Camera Oscura 24

Camera oscura 24

Christian Sauvé

Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 1 250Ko) d’Alibis 24, Automne 2007

L’été est habituellement une période creuse pour l’amateur de cinéma à suspense alors que les complexes cinématographiques sont pris d’assaut par les divertissements bonbons destinés à un auditoire jeune et en vacances. Mais si la saison estivale 2007 n’a pas été exempte d’une série de suites et d’autres films faciles, quelques pièces d’intérêt se sont tout de même glissées dans le lot. En attendant leur arrivée au club vidéo, départageons les films qui méritent d’être vus.

Trois fois plutôt qu’une

Si une tendance particulière a dominé la saison cinématographique estivale 2007, ce fut la parution d’un troisième film dans une série. Shrek, Spider-Man et Pirates of the Caribbean ont tous profité d’épisodes trois, mais cette tendance ne s’est pas seulement limitée au genre fantastique ; même en ce qui a trait au suspense, la tendance était au recyclage.

Personne ne sera surpris d’apprendre qu’il y a eu du mauvais repiquage dans ces « troisièmes de série »… Rush Hour 3 [Heure Limite 3], en particulier, s’est révélé être un exemple type d’une suite inutile et ennuyeuse. Si Jackie Chan et Chris Tucker étaient d’un charme rafraîchissant lors de la sortie de l’original en 1998, la paire était devenue beaucoup moins divertissante dans la suite de 2000. En 2007, le duo est maintenant irritant : Tucker (que l’on n’avait pas vu au cinéma depuis Rush Hour 2 pour une bonne raison) est à la fois cabotin et déplaisant, alors que Chan se nuit en se laissant mener par son comparse. Oubliez la mince intrigue policière qui amène les deux comparses à Paris pour contrecarrer la sélection d’un nouveau chef des Triades : Rush Hour 3 avance sans grâce ni astuce, boitant d’une scène bâclée à une autre. Les décors parisiens et les dialogues francophones auront un attrait supplémentaire pour les lecteurs d’Alibis, mais il faudra en revanche tolérer les stéréotypes francophobes de l’équipe de production américaine. Seule la magnifique Noémie Lenoir retient l’attention, à un point tel qu’on en vient à la prendre en pitié d’être coincée dans le même film que les deux loubards en tête d’affiche.

Carnaval de clichés, de répliques désolantes et d’intrigues court-circuitées (attendez de voir les coïncidences énormes qui bouclent le film…), Rush Hour 3 présente le phénomène des suites sous son pire jour : une production peu rigoureuse qui dépend de la bonne volonté née des films précédents, sans nécessairement chercher la moindre faveur critique. Affligé d’un scénario minable et d’une réalisation paresseuse, cet hybride action/comédie n’est pas particulièrement saisissant ni amusant, laissant un grand vide de 90 minutes là où devraient rester des souvenirs du film. À voir à ses propres risques : la vie est trop courte pour ce genre de faux divertissement.

Heureusement, tous les « troisièmes » de l’été n’ont pas été aussi ratés. Ocean’s 13 [Danny Ocean 13], de Steven Soderbergh et grande compagnie (George Clooney, Matt Damon, Brad Pitt, Don Cheadle, Al Pacino, etc., etc., etc.), a le rare mérite d’avoir appris des fautes d’un deuxième volet qui en avait déçu plus d’un. Si Ocean’s 12 avait été qualifié d’indulgent, de cryptique et de facile, Ocean’s 13 corrige le tir et retrouve une bonne partie du charme désinvolte du « remake original » de 2001. Dès les premières minutes, alors que les escrocs larrons expliquent leur plan à un Eddie Izzard sceptique, on se sent entre les mains d’un expert, l’artiste Soderbergh en mode « divertissement accompli ». Cette fois-ci, c’est la vengeance envers un développeur peu scrupuleux qui pousse Danny Ocean et son équipe à filouter tout un casino. Leur but : briser la banque de l’établissement en s’assurant que tous les joueurs en ressortent gagnants.

Si Ocean’s 13 n’a guère de profondeur, c’est tout de même un bon moment en compagnie des boys de Danny Ocean. Le résultat est un peu trop éparpillé entre une multitude de personnages et tout autant d’intrigues pas toutes aussi intéressantes les unes que les autres, mais Soderbergh s’amuse, contrôle ses excès et sait livrer la bonne marchandise au public. La multiplicité d’escroqueries et d’intrigues entrecroisées fait en sorte que l’on ne s’ennuie jamais longtemps. Comme dans le reste de la série, on a l’impression de se payer des vacances en compagnie des stars de Hollywood.

[couverture] Mais il y a encore mieux au royaume des numéros trois ! Si on veut un peu de substance en plus du divertissement, c’est du côté de The Bourne Ultimatum [La Vengeance dans la peau] qu’il faut regarder. Ici aussi, il s’agit d’une suite qui apprend des erreurs des volets précédents pour faire quelque chose de plus intéressant.

L’intrigue renoue avec Matt Damon dans la peau de Jason Bourne, assassin repentant affligé d’amnésie. Comme le laissait présager la toute fin de The Bourne Supremacy, Bourne passe ce troisième film à retrouver la mémoire et à revenir là où on l’a transformé en machine à tuer – dans un centre de recherches au centre-ville de New York. (Inutile de dire que le film n’a plus rien à voir avec le roman de Robert Ludlum.)

Mais avant d’en arriver à la pleine révélation du passé de Bourne, les mécaniques de l’intrigue l’amènent dans trois longues et magnifiques séquences à suspense en plein centre de Londres, au milieu des dédales de Tanger et dans les rues de New York. Oubliez, pour le moment, le mince scénario, les talents superhéroïques de Jason Bourne et le côté répétitif de la série : ce troisième film trouve sa vitesse de croisière dans ces séquences de chasse frénétique. La poursuite à Londres est un cauchemar de surveillance électronique, d’équipement sophistiqué et de traque dirigée à distance. En revanche, la longue poursuite à Tanger se fait sur fond de labyrinthe de pierre, alors que chasseur et proie sautent sur les toits et à travers les fenêtres placées les une près des autres. Entre le bleu acier technologique et le brun terre primal, The Bourne Ultimatum en fait voir de toutes les couleurs. La caméra de Paul Greengrass, toujours portée à l’épaule, reste un peu trop volage pour bien situer l’action (un défaut particulièrement affligeant lorsque l’action se déplace à New York), mais elle est mieux contrôlée que dans le deuxième film.

Au-delà des trois séquences de poursuite, il y a surtout dans The Bourne Ultimatum un thème qui évoque les récentes révélations sur les excès des services de renseignements américains : le film présente des agents gouvernementaux qui n’hésitent pas à désigner des traîtres et à ordonner leur exécution, justifiant les moyens par le besoin de gagner. À eux s’opposent des héros qui préfèrent révéler la vérité, aussi déplaisante soit-elle. Le film s’achève sur une note d’un optimisme remarquable après le cynisme des trois films de la série et le poids accumulé du XXIe siècle jusqu’ici. De 2002 à 2007, en pleine administration Bush, la trilogie Bourne nous a montré un personnage choqué par le poids des révélations, tentant désespérément de retrouver son centre moral et de corriger des excès commis malgré lui. La métaphore est habile, surtout lorsqu’elle ne peut être livrée que par le biais d’un « troisième tome » au bout d’un long périple moral.

Doublé Kingsley

Camera oscura ne s’intéresse généralement pas aux acteurs comme tels. Après tout, contrairement aux réalisateurs ou même aux scénaristes, il est rare d’en identifier un comme étant particulièrement associé au cinéma à suspense. Mais la juxtaposition récente de films aussi disparates que You Kill Me et The Last Legion a de quoi amuser, surtout pour les admirateurs de Sir Ben Kingsley.

Si celui-ci a reçu ses lettres de noblesse en jouant un symbole du pacifisme dans Gandhi, on l’a plus récemment vu dans une série de rôles beaucoup plus mordants, de Sexy Beast à Suspect Zero en passant par Lucky Number Slevin. Pour un sieur qui est récipiendaire d’un Oscar, Kingsley ne semble pas dédaigner les productions plus petites et moins respectables, ce qui explique son apparition dans un doublé bizarre… qui n’a rien d’autre en commun que d’être bizarre.

[couverture] Le premier film, You Kill Me [voa], est une comédie noire à petit budget où Kingsley incarne un assassin alcoolique temporairement exilé à San Francisco pour se payer une cure de désintoxication. Enjoint de rejoindre les Alcooliques Anonymes, il aura à faire face à un emploi macabre, à une petite amie peu conventionnelle, aux manigances de son surveillant véreux, aux tracas familiaux laissés à Buffalo et à ses propres mauvaises habitudes. « Une journée à la fois », disent-ils…

Tourné presque entièrement à Winnipeg malgré une intrigue qui se déroule surtout à San Francisco, le film souffre des tics habituels des petits films indépendants : une vision des choses et un humour particuliers qui fonctionneront, ou pas, selon l’humeur du spectateur. Si les acteurs s’en tirent bien et que la réalisation accomplit un travail acceptable, le scénario a ses hauts et ses bas, oscillant un peu maladroitement entre la violence et l’humour des comédies noires. Kingsley est sympathique dans le rôle d’un tueur taciturne qui cherche à ne pas laisser l’alcool interférer avec son métier. La scène où il profite de l’anonymat des AA pour révéler ses petits secrets a de quoi laisser un bon souvenir. Pour le reste, c’est le genre de film peu spectaculaire qui se laisse voir sans nécessairement mériter un grand détour.

Mais s’il y a lieu de respecter You Kill Me, The Last Legion [La Dernière Légion] a plutôt de quoi faire rigoler. Prétendant raconter comment la dernière légion romaine a abouti en Angleterre pour former l’essentiel de la légende arthurienne, le film s’avère plutôt une série d’aventures bien ordinaires : combats à l’épée, poursuites à cheval, assaut sur une forteresse soi-disant imprenable, affrontements entre armées… The Last Legion est mené comme une adaptation de roman de fantasy épique, avec moins de magie et plus de références historiques. (C’est d’ailleurs adapté d’un roman de l’historien Valerio Massimo Manfredi.)

On y retrouve Kingsley dans le rôle d’un druide à la fois sage et habile au combat, chargé de protéger un jeune héritier malgré les tourbillons politiques qui accompagnent les derniers jours de l’Empire romain. Il n’est pas exagéré de dire que Kingsley, en compagnie de Colin Firth et d’Ashwarya Rai (dans une rare performance d’héroïne d’action), apporte à The Last Legion une respectabilité que le film ne mérite tout simplement pas. Car au-delà du plaisir narquois de voir des acteurs compétents se débrouiller avec des dialogues convenus et une intrigue paresseuse, il y a bien peu de choses à remarquer dans ce film. Les premières minutes sont lentes, les limites du budget sont assez évidentes et les péripéties sont franchement ridicules : attendez de voir l’équivalent romain des mitrailleuses et comment les protagonistes parviennent à en disposer. Constamment tiraillé entre la prétention de sa prémisse et le ridicule de son exécution, The Last Legion aurait dû être un échec complet.

Et pourtant, peut-être par sympathie pour Kingsley, Firth et Rai, The Last Legion se laisse regarder avec un charme maladroit un peu attendrissant. Bien sûr, les plus fins cinéphiles auront d’abord remarqué une affiche promettant un film « produit par Dino De Laurentis » et ajusté leurs espoirs en conséquence… comme quoi les producteurs sont souvent plus garants d’attentes comblées que les acteurs.

Complètement fou

Un des aspects les plus loufoques du cinéma à suspense, c’est la guerre d’astuce qui se déroule constamment entre les scénaristes et le public blasé. Convaincu que la seule façon d’impressionner le spectateur est de présenter des retournements sans cesse plus imprévisibles, les scénaristes de certains films dotent leurs intrigues de prémisses toujours plus ridicules, jumelant des éléments convenus dans l’espoir d’en faire quelque chose d’inusité. Parfois ça fonctionne ; souvent ça foire.

Ce n’était donc qu’une question de temps avant de voir un feel-good movie à propos d’un tueur en série schizophrène qui a des problèmes au travail comme à la maison. Pauvre monsieur Brooks : quelqu’un a découvert son passe-temps favori, la police s’intéresse à lui, sa fille semble avoir développé de mauvaises habitudes et son ami imaginaire n’arrête pas de lui ricaner en plein visage… Décidément, Mr Brooks [Monsieur Brooks] a tout d’une comédie noire particulièrement tordue.

Hélas, la comédie semble s’être perdue quelque part entre le high concept et l’exécution. Si Kevin Costner et William Hurt sont passablement amusants dans leur interprétation d’un tueur en série avec des problèmes, leur jeu enjoué suggère les possibilités d’un film qui n’exploite pas sa pleine démence. Autrement, comment expliquer un scénario où les tueurs en série semblent se multiplier, où ils prodiguent des conseils à des néophytes, où ils doivent faire ce qu’ils connaissent le mieux pour résoudre leurs problèmes ? Une coïncidence énorme lors du troisième acte laisse présager un plan machiavélique, mais en vain : le développement reste là, inexpliqué, laissant plutôt soupçonner un scénario qui a échappé à son créateur.

Ce n’est pourtant pas un mauvais film, ne serait-ce que pour le plaisir très coupable de voir jusqu’où ira le scénario. Heureusement, celui-ci devient complètement absurde, jusqu’à une fausse fin choquante tirée tout droit d’un film de Brian de Palma. Les amateurs de nanars n’ont qu’à bien se tenir.

Malheureusement, aucun plaisir équivalent n’attend les malchanceux spectateurs victimes de I Know Who Killed Me [voa], un flop aussi commercial, populaire que critique. Ici, c’est une autre histoire de tueur en série qui est tordue et retordue, cette fois-ci du côté de la victime. La brillante preppie Aubrey (Lindsey Lohan) se fait kidnapper par un tueur particulièrement sadique ; pourquoi la même jeune fille est-elle retrouvée dans un fossé, prétendant s’appeler Dakota, œuvrer comme effeuilleuse et ne rien savoir au sujet d’Aubrey ? Personnalité multiple ou quelque chose d’autre ?

La réponse envoie ce film dans les sphères du genre fantastique plus appropriées à notre revue sœur Solaris, comme en témoigne la présence d’Art Bell en tant que source d’information particulièrement crédible (!). Mais avant même de tromper le spectateur rationnel, I Know Who Killed Me pèche par des prétentions artistiques qui dépassent de loin le matériel de bas étage fourni par le scénariste. Une réalisation laborieuse et haute en couleurs symboliques ne parvient même pas à faire de Lohan un sex-symbol malgré des scènes de danse exotique : c’est tout dire.

Par respect pour le temps du lecteur, on n’en ajoutera pas plus, si ce n’est que I Know Who Killed Me devrait signaler l’apogée de la guerre entre scénaristes et public futé : au-delà de ce seuil, que des bêtises.

Bolides et satisfaction

Les films d’action francophones sont rares, alors imaginez le bonheur des jeunes cinéphiles québécois à l’arrivée en salle de deux films de casse automobile réalisés dans la langue de Molière : un produit canadien au titre prometteur, Nitro, et un quatrième épisode tout à fait prévisible dans la série française Taxi.

[couverture] Ayant vu la débandade désolante qu’était Taxi 3, on était en mesure de s’attendre à plus de Nitro. Et, par moments, on en a pour son argent : Guillaume Lemay-Thivierge est un héros d’action crédible dans cette tentative de faire un Fast And The Furious made in Québec. Il a la gueule d’un jeune loup, des réflexes qui rendent crédibles les scènes de poursuites et l’intensité nécessaire pour porter un film sur ses épaules. Plusieurs scènes ici et là démontrent que le réalisateur sait faire bien avec peu : une course à pied à travers un quartier montréalais a une saveur parkour délicieuse, une course de nuit bien menée (étant donné le budget disponible) est suivie d’une bien bonne bataille à coups de bonbonnes de nitro, et quelques cascades supplémentaires nous montrent bien qu’en matière de film d’action, Nitro avait les éléments nécessaires pour réussir.

Mais c’était sans compter l’autre volet du film : l’intention d’en faire un drame dépassant les conventions simplistes des films à divertissement populaire. Chemin faisant, le scénario commet des erreurs impardonnables, y compris un acte si repoussant qu’il détruit à jamais, à mi-film, toute sympathie que l’on aurait pu éprouver pour le héros. Dès lors, Nitro cesse d’être plaisant et devient inconfortable. Les accrocs qu’on aurait autrement pu pardonner, tels des éléments mélodramatiques surfaits, une inconsistance de ton ou bien des tangentes sentimentales prétentieuses, deviennent beaucoup plus agaçants et éteignent tout le divertissement du film. Et Nitro n’a tout simplement pas des fondations assez solides pour résister au choc. Il n’y a qu’à considérer le personnage de Lucie Laurier, suffisamment forte pour soutenir un film à elle seule, mais ultimement reléguée à un rôle entièrement subordonné au soi-disant héros. La finale, pas aussi imprévisible qu’elle pense l’être, laisse un goût tout aussi amer que le reste du film.

Car Nitro, en tentant d’être respectable, a oublié le degré zéro du divertissement populaire : on peut tout pardonner à un film qui a au moins la décence de nous mettre de bonne humeur. Inutile de tenter du Grand Art sous couverture de blockbuster estival si on est incapable de divertir le Peuple.

[couverture] L’ironie, c’est que Taxi 4, malgré un scénario bête à en pleurer, réussit justement à se faire pardonner les pires énormités en prenant soin de faire sourire.

On est très, très loin de l’hybride action/comédie qui avait fait le succès des deux premiers films de la série. À chaque Taxi, l’action devient de plus en plus mince et la comédie devient sans cesse plus débile. Malgré toutes les protestations d’un public excédé, le commissaire Gilbert de Bernard Farcy prend une place de plus en plus importante, laissant peu de choses à faire à Samy Naceri et Frédéric Diefenthal. La comédie est grossière, l’intrigue policière est fade et le sexisme est toujours aussi présent : eh oui, c’est un autre scénario de la plume de Luc Besson.

Mais Besson est un vieux routier et il a toujours le bon instinct pour laisser repartir le public avec un sourire. Entre un caméo amusant de Djibril Cissé et une finale forte en mitrailleuse, Taxi 4 n’a aucune prétention et ne laisse aucun goût amer. Ça ne laisse aucun souvenir durable non plus, mais peu importe : on sort de Taxi 4 vaguement satisfait et prêt à passer à autre chose.

En revanche, Nitro laisse encore le souvenir indélébile d’un échec frustrant.

Profiter de sa fin

Le thème des attentes pèse fort dans cette livraison-ci de Camera oscura, une thématique inévitable lorsqu’on discute d’autant de suites et de divertissements estivaux. Mais la question ultime en la matière est la suivante : peut-on tirer plaisir d’un film dont on connaît la fin ? Et jusqu’à quel point le retournement final (s’il y en a un) influence-t-il notre impression du film ?

Ceci n’est pas qu’une question académique. Quand un film basé sur une histoire connue tel A Mighty Heart arrive en salle, peut-on tirer une satisfaction du visionnement même en sachant l’horrible conclusion qui nous attend ? Peut-on apprécier quelque chose comme Die Hard 4 en sachant que le héros s’en tirera triomphalement ? Est-ce qu’un film ordinaire comme War « mérite » une finale extraordinaire qui remet en question tout le reste du film ?

Car au premier coup d’œil, peu d’éléments distinguent War [Guerre] de tant d’autres films d’action faits sur mesure pour le marché du club vidéo. Si ce n’était de la présence au générique de stars d’action telles Jet Li et Jason Statham, War serait de la pure routine. Malgré son titre grandiose, cette banale histoire d’affrontement entre Triades et Yakusa souffre d’une réalisation sans histoire, de scènes ternes, de dialogues convenus et d’une intrigue morne. Des policiers affrontant des criminels à coups de fusil et d’arts martiaux, ce n’est pas inhabituel. Peu importe le charisme de Li et Statham, ils n’apportent rien de bien neuf au résultat.

Puis vient la finale, qui torpille ce que l’on pensait savoir sur le déroulement du film. Ceci en soi ne serait pas trop mauvais, sauf qu’il s’agit là de l’élément le plus distinct d’un film généralement moche : faut-il recommander War avec un avertissement disant « rien ne se passe avant la 80e minute, mais le reste surprend ? » Non : un film de fiction (et un film d’action de surcroît) est un exercice soutenu, pas un gaspillage de minutes en attendant quelque chose de bien. Ce qui afflige d’autant plus War, c’est que la conclusion, aussi tordue soit-elle, enferme l’intrigue dans un coin d’où aucune résolution émotionnellement satisfaisante ne peut sortir. Les amateurs de nihilisme esquisseront peut-être un mince sourire, mais « nihilisme » et « film estival » ne sont pas faits pour aller ensemble. War se permet donc une conclusion à 180 degrés, mais le choc du changement de direction finit par déboulonner le film au complet : d’un divertissement sans histoire, War finit par sombrer dans sa propre astuce. Ce qui, de Nitro à I Know Who Killed Me, semble être le cas de bien des films décevants du trimestre.

Live Free Or Die Hard (ou, en version internationale, le plus honnête Die Hard 4.0) [Vis libre ou crève] ne commet pas cette erreur. Dès le titre, on sait à quoi s’attendre : Bruce Willis, des voleurs déguisés en terroristes, des scènes d’action spectaculaires et au moins un bon « Yippee Ki Yay » bien placé. Et, que l’esprit de Peckinpah soit loué, le film livre la marchandise.

Il y avait de quoi douter : douze ans après Die Hard 3, mettant en vedette un Bruce Willis dans la cinquantaine, confier à un réalisateur avec deux films Underworld confus à son actif le projet Die Hard 4 n’inspirait pas confiance. Mais les bandes-annonces promettaient mieux, et le résultat final arrive à la hauteur des attentes raisonnables des adeptes de la série.

À nouveau, John McClane se trouve happé dans le sillage d’un vaste complot terroriste : une « vente de feu » paralyse les systèmes informatiques des États-Unis, plongeant tout le pays dans le chaos. Chargé d’escorter un jeune spécialiste en informatique à Washington pour interrogatoire, John McClane se retrouve à nouveau forcé de s’impliquer dans l’action. Poursuites et fusillades suivent inévitablement, mais tout dépend de l’exécution des séquences d’action.

La prémisse même de Die Hard 4.0 aurait été de la science-fiction il y a une décennie. Maintenant, elle relève du techno-thriller, et une des idées les mieux exploitées du scénario est d’opposer le côté « analogue » classique de McClane à la menace numérique maîtrisée par les antagonistes. Les dialogues entre le policier vétéran et le jeune hacker qu’il protège ont une certaine valeur symbolique, représentant l’union de la force et de l’intelligence nécessaire pour arriver au bout de l’énigme.

Mais trêve de considérations thématiques : est-ce que les choses explosent bien dans ce film ou pas ? Live Free or Die Hard ne déçoit pas à cet égard, exploitant les possibilités de sa prémisse pour quelques scènes d’un délire savamment calculé. On retiendra une scène où deux flots de circulation automobile sont redirigés à contre-courant dans un tunnel plongé dans le noir, ou bien un affrontement inégal entre camion-remorque et chasseur F-22. Ce n’est pas toujours aussi bien maîtrisé (on se serait épargné le stéréotype de l’assistante asiatique habile en arts martiaux qui ne peut s’empêcher de crier « ya ! » à chaque coup de pied), mais les scènes d’action ont une texture mécanique qui cadre très bien avec toute l’atmosphère du film. Que le scénario ait ses propres pointes d’intérêt (y compris la destruction spectaculaire d’un édifice connu) représente un certain soulagement aussi. Bref, si Die Hard 4 a beau ne réserver aucun doute au sujet du triomphe final de John McClane, il parvient tout de même à retenir l’attention du public jusqu’à la fin.

On peut témoigner du même constat, malgré un registre émotionnel complètement différent, pour A Mighty Heart [Un cœur invaincu], un docudrame racontant l’enlèvement du journaliste américain Daniel Pearl par des terroristes, tel que vécu par sa femme Marianne Pearl. L’histoire avait fait le tour de la planète en 2002, et la vaste majorité du public qui verra A Mighty Heart connaît déjà l’issue du drame que décrit le film. Alors que Marianne Pearl active son réseau de contacts et fait pression sur la police de Karachi pour retrouver son mari, on sait déjà que tout mène à une scène terrible où elle apprendra la triste vérité. (La performance d’Angelina Jolie dans le rôle de Marianne Pearl attirera sans doute l’attention de l’Académie.)

Le réalisateur Michael Winterbottom utilise une technique quasi documentaire pour tourner ses images, et le choix s’avère aussi judicieux que troublant étant donné l’aspect cinéma-vérité d’A Mighty Heart. Il y a de quoi redouter un film assez déprimant. Mais c’est sans compter la facette procédurale de l’histoire. Celle qui n’a pas été mentionnée dans les journaux.

Car « une recherche pour les kidnappeurs de Daniel Pearl » implique beaucoup plus qu’une jeune mariée attendant anxieusement l’issue de l’enquête : ça suppose une recherche policière active dans le monde interlope de Karachi, avec toutes les complications inimaginables pour un habitant de pays occidentaux. Les services policiers pakistanais n’y vont pas de main morte et c’est sans peine que leurs efforts prennent la forme d’un thriller policier dans les décors claustrophobes de la métropole pakistanaise. Il y a quelque chose de neuf et d’intrigant à voir la mixture de pauvreté humaine et de haute technologie employée à mauvais escient. Tout en sachant que cela ne mènera à rien, on reste absorbé par les dédales d’une enquête qui ne ressemble en rien à ce que l’on peut voir habituellement.

D’une certaine façon, connaître l’issue du film lui donne un pouvoir dramatique plus percutant : on se met à admirer l’enquête malgré sa futilité, à redouter l’inévitable révélation et à considérer le film comme une marche funèbre. Ce n’est pas exactement un film pour tous, ni même un film à regarder à la légère, mais c’est une œuvre d’une puissance indéniable.

Bientôt à l’affiche

Signe des temps, l’automne 2007 semble préoccupé par le thème des conséquences. Celles de la violence personnelle, comme pour Kevin Bacon dans Death Sentence ou bien Jodie Foster dans The Brave One, mais aussi celles de la violence à grande échelle, comme dans les drames The Kingdom, In The Valley of Elah et Lions for Lambs, portant sur les séquelles de l’invasion de l’Irak. Plus loin des soucis contemporains, Elizabeth : The Golden Age s’intéressera à l’Armada espagnole, alors que Russell Crowe retournera au Far West dans 3:10 to Yuma. Ce même Russell Crowe figurera également au générique d’American Gangster, pressenti aux Oscars au même titre qu’Eastern Promises de David Cronenberg. Les amateurs de polars écrits pourront se précipiter sur Gone Baby Gone, adapté du roman de Dennis Lehane, alors que les mordus de films d’action savent déjà à quoi s’attendre avec Shoot’em Up.

En attendant l’hiver, bon cinéma !

Revue Alibis – Mise à jour: Septembre 2007

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