Camera Oscura 23

Camera oscura 23

Christian Sauvé, avec la collaboration spéciale de Daniel Sernine et François-Bernard Tremblay

Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 979Ko) d’Alibis 23, Été 2007

Entre la saison des oscars et l’été, il y a un bref printemps cinématographique imprévisible, où l’on peut trouver au cinéma le meilleur comme le pire. Navets et produits préfabriqués côtoient des surprises plaisantes et des chefs-d’œuvre mineurs. Attention : étonnement à l’horizon !

Guerres antiques et en toc

Qu’on se le dise : le film de guerre est maintenant entré dans sa phase classique. Après avoir miné le Vietnam, puis la Seconde Guerre mondiale, voici que les cinéastes guerriers remontent de plus en plus loin dans le temps pour trouver des sujets d’inspiration.

Mais de vieilles guerres ne donnent pas nécessairement de vieux films. 300 [vf] a beau s’intéresser à une guerre entre Spartiates et Perses, le film s’avère à la fine pointe de la cinématographie numérique et du marketing contemporain. Adapté du roman illustré de Frank Miller, 300 profite de l’infographie pour rendre ses combats sanglants aussi spectaculaires que possible. Décapitations excessives, animaux gigantesques et piles de cadavres font partie des nouveaux horizons douteux que permet l’union de l’informatique et de l’imagination. Pratiquement aucune image de 300 n’est passée directement de la caméra à l’écran : tout le film est une démonstration de techniques de manipulation d’images. Chaque personnage exhibe un corps raffermi (ou torturé) par logiciel, chaque nuance de la palette est méticuleusement contrôlée et la caméra numérique se permet des pirouettes impensables ailleurs qu’en studio virtuel.

Si vous soupçonnez que ce film est fait pour les jeunes assoiffés de sang, vous avez raison : l’œuvre précédente du réalisateur Zack Snyder étant le remake du film de zombies Dawn of the Dead, vous pouvez vous imaginer ce qu’une telle sensibilité peut apporter à un film de bouclier et d’épée. Contrairement à la plupart des films de guerre, 300 adopte l’adage dulce et decorum est pro patria mori : les protagonistes spartiates, après tout, sont les produits d’une société qui se débarrasse sans remords des enfants moins aptes au combat. On interprétera sans doute ce film selon ses propres marottes politiques : glorification de la lutte au terrorisme, manque de compromis rafraîchissant devant les hésitations pacifistes ou satire des guerres illégales au Moyen-Orient, 300 saura agacer tous ceux qui commettent l’erreur de voir en ce film plus qu’une succession de scènes de carnage conçues sur mesure pour impressionner les adolescents attardés d’aujourd’hui.

Car il faut mentionner les éléments de la campagne de publicité monstre qui a fait de 300 l’événement cinématographique du trimestre pour les 15-30 ans : de la bataille pour les garçons, des corps virils et ruisselants de sueur pour les filles, une bande-annonce d’enfer et une série de vidéoclips que tous se sont empressés de répéter, critiquer ou parodier. Le film lui-même ne survit guère à sa propre campagne de marketing : les séquences chaotiques de combat sont entrecoupées de longueurs, les anachronismes pullulent et le film dégage un air préfabriqué arrogant, comme s’il était impensable pour nous de ne pas se soumettre à la force tonitruante de son assaut audiovisuel. Hélas, il peut être difficile de ne pas ricaner devant sa démesure ridicule. Peu importe sa sophistication technique ou ses scènes d’action dégoulinantes, 300 s’avère une ligne de démarcation de plus entre les cinéphiles satisfaits par le tonnerre et les éclairs et ceux qui exigent un peu plus de leurs divertissements. Une chose est certaine : c’est un événement cinéma – tout comme Sky Captain and the World of Tomorrow.

[couverture] On peut dire ce que l’on veut au sujet de 300, mais le film demeure bien plus respectable que le désastre offert par Pathfinder [Pathfinder : Le Sang du guerrier], une laborieuse épreuve imaginant sans rigueur ce qui se serait passé si les Vikings avaient livré une guerre aux Amérindiens en l’an mille. Le tout est compliqué par la présence d’un jeune guerrier européen abandonné par ses proches et élevé par les Amérindiens. Heureusement, il semble être le seul de sa bande à savoir manier l’épée : ce sera donc à lui de repousser l’invasion scandinave.

Une telle prémisse bascule rapidement en une interminable série de poursuites à travers forêts et montagnes rocheuses (à distance de marche même si les Vikings ont vraisemblablement débarqué sur la côte est). Mais ce qui était passionnant entre les mains de Michael Mann, dans The Last of the Mohicans,se révèle ici être insupportable et soporifique. D’abord, tout le film est plongé dans une palette de couleurs blafardes qui ne fait rien pour rehausser la beauté de la nature dans laquelle se déroule l’action. De deux, la réalisation incompétente de Marcus Nispel ne permet jamais d’avoir une bonne idée de ce qui se passe. De trois, le scénario lui-même est pénible et mal servi par des dialogues sans intérêt. Finalement, les personnages à l’écran n’acquièrent jamais de personnalité, ce qui ne les empêche pas de commettre une succession d’erreurs exaspérantes. Pour s’amuser, on peut toujours opposer Pathfinder à Apocalypto… mais c’est le film de Mel Gibson qui émerge victorieux de chaque comparaison.

Il y a au moins deux types de mauvais films : ceux qui fascinent même par leurs faiblesses, et ceux qui donnent simplement envie de se lever et de sortir de la salle. Pathfinder fait assurément partie de la deuxième catégorie.

Attentes et retournements

Certains films sont des boîtes à surprise où tout est possible en dépit de la logique. D’autres sont des casse-tête où les pièces sont sur la table, mais où il est difficile de tout mettre dans le bon ordre. Au royaume des films à suspense ordinaires, Perfect Stranger est une boîte à surprise mal construite mais passionnante, alors que Fracture est un casse-tête sans relief mais raisonnablement satisfaisant.

Nous avons déjà mentionné qu’il existe deux types de mauvais films. Perfect Stranger [Parfait inconnu]fait partie de ceux qui fascinent malgré leurs faiblesses. Chose certaine, le film ne gaspille pas de temps à établir son manque de qualité : les dialogues sont ratés, la réalisation a un certain côté « pédestre », Halle Berry est irritante dans le rôle d’une journaliste qui tente de percer le mystère de la disparition d’une de ses amies alors que Bruce Willis obtient un chèque de paie ordinaire dans le rôle du suspect principal, un publicitaire avec un penchant pour le clavardage anonyme. Ensemble, ils ne réussissent pas à faire lever les émotions d’un thriller soi-disant psychologique.

Et pourtant, on reste collé à l’écran. Clairement, un retournement se prépare : il y a trop d’indices, trop de scènes incongrues, trop de questions abandonnées pour que quelque chose ne soit pas gardé en réserve. Et malgré les scènes ordinaires, malgré les tics agaçants de Berry, malgré l’enchaînement des scènes parfois ridicules, malgré le manque de suspense viscéral, on reste accroché à l’intrigue… seulement pour apercevoir l’anguille qui se cache sous la roche. Et lorsqu’est révélé le crochet final, on n’y croit pas une seconde, mais on reste amusé par l’audace du film. Peu importe l’invraisemblance de la solution (la question qui tue : « Pourquoi se donner toute cette peine ? »), on apprécie les gesticulations du scénariste… même si elles nécessitent quelques minutes d’explications et plusieurs personnages complètement cinglés. Oui, le film aurait pu être mieux mené, faire confiance à de véritables acteurs plutôt qu’à des stars ou bien profiter de dialogues qui dépassent la routine. Mais en ce qui concerne les qualités de base d’un thriller, soit retenir notre attention et nous livrer une conclusion surprenante, Perfect Stranger atteint au moins le stade de la compétence malhabile.

Fracture [vf]fait légèrement mieux. Une différence, cependant : le film n’a pas vraiment la patience ni l’intention de nous cacher l’identité du suspect. Ici, il est assez clair qu’un ingénieur génial a tenté de tuer sa femme par froide jalousie sentimentale. Le film nous en montre suffisamment pour nous convaincre. Mais quand un jeune avocat ambitieux se colle et se brûle à ce personnage retors, c’est quelque chose de plus complexe et de plus satisfaisant qui s’offre à nous : un suspense qui s’intéresse à ses personnages, présentant une enquête qui finit pratiquement par relever du sous-genre procédural. Il y a une ou deux invraisemblances (comment pouvait-il prédire l’identité du policier assigné à son cas ?) et au moins un moment maladroit qui fait grincer des dents, mais Fracture réussit néanmoins à livrer un divertissement convenable et à présenter de manière satisfaisante un protagoniste qui apprend de ses erreurs, malgré le coût que cela implique. Le scénario se permet même une tangente thématique inhabituelle en explorant les mérites du service public. Évidemment, le jeu des acteurs n’y est pas pour rien : Anthony Hopkins est hypnotique, peu importent les circonstances (surtout lorsqu’il joue son propre stéréotype), et Ryan Gosling continue ici à se tailler une place comme un des acteurs les plus sympathiques de sa cohorte.

Si ni l’un ni l’autre de ces deux films ne passera à l’histoire (on aura de la difficulté à se les remémorer d’ici quelques mois), on remarquera tout de même la manière dont ils comblent les attentes de leur public cible. Si bien, en fait, que même si Perfect Stranger est en tout point inférieur à Fracture, on hésitera à identifier l’autre film comme étant le meilleur choix au vidéclub : l’audace paie et peut parfois compenser pour des défauts criants. Mais puisque vous savez qu’un retournement se cache à la fin du film… en savez-vous déjà trop ?

Intrigue familière, suspense classique

Malgré toute l’affection que l’on peut porter au cinéma à suspense, force est d’avouer que l’originalité ne figure pas au palmarès des atouts du genre ; peu importe la prémisse, la qualité des dialogues ou le talent du réalisateur, le film à suspense gravite autour d’intrigues communes et de personnages types : le héros luttant contre une conspiration, le quidam confronté au criminel meurtrier, la victime prise au piège, le policier luttant contre le crime… Heureusement qu’il y a des permutations pratiquement infinies sur ces thèmes, et qu’il est possible d’apprécier des histoires convenues mais bien exécutées.

Shooter [Tireur d’élite], par exemple, ne fait qu’ajouter quelques complications à une situation bien familière, celle d’un spécialiste qui, replongé dans le feu de l’action, se voit trahi et pourchassé. Dans ce cas-ci, c’est un ex-tireur d’élite à la retraite qui est tiré de son refuge rural pour aider les autorités à attraper un assassin qui en veut au président. Mais c’est sans surprise que l’intrigue se retourne contre lui : quand on tire effectivement sur le président, on le désigne comme suspect numéro un. Parviendra-t-il à échapper à la traque et à dévoiler au grand jour les détails de la conspiration contre lui ? Intrigue familière…

Et pourtant, quelques éléments distinguent Shooter de tant de films de cet acabit. D’abord, c’est une adaptation libre du roman Point of Impact de Stephen Hunter (qui, ironiquement, occupe un poste de critique de films pour le Washington Post), un état de fait qui aura de quoi intriguer les amateurs de Hunter. Ensuite, le film est réalisé par Antoine Fuqua, qui a déjà démontré (avec Training Day) une certaine compétence pour tourner des suspenses bien menés avec des personnages intrigants. Finalement, Shooter possède un scénario qui n’est pas aveugle à la nature des jeux de pouvoir de haut niveau. Alors que politique internationale, affaires et crimes s’entremêlent, le héros se fait dire et redire qu’il ne peut rien faire contre le conglomérat qui a tout manigancé. Inutile de se battre, lui répète-t-on, car c’est l’argent et le pouvoir qui sauront contrôler les faits tels que véhiculés par les médias – bienvenue au film de conspiration du XXIe siècle.

Mais il ne faut pas pour autant croire que le scénario pratique ce qu’il prêche : malgré cette attitude cynique, Shooter ne se gêne pas pour ajouter un épilogue tout droit sorti des films de vengeance les plus éculés, un épilogue dans lequel le héros armé règle une fois pour toutes le problème qui le préoccupe. Ce sera au spectateur de décider s’il a eu la satisfaction qu’il désirait. Pour le reste, le rythme du film nous transporte allègrement du début jusqu’à la fin, ce qui a tout de même ses attraits.

Disturbia [Paranoïak] s’inscrit dans la même lignée, mais en un peu plus dérivatif et un peu plus intéressant à regarder. Avouons-le tout de suite : la prémisse est directement calquée sur celle de Rear Window : après une altercation en classe, un finissant d’école secondaire se voit mis en garde à domicile, ses mouvements restreints par un bracelet électronique au pied. Après quelques jours d’ennui, le voilà qui commence à espionner le voisinage, que ce soit la jolie nouvelle voisine ou bien le sinistre quidam qui habite de l’autre côté de chez lui. Sans perdre trop de temps, il est troublé par les agissements suspects de son voisin. Alors que les indices s’accumulent et que la menace grandit, le doute s’installe : notre protagoniste aurait-il découvert l’identité d’un meurtrier en série ?

Gageons que vous êtes déjà en mesure de répondre à cette question.

Mais l’intérêt du film ne se trouve pas tant dans les réponses que dans la façon dont se déroule l’intrigue. La réalisation de D. J. Caruso est très efficace, ménageant un bon rythme et ne lésinant pas sur l’adrénaline lors des séquences à suspense. Après plusieurs prestations laissant indifférent dans des films tel I, Robot, Shia LaBouef livre finalement une performance remarquable, bien que tous les acteurs qui l’entourent (y compris les visages familiers de Carrie-Anne Moss et David Morse, typé mais excellent dans le rôle du sinistre voisin) s’en tirent également fort bien. La claustrophobie créée par la mise en situation est exploitée adroitement, les détails technologiques sont amusants et même quelques scènes plus ridicules que réalistes ne font rien pour diminuer le plaisir croissant du film. Sans être un classique, ou même guère plus qu’un film pour adolescents, Disturbia est néanmoins bien mené et saura satisfaire les spectateurs de tout âge. On en vient même à pardonner les emprunts au film classique de Hitchcock. Malgré quelques ratés, Disturbia émerge de la sélection du trimestre comme une surprise agréable, sans doute plus par manque d’attentes concrètes que par une qualité indéniable. Comme quoi l’exécution peut souvent triompher d’une intrigue familière.

Jouer avec la formule

N’en déplaise aux cinéphiles plus exigeants, produire un film demande un tel investissement d’argent et d’effort que l’expérimentation, voire même l’originalité, ne sont pas encouragées. Il est plus simple de brasser une formule existante pour fournir au spectateur une expérience familière que de risquer la ruine financière avec quelque chose de véritablement neuf. Mais il y a moyen de faire du bon avec du vieux, surtout si l’on n’a aucune révérence particulière pour l’original.

C’est pourtant avec l’intention de recréer une expérience spécifique que Quentin Tarantino et Robert Rodriguez ont conçu Grindhouse [Grindhouse en programme double] : pourquoi ne pas imiter les cinémas bon marché d’antan et fournir deux films de série B pour le prix d’un ? Pourquoi ne pas compléter l’illusion en y ajoutant quelques bandes-annonces factices et quelques fausses rayures à l’image ?

[couverture] Le résultat aura de quoi surprendre ; il est rare, après tout, que deux réalisateurs d’expérience se donnent la permission de faire du cinéma à bon marché. Rodriguez se fait le plus fidèle à l’intention de départ avec le premier volet de Grindhouse, un film de science-fiction horrifique subtilement titré Planet Terror. Le réalisateur ne se laisse retenir par aucun scrupule et recrée avec beaucoup d’énergie la joie débordante des films faits avec plus d’imagination que de talent (pour plus de détails sur ce segment, on consultera la chronique « Sci-néma » de notre revue sœur Solaris, disponible au www.revue-solaris.com).

Mais Quentin Tarantino a autre chose en tête pour les 90 minutes qui lui sont allouées : Death Proof se veut au départ un hybride déconcertant : un thriller au sujet d’un tueur psychopathe, mais mené par des dialogues que l’on reconnaîtra facilement comme issus de la plume de Tarantino – un mélange de références culturelles, de phrases salées et de digressions inutiles mais amusantes. Ce n’est qu’après une quarantaine de minutes de verbiage et de menace diffuse que le film livre une scène de violence tellement choquante qu’elle en est dégoûtante.

[couverture] Puis, les choses changent. Le film que l’on pensait voir devient tout autre : une satire (pas toujours drôle) du type de film suggéré par sa première moitié. De thriller criminel sadique, on passe à un film d’exploitation féministe qui n’est pas sans rappeler Russ Meyer, avec un retournement de situation qui réjouit autant qu’il laisse songeur.

Naturellement, il est impossible de jouer de la sorte avec les attentes du public sans s’y brûler. Plusieurs seront déconcertés par l’approche de Tarantino, pour ne rien dire du manque d’efficacité du segment : d’une durée de plus de 90 minutes à lui seul, Death Proof souffre de ses dialogues elliptiques et de sa structure intentionnellement audacieuse. Plus court aurait été préférable, surtout pour un film si conceptuellement chargé. Néanmoins, on ne regrettera pas les performances de Kurt Russell dans un rôle diabolique, de Sydney Poitier comme une des héroïnes ou encore de Zoe Bell comme cascadeuse prête à rivaliser avec un ennemi mortel. La poursuite automobile finale est spectaculaire, et certaines bribes de dialogue (même les moins utiles) restent en mémoire.

Malgré ses défauts, il est difficile de rester de glace devant Grindhouse, une expérience cinématographique astucieuse qui (en raison de sa longueur) passera ironiquement mieux dans le confort de son chez-soi que dans les salles de cinéma. Il va sans dire que c’est un film pour cinéphiles capables d’apprécier les choses au énième degré.

Ce constat vaut également pour la comédie Hot Fuzz [Super Flic], aussi dotée d’une structure intentionnellement disjointe. Le film commence et on pense être plongé dans un certain type de comédie britannique où des habitants excentriques d’un petit village charmant redoublent d’efforts pour décontenancer un étranger venant de la grande ville. Cette souris citadine, c’est un policier londonien jugé trop bon par ses patrons et collègues : pour mettre fin à l’embarras continu du reste de sa caserne, il est muté dans un petit bled perdu où le crime est pratiquement inconnu. Mais si le crime se fait rare, les accidents, eux, se multiplient. Notre policier pense voir une conspiration, mais a-t-il raison… ou est-il complètement lunatique ?

La première section du film étant volontairement plus lente que la seconde, il ne faudrait pas pour autant croire que le début de Hot Fuzz manque d’intérêt : Edward Wright et Simon Pegg donnent ici suite à leur succès Shaun of the Dead avec brio, dans un style parfois hypercinétique qui coupe le souffle et provoque le rire. Ceci dit, avertissement : plusieurs des « accidents » qui troublent notre protagoniste sont d’une violence excessive : ceci n’est définitivement pas une comédie pour enfants et âmes sensibles.

Surtout quand, à l’amorce du troisième acte, c’est tout le style du film qui change : l’esprit empoisonné par des films d’action tels Point Break et Bad Boys II, le protagoniste décide de nettoyer la petite racaille de la ville à coups d’artillerie portable. Abruptement, Hot Fuzz devient une parodie de film d’action, avec une saveur western et des séquences aussi spectaculaires que rocambolesques. Plusieurs clichés en prennent pour leur rhume, assurant aux amateurs avertis un plaisir garanti.

C’est finalement dans cette voie satirique, tordant l’oreille aux conventions des films policiers d’action, que Hot Fuzz trouve sa véritable voie. L’humour est impeccable, les qualités cinématographiques sont irréprochables, et le jeu des deux acteurs principaux (les mêmes que dans Shaun of the Dead) prend la teneur d’un duo de comédie classique. Bien pensé, bien mené et bien articulé, Hot Fuzz s’avère déjà la comédie policière à battre en 2007.

The Lookout

[couverture] Pour son premier film en tant que réalisateur, The Lookout [voa] s’avère une belle réussite pour Scott Frank (entre autres coscénariste de Minority Report, de The Interpreter et scénariste de Get Shorty).

Soit parce qu’il est bien conseillé, soit parce qu’il a du jugement, le jeune Joseph Gordon-Levitt n’a joué récemment que dans d’excellents (quoique modestes) films : Brick (2005), que certains critiques ont qualifié de « néo-noir », et le troublant Mysterious Skin (2004). Dans The Lookout, Gordon-Levitt incarne une ancienne vedette de hockey junior, qui a perdu trois amis dans un accident routier dont il était responsable. Lui-même n’a émergé du coma qu’avec des facultés mentales affaiblies et un déficit de mémoire à court terme (pensez Memento, mais en moins systématique). Quatre ans plus tard, on le retrouve colocataire d’un aveugle au nez fin et au passé trouble (Jeff Daniels, qui avait excellé avec Laura Linney dans The Squid and the Whale [2005]). Chris partage son temps entre la rééducation dans une école spécialisée, un boulot de concierge dans une petite banque et le projet d’ouvrir un restaurant avec son coloc au grand cœur.

Dans un bar, Chris est abordé par un ancien collègue de high school, dont il ne garde évidemment aucun souvenir mais qui évoque avec enthousiasme ses jours de gloire au sein de l’équipe locale ; il lui procure aussi les faveurs d’une aguichante jeune femme, le genre de faveurs que Chris obtient rarement dans son état actuel de confusion mentale. Je ne vous révèle rien de stratégique en écrivant que ces rencontres ne sont pas fortuites : c’est sa position à la banque, plus que ses exploits passés sur la glace, qui justifie la sollicitude de ses nouveaux amis. L’intérêt du film est de voir comment cela va se mettre en place, se dérouler, et comment le personnage de Gordon-Levitt se débrouillera.

Certains ont comparé son jeu, particulièrement dans ce film, à celui de Keanu Reeves (qui avait lui aussi patiné dans un rôle, à cet âge, souvenez-vous). Pour le meilleur et pour le pire, et compte tenu d’une certaine ressemblance physique, je dois avouer la pertinence de cette analogie – qui, du moins pour moi, n’est pas rédhibitoire.

À la différence d’autres films récents où un innocent est pris malgré lui dans les fils d’une intrigue criminelle (Lucky Number Slevin par exemple, quoique…), The Lookout ne repose ni sur des dialogues prolixes et futés, ni sur une mise en scène pétaradante. Scott Frank prend le temps de mettre en place le personnage, sa famille, son colocataire, son milieu de travail, puis le petit gang qui recrute Chris comme complice du cambriolage. Le dénouement n’en est pas moins satisfaisant, même s’il ne repose guère sur l’ultime surprise (à la Inside Man, pour citer un autre cas de vol de banque).

Assuré que The Lookout aura depuis longtemps quitté les salles lorsque vous lirez ceci, je ne vous en recommande pas moins la location en DVD. Pourquoi pas en doublé avec Memento ? En gardant le meilleur pour la fin, c’est-à-dire le film de Christopher Nolan, bien entendu. [Daniel Sernine]

La belle Hollandaise

En sortant de la projection du Carnet noir [Zwartboek], je suis allé vérifier sur IMDB s’il existait deux Paul Verhoeven. Mais non, il s’agit bien du réalisateur des Total Recall, Starship Troopers et Basic Instinct (j’apprenais en même temps que l’homme aura bientôt 70 ans). Si la question se posait, c’est que Verhoeven est capable du meilleur et du pire, mais que j’ai beaucoup plus de facilité à nommer le pire (Showgirls, par exemple, ou Hollow Man) que le meilleur (Robocop, peut-être ?).

Or ce Carnet noir, lancé en septembre 2006 aux Pays-Bas (mais visible ici seulement neuf mois plus tard, et en version sous-titrée) s’avère l’un des meilleurs suspenses de guerre que j’aie vus depuis longtemps, et est réalisé avec une remarquable maîtrise. Il s’agit d’un film multigenre : on peut parler d’espionnage, de film de guerre ou de policier sur décor de guerre. (D’ailleurs je l’aurais très bien imaginé en noir et blanc, comme le superbe Good German de Soderbergh.)

Une jeune Juive, Rachel Stein, qui avait débuté une carrière de chanteuse de cabaret, vit cachée dans la campagne hollandaise, dans une famille bienveillante. La fin de la guerre approche. Toutefois une bombe lâchée presque accidentellement détruit son refuge et la lance, sous le faux nom d’Ellis de Vries, dans une fuite tragique qui la mènera au sein de la Résistance néerlandaise. Les nombreux rebondissements, souvent déchirants, constituent le moteur de Carnet noir, aussi j’hésite à en raconter trop. Qu’il suffise de dire que Rachel/Ellis devra manœuvrer pour devenir la maîtresse d’un capitaine allemand dont le bon sens et la lucidité se heurtent au fanatisme d’officiers rivaux qui refusent d’admettre la défaite imminente (les Alliés sont rendus au Rhin). On soupçonne assez vite qu’un traître opère au sein de la Résistance ou de ses contacts, avec comme enjeu l’or et les bijoux de riches Juifs fugitifs, mais quant à savoir de qui il s’agit…

Le film (pour lequel Verhoeven a manifestement disposé d’un imposant budget) a été tourné aux Pays-Bas, avec une distribution entièrement néerlandaise, dont un Thom Hoffman qui pourrait se faire passer pour Kevin Spacey et une Carice van Houten qui rivalise avec Scarlett Johansson comme plus belle blonde au monde (madame van Houten étant une fausse blonde, comme vous le verrez si vous louez le DVD).

Ne vous fiez pas à la banalité du titre (dont la pertinence n’apparaît d’ailleurs qu’au dernier quart d’heure) : sans aller jusqu’à qualifier ce film d’” épique » comme certains critiques, je le recommande pour son suspense haletant, les enjeux moraux qu’il aborde sans moralisme, et ses pures qualités cinématographiques. [Daniel Sernine]

Marie-Josée Croze chez Harlan Coben

On l’attendait depuis longtemps, cette adaptation du plus célèbre roman d’Harlan Coben, nouvelle coqueluche du polar américain. Ne le dis à personne (Tell No One), traduit en vingt-sept langues et vendu à sept millions d’exemplaires, avait déjà connu une adaptation américaine au cinéma qui avait déplu à Harlan Coben. L’enjeu était grand cette fois-ci car c’est ce roman qui a mis au monde l’auteur américain. Pour cette deuxième adaptation, française celle-là, c’est nulle autre que le jeune et talentueux Guillaume Canet qui signe la réalisation. Acteur, réalisateur et scénariste, il s’était fait connaître pour son premier long-métrage, Mon idole.

Alexandre Beck est un pédiatre qui a choisi de tout investir dans sa carrière depuis la mort de sa femme, il y a huit ans. D’ailleurs, chaque année depuis ce temps, Alex se rend à un souper douloureux chez ses (ex) beaux-parents. Et toujours l’éternelle question : as-tu rencontré quelqu’un ? Non ! Alex n’a rencontré personne, car il n’a jamais réussi à faire le deuil de sa femme… enfin, si deuil il y a… car pour faire un deuil, il faut une mort et Alex reçoit justement un courrier électronique qui prouve que sa femme est bien en vie. À moins qu’il ne s’agisse d’un canular. Mais qui aurait intérêt à jouer ainsi au chat et à la souris avec lui ? Drôle de hasard, on retrouve deux corps tout près de l’endroit où Margot a été tuée par un célèbre tueur en série, et la police décide de rouvrir l’enquête. Pourtant, c’est Alex que l’on soupçonne du meurtre, maintenant. Et s’il veut rencontrer sa femme Margot vivante à l’endroit où elle lui a donné rendez-vous, il devra se sauver de la police. Une course effrénée commence alors dans la ville et c’est le passé qui, encore une fois, sera garant de l’avenir.

Guillaume Canet a su faire un vrai travail d’adaptation du roman d’Harlan Coben pour son film. Les ajustements du jeune réalisateur apportent vraiment une compréhension de l’histoire et j’oserais dire des émotions qui servent le jeu du héros. Dans le roman de Coben, on commence avec les courriels, l’anniversaire du couple et le meurtre. Ici, Canet montre d’abord le couple en flashback, de belles images sur le bord d’un lac, puis la douleur du héros et sa quête, ce qu’un respect linéaire du roman n’aurait pas si bien su rendre. C’est d’ailleurs un François Cluzet fort comme le roc qui supporte le film à bout de bras d’un bout à l’autre. L’acteur, qui a une gueule à la Dustin Hoffman des plus beaux jours, est l’épine dorsale de Ne le dis à personne, à qui l’on a toutefois donné du répondant. Notre belle Québécoise Marie-Josée Croze rayonne tout simplement dans le rôle de Margot. Ajoutez à cela Kristin Scott Thomas, à qui on ne la fait plus, André Dussollier, Guillaume Canet en personne et même Jean Rochefort et le tableau est complet.

Avec la musique de Mathieu Chédid, que l’on connaît mieux sous le nom de M, on assiste à de belles atmosphères. Le musicien a procédé un peu à la manière de Miles Davis pour Ascenseur pour l’échafaud, c’est-à-dire en improvisant à froid devant les images que lui présentait Guillaume Canet pour créer la trame sonore. La piste finale est plutôt sous la forme d’une chanson traditionnellement arrangée.

Vous vous demandez maintenant si Canet a su relever le défi ? Ne le dis à personne est le film qui a terminé au deuxième rang pour la récolte des petites statuettes lors de la dernière remise des Césars : meilleur acteur, meilleur réalisateur, meilleur montage et meilleure musique… Pas mal pour le travail d’un réalisateur de 33 ans ! En février, on ajoutait à la récolte le trophée Lumière du meilleur film décerné par la presse étrangère.

Ne le dis à personne est un bon film ! Psitt ! Dites-le à tout le monde ! [François-Bernard Tremblay]

Bientôt à l’affiche

Si c’est l’été, c’est le temps des suites et des méga-productions qui échappent à la simple désignation de « cinéma à suspense ». La saison estivale 2007 sera celle où Hollywood s’adonnera avec joie aux suites de suites, comme nous le prouvent Ocean’s Thirteen, The Bourne Ultimatum, Rush Hour 3 ou encore Live Free or Die Hard (plus honnêtement titré Die Hard 4.0 en territoires internationaux). La vénérable détective Nancy Drew, quant à elle, fera une apparition au grand écran après près de 175 livres jeunesse. Chanceux seront ceux qui parviendront à trouver un thriller complètement original au royaume des suites et des adaptations pour jeunes. Mais rien n’est impossible…

En attendant, bon cinéma !

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