoires. D’où l’intrigue prévisible et la structure évidente. En choisissant Ninja Assassin, ne vouliez-vous pas un film de ninjas ? Pourquoi pas un concentré des films de ninjas ?

Inutile de rouler des yeux, alors, quand une agente d’Interpol découvre une conspiration mondiale impliquant une école d’assassins ninjas aux pouvoirs quasi surnaturels, dont un renégat qui tentera de la protéger contre les représailles qui en ont fait taire bien d’autres avant elle. Il sera également trop tard pour critiquer les longs retours en arrière décrivant la romance tragique entre le renégat et une camarade de classe, ou bien son antipathie envers le cruel maître qui leur a tout enseigné. Nous avons affaire, après tout, à l’intrigue archétypique du film de ninjas. Ceux qui ont passé leurs années collégiales à se taper un flot interminable de films d’arts martiaux asiatiques seront instantanément comblés.

Il est heureux, bien sûr, de voir un réalisateur compétent aux commandes d’un tel scénario : James McTeague (V for Vendetta) sait faire bouger les choses durant ses scènes d’action et, même si elles s’articulent un peu trop sur un montage saccadé, des trouvailles répétées, des plans sombres et des effets spéciaux numériques évidents aident à faire passer la pilule entre deux scènes de dialogues ordinaires. Là où le film perd de son charme, hélas, c’est dans la surutilisation grotesque de la violence sanguinolente. Là aussi, en hommage à une tradition de films d’arts martiaux, Ninja Assassin aura de quoi déplaire à plus d’un spectateur de par ses excès. Ici, personne n’est transpercé par une épée quand il peut être décapité, démembré, éviscéré ou simplement tranché en deux. C’est un film coté dix-huit ans et plus pour de bonnes raisons : même les plus blasés auront de quoi regretter les explosions de tripes toutes les dix minutes.

Mais pour ceux qui attendaient une version hollywoodienne des films de ninjas, parions que Ninja Assassin saura répondre aux attentes. La performance de la pop-star coréenne Rain comme protagoniste est respectable, tout comme l’énergie de la réalisation. Même l’accumulation de viscères au plancher est une façon comme une autre de distinguer les fans de ceux qui ne devraient pas regarder le film. Jusqu’à un certain point, le secret d’un film réussi n’est-il pas dans l’atteinte de ses propres objectifs ? Ninja Assassin n’ira pas nécessairement rejoindre un large public, mais celui ciblé sera comblé.

Satisfaire les fans

« Rejoindre les attentes d’un public » n’est pas optionnel lorsqu’il s’agit d’adapter des personnages déjà connus au grand écran. Qu’il s’agisse d’une simple suite ou bien d’une autre adaptation cinématographique de personnages connus dans d’autres médiums, il suffit de répondre aux attentes des fans pour s’assurer, au moins, de leur enthousiasme. Évidemment, il faut savoir bien identifier son public cible.

Parfois, ce public est extrêmement précis. Il n’y a pas de honte, par exemple, à ne pas avoir vu passer The Boondock Saints en salle : la sortie du film en 2001 fut presque confidentielle, et son succès n’est venu que sur DVD, où il est devenu un film-culte chez un certain public mâle, jeune et assoiffé de comédies criminelles. Les mêmes traits qui avaient déplu aux critiques (c’est-à-dire l’humour indulgent, l’apologie du vigilantisme et les séquences d’action conçues avec plus de souci pour le cool que pour la vraisemblance) se sont avérés ceux qui ont rejoint les fans du film. Avec les années, ce public s’est agrandi à un point tel qu’une suite semblait devenue un pari commercial raisonnable. D’où la sortie dans quelques salles d’une suite à un film que pratiquement personne n’a vu au grand écran.

 [Couverture] Le succès-culte de Boondock Saints fait en sorte que sa suite ne semble avoir aucun scrupule à calquer les meilleurs éléments de l’original. Mis à part l’effet de déjà-vu, la timidité de Boondock Saints 2 : All Saints’ Day [voa] à innover ne s’avère pourtant pas une mauvaise stratégie pour plaire aux fans. Comme dans le premier film, les deux frères devenus vigilants se mettent à exterminer l’élément criminel de Boston, ce qui attire l’attention d’un agent spécial du FBI qui vient enquêter sur le cas et déconstruit les scènes de crime dans un effort pour comprendre la psychologie des deux héros-assassins. La suite donne un nouvel assistant aux protagonistes et remplace brillamment William Defoe par Julie Benz comme agente du FBI à leurs trousses, mais garde autrement la formule, au point de recréer des scènes analogues à celles du premier volet. Certains personnages pourtant décédés font même quelques brèves apparitions pour plaire au public.

Ceux qui n’avaient pas du tout apprécié le premier film ne seront pas convaincus par celui-ci. Les héros-justiciers éliminent la racaille bostonienne de manière spectaculaire, se font pourchasser par des policiers qui finissent par devenir complices, et les divers « assassinats » ne sont à nouveau que prétextes à des séquences d’action au cool recherché. Aucun questionnement moral n’est suggéré pour les bons tueurs, et le tout n’est pas sans évoquer une certaine immaturité convaincue que les intentions prennent le dessus sur les moyens employés pour y arriver. Ce n’est pas un hasard si un des personnages s’imagine temporairement en cow-boy tirant avec deux pistolets à la fois : pow-pow !

Pourtant, le film correspond exactement aux exigences de ceux qui en attendaient la sortie. L’humour (plus rude, homophobe et raciste que dans l’original) n’est jamais trop loin, tout comme la fausse grandeur opératique des thèmes religieux saupoudrés à travers le scénario. Les acteurs, tous de retour, incarnent leurs rôles avec guère plus que quelques kilos supplémentaires, et la réalisation s’avère tout aussi modestement inventive. The Boondock Saints 2 n’obtiendra jamais le respect, mais c’est une comédie criminelle qui apporte la satisfaction… à ceux qui avaient aimé le premier film. Il y aura sans doute un autre volet.

 [Couverture] Le cas de Sherlock Holmes [vf] est tout autre, car les admirateurs purs et durs du personnage risquent de laisser tomber leur monocle de stupéfaction vu ce que l’on en a fait… d’autant plus qu’ils ne sont pas le public cible du film. Il est plus juste de parler d’une tentative d’adaptation du personnage de Holmes au paradigme du blockbuster hollywoodien, au service non pas des « Sherlockophiles » mais de la masse prête à se taper un divertissement générique.

Considérez seulement que ce Sherlock Holmes, tel qu’interprété par Robert Downey Jr., est un pugiliste capable de prévoir l’impact médical de ses coups sur ses adversaires. Qu’il entretient avec Watson (Jude Law) une relation de vieux colocataires qui plaira sans aucun doute aux amatrices de fan-fiction slash en voyant l’un dans les bras de l’autre. Qu’ensemble, ils courent à travers une Londres à saveur steampunk rétro-industrielle, évitant explosions et tentatives d’assassinats pour déjouer un vaste complot contre le parlement anglais. Que Holmes, toujours aussi fin détective, semble accumuler les défauts d’un chenapan, soit un penchant pour les femmes, l’alcool, le jeu et les cheveux à peine brossés… Là aussi, inutile de chercher trop loin les attentes du public de masse : un personnage infiniment intelligent n’est acceptable que s’il a les failles de caractère d’un gentil délinquant…

Mais bon, inutile de répéter l’évidence, à savoir qu’il s’agit moins d’une adaptation cinématographique de Holmes (la première depuis Young Sherlock Holmes en 1985) que d’un buddy-movie victorien. Le résultat, faut-il dire, n’est pas si mal : Downey est un Sherlock Holmes superhéroïque irrésistible, les détails d’époque créent une atmosphère crédible et le tout avance à un bon rythme malgré une durée de plus de deux heures. Le réalisateur Guy Ritchie garde une bonne partie de ses tics visuels sous contrôle et laisse une belle place au travail de son cinématographe et de ses acteurs. L’intrigue n’est pas particulièrement sophistiquée et finit par dépendre d’une série de coïncidences et d’incidents heureusement arrangés avec le gars des vues, mais on n’en attendait tout de même pas moins d’une vaste superproduction. Souvenez-vous du personnage ; oubliez l’intrigue.

Il faudra demander aux authentiques amateurs de Sherlock Holmes ce qu’ils ont pensé du film (ils se rappelleront sans doute que Holmes était, en fait, pugiliste), mais ce ne sont pas eux qui décideront du succès de Sherlock Holmes : ce seront tous ceux qui, cherchant un bon moyen de passer deux heures, seront intrigués par le film. Le public cible idéal n’est pas toujours le plus évident, surtout dans le cas d’un personnage dont l’archétype dépasse de loin le canon original qui lui a donné naissance.

Série B inusité

Il va sans dire que l’originalité est une qualité difficile à cerner. On dira ce que l’on veut contre l’industrie du cinéma, mais des décennies d’expérimentation ont révélé que certains thèmes, techniques et formules marchent mieux que d’autres : on ne tue pas un protagoniste sympathique impunément, et il est préférable de voir un héros se démener pour obtenir ce qu’il veut plutôt que de tout obtenir sans aucun effort ou mérite. L’originalité est parfois mieux cantonnée à une prémisse inusitée, ou à un assemblage d’éléments disparates. Et c’est sans compter comment ce qui peut être original pour un commentateur peut s’avérer n’être qu’une référence historique évidente pour un autre.

 [Couverture] Pour les cinéphiles ayant un intérêt pour les thrillers canadiens-français, par exemple, la prémisse inhabituelle d’Armored [Blindé] (un garde de sécurité se retrouve coincé dans une fourgonnette blindée au milieu de nulle part, entouré de ceux qui veulent le magot qui se cache également dans le camion) a de quoi rappeler Pouvoir Intime de Yves Simoneau. Impossible de voir le film sans comparer l’approche de cette même prémisse vue par des scénaristes différents.

Ceci dit, les comparaisons entre les deux films s’avèrent rapidement limitées. Armored ne rivalise pas avec la profondeur des personnages de Simoneau et n’a aucune intention d’être aussi dérangeant. À part ladite prémisse et certaines péripéties évidentes, peu de choses unissent les deux films. Reste donc à évaluer la production américaine selon ses propres termes : ceux d’un pur film à suspense de série B conçu pour répondre à un certain créneau démographique.

On reconnaîtra tout de même les ambitions précises du film : l’essentiel de l’intrigue commence au moment où butin et héros sont verrouillés dans la fourgonnette blindée et les voleurs sont à l’extérieur. Le film se termine peu après que cette situation soit bouleversée. Entre-temps, on a droit à une panoplie de tentatives d’un côté comme de l’autre pour prendre le dessus, y compris une poursuite automobile qui tourne en rond, une tentative d’activer les sirènes du camion, l’arrivée violente d’une tierce partie et l’enlèvement attendu d’un membre de la famille du héros pour faire monter la pression. Le scénario enchaîne mécaniquement les péripéties et ne peut échapper à quelques moments nettement moins convaincants (comme une longue excursion à l’extérieur du camion permise par quelque chose que les gardes vétérans auraient dû savoir bien avant le nouvel arrivé), mais le tout n’est pas nécessairement mauvais. Tout simplement ordinaire et sans distinction.

Entre Matt Dillon, Jean Reno, Lawrence Fishburne et Fred Ward, Armored peut également compter sur une distribution intéressante des rôles, tout comme sur sa cinématographie, qui réussit à donner un peu d’intérêt visuel à l’intérieur de l’usine où se déroule l’essentiel du film. En réalisation, comme partout ailleurs, Armored ne peut échapper aux limites de la compétence… Si le film n’est pas particulièrement mauvais, il n’est pas très inspiré non plus. La prémisse inusitée reste ainsi la marque de distinction du film, ce qui fera sans doute plaisir au scénariste et laissera les curieux devant un choix facile : si le postulat de départ intrigue, autant voir le film. Sans quoi…

 [Couverture] Car même les prémisses originales peuvent être malmenées. On n’a qu’à examiner le cas désolant de Law Abiding Citizen [Un honnête citoyen], un thriller prometteur qui tente de combiner trois types d’intrigues en une seule, avec un résultat qui ne plaira à personne.

La première piste d’intrigue du film est celle du père vengeur. Dès les premières minutes, nous voyons le protagoniste Clyde Shelton (Gerald Butler) survivre à un cambriolage brutal où meurent sa femme et sa fille. Les coupables sont finalement arrêtés, mais des manigances entre les criminels et l’avocat de la couronne Nick Rice (Jamie Foxx) font en sorte qu’un des coupables s’en tire presque sans conséquence. Dix ans plus tard, Shelton se venge, utilisant un plan compliqué pour torturer et tuer le criminel ayant échappé à la justice.

De nombreux autres films se termineraient à ce moment, mais Law Abiding Citizen ne fait que commencer. Et c’est là qu’une deuxième piste commence : Shelton est arrêté, mais semble en mesure de contrôler les événements en dehors de la prison alors que sa vendetta contre le système judiciaire se poursuit et que des gens respectables meurent (parfois spectaculairement) tout autour de Philadelphie. Maintes autres péripéties et révélations – Shelton était notamment un des cerveaux les plus prisés aux « opérations noires » de la CIA – mènent finalement à une troisième piste narrative où l’avocat Rice finit par affronter Shelton et l’empêcher de mener à bien sa croisade.

Un des nombreux problèmes avec Law Abiding Citizen, c’est que la loyauté du public, initialement du côté du père vengeur, ne trouve jamais un meilleur récipiendaire. L’avocat censé représenter la justice est à la fois trop terne et trop corrompu pour mériter l’étiquette de héros, si bien que l’on reste très longtemps avec l’impression que Shelton représente non pas l’antagoniste cruel, mais la victime astucieuse du film. Lorsque le tout se solde de manière longtemps anticipée, on reste avec le sentiment d’un film confus, d’une victoire accordée à la mauvaise personne. En tentant de brouiller autant de cartes, le scénariste Kurt Wimmer finit par entretenir la confusion.

L’autre grand problème du scénario est l’accumulation invraisemblable de plans sans cesse plus ridicules, de préparatifs précis à la seconde près, d’un manque d’attention flagrant de la part des personnages et d’un sadisme qui ne se manifeste que dans l’imagination d’un scénariste hollywoodien. En d’autres mots : on n’y croit jamais, même si l’agencement inusité des pièces avait le potentiel de mener à un film nettement plus intéressant. Quelques clarifications auraient pu renforcer les médiations des personnages sur le sens de la justice et ainsi donner un peu plus de poids aux actions des personnages. Mais entre drones de tir automatisés, multiples explosions automobiles, téléphones cellulaires explosifs et os à steak meurtriers, Law Abiding Citizen, pourtant bien réalisé, ne cesse de nous rappeler qu’il s’agit d’un autre film à suspense hollywoodien surchauffé, où le désir d’en mettre plein la vue a pris le dessus sur les qualités d’une bonne histoire bien racontée. Un jour, peut-être, un scénariste compétent en fera un remake mettant tous les éléments de l’intrigue dans le bon ordre, et le résultat sera nettement plus réussi.

Authentiques curiosités

La barre de l’originalité ayant ainsi été abaissée à un si bas niveau, il faut au moins avouer que certains films font un effort pour livrer quelque chose d’inusité.

 [Couverture] Prenons donc The Men Who Stare At Goats [Les Hommes qui regardent les chèvres], une comédie aux origines on ne peut plus inhabituelles. Non seulement s’agit-il d’une adaptation fictionnelle d’un essai documentaire du journaliste Jon Ronson, il s’agit également d’un film s’intéressant aux recherches en activités paranormales de l’armée américaine depuis la guerre du Vietnam.

Tout commence alors qu’un journaliste (Ewan MacGregor) décide d’aller faire du travail de terrain en Iraq. Attendant au Koweït son autorisation d’entrer en zone de guerre, il rencontre un bizarre individu (George Clooney) qui en connaît beaucoup sur les recherches paranormales des militaires américains. Le duo se dirigeant ensemble vers les combats, le film remonte dans le temps pour détailler les tentatives des militaires pour trouver une utilité aux pouvoirs psis. Les résultats sont… décevants : si une personne a (peut-être) (dit-on) (possiblement) réussi à tuer une chèvre en la regardant (d’où le titre du film), des années et des millions de dollars d’efforts pour former un hilarant New Earth Army Nouvel Âge finissent par ne produire aucun résultat tangible. Mais alors que le périple iraquien de nos héros ne s’annonce pas simple ou plaisant (kidnappés, ils parviennent à s’échapper lorsque leur convoi est coincé entre deux compagnies de mercenaires se canardant accidentellement), le journaliste finira par affronter personnellement les sombres résultats dérivés des efforts de recherche paranormaux.

Un autre bon candidat à l’étiquette du thriller géo-sardonique, The Men Who Stare At Goats est parfois ridicule, parfois tragique, parfois comique et parfois fascinant. Une bonne partie des informations recueillies par Ronson est romancée et présentée à l’écran, bien que Ronson reste ultimement beaucoup plus sceptique que le scénariste Peter Straughan au sujet des résultats obtenus par les programmes paranormaux. Ceci dit, un des thèmes principaux du film reste que même les idées les plus loufoques peuvent se transformer en applications plus sinistres. Une bonne partie des techniques de torture dites « douces » (désorientation par des insomnies délibérées, cacophonie constante, etc.) maintenant couramment employées doivent leur origine à l’idée d’avoir une armée plus « gentille ». À cet égard, le film s’avère un digne successeur au livre, sans pour autant pouvoir le remplacer.

Malheureusement, l’adaptation cinématographie a été faite à coups de masse, prenant un livre à l’originalité rafraîchissante et le martelant en buddy-movie très conventionnel malgré une chronologie inventive. Les dernières minutes empruntent aux comédies de bas étage, ainsi qu’aux documentaires d’affirmation Nouvel Âge pour présenter une conclusion optimiste à une enquête que Ronson laisse en suspens. L’aplanissement du relief du livre lors de son adaptation était prévisible, mais le résultat final laisse tout de même insatisfait. Le tout garde des relents d’originalité, mais n’allons pas chercher trop loin les recommandations.

 [Couverture] Ironie du sort, George Clooney est également au générique de l’autre sélection plus originale du trimestre. Il prête effectivement sa voix au protagoniste de Fantastic Mr. Fox [Fantastique Maître Renard], un film d’arnaque qui semble initialement trouver l’originalité dans sa présentation plutôt que son propos. Ceci dit, c’est une production de Wes Anderson, un scénariste/réalisateur qui reste inusité même lorsqu’il est à son plus conventionnel : son adaptation du livre pour enfants de Roald Dahl a beau représenter son film le plus accessible et sympathique jusqu’ici, ce n’en est pas pour autant un film hollywoodien typique.

Après tout, il s’agit d’une comédie tournant autour d’un renard ayant renoncé à sa vie de criminel pour s’occuper de sa famille. Mais l’attrait du risque est difficile à oublier et, après une longue pause, Fox recommence à planifier des cambriolages chez des fermiers environnants où la nourriture est disponible, délicieuse et prête à être subtilisée… Évidemment, les fermiers ne voient pas les choses d’un même œil, et les cambriolages de Fox finissent par attirer leurs foudres. Terrés loin sous la terre, Fox et ses amis animaux auront fort à faire pour convaincre les fermiers de les laisser tranquilles.

Clairement, ce n’est pas un film criminel ordinaire, et son exécution ne l’est pas non plus. Réalisé en animation image par image, Fantastic Mr. Fox ne ressemble pas du tout aux autres films présentement ou ayant été récemment à l’affiche, et cette originalité visuelle reflète les sensibilités idiosyncratiques qui ont conduit le film à terme. Anderson est passé maître dans l’art du rire inconfortable, et son plus récent scénario comporte nombre de moments inexplicablement hilarants, où des lignes de dialogue inattendues ou des développements inespérés surprennent le public et vexent les personnages. Sur le plan du scénario et de la réalisation, Anderson joue souvent avec des clichés de genre et c’est une des nombreuses raisons pour lesquelles, malgré ses personnages animaux et son ton bon enfant, Fantastic Mr. Fox n’est vraiment pas destiné aux spectateurs plus jeunes.

Le bémol est évident : si l’aspect visuel distinctif du film vous repousse, si les comédies inconfortables vous laissent songeur, si les références ironiques vous échappent, Fantastic Mr. Fox ne s’avère pas un bon choix. Peut-être, en fait, s’adresse-t-il plus aux critiques de cinéma complètement blasés après un trimestre de films tous aussi convenus les uns que les autres. Mais bon, l’originalité n’est jamais sans risque, et la surprise peut parfois s’avérer plus précieuse que la satisfaction. Mais peut-être s’agit-il là d’un sujet de discussion pour le prochain numéro…

Bientôt à l’affiche

Peu importe la rudesse de l’hiver 2010, il s’y trouvera au moins quelque chose pour réchauffer même les cœurs les plus noirs des amateurs de cinéma à suspense ! Pour ceux qui aiment leur cinéma bien sombre et criant d’actualité, il n’y aura sans doute rien de mieux que Green Zone, première réunion post-Bourne pour Matt Damon et Paul Greengrass. En registre plus fantaisiste mais non moins sombre, comptons sur Edge of Darkness, avec Mel Gibson comme père vengeur. Ceux qui ont lu Shutter Island de Dennis Lehane savent à quoi s’attendre avec l’adaptation de Martin Scorsese. Ceux qui ne se lassent jamais de voir des policiers au grand écran pourront choisir entre Brooklyn’s Finest, un drame réaliste à la distribution étonnante (Gere, Cheadle, Hawke, Snipes…) ou bien la comédie Cop Out, où Bruce Willis se débrouille sous la gouverne de Kevin Smith. Ceux qui préfèrent leur cinéma d’action moins sombre et plus divertissant se partageront la comédie d’espionnage From Paris With Love (John Travolta en espion expert) ou bien la comédie romantique The Bounty Hunter (Gerard Butler en chasseur de primes poursuivant son ex-femme). Finalement, même les plus jeunes auront de quoi se mettre sous la dent avec The Spy Next Door, une comédie pour enfants mettant en vedette Jackie Chan en espion devenu gardien d’enfant.

En attendant de voir ce qui sera original et ce qui le sera moins, bon cinéma !

Mise à jour: Janvier 2010

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