Camera Oscura 3

Christian Sauvé

Exclusif au supplément Internet (Adobe Acrobat, 1382Kb) d’Alibis 3, Été 2002

Ré-adaptations

Sur le plan créatif, Hollywood ne s’est jamais distingué par son originalité. Quand un film coûte des millions de dollars, pourquoi prendre des risques financiers au lieu de recourir à des recettes éprouvées? L’usine-à-celluloïd préférera produire une douzaine de films à formule avant d’oser une bouffée d’originalité cinématographique comme Memento, ce polar non linéaire de 2001 écrit et réalisé par le néophyte Christopher Nolan.

Voilà pourquoi il est un peu ironique que le récent projet de Nolan ne soit rien d’autre qu’un remake d’Insomnia, un thriller norvégien relativement conventionnel. Cela dit, sa version américanisée (l’action a été transposée en Alaska) a beau être un peu plus grand public que le film original, elle n’en perd pas beaucoup d’efficacité. L’intrigue d’Insomnia s’aventure dans des zones grises du point de vue de l’éthique et présente des relations complexes entre les personnages: un policier d’expérience (Al Pacino) est manipulé par un tueur (Robin Williams, qui joue ici – tiens, tiens – un auteur de polars). Le film devient plus dérangeant lorsque le héros – rendu insomniaque par l’absence de nuit à ces latitudes – perd progressivement le contrôle de la situation.

Par sa réalisation prenante, Nolan prouve qu’il est amplement capable de mener efficacement un récit conventionnel, ce qui augure bien pour ses prochains films. Le talent des acteurs impliqués est considérable (avec la présence d’Hilary Swank, on y compte quand même trois récipiendaires d’oscars) et c’est un plaisir renouvelé que de revoir Pacino dans un autre rôle policier. Malgré une finale plutôt faible, les péripéties et retournements sont menés avec une aisance comparable à celle d’un bon polar littéraire et les prises de vue des paysages sont tout simplement spectaculaires. Il y a des longueurs, hélas, mais le consensus critique sur Insomnia a été généralement favorable, chose plutôt rare dans le cas d’un remake…

 [Couverture] Il est également peu fréquent que les critiques accueillent favorablement l’adaptation d’un roman à succès, mais tel semble être le cas du thriller The Sum of All Fears, tiré du best-seller de Tom Clancy. Même si le livre est une pièce maîtresse dans la série « Jack Ryan », le film ne requiert pas qu’on connaisse forcément les autres œuvres de Clancy : cette fois, Jack Ryan (Ben Affleck) est plus jeune que dans ses précédentes incarnations cinématographiques (Harrison Ford, Alec Baldwin) et aurait aisément pu être un personnage distinct. Une seule constante : Ryan n’est pas un super-héros, mais un analyste de la CIA utilisant sa formidable intelligence pour s’attaquer au problème de la prolifération des armes nucléaires. Sous peu, le gouvernement aura bien besoin de ses services, puisque des terroristes menacent une ville américaine…

Onze ans après la parution du roman, The Sum of All Fears est le film du moment. Avant le 11 septembre 2001, on aurait jugé ses prémisses peu crédibles. Immédiatement après, c’aurait été un film insupportable. Mais avec les manchettes récentes au sujet de la possibilité d’autres attaques terroristes aux États-Unis, le film arrive en salle à un moment idéal. Trouvera-t-il un public? Peu importe l’actualité, le film parle pour lui-même. C’est un thriller remarquablement réussi. Intelligente et complexe, cette adaptation devrait plaire aux fans du roman malgré les simplifications considérables apportées à l’intrigue. Évidemment, la rectitude politique hollywoodienne a transformé les antagonistes arabes en néo-nazis, mais le rythme du film est beaucoup plus soutenu que celui du roman. On laisse un peu plus de place à l’action sans toutefois lésiner sur l’authenticité. Bref, un excellent thriller et une excellente adaptation.

 [Couverture] On peut également s’estimer satisfait du travail d’adaptation du roman High Crimes de Joseph Finder, mais il faut avouer que le livre n’est pas du même niveau que le super-thriller de Clancy. En ce sens, High Crimes reste fidèle au livre ; c’est une histoire à suspense honnête, parfois invraisemblable mais nullement exceptionnelle. Elle s’ouvre sur l’arrestation du mari d’une jeune avocate (Ashley Judd). On accuse l’homme de crimes de guerre commis des années auparavant, à la grande surprise de l’avocate qui décide alors de défendre son mari. Devant les subtilités des cours martiales, elle fait appel à un avocat-expert (Morgan Freeman) pour obtenir conseils et protection. Évidemment, le procès n’est pas bien vu par certains haut gradés.

Même si High Crimes est conçu et réalisé convenablement, on peut reprocher au film de simplifier parfois un peu trop les personnages et les péripéties du livre. Par exemple, l’aspect le plus fascinant du roman, la description des différences entre justice civile et justice militaire, est bien peu exploité à l’écran. Les deux versions partagent cependant comme défaut la nature conventionnelle et prévisible de l’intrigue: il suffit d’appliquer un peu de logique dramatique élémentaire pour deviner le retournement final, qui est plus pénible que surprenant. High Crimes demeure un film construit avec beaucoup de professionnalisme et durant lequel on ne s’ennuie pas souvent. Un peu comme le livre, donc…

À l’assaut de votre écran

Avec le succès critique et commercial de Saving Private Ryan, nous assistons présentement à une renaissance du film de guerre. Un réalisme assisté par ordinateur ainsi qu’un nouvel équilibre entre la glorification des combattants et la condamnation de l’horreur du combat sont les deux caractéristiques principales de cette nouvelle vague.

 [Couverture] Dans cette optique, les parallèles entre Saving Private Ryan et We Were Soldiers sont évidents ; réalisme brutal, cinématographie sophistiquée et traitement respectueux des combattants sont à l’ordre du jour. Adapté d’un livre documentaire sur la bataille de Ia Drang (We Were Soldiers Once… and Young, du Général Hal Moore), We Were Soldiers décrit le premier engagement d’envergure de la guerre du Vietnam pour les Américains. Mel Gibson y incarne le général Moore en apportant au personnage une mesure de dignité appréciable. Le scénariste et réalisateur Randall Wallace, pour sa part, a su doser sentimentalisme et spectacle, mais il n’évite pas les clichés manipulateurs s’il sait les exploiter à bon escient. Par exemple, une scène où des femmes restées à la maison apprennent la mort de leurs maris est particulièrement efficace, même si on a déjà vu tout ça bien avant. (On tiquera cependant sur un message antiracisme inséré bien maladroitement.) Pour les férus d’action, le film comporte également sa part de scènes saisissantes ; on se souviendra plus particulièrement d’une attaque au napalm assez dramatique.

We Were Soldiers paraîtra peut-être un peu trop mécanique et racoleur aux yeux de certains, mais cela n’enlève rien à la valeur du film. Après plus de deux décennies de films américains où le Vietnam est traité comme un traumatisme national, voici enfin une vision beaucoup plus neutre: ce film est un des premiers à présenter les deux côtés du conflit vietnamien de façon relativement équitable.

Si We Were Soldiers est un film de guerre bien traditionnel, Hart’s War se prête moins bien à une catégorisation définitive. Hybride comportant des éléments de drame carcéral, de thriller juridique et de film de guerre, cette adaptation du roman de John Katzenbach raconte le procès pour meurtre d’un officier dans un camp de prisonniers alliés durant le dernier hiver de la Deuxième Guerre. Le film pige allègrement dans le répertoire des clichés des trois genres susmentionnés, réussissant à susciter un intérêt surprenant.

Le réalisateur Gregory Hoblit poursuit ici (après Primal Fear, Fallen et Frequency) une série de films biens faits mais sans plus. Le scénario comporte sa part de faiblesses évidentes (des découvertes inexplicables, des tirades pompeuses insérées sans grande subtilité) et se contente surtout de déplacer des éléments narratifs d’un point A à un point B, sans panache. Il s’agit manifestement de fiction de genre, et non d’une tentative pour recréer une réalité historique. En revanche, la réalisation est limpide et Bruce Willis livre une performance amplement convaincante, même si elle est calquée sur son rôle dans The Siege. Ici, ce n’est pas tant une intrigue particulière qui retient l’intérêt que l’enchevêtrement de diverses intrigues: les conflits sont l’essence du drame, et il y en a plusieurs !

On remarquera enfin que Hart’s War est un film bien masculin : non seulement n’y a-t-il aucun rôle féminin, mais le film tourne souvent autour de pôles émotionnels communs aux aventures pour hommes: honneur, patriotisme, devoir…

 [Couverture] Charlotte Gray est un tout autre film. Adapté du roman de Sebastian Faulks, il raconte l’épopée d’une jeune Écossaise (Cate Blanchett) parachutée en France durant la Deuxième Guerre afin de servir comme agente pour les services secrets britanniques. Il serait simpliste de parler ici de « film de guerre pour femmes », mais il est évident dès le départ que Charlotte Gray porte essentiellement sur les dilemmes émotionnels des personnages. La conclusion déchirante du film joue de façon efficace avec plusieurs sentiments contradictoires. Pas beaucoup d’explosions ou de scènes de combat dans ce film parfois plus proche du drame romantique que du drame de guerre. Là aussi s’agit-il peut-être d’une tendance, dans la lignée de Pearl Harbor et de Capitain Corelli’s Mandolin…

Cela dit, Charlotte Gray n’est pas, et de loin, un chef-d’œuvre. Le film est très lent et parfois anecdotique. L’adaptation d’une histoire si intimiste écorche au passage certains conflits plus subtils ; on pensera ici surtout aux scènes entre Blanchett et certains Français peu sympathiques. D’autres séquences, comme celle de l’entraînement, sont réalisées de façon très conventionnelle, comme si la réalisatrice savait fort bien que là ne résidait pas l’intérêt principal du scénario. Néanmoins, avec son action située en France, le film présente un intérêt un peu plus vif qu’à l’accoutumée pour les lecteurs d’Alibis. Si la version originale anglaise exaspère un peu par l’emploi d’accents britanniques pour des personnages français, le film explore habilement un sujet que plusieurs voudraient oublier, la collaboration de plusieurs Français avec les Allemands sous le régime de Vichy…

Femmes en péril

De victimes à femmes fatales, les membres du sexe prétendu faible ont toujours eu de la difficulté à se faire représenter de façon équitable au cinéma. Trois films récents nous montrent sans équivoque que le débat est loin d’être terminé.

Premier cliché : la victime. Qui de mieux que deux femmes en péril comme protagonistes d’une histoire d’invasion de domicile? Dans Panic Room, c’est exactement le cas. Dès leur première nuit dans leur nouvelle maison, une femme (Jodie Foster) et sa fille sont victimes d’un cambriolage. Pas de problème : elles n’ont qu’à se réfugier dans la « Panic Room », une salle spéciale isolée du reste de la maison. Le seul hic : ce que veulent les truands (trois hommes) est dans la salle… et la jeune fille est diabétique.

Panic Room est une véritable machine à suspense, un thriller pur et dur qui n’a d’autre but que de vous clouer à votre siège. Claustrophobes s’abstenir ! Les éléments du scénario sont convenus, mais grâce au réalisateur David Fincher, la facture technique du film est époustouflante. On se souviendra longtemps d’un plan continu décrivant l’intrusion des voleurs dans la maison, ou encore d’une séquence muette au ralenti montrant la première excursion des victimes hors de la « Panic Room »…

Malgré ces finesses techniques remarquables, l’intrigue est mince, ce qui rend le manque de définition des personnages d’autant plus désolant. Beaucoup d’opportunités dramatiques sont gaspillées et bizarrement, c’est l’un des voleurs (Forest Whitaker) qui devient le pivot moral du film. Quelques erreurs techniques (le propane est un gaz plus lourd que l’air, par exemple) viendront agacer certains spectateurs, mais pas autant que la difficulté de s’attacher aux protagonistes. Bon thriller, Panic Room aurait pu devenir un classique avec un peu plus d’effort du côté du scénario. Tant pis.

On ne peut nier que Panic Room exploite sans vergogne des stéréotypes sexuels, mais ce n’est rien en comparaison de Enough, un thriller qui semble mathématiquement conçu pour profiter de certains préjugés contemporains. Jugez-en par vous-mêmes. Lorsqu’une femme (Jennifer Lopez) affronte son mari avec des preuves d’adultère, il devient abusif à un point tel que notre héroïne décide de fuir avec leur enfant. Le mari la traque alors à travers les États-Unis et la menace de mort si elle ne réintègre pas le domicile familial. Tout est-il perdu pour elle? Mais non, puisqu’elle réussit à s’échapper à nouveau et entreprend alors un entraînement physique pour défendre sa personne et sa fille…

Admettons que les fils de l’intrigue sont un peu gros. Pourtant, il ne s’agit pas d’un film stupide pour autant. Ce n’est pas la première fois que l’on assiste à des scénarios de vengeance féminine (Eye For An Eye, I Spit On Your Grave, etc.), mais Enough partage avec des films comme Double Jeopardy une certaine efficacité qui transforme un film d’exploitation pur en un plaisir coupable. (Ils partagent aussi une bande-annonce qui dévoile les moindres retournements de l’intrigue, mais ça, c’est une autre histoire !) L’antagoniste est un être tellement maléfique que même les misogynes dans l’audience auront peine à ne pas se réjouir de son sort inévitable.

Bref, Enough est un divertissement délibéré, pas une œuvre socialement significative. Il y a quand même lieu de s’interroger, en sourdine, sur le message véhiculé par le film. Quelle est la frontière entre l’autodéfense et l’agression? Le recours à une protagoniste combative est-il plus ou moins exploiteur que celui d’une victime de sexe féminin? Mais, surtout, est-ce qu’un tel film serait toujours aussi perversement amusant si les rôles sexuels étaient inversés?

Le rôle de Sandra Bullock dans Murder By Numbers se situe dans la même veine. Le scénario prend bien soin de révéler qu’elle a été victime d’une relation abusive plus tôt dans sa vie. Mais elle est aussi une policière décidée à résoudre un meurtre presque parfait. La conjonction de ses démons intérieurs et de sa détermination parvient à en faire un personnage plus complexe que la plupart des rôles féminins du genre. Faut-il s’en surprendre alors que Bullock est au générique comme coproductrice?

Il s’agit là d’une des surprises de Murder By Numbers, un thriller très ordinaire en apparence, mais qui fonctionne un peu mieux que ce que pourrait laisser présupposer la bande-annonce. Les antagonistes sont deux étudiants qui, pour s’amuser, décident de commettre le meurtre parfait. Intelligents et astucieux, ils présentent tout un défi aux forces policières. (Ils ont évidemment tout lu sur les procédures utilisées par la police. On présume que l’affaire Leopold/Loeb faisait partie du curriculum.) Le jeu de manipulation les opposant à la protagoniste s’avère plus intéressant que prévu.

C’est un thriller efficace qui ne fait pas l’économie de quelques conventions dans le troisième acte, mais qui saura contenter l’amateur de thriller procédural. Sans trop chercher, on y retrouvera des références à Nietzsche, Rimbaud, Dostoïevski, un peu d’érotisme homosexuel et une contemplation de l’esprit criminel. De plus, qu’en est-il de la fascination qu’exerce la littérature policière sur les antagonistes?

Thrillers sociaux

De par sa prédilection pour des protagonistes affrontant des forces hors de leur contrôle, le thriller est un instrument idéal pour examiner des enjeux sociaux. Qu’il s’agisse de déjouer une sinistre conspiration ou bien de faire face au Système, il n’y a qu’un pas.

 [Couverture] John Q, par exemple, est un mélodrame qui prend pour cible le système de santé américain. Le scénario pose rapidement son protagoniste (Denzel Washington) comme col bleu et père de famille dévoué. Mais la tragédie frappe et avant peu, notre héros doit trouver près de 250 000 dollars pour payer une opération qui sauvera la vie de son fils. Le Système se ligue alors contre lui ; personne ne veut payer, personne ne veut l’aider. Il décide alors de prendre les choses en main et de tenir les patients d’une salle d’urgence en otages jusqu’à ce qu’il obtienne ce qu’il veut.

Il est inutile de nier que John Q est un film manipulateur. La division riche/pauvre (ou blanc/noir, ou méchant/bon) est évidente. Musique country et baseball sont les signes de la bonne Amérique profonde. Les hôpitaux, eux, brillent par leur aseptisme froid. De plus, on insère à mi-chemin dans le film une scène particulièrement bizarre dans laquelle les prisonniers et le preneur d’otages discutent – comme à la télévision – des maux affligeant le système de santé américain. Les manipulations deviennent tellement évidentes que l’on en vient à éprouver de la difficulté à prendre le tout au sérieux. La dernière séquence, particulièrement affligeante, rivalise avec celle de On Dangerous Grounds sur le plan de l’intrusion flagrante de messages explicites dans une œuvre de fiction cinématographique.

Il n’y a pas à dire, on ne saurait taxer John Q de subtilité excessive. En revanche, il y a lieu de se demander si c’est un thriller social où le contexte mène à la transgression du système (bref, au crime), ou tout simplement un mélodrame qui tire une respectabilité indue des enjeux sociaux du moment. Ce n’est probablement pas le seul film à propos duquel on peut se poser la question ! Mais Changing Lanes ne sera pas un d’entre eux. Ici, il ne s’agit pas d’un protagoniste contre le système, mais d’un combat d’astuces entre deux individus, l’un riche, jeune et blanc (Ben Affleck), l’autre pauvre, plus âgé et noir (Samuel L. Jackson). Les routes de ces deux hommes ne devraient normalement pas se croiser, mais un accident de circulation fait que Jackson acquiert par mégarde un document fort important pour Affleck… et une manière d’obtenir réparation pour l’affront que lui a fait subir Affleck.

La bande-annonce du film semblait promettre un thriller bien ordinaire opposant le bien et le mal. Le film, cependant, est beaucoup moins manichéen. Le personnage d’Affleck se trouve coincé dans un environnement où l’éthique est découragée par collègues, supérieurs et famille ; Jackson est un homme colérique qui provoque une partie de sa misère. Le jeu dangereux que se livrent les deux hommes est parfois enfantin, parfois très sérieux. Mais chemin faisant, on invitera le spectateur à méditer – comme le suggère le personnage de William Hurt – sur le « pacte social » entre individus qui fait en sorte que notre civilisation fonctionne avec un minimum de friction. Les deux protagonistes en viennent finalement à se demander quelles sont les limites d’une conduite appropriée ainsi que la part de responsabilité personnelle qu’il faut assumer quand de mauvaises choses se produisent.

Ceci dit, le film compte quelques faiblesses. Qu’il s’agisse d’une coïncidence incroyable grâce à laquelle Affleck parvient à retrouver Jackson dans les rues bondées de New York, ou des manipulations douteuses de l’intrigue qui poussent les personnages à commettre des actes remarquablement stupides, Changing Lanes ne réussit jamais à bien fonctionner. Le tout se termine par une finale un peu trop bêtement heureuse, comme si le scénariste s’était enfermé dans une logique qu’il ne pouvait pas parvenir à élucider sans recourir à quelques clichés bonbons.

Le crime ne paie pas… mais fait rire

Les affaires criminelles n’ont rien de drôle, mais ça n’a jamais empêché l’émergence d’une certaine tradition de cinéma noir humoristique. Trois films parus durant le dernier trimestre illustrent bien quelques approches possibles pour rendre le polar amusant.

La première tactique, évidemment, est celle de l’humour noir. Death To Smoochy de Dany DeVito adopte cette approche avec un succès mitigé. À première vue, on y aborde un sujet riche en possibilités, le petit monde des émissions de télévision pour jeunes. Quand un animateur d’émissions-jeunesse (Robin Williams) est pris littéralement la main dans le sac dans une sale affaire de pots-de-vin, on doit rapidement lui trouver un remplaçant pour remplir son créneau-horaire. Entrée en scène du créateur de Smoochy (Edward Norton), un grand naïf bien mal équipé pour faire face au personnage de Williams quand celui-ci voudra ravoir son poste. Meurtre, nains, ex- boxeurs, néo-nazis et mafia irlandaise suivent pas très loin derrière. Fort bien, en théorie. Cependant, le visionnement de Death To Smoochy fait apparaître la faille principale du film : ce n’est tout simplement pas drôle. Certes amusant (on sourit souvent), le film ne provoque que deux ou trois rires francs. Certains personnages sont carrément irritants et le scénario commet l’erreur de confondre violence et grossièretés avec humour noir. Pire encore, la finale dégénère en un numéro musical où l’antagoniste se rachète! Malgré les possibilités de la prémisse et le talent mis à la disposition de l’équipe du film, le pénible résultat tombe simplement à plat.

Showtime emprunte une autre voie du comique, en imaginant un policier d’expérience (Robert de Niro) forcé de tenir la vedette d’une émission de télévision-vérité suivant ses enquêtes. Tout se complique quand on l’affuble d’un partenaire fantasque (Eddie Murphy) qui ne cherche qu’à percer comme acteur. Le film est partiellement conçu comme un prétexte à une exploration de la différence de culture entre le vrai métier de policier et celui qu’imaginent les gens d’Hollywood. À cet égard, on remarquera plus particulièrement une scène amusante où William Shatner conseille nos deux agents sur leur rôle de policiers… à la lumière de sa propre expérience avec la série « T.J. Hooker » ! Malheureusement, après avoir tenté d’établir son réalisme, Showtime devient progressivement un de ces mêmes blockbusters qu’il décrie. Le tout se termine par une finale délirante pleine de gros calibres, de poursuites automobiles enflammées et de secours in extremis. Il s’agit quand même d’un film divertissant pour les junkies de scènes d’action, mais il est difficile de ne pas flairer un relent d’hypocrisie dans cette production. Même quand Hollywood veut être réaliste, personne n’a le courage d’aller jusqu’au bout ! Pire encore, il s’agit d’une occasion manquée pour s’amuser avec les clichés des films policiers. Dans une veine similaire, même The Last Action Hero, en 1993, avait fait mieux…

 [Couverture] Ceci dit, aucun besoin de remonter si loin dans le temps pour trouver une parodie plus efficace des films policiers. Alors qu’Austin Powers se moquait allègrement des films d’espionnage des années 60, Undercover Brother prend pour cible les films de blaxploitation en vogue durant les années 70. (Et encore récemment, si l’on se fie au succès du remake de Shaft.) Le scénario d’Undercover Brother ne mérite pas discussion, puisqu’il s’agit simplement d’un fil conducteur pour les gags. Il est plus pertinent de mentionner le succès de la parodie et la réussite des blagues. Undercover Brother ne se prend pas au sérieux une seule seconde, et de ce fait réussit allègrement là où Showtime connaît des difficultés.

Il faut également souligner la nature incisive du commentaire social sous-jacent aux gags (vous n’avez qu’à écouter les trente premières secondes de dialogue pour bien apprécier), mais – chut ! – il ne s’agit ici que d’une simple comédie… Une question refait quand même surface : une parodie bon enfant des films de blaxploitation, même réussie, n’est-elle qu’une façon de désamorcer la colère raciale qui était une des marques caractéristiques de ces films? En d’autres mots, Undercover Brother est-il sa propre antithèse?

À la prochaine…

Au sommaire de la prochaine chronique : Windtalkers (un drame de guerre du réalisateur John Woo), The Bourne Identity (l’adaptation du roman de Robert Ludlum), Road To Perdition (un drame criminel ayant lieu à Chicago durant la prohibition, avec Tom Hanks), K-19: The Widowmaker (un thriller sous-marin inspiré d’une histoire vraie de la guerre froide, avec Harrison Ford et Liam Neeson)… et bien plus.

Sur ce, bon cinéma !

Christian Sauvé est informaticien et travaille dans la région d’Ottawa. Sa fascination pour le cinéma et son penchant pour la discussion lui fournissent tous les outils nécessaires pour la rédaction de cette chronique. Son site personnel se trouve au http://www.christian-sauve.com/

Mise à jour: Juin 2002

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