Christian Sauvé
Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 850Ko) d’Alibis 32, Automne 2009
C’est un trimestre de contrastes qui attendait l’amateur de cinéma à suspense à l’été 2009. Entre les films d’action fantaisistes et les quasi-documentaires d’un suspense insupportable, entre les éditoriaux acérés et les adaptations comiques de faits vécus, entre les thrillers pure-laine et les aventures se déroulant en milieux exotiques, la variété ne pouvait être qu’au rendez-vous. Pour vous laisser guider à travers ces choix, faites confiance à Camera oscura.
Accrocs à l’adrénaline
Le film d’action est unique au cinéma (parle-t-on souvent de « romans d’action « ?) et il s’agit d’une expérience poussée à un niveau surprenant de sophistication tant les poncifs du genre apparaissent maintenant incontournables. Pour un non connaisseur, cette sophistication peut être difficile à comprendre. La succession absurde de poursuites, de fusillades et de trahisons qui est présentée dans un film d’action typique aurait de quoi transformer n’importe quelle personne ordinaire en loque terrifiée. Le héros qui survit à une succession de périls mortels avec un sourire en coin expose donc son haut degré de pathologie suicidaire plutôt que son invincibilité. Tout cela sans compter les nombreuses entorses à la réalité auxquelles doivent sacrifier les cinéastes s’ils veulent satisfaire les attentes des audiences sans cesse plus blasées.
L’aboutissement de tels compromis entre vérité et spectacle fait en sorte que des films comme G. I. Joe : The Rise of Cobra [G. I. Joe : Le Réveil du cobra] échappent à la réalité et semblent de plus en plus artificiels. Structures géopolitiques, lois de la nature et gros bon sens y sont tout à tour ignorés : il s’agit avant tout d’une fantaisie mettant en vedette armes futuristes et effets spéciaux. Qu’attendre de plus d’une adaptation de jouets destinés aux jeunes adolescents quand Transformers a bel et bien donné le ton ?
La prémisse a au moins le mérite de ne pas camoufler ses intentions : alors qu’un cartel criminel aux armes hypersophistiquées subtilise des nano-bots capables de réduire une ville en poussière, une organisation tout aussi secrète recrute et s’organise pour éradiquer la menace grandissante. Réalisation de Stephen Sommers (qui ne cesse de péricliter depuis The Mummy et Van Helsing), G. I. Joe présente de l’action sans violence, se transformant presque en un manège pour plus ou moins jeunes hommes n’ayant jamais perdu l’envie de crier « Pow Pow ! «.
Par moments, G. I. Joe atteint ses objectifs : la meilleure séquence du film est sans aucun doute une poursuite effrénée à travers une Prague-imitant-Paris menacée par des nano-machines affamées, mettant en vedette des gros camions, un train, des exosquelettes super-chargés et un hélijet. Le rythme est un peu trop frénétique pour pouvoir souligner les moments les plus impressionnants, mais le tout est tourné de manière assez sentie, avec quelques longs plans qui permettent au spectateur d’apprécier les héros qui se poursuivent (en autant qu’il ignore certains effets spéciaux pour le moins imparfaits.)
Quel dommage que le reste du film ne s’élève pas à la hauteur de cette séquence. Entre les bavardages pseudo-romantiques navrants et la finale générique dont l’intérêt s’estompe au fil de son défilement, G. I. Joe incarne trop bien le blockbuster d’action typique contemporain : quelques bons moments dans un ensemble qui ne tient tout simplement pas debout, même avec des attentes modestes !
Par contre, quel agréable contraste quand The Hurt Locker [Démineur] côtoie G. I. Joe dans un même cinéma. Car là où le film de Sommers est une caricature sans conséquence, le retour au grand écran de Kathryn Bigelow se fait à l’intérieur d’un film de guerre exceptionnel, qui est aussi une étude psychologique des accrocs à l’adrénaline et une expérience magistrale de suspense au cinéma.
Le ton est donné dès les premières images quand une équipe de soldats américains stationnés à Bagdad s’affaire autour d’un engin explosif. Ce sont des démineurs et leur travail consiste à désamorcer des machines conçues pour tuer. Malgré l’emploi de technologies avancées, une mort dramatique attend leur chef d’unité. Celui qui vient le remplacer n’a rien de calme ou rassurant : William James (Jeremy Renner, brillant) est un vétéran de la guerre en Afghanistan et il ne s’anime que lorsqu’il baigne dans le danger. Et plus Bagdad devient dangereuse, plus James prend des risques inutiles, selon les deux hommes sous ses ordres, qui s’inquiètent pour leur propre survie.
Un résumé de l’intrigue ne peut qu’effleurer la demi-douzaine d’épisodes intenses qui forment l’essentiel de ce thriller extrêmement réaliste. Délibérément tourné avec caméra à l’épaule, presque sous la forme d’un documentaire, The Hurt Locker n’a aucune difficulté à convaincre de sa vraisemblance même quand les épisodes de plus en plus traumatisants s’accumulent, car au cours du film, on en vient à comprendre pourquoi James agit comme il le fait, après avoir cru au départ qu’il était l’homme le plus dangereux sur la planète. Ses expériences, qui dépassent tout ce que ses camarades pourraient tolérer, l’ont transformé en un homme incapable de vivre sans être entouré par la constante tension d’une zone de guerre.
Triomphe de la réalisation à petit budget, The Hurt Locker a de quoi surprendre, et il plaira même à ceux qui ont vu beaucoup de films de guerre. Conçu sans intention politique mais avec un souci du détail ambitieux, c’est certainement un des meilleurs films sur l’invasion irakienne à avoir été tourné, et un mélange admirable de cinéma d’action et de drame plus profond. Les quelques fautes du film, dont une deuxième moitié qui tire en longueur, sont loin d’annuler ses qualités, à savoir que les soldats ne sont pas des jouets et que les plus héroïques d’entre eux ne sont pas nécessairement les plus sains d’esprit. De quoi faire réfléchir lorsque se multiplient les explosions spectaculaires au grand écran.
Latitudes criminelles
Le film à suspense a l’avantage de nous faire oublier nos vies ordinaires, voire notre petit quotidien, et il peut même carrément nous dépayser, comme le font les deux prochains films qui nous amènent très, très loin des lieux habituellement fréquentés par les lecteurs d’Alibis.
Ou peut-être pas : un des attraits de Whiteout [Enfer blanc], c’est de voir Hollywood aborder un environnement où neige, vent et glace dominent le paysage. Or, même les hivers canadiens les plus hostiles (durant lesquels on a tourné les plans extérieurs de Whiteout) ont de la difficulté à rivaliser avec l’intensité hivernale de l’Antarctique.
C’est là qu’on trouve l’agente Carrie Stetko, qui a quitté les États-Unis – à la suite d’un traumatisme – pour se ressourcer dans un environnement où elle n’aura rien de plus compliqué à traiter que des vols mineurs et des batailles d’alcooliques. Pourtant, quelques jours avant la fin des activités diurnes du continent, voici qu’elle doit composer avec un meurtre, un tueur déterminé à couvrir ses traces et un avion-cargo russe enfoui sous la glace. Alors que le continent se vide du personnel non-essentiel, parviendra-t-elle à survivre non seulement au tueur, mais à l’environnement qui les entoure ?
Si Whiteout montre un peu d’originalité, c’est en raison de l’environnement dans lequel se déroule son intrigue convenue. En plus des conditions météorologiques épouvantables qui expliquent le titre du film, l’Antarctique isole, mutile et tue sa part de personnages, et la difficulté d’y vivre se reflète dans le quotidien des personnages : gageons que vous avez rarement vu une policière prendre aussi souvent des avions de brousse pour mener une enquête. Ceci dit, le film (adapté de la bande dessinée de Greg Rucka) manque de rigueur dans les détails et l’on sourcillera, lorsque l’action se déplace à l’intérieur, de ne pas voir de joues rosées ou blanchies par le froid, de cheveux tapés par les tuques, de locaux mal chauffés, de traces de neige fondue pour accompagner les pas des personnages…
Ce qui est quand même un cran au-dessus du scénario, incapable de susciter l’intérêt. Whiteout est linéaire au point d’être prévisible : le nombre réduit de personnages fait en sorte qu’il est élémentaire de deviner l’identité des forces agissant contre Stetko. De plus, la réalisation assez ordinaire de Dominic Sena ne fait rien pour rehausser le film. Par moments, elle devient même une embûche de plus : pendant les deux combats qui se déroulent au cœur d’une tempête de neige hurlante, il devient difficile d’identifier les participants – encore plus de savoir qui a l’avantage. Bref, à l’exception des éléments du décor, il y a bien peu dans Whiteout à se mettre sous la dent.
L’approche prise par A Perfect Getaway [Un paradis d’enfer] n’est pas parfaite, mais elle a au moins l’avantage de ne pas se reposer essentiellement sur les paysages. Car pour ce qui est de livrer un film divertissant, le film du scénariste/réalisateur David Twohy rencontre les attentes. Dès le départ, tous les éléments fonctionnent de belle façon : la caméra s’attarde juste assez longtemps sur les décors hawaïens, puis sur le jeune couple venu y passer sa lune de miel. Alors que ceux-ci rencontrent un couple de vacanciers inquiétants, puis apprennent qu’un meurtre sordide a été commis pas très loin, leur idée d’aller passer un peu de temps sur une plage isolée ne parait plus aussi attrayante, surtout lorsqu’ils font la rencontre d’un deuxième couple étrange.
Twohy a fait cinq ans de purgatoire après l’échec retentissant de ses Chronicles of Riddick, mais auparavant, les films Pitch Black et Below, même s’ils avaient été sous-appréciés, avaient révélé ses talents de cinéaste à suspense. Après les excès grandiloquents de Riddick, le voila de retour dans un film à budget réduit où il montre une efficacité maximale. Le film ne s’emballe pas avant la toute fin, mais l’évolution de l’intrigue est satisfaisante avec quelques interludes insolites qui sont conçus pour n’être pleinement compris qu’au retournement final. Les jeunes acteurs en tête d’affiche semblent bien s’amuser, et les scènes à suspense sont tournées avec savoir-faire. De plus, Twohy se paie quelques pointes de métafiction quand ses personnages discutent de techniques de scénarisation. D’un point de vue technique, A Perfect Getaway réussit à plaire là où tant de thrillers ne réussissent même pas à laisser une bonne impression.
Mais en tant que thriller conçu pour les férus du genre, cet effort de Twohy appartient à la sous-catégorie des films à suspense construits autour d’un retournement particulièrement retors (comme Basic et Identity). Et puisque l’audience se fait finalement berner par des quasi-mensonges, sa réaction au moment du retournement risque de faire passer au second plan les qualités du film. Sans rien éventer, il y a une différence entre être astucieux et tout simplement tricher, et A Perfect Getaway s’approche périlleusement de la deuxième option. Twohy joue avec des acquis cinématographiques familiers – tels l’attachement naturel des spectateurs aux protagonistes de l’intrigue – ou le montage des scènes – en les terminant avant le dévoilement d’informations cruciales, par exemple. Le résultat a beau sembler habile, considéré d’un certain angle, il donne l’impression désagréable d’avoir été trahi. Le film n’est donc pas entièrement honnête et cette sournoiserie finit par laisser un goût amer malgré un résultat somme toute assez positif.
Ceci dit, le cinéphile qui a le choix entre Whiteout et A Perfect Getaway ne devrait pas hésiter à s’envoler pour Hawaii : si le résultat final peut paraître frustrant, ce film demeure plus intéressant que le thriller antarctique, qui n’a aucune intensité.
De moins en moins drôle… ou l’inverse
Suffisamment d’exemples existent pour nous rassurer : la comédie n’est pas incompatible avec le suspense. Mais le dosage des deux émotions nécessite du doigté. Les enjeux sérieux sur lesquels se basent les thrillers ne résistent pas toujours aux instincts subversifs de la comédie ; de même, la comédie peut écoper singulièrement si l’inquiétude provoquée par le suspense s’avère justifiée. Cet été, c’est à ce délicat exercice d’hybridation que se sont attaqués Rian Johnson et Steven Soderbergh. Les résultats sont instructifs.
C’est sans doute The Brothers Bloom [Les Frères Bloom] qui, en tant que tentative partielle de déconstruire le film d’arnaque en mettant en évidence les similitudes entre l’arnaque en tant que telle et l’art de raconter des histoires, s’avère le moins bien réussi des deux films.
Les premières minutes sont impeccables et l’on y apprend l’essentiel sur les étranges frères autour desquels tourne l’intrigue. Arnaqueurs depuis l’enfance, ils ne sont pas des partenaires égaux dans leurs entreprises criminelles : Bloom, le rêveur romantique, est condamné à trahir les gens qu’il rencontre, alors que Stephen, le cerveau du duo, a compris depuis longtemps que les meilleures arnaques doivent satisfaire tout le monde – incluant les victimes. Quand débute le film, Bloom en a assez de sa vie de criminel et veut tirer sa révérence et Stephen le convainc de tenter un dernier coup – la séduction d’une riche héritière qui semble avoir plus d’argent que de jugeote. Évidemment, les apparences seront trompeuses.
Le charme de The Brothers Bloom s’effiloche dès que l’intrigue démarre. Après la première demi-heure déjantée, on a droit à trente minutes bien inégales, puis à un dernier acte qui tient à tout prix à donner une leçon aux personnages qui survivent. Or, l’effet n’est pas sans rappeler les tragicomédies de Wes Anderson, à savoir que le spectateur, lui, ressort peu satisfait. Le problème, c’est que The Brothers Bloom a l’ambition d’être plus qu’une simple comédie, et que, en conséquence, le film, après un départ correct, s’enfonce dans la tragédie – une des dernières scènes montre un protagoniste qui fond en larmes dans les bras d’un autre !
L’approche de Soderbergh dans The Informant ! [L’Infiltré !] est bien différente. À première vue, ce film est l’adaptation de l’incroyable vie de Mark Whitacre qui, au milieu des années 90, devint un délateur pour le FBI dans une histoire de manipulation des prix de produits biochimiques. Les techniques naturalistes de Soderbergh ancrent le film dans la moche réalité du Midwest américain où travaille Whitacre : entre les champs de maïs et les bureaux éclairés aux fluorescents, Decatur (Illinois) n’a rien de bien séduisant. Whitacre semble, lui aussi, tout aussi terne : biochimiste révolté par les agissements de son employeur, il apparaît dépassé par les demandes des agents du FBI qui s’occupent de son cas. Alors que s’amorce le film, des indices nous permettent cependant de se douter que ce ne sera pas un drame de délation ordinaire, comme les éléments incongrus de la trame sonore – les monologues insipides de Whitacre (Matt Damon, méconnaissable) –, la réalisation qui traîne en longueur…
Quand débute le deuxième acte du film, on comprend que Whitacre a non seulement des prétentions démesurées (« Appelle-moi agent 014… parce que je suis deux fois plus intelligent que 007 «), mais que son manque d’instinct met constamment l’enquête en danger : il raconte ses enregistrements secrets, regarde dans les caméras cachées, annonce sa collaboration à des associés… Quand les agents du FBI réussissent enfin à déposer des accusations, on soupire de soulagement. Mais le bal ne fait que commencer.
Whitacre dévoile des secrets que même ses avocats sont étonnés d’apprendre… et alors que cette autre, autre facette de sa personnalité se révèle au grand jour, on commence à comprendre pourquoi l’informateur se retrouvera éventuellement en prison pour une longue sentence. Chemin faisant, le film devient de plus en plus ridicule, démolissant les mensonges de Whitacre alors que celui-ci multiplie les absurdités. Si les rires sont rares au début du film, ils deviennent de plus en plus fournis vers la fin. En racontant cette histoire, Soderberg se paie subtilement une satire des mêmes thèmes abordés dans son propre Erin Brokovich, et finit par prouver que personne n’est parfait, et encore moins les informateurs.
Adapté de l’exceptionnel livre documentaire de Kurt Eichenwald, The Informant ! conserve une bonne partie des faits vécus tout en faisant de Whitacre un personnage plus ridicule qu’en réalité. Le « véritable « Whitacre n’était pas un tel bouffon même s’il souffrait probablement de déséquilibres psychologiques. Ses critiques les plus acharnés s’entendent pour dire qu’il ne méritait pas une sentence aussi sévère.
Notons que le rythme des événements se fait beaucoup plus saccadé durant le dernier acte du film, les lents progrès initiaux laissant place à une série de révélations sans répit. Ceci étant dit, les amateurs du livre seront surpris de voir des scènes reconstituées avec une fidélité remarquable, jusque dans des détails qui n’ont aucun impact sur le déroulement de l’intrigue.
Le film de Soderbergh est beaucoup plus un divertissement qu’un documentaire. S’il n’y a pas de quoi en faire un plat, The Informant ! est néanmoins un film inusité qui laissera un bon goût dans la bouche de l’audience – celui du rire. Ce qui, The Brothers Bloom à l’appui, se révèle toujours une meilleure décision que de laisser les spectateurs au bord des larmes, de la furie ou de l’apathie.
Ploutocratie : une histoire incomplète
Peu de chose semble associer le plus récent documentaire de Michael Moore, Capitalism : A Love Story [Capitalisme : Une histoire d’amour] et notre chronique de cinéma polar. Après tout, Moore livre avec ce film sa mixture habituelle d’éditorialisme populiste, de bouffonnerie cabotine, de témoignages déchirants et de matériels d’archive surprenants. Si Camera oscura a déjà traité de Bowling for Columbine et Fahrenheit 9/11 en raison de leur emphase sur les armes à feu et la violence menée par l’État, Sicko est passé sous silence : que dire de plus sur la noirceur du système de santé américain ?
Mais là où Capitalism devient plus intéressant, c’est dans sa description d’un ennemi bien réel : la capture du système politique américain par les intérêts des grandes institutions financières. Inutile de chercher bien loin de véritables ennemis lorsque s’annonce la ploutocratie des ultra-riches. Quand les banques dictent les lois, que les corporations prennent des polices d’assurance sur la vie de leurs employés et que les services policiers se font la matraque du transfert des richesses, la réalité dépasse en cynisme la fiction. Le film semble verser naturellement dans les théories de complot quand il examine la façon dont les banques ont dicté au gouvernement américain les termes de l’injection massive de capitaux pour les secourir de la faillite à la fin 2008 : et si, murmure sombrement une des sources de Moore, tout ceci avait été prémédité ?
C’est cependant durant de tels moments que Capitalism s’avère le moins crédible, la simplification nécessaire à la présentation de ces enjeux touffus au grand écran se combinant aux désirs d’une audience convaincue d’avance de croire en l’existence d’un complot destiné à confier le pouvoir aux plus-riches-que-riches. Moore, entre un humour souvent facile et la manipulation émotionnelle de son audience par des témoignages déchirants, finit par ne pas insister sur les mécanismes subtils qui font en sorte qu’un système démocratique capturé par des intérêts capitalistes est mû par les faiblesses de tous les acteurs impliqués. Il n’insiste pas non plus sur les rationalisations élaborées de ceux qui défendent l’illusion de la mobilité sociale aux dépens de leurs propres intérêts. Il désigne des coupables sans reconnaître que tous sont complices.
Éparpillé et plus provocateur qu’analytique, Capitalism : A Love Story est un apport remarquable au discours politique américain (qui semble pathologiquement incapable de discuter des failles systémiques d’un marché libre), mais il ne réussit pas à livrer une thèse aussi convaincante que celles développées dans les films précédents de Moore. Pour une attaque plus soutenue de l’amoralité du capitalisme, on ira plutôt (re)voir du côté de The Corporation…
À la bonne adresse
Premier roman de Patrick Senécal, 5150, rue des Ormes est le deuxième de ses livres à être porté au grand écran. Après le succès autant critique que populaire de Sur le Seuil, il semblait inévitable de voir d’autres romans de Senécal adapté au cinéma – on attend d’ailleurs Les Sept Jours du talion d’ici quelques mois.
Les lecteurs de Camera oscura peuvent présumer que ce chroniqueur ne sera pas, malgré ses meilleurs efforts, entièrement détaché en ce qui concerne le travail de Senécal, un écrivain qui figurait au sommaire du premier numéro d’Alibis et dont ce deuxième film fait l’objet d’un dossier spécial ailleurs sur ce site. Cela étant, d’autres critiques du film confirment certaines de mes impressions : cette deuxième collaboration entre Senécal et le réalisateur Éric Tessier a su produire à nouveau une œuvre de suspense efficace et maîtrisée.
C’est un bête accident de vélo qui amène Yannick Bérubé, le jeune protagoniste du film (Marc-André Grondin) à rencontrer la famille Beaulieu. Mais il ne s’agit pas d’une famille comme les autres : alors que Yannick entre dans leur maison pour panser ses blessures, il entend, puis découvre, un prisonnier agonisant dans une pièce transformée en cellule au deuxième étage de la maison. Avant même de s’en rendre compte, Yannick est à son tour enfermé dans la pièce. Les Beaulieu ont de terribles secrets…
Comme une bonne partie des thrillers psychologiques qui s’articulent sur les captivités prolongées, la première heure de 5150, rue des Ormes a parfois de quoi frustrer : alors que le film établit et renforce sa prémisse, les spectateurs habitués à l’héroïsme au grand écran verront quantité d’occasions pour Yannick de sortir du piège dans lequel il est enfermé. Mais ce n’est pas un film d’action, et Yannick, qui n’est qu’un jeune adulte ordinaire, ne s’échappera pas.
Alors que le film avance, deux choses deviennent évidentes : les secrets de la famille Beaulieu apparaissent de plus en plus grotesques, et Tessier a choisi des acteurs capables de faire croire en ce qui se passe à l’écran. Norman D’Amour, en patriarche meurtrier, a le rôle le plus difficile : sans sa performance impeccable, le film aurait pu s’écrouler. Ailleurs au générique, Sonia Vachon et Mylène St-Sauveur rehaussent l’impact du film tout en donnant vie à des personnages sensiblement différents de ceux connus des lecteurs de l’œuvre d’origine.
Comparé au roman, le film 5150, rue des Ormes s’avère raisonnablement fidèle : certains détails ont été ajoutés pour resserrer l’intrigue et l’amener de 1991 à aujourd’hui. Des éléments de la conclusion ont été modifiés, mais sans altérer le sentiment d’interruption d’une finale qui ne remet définitivement pas tout à l’ordre. Les amateurs de toute l’œuvre Senécal relèveront avec un certain plaisir les indices menant droit à Aliss.
Si le film ne s’avère pas tout à fait sans fautes (les spectateurs les plus tatillons passeront des commentaires sur la durée de vie des piles de l’appareil vidéo de Yannick, sur la longueur de sa barbe au fil de sa captivité, sur certains risques pris par les Beaulieu meurtriers ou sur la passivité du protagoniste…), il n’en demeure pas moins un film à suspense troublant, qui réussit à recréer une ambiance d’horreur profonde au cœur même d’une banlieue ordinaire. Et s’il n’est plus nécessaire de dire que les films d’ici se comparent généralement bien à ce qui se fait ailleurs, des succès comme 5150, rue des Ormes seront toujours les bienvenus.
Bientôt à l’affiche
L’an 2009 s’achèvera, comme à l’habitude, par l’arrivée en salle de films souvent plus audacieux que ceux à l’affiche dans les cinéplex pendant la saison estivale. Ce qui ne veut pas dire que tout s’annonce intéressant : on défie ceux qui ont vu les bandes-annonces de Ninja Assassin et The Stepfather de nous dire en quoi ces films pourront échapper aux clichés. L’arrivée des suites plus ou moins attendues Saw VI et Boondock Saints II ne proposera pas non plus d’innovations radicales. Par contre, des films semblent prometteurs : Law Abiding Citizen et Armored donnent au moins l’espoir de films à suspense bien ficelés, alors que la réinvention de Sherlock Holmes selon les codes du blockbuster a de quoi intriguer. Mais si l’on doit parier sur les surprises, il sera peut-être sage de porter attention aux hybrides : Fantastic Mr. Fox adapte une fable criminelle pour enfants en animation image-par-image, alors que The Men Who Stare at Goats adapte – sous forme de comédie ! – un essai documentaire qui s’intéressait aux recherches occultes menées par l’armée américaine.
En attendant de voir ce qui surprendra et ce qui ne laissera aucun souvenir, bon cinéma !
Mise à jour: Octobre 2009