Camera oscura 21
Christian Sauvé, avec la collaboration spéciale de Daniel Sernine et François-Bernard Tremblay
Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 1 238Ko) d’Alibis 21, Hiver 2007
Après un été plutôt éparpillé, l’automne revient en force avec son lot de films plus ambitieux, cherchant à satisfaire tant les critiques que le grand public. Alors que la course aux prix de fin d’année bat son plein, voici que Hollywood regarde son nombril criminel et que l’agent secret le moins subtil du monde revient plaire aux foules. De leur côté, nos collaborateurs Daniel Sernine et François-Bernard Tremblay font respectivement un survol du film Infamous, au sujet de Truman Capote, et de l’adaptation cinématographique des Brigades du Tigre.
007 réinventé à l’ancienne
L’événement du trimestre est bien sûr le retour au grand écran d’un tout nouveau James Bond. Casino Royale [vf]est, à bien des égards, une réinitialisation de la franchise. Après l’ère Pierce Brosnan, que l’on qualifiera de Bond calqué sur les films d’action, le blondinet Daniel Craig donne une tout autre interprétation du vénérable personnage, un changement de cap entièrement manigancé par le reste de l’équipe Bond.
De un, Casino Royale est un retour aux sources de la franchise, adaptation étonnamment fidèle du tout premier roman de Ian Fleming (1953). Ce n’est pas la première fois que le livre est porté à l’écran, mais après un épisode de série télévisée en 1954 et la parodie de 1967, c’est la première fois que le titre s’inscrit dans la continuité officielle du personnage cinématographique.
Mais ce n’est pas une continuité linéaire. Malgré des gadgets bien 2006, Casino Royale revient aux origines du personnage de Bond grâce au nouveau visage de Craig. Ce Bond-ci n’est pas le gentleman sophistiqué qu’étaient ses prédécesseurs : sa patronne (Judi Dench, dans une des seules ficelles de continuité avec les films précédents) l’appelle un « blunt instrument » et le film s’ouvre alors que Bond mérite brutalement son célèbre permis de tuer. Chose certaine, l’esprit du film est beaucoup plus près de l’ère Connery que n’importe quoi depuis lors. Casino Royale réussit surtout à réconcilier la franchise avec une certaine authenticité après les excès de l’ère Brosnan : sans être un thriller réaliste, ce nouveau Bond opère dans une version de la réalité moins décalée de la nôtre. Ça faisait un moment qu’on n’avait pas vu James Bond penser avant de tirer…
Mais ça ne veut pas dire qu’il ne reste pas de place pour l’action et le spectacle. Casino Royale peut facilement se targuer de deux des meilleures scènes d’action de l’année : une course à pied à saveur parkour et une poursuite sur le tarmac de l’aéroport de Miami. Comme dans tout bon Bond, l’agent est inébranlable, les filles sont belles, les paysages sont spectaculaires et les parties de cartes se déroulent à coup de mises millionnaires.
Reste quelques détails qui peuvent agacer. Certaines transitions de scènes durant les séquences de jeu peuvent laisser confus quant à la chronologie. Certains spectateurs masculins seront sans doute très mal à l’aise à la vue d’une scène de torture fidèle au roman original. Pire : le film se permet une longue pause en plein milieu de son troisième acte, alors que l’on attend impatiemment le reste de l’intrigue. Le manque de Q et de Miss Moneypenny est beaucoup plus délibéré et s’inscrit dans la remise à neuf de la série : on laissera au spectateur le soin de décider s’il s’agit vraiment d’une tare.
Mais outre ces faux pas, la remise à neuf de la série est réussie : Casino Royale est un film qui saura satisfaire bien plus que les Bondophiles. Craig s’avère être un choix tout à fait convenable pour le rôle iconique, combinant la menace, l’intelligence et le sex appeal nécessaires pour le personnage. Alors que de nombreuses séries ont mordu la poussière ou se sont sabordées par manque de renouvellement, James Bond continue vers l’avant. Vivement le prochain film !
Old School Hollywood
Qui aurait prédit que la piqûre d’un polar historique basé sur d’authentiques affaires criminelles hollywoodiennes aurait atteint deux équipes de production quasi simultanément ? Dans le cas de The Black Dahlia [Le Dahlia noir], c’est le roman de James Ellroy et le meurtre de l’actrice Elizabeth Short en 1947 qui a fourni l’inspiration. Pour Hollywoodland [vf], c’est la mort suspecte de l’acteur George Reeves en 1959 qui a capté l’intérêt de l’équipe de production. Les deux films sont sortis en salles à deux semaines d’intervalle, mais il y a un monde de différences entre eux.
The Black Dahlia a des ambitions qui dépassent de loin le simple meurtre du « Dahlia noir ». Suivant les aventures de deux policiers assignés au cas, le film (comme le livre) en profite pour explorer le Los Angeles de la fin des années 40 et pour livrer un drame policier inventé de toutes pièces pour enrober les faits historiques. Hollywoodland, en comparaison, se veut un drame beaucoup plus intimiste et passablement plus fidèle à la réalité. Si le détective privé au centre de l’intrigue est partiellement fictif, les faits entourant la mort de Reeves (le premier « Superman » télévisé) sont présentés avec une certaine fidélité, et le film semble tout à fait content de s’en tenir à une échelle moins grandiose.
Évidemment, il y a toute une différence entre le travail de tâcheron qu’y livre le réalisateur Allen Coulter et le génie parfois disjoncté de Brian de Palma : ce dernier profite de The Black Dahlia pour exécuter quelques pirouettes de pur plaisir cinématographique, comme un long plan ininterrompu où la découverte d’un corps passe au second plan. De Palma joue également sur le charme de l’époque où se déroule l’intrigue, avec des clins d’œil fréquents au cinéma noir classique.
Mais de Palma est aussi reconnu pour saborder ses films par des excès indulgents, ce qui explique une poignée de scènes complètement loufoques qui transforment abruptement cette tragédie policière en mélodrame comique. Hélas, ces scènes deviennent plus fréquentes au fur et à mesure qu’avance The Black Dahlia : la résolution de l’intrigue laisse le spectateur partagé entre le sourire narquois et le haussement de sourcils désemparé. Les déviations de plus en plus grandes entre le film et le roman ne sont pas étrangères à ce sentiment. En revanche, Hollywoodland livre une conclusion qui renie même les fondements de l’enquête : engagé pour faire la lumière sur la mort de George Reeves, notre détective protagoniste termine le film avec un manque de certitudes troublant, faisant fi de la structure conventionnelle d’un polar (bien que le dernier scénario présenté soit, présume-t-on, le plus plausible). Aucune surprise, alors, que plusieurs biographes de Reeves se disent très satisfaits de cette adaptation. Qui aurait cru qu’un film partiellement titré Hollywood serait jugé authentique ?
Alors si vous avez le goût d’une enquête mêlant film, histoire et polar, faites votre choix : le petit feu doux, ennuyeux mais satisfaisant de Hollywoodland, ou bien la pyrotechnie parfois mouillée de The Black Dahlia.
Histoire de nations, histoire de héros
L’histoire des nations est un sujet suffisamment complexe ; tenter d’en résumer l’essentiel sur une période de deux heures semble impossible. Mais on peut parfois y arriver en s’intéressant aux dilemmes de personnages pris au milieu des événements.
C’est ainsi que Catch a Fire [De feu et de sang], adapté de faits historiques, s’avère combiner une critique du régime d’apartheid d’Afrique du Sud au début des années 80 avec le dilemme d’un homme qui se retrouve coincé dans une situation impossible. Alors que le film commence, Patrick Chamusso n’a d’autres ambitions que de rester loin de la politique, de se concentrer sur son travail et de prendre soin des membres de sa famille. Mais les événements se précipitent à la suite d’un incident de sabotage et il se retrouve dans la mire des services policiers sud-africains. Coincé dans des mensonges reliés à ses propres indiscrétions, Chamusso est emprisonné, battu et contraint d’assister à l’humiliation de sa femme. Après sa libération, il se retrouve acculé à l’impensable : il s’exile pour aider à mettre fin au régime oppressif, un apprentissage qui fera de lui, selon certaines définitions du terme, un terroriste.
Histoire saisissante bien menée par le réalisateur Phillip Noyce, Catch a Fire trouve donc une bonne place au palmarès des « thrillers africains » de plus en plus réussis depuis quelque temps, après les succès de Hotel Rwanda, The Constant Gardner et Lord Of War. Mais outre l’excellence du film lui-même, Catch a Fire trouve également son intérêt dans les liens évidents avec l’actualité d’aujourd’hui, nous montrant comment l’oppression de toute sorte peut conduire à l’extrémisme. Terroriste ou libérateur, Chamusso fait ses choix et paie terriblement cher pour eux. Il est facile de se mettre dans ses souliers et de sympathiser vu les circonstances qui l’amènent à choisir ce qui était impensable pour lui. Une bonne performance de Tim Robbins en antagoniste sympathique vient compléter le portrait d’un film que l’on recommandera sans grande hésitation.
Histoire et conséquences viennent également bouleverser le personnage de Jet Li dans Fearless [Le Maître d’armes], bien qu’on reconnaîtra à ce film d’arts martiaux une intention ludique beaucoup plus évidente que les leçons parfois impitoyables de Catch a Fire.
Li a annoncé que Fearless serait son dernier film de kung-fu, ce qui semble un choix particulièrement approprié étant donné les résonances thématiques que l’on trouve entre ce film et le reste de sa carrière. Fearless s’inscrit dans la même tradition que la série Once Upon a Time in China qui avait fait la bonne fortune de Li dans les années 90 : ici aussi, c’est un combattant légendaire qui s’avère être emblématique d’une époque alors qu’il lutte contre des étrangers qui veulent humilier la Chine. Ce n’est pas une surprise : la filmographie de Li est jalonnée d’œuvres nationalistes, de la série susmentionnée à son interprétation de personnages historiques, tel Huo Yuanjia dans ce cas-ci. Fearless ne passera pas à l’histoire comme le chef-d’œuvre de Li (un honneur sans doute réservé à Hero), mais en matière de films d’arts martiaux, c’est une réussite, avec une ambition qui dépasse la simple succession de combats : le protagoniste apprend sa leçon et influence le cours de sa nation. Ce qui est tout à fait satisfaisant.
Vous avez demandé un Oscar ?
Il existe deux genres de film « à Oscar » : ceux dont la valeur récolte l’admiration de l’Académie, et ceux qui sont construits sur mesure pour lui plaire. L’arrivée de l’automne signale la sortie de tels prétendants : on peut les reconnaître à leur bande-annonce sombre et importante, leur long générique de noms connus, et aux cris de ceux qui affirment que c’est un sérieux candidat aux récompenses de fin d’année. Les avis deviennent habituellement plus réalistes quand sortent les films.
Flags of our Fathers [La Mémoire de nos pères], dès l’annonce du projet, avait de quoi réchauffer les ardeurs des commentateurs. Réalisation de Clint Eastwood ; scénario co-écrit par Paul Haggis ; sujet portant sur la Deuxième Guerre mondiale : du véritable civet pour l’Académie.
Pendant la moitié de ses 132 minutes, Flags of our Fathers est à la hauteur des attentes. Pour illustrer la bataille d’Iwo Jima, Eastwood vise un réalisme post-Saving Private Ryan et réussit à nous donner une vision prenante de l’événement. Les férus d’histoire militaire seront comblés, surtout quand vient le moment d’expliquer comment « La Photo » a été prise.
C’est l’autre moitié du film qui pose problème. Non content de rester sur l’île, Flags of our Fathers s’obstine également à raconter l’expérience des soldats ramenés à la maison, parfois contre leur gré, et présentés comme des héros pour convaincre le public américain d’acheter des War Bonds. C’est une histoire intéressante et inusitée, mais elle cadre mal avec le reste du film, sape son énergie et le fait paraître beaucoup plus long et didactique que souhaité. Malgré la recréation historique, les considérations anti-héroïques et l’excellence des acteurs, des retailles judicieuses auraient pu faire merveille pour rehausser l’intérêt du film.
Mais il n’est peut-être pas trop tard puisque Eastwood a choisi de faire deux films à partir d’un seul tournage : Flags of our Fathers, racontant la bataille du point de vue américain, et Letters From Iwo Jima, du point de vue japonais, qui sortira en salles tard en 2006. Les discussions au sujet des chances aux Oscars du premier film se sont assagies, mais elles continuent toujours au sujet du deuxième…
Ceci dit, il y a aussi le deuxième type de film « à Oscar » : celui qui est tellement bien fait, sans prétention, qu’il s’affirme de lui-même comme étant un candidat méritoire. Personne ne doutait que The Departed [Agents troubles] allait être un événement. Martin Scorsese refaisant l’excellent thriller chinois Infernal Affairs avec une brochette d’acteurs chevronnés, cela avait de quoi attirer l’intérêt. Mais contrairement à plusieurs films très attendus, celui-ci ne déçoit pas… et dépasse même toutes les attentes.
La trame de base reste la même que dans Infernal Affairs : bandits et policiers tentant d’infiltrer l’autre organisation, et deux taupes chargées de se découvrir. Mais si l’arc dramatique reste le même, l’adaptation de l’histoire en sol bostonien est magistrale : l’emploi de décors donne le ton, mais les personnages eux-mêmes semblent provenir naturellement de la métropole américaine. Plusieurs longueurs ont été éliminées, et de nouveaux détails sont venus combler les trous de l’intrigue originale. On regrettera la disparition de la célèbre scène de la salle de conférences, mais l’adaptation est tout simplement exceptionnelle.
Le scénario lui-même est musclé, plein de surprises et bourré de dialogues savoureux : on retiendra les tirades obscènes d’Alex Baldwin et de Mark Wahlberg, ou bien certaines des lignes cassantes de Jack Nicholson (« I don’t want to be a product of my environment. I want my environment to be a product of me. ») Les acteurs sont à la hauteur du matériel : même les plus sceptiques seront convaincus par le jeu de Leonardo DiCaprio et Matt Damon, pour ne rien dire du reste de la distribution. Heureusement, la réalisation est tout à fait au rendez-vous : le Scorsese aperçu ici est de qualité égale à celui qui a réalisé Casino, avec une réalisation fluide, directe, hypnotique et non sans certains gags subtils. Comme une cerise sur le sundae, montage et bande sonore sont réglés au quart de tour, achevant la réussite complète du film.
L’ironie, c’est que les derniers films de Scorsese ont tous été apparemment conçus pour séduire l’Académie. Cette fois-ci, Scorsese a plutôt décidé de se payer du bon temps, et le résultat est bien plus respectable que la lourdeur parfois agaçante de films tels Gangs of New York ou The Aviator. Ne cherchez pas plus loin le polar du trimestre ; partez pour Boston via l’entremise de The Departed.
Vous n’avez pas dit Oscar !
Mais l’automne n’est pas nécessairement un havre d’excellence cinématographique. Il y a des mauvais films en toutes saisons, et ce trimestre-ci ne fait pas exception. Considérez la section suivante comme un avertissement.
Ce serait une erreur, par exemple, de se procurer Alex Rider : Operation Stormbreaker [Stormbreaker : Les aventures d’Alex Rider] et d’espérer une bonne version adolescente des films d’espionnage à la James Bond. Adapté d’une série de livres jeunesse à succès, ce premier Alex Rider raconte la mission initiatique du jeune héros éponyme alors qu’il prend la place de son oncle au sein d’une division spéciale du MI6 britannique. Hélas, le film sombre rapidement dans la complaisance et les pires clichés des films d’action, trahissant ainsi un mépris assez évident pour son jeune public. De nombreux manques de cohérence viennent empoisonner les rares plaisirs du film, et le tout devient une épreuve d’endurance pour n’importe quel cinéphile âgé de plus d’une dizaine d’années. Chose certaine, Bond n’a pas à s’inquiéter.
La seule grâce du film vient de la ribambelle d’acteurs d’expérience qui figurent brièvement au générique. Dommage que le scénario ne puisse en prendre avantage : vous ne serez pas surpris d’apprendre que, après une sortie britannique décevante et un bref séjour en salles canadiennes, le film a été diffusé à une échelle confidentielle aux États-Unis et a disparu rapidement des cinéplexs. Les plans pour adapter le reste des romans de la série n’ont jamais été moins certains… et peu de spectateurs s’en plaindront.
La tendance à associer un manque de succès au box-office à un échec créatif aura sans doute des répercussions sur toute tentative de faire un bon film d’aviation de Première Guerre mondiale après l’échec commercial retentissant de Flyboys [L’Escadrille Lafayette]. S’intéressant aux aviateurs américains de l’escadrille Lafayette, en action bien avant l’entrée en guerre des États-Unis, Flyboys n’est pas dépourvu de moments intéressants, mais il faudra d’abord passer à travers des segments interminables et d’un intérêt nul. Construit sans surprises ou subtilité, Flyboys peine dès que ses personnages posent les pieds par terre. Des scènes soi-disant romantiques entre le protagoniste et une jolie Française ont de quoi faire courir les spectateurs vers la sortie, alors que les péripéties des « garçons volants » sont d’une prévisibilité désolante. Réalisé comme à la vieille école, Flyboys n’échappe à l’ennui que lorsque les avions sont dans les airs, en autant qu’on puisse excuser l’emploi de cascades numériques. Étant donné les maigres recettes du film, on se désolera devant la certitude qu’il coulera beaucoup d’eau sous les ponts avant qu’un studio se risque à financer un autre film d’aviation militaire durant la Grande Guerre.
Mais tout comme Flyboys est un film à l’ancienne, The Marine [Le Fusilier marin] nous rappelle qu’il existera toujours un marché pour les films d’action de série B où d’ex-lutteurs combattent le crime pour secourir leur petite amie. John Cena est « The Marine » éponyme, un ex-soldat d’élite qui saura échapper à plus de périls que l’escadrille Lafayette au complet. Tentant de secourir sa douce moitié des griffes de voleurs de diamants, notre vaillant Marine pourra profiter d’un assortiment fort improbable de bolides, d’armes automatiques et d’explosions dopées au kérosène. La première scène donne une idée du réalisme du film, alors qu’on nous montre un « campement d’Al-Qaida » irakien redoutablement bien armé avec… des chars et des hélicoptères.
Après cette introduction, on pourrait croire que The Marine représente le fond du baril : comment être plus généreux envers ce qui n’est rien de plus qu’un film d’action de série B digne des années 80 ? Mais c’est oublier que The Marine a au moins le mérite de ne pas se prendre au sérieux, et même de se jeter à fond dans sa propre folie. Robert Patrick est particulièrement jouissif comme antagoniste tordu. La poursuite automobile du film est un pur délice débile, et le film se permet parfois des scènes hilarantes qui détonnent complètement. C’est autant un avantage qu’un problème (le scénario commet l’erreur de rendre un vilain trop sympathique quelques secondes avant sa mort aux mains du héros), mais ça rend certainement le film plus intéressant que prévu. Ceux qui risquent le plus de profiter du film se sont sans doute déjà reconnus : à défaut d’un film de qualité, pourquoi ne pas s’amuser ?
Quand le titre triomphe sur le contenu
L’affiche du film est simple, mais elle choque : sur arrière-plan parfaitement noir, on peut simplement lire en pleines lettres blanches « George W. Bush / July 6, 1946 – October 19, 2007 », puis le titre : Death of a President [La mort d’un président]. Brrr… même les moins grands fans de Bush y penseront deux fois avant de continuer !
Réalisé à la manière d’un documentaire produit un an après l’événement, Death of a President se veut un thriller examinant les circonstances ayant mené à l’assassinat de Bush, et les répercussions de celui-ci. Injustice sociale, pauvreté, Irak, préjugés racistes et resserrement des droits civils jouent tous un rôle dans cette histoire. Mais si le titre retient l’attention et si le thème reflète les anxiétés de la société américaine contemporaine, la somme de tout cela s’avère plutôt décevante.
Comme Snakes on a Plane, Death of a President est avant tout un high concept bien présenté. Mais ceux qui s’attendent à deux heures de schadenfreude et de fantaisies libérales post-Bush auront avantage à prendre leurs calmants : Death of a President s’avère, contre toute attente, apolitique et superficiel.
Le film est plus ou moins divisé en deux parties : une qui retient l’attention, et une autre qui la perd progressivement. La première section est efficace. Décrivant les tensions montantes au cours de la visite du président à Chicago (cette section est adaptée de matériel d’archive récent), le film montre bien comment la situation échappe au contrôle du Service Secret, et exploite le filon de l’activisme post-Seattle pour montrer l’opposition virulente aux politiques de l’administration. Ironiquement, le film n’hésite pas à montrer Bush comme un président efficace, admirable et sympathique, ce qui aura vraiment de quoi déboussoler une partie de l’assistance.
Puis c’est l’assassinat, et le film se mue en whodunit beaucoup moins satisfaisant. Les soupçons se portent finalement sur un jeune homme arabe, mais ce ne serait pas un thriller convenable si l’affaire s’avérait aussi simple… Hélas, cette deuxième moitié du film s’égare en têtes parlantes, n’approfondit pas les conséquences de l’assassinat, n’a rien de neuf à dire sur les libertés civiles et se retrouve prisonnière d’une structure dramatique qui va à l’encontre de ce que serait un véritable documentaire. Quand l’identité du tueur est révélée, on hausse les épaules : le personnage est à peine mentionné plus tôt dans le film. Ce manque de tension et d’audace dans un scénario pourtant prometteur finit par laisser sur sa faim.
Contrairement à Snakes on a Plane (et c’est sans doute la seule fois qu’on citera ce film comme modèle), Death of a President ne livre pas la marchandise, et même ses aspects admirables ne peuvent empêcher la désaffectation progressive du spectateur. Comme quoi les affiches peuvent encore être plus évocatrices que les films eux-mêmes.
Tristement célèbre
Infamous [voa] de Douglas McGrath a été tourné en même temps que Capote, mais sa diffusion a été retardée d’un an pour ne pas coïncider avec celle du film de Bennett Miller. Alors que celui-ci était basé sur la biographie de Gerald Clarke, Infamous est basé sur un livre de George Plimpton qui, semble-t-il, répond moins à la forme classique d’une biographie.
Qu’importe, les deux films traitent le même sujet avec des approches parfois différentes, parfois similaires. Pour ceux et celles qui n’auraient pas vu l’œuvre qui a valu à Philip Seymour Hoffman l’Oscar 2006 du meilleur acteur, les deux films racontent les années de la vie de Truman Capote où l’écrivain s’est intéressé au meurtre d’une prospère famille rurale du Kansas en 1959, aux deux assassins capturés quelques mois plus tard (Hickock et Smith), puis aux tribulations judiciaires qui ont mené à leur pendaison en 1965.
Parti pour rédiger un reportage, Capote finit par écrire son meilleur roman, In Cold Blood, que les libraires anglophones classent dans la section « true crime ». La nature de cette œuvre littéraire est d’ailleurs débattue dans le film Infamous, entre Capote et son amie l’écrivaine Nelle Harper Lee : faits, fiction, authenticité, interprétation… Après un succès aussi considérable, dans lequel il s’investit comme jamais, le célébrissime petit écrivain ne parvint plus à terminer un roman ; l’abus de médicaments et l’alcoolisme causèrent finalement sa mort en 1984.
C’est un acteur peu connu, Toby Jones (un homme de petite taille, contrairement à Hoffman), qui incarne Capote dans une composition beaucoup mieux réussie sur le plan de la ressemblance physique et vocale (« la voix qu’aurait un chou de Bruxelles », disait l’un de ses contemporains, ou encore « the voice of a baby seal »). On nous propose dans Infamous un Truman Capote calculateur, menteur, jusqu’à paraître salaud dans certaines situations. C’est que l’écrivain manœuvre pour avoir accès aux deux prisonniers dans leurs cellules et pour gagner leur confiance afin d’obtenir le récit détaillé de leur vie, de leur(s) crime(s) et de leur cavale après les meurtres. Capote se trouva dans la situation – sans doute déchirante malgré son cynisme – de souhaiter d’abord que les procédures d’appel se prolongent, puis de souhaiter que les pendaisons aient enfin lieu car elles mettraient le point final à un manuscrit presque prêt. (L’écrivain homosexuel passa trois années en Europe – Suisse, Espagne – à écrire In Cold Blood en attendant l’issue des divers appels.)
Le scénario va plus loin dans la (très hypothétique) histoire d’amour entre Capote et Perry Smith, ne laissant planer aucune équivoque ; mais c’est en même temps une histoire de tromperie et d’amitié trahie. Le film Infamous montre mieux la méfiance de Smith quant aux véritables intentions de Capote. Malgré la brutalité de ses meurtres de sang-froid, le personnage de Perry Edward Smith apparaît attachant (interprété, précisons-le, par Daniel Craig, le nouvel Agent 007). Smith et Capote avaient vécu le même genre d’enfance : père absent, mère alcoolique, élevés ailleurs que dans leur famille immédiate (orphelinats pour l’un, tantes et cousines pour l’autre). Chacun voyait en son vis-à-vis l’homme qu’il aurait pu devenir si les circonstances avaient été différentes. Le père de Smith était un homme violent ; celui de Truman, Arch Persons, était un escroc, un bootlegger occasionnel et un faussaire.
Tout en recourant davantage à l’humour (les extravagances de Capote, ses manières de « folle », son goût prononcé pour le « name dropping »…), Infamous est à la fois plus intense mais moins focalisé sur l’enquête policière que ne l’était le film Capote (les deux, de toute façon, prennent des libertés avec la chronologie des faits). Infamous recourt aussi, régulièrement, à une technique intéressante : des extraits de « témoignages » de divers personnages sur la carrière de l’écrivain, amis comme rivaux (personnifiés par des acteurs comme Sigourney Weaver et Sandra Bullock – excellente, ici, dans le rôle de l’auteure Harper Lee).
Même menacé d’une arme, je serais bien en peine de choisir le meilleur de ces deux films, différents et pourtant si semblables. Infamous ne se trouve probablement plus à l’affiche au moment où vous lisez cette critique, mais est-ce parce qu’il était moins bon ou parce qu’il a eu l’infortune de venir après une œuvre oscarisée ? L’un et l’autre, en tout cas, m’ont donné envie de lire le captivant In Cold Blood, d’en louer l’adaptation cinématographique (ah, ces films des années soixante où l’on allumait des cigarettes plus vite qu’on ne pouvait les fumer – y compris sur les scènes de crimes !) et même de lire la biographie de l’excentrique écrivain.
[Daniel Sernine]
Les Brigades vs Jules Bonnot
M’sieur Clémenceau / Vos flics maintenant sont devenus des cerveaux / Incognito / Ils ont laissé leurs vélos, leurs chevaux / Pendant c’temps-là dans les romans / Certains nous racontent comment / Faire un casse tranquillement / Pour tuer le temps / J’voudrais les y voir / À notre place / Pour n’pas en prendre / Pour vingt ans…
Ceux qui se souviennent de l’excellente série Les Brigades du Tigre, une série française créée par Claude Dessailly, qui a connu beaucoup de succès au Québec de 1973 à 1983, auront assurément reconnu les paroles de la chanson du générique d’ouverture écrite par Claude Bolling. C’est aussi sur ce célèbre thème musical que s’ouvre le film à gros budget (17 millions d’euros) de Jérôme Cornuau, qui faisait sa rentrée québécoise au festival des films francophones Cinémania qui se tenait du 2 au 12 novembre derniers au cinéma Impérial à Montréal.
Ça se passe en 1907. Une énorme vague de crimes sans précédent ensanglante la France. Pour faire opposition aux bandits du nouveau siècle qui se sont mis à l’ère de l’automobile alors que la police se promène encore à dos de cheval, voire à vélo, le ministre Georges Clémenceau va créer une force de police nouvelle : les Brigades Mobiles. En l’honneur de leur créateur, ces brigades mobiles deviennent très vite, pour les Français, les Brigades du Tigre. Dotées des mêmes armes que ces nouveaux anarchistes et criminels violents qui hantent le pays, elles contribueront à redonner aux Français un peu plus de sécurité et de tranquillité durant cette Belle époque.
Le film s’ouvre sur des images du commissaire principal Faivre (Gérard Jugnot) qui présente l’acquisition de plusieurs voitures de marque De Dion Bouton sur lesquelles le commissaire Valentin (Clovis Cornillac), flanqué de ses deux inséparables amis, les inspecteurs Pujol (Édouard Baer) et Terrasson (Olivier Gourmet, qui a aussi joué dans Le Mystère de la chambre jaune et Le Parfum de la dame en noir de Bruno Podalydes), entameront leurs premières poursuites policières. Et ils ne traquent pas n’importe qui, puisque c’est à cette époque que sévit la célèbre Bande à Bonnot. C’est tout d’abord le non moins célèbre Raymond Callemin, mieux connu sous le nom criminel de Raymond la Science, qui est arrêté par la police. Cette importante arrestation mènera par la suite les policiers à la chasse à l’ennemi public numéro 1 : Jules Bonnot (Jacques Gamblin). D’autres intrigues viennent à ce moment prendre un peu trop de place dans l’histoire, ne poussant pas le scénario vers des confrontations attendues. Une histoire d’amour entre Bonnot et Constance (Diane Kruger), une jolie princesse russe, dont l’objectif est de révéler une énorme fraude de bons russes, change totalement le tempo du film. Bref, le scénario devient assez linéaire dans sa structure, amenant quelques longueurs indésirables qui viennent nuire au plaisir du cinéphile. Je me permets d’émettre un autre bémol sur la piètre qualité du son qui se retrouve parfois noyé sous un flot de bruits de fond qui rendent les dialogues incompréhensibles. La fin est cependant à la hauteur du début et nous laisse tout de même une opinion favorable de cette adaptation tant attendue. Les images sont belles, la reconstitution fidèle et les faits historiques avérés. Quant au jeu des comparaisons, il faut dire que Cornuau s’est permis beaucoup de distance. En effet, le fait d’avoir laissé la réalisation à un homme qui n’avait à peu près jamais vu d’épisodes de la série des années 70 a sans aucun doute permis ici au réalisateur de prendre de la distance et de créer une œuvre originale qui n’a pas donc pas l’air d’une pâle réplique ou d’un clone raté d’un des plus grands joyaux télévisuels français.
En se permettant cette distance, Jérôme Cornuau a en quelque sorte modernisé Les Brigades du Tigre, faisant de celui-ci un film totalement autonome. En ce sens, il faut conseiller aux puristes qui s’attendraient à revoir dans ce film la célèbre série française de jadis avec ses Jean-Claude Bouillon, Jean-Paul Tribout et Pierre Maguelon de simplement s’attendre à voir un bon film policier de la Belle époque au parfum des vraies Brigades du Tigre. Il faudra bien vous en contenter, car les cinq saisons disponibles en DVD sont en « zone 2 » seulement !
[François-Bernard Tremblay]
Bientôt à l’affiche
L’hiver sera solide en péripéties pour les amateurs de cinéma à suspense, alors que la saison des fêtes s’entrechoquera avec celle des bons prétendants à l’oncle Oscar. Un des rares films à pouvoir s’adresser à la fois au grand public et à l’Académie est Blood Diamond, un thriller s’intéressant à l’exploitation des diamants africains… et mettant en vedette Leonardo DiCaprio. Hannibal Rising et The Perfume adapteront respectivement des livres de Thomas Harris et de Patrick Suskind, alors que Smokin’Aces marquera le retour bienvenu au grand écran du réalisateur Joe Carnaham, trois ans après Narc.
Les férus de drames historiques auront le choix entre plusieurs époques, qu’il s’agisse de l’Amérique pré-Christophe Colomb avec Apocalypto (Mel Gibson et les Mayas) et Pathfinder (Vikings versus Amérindiens), la Deuxième Guerre mondiale avec Letters From Iwo Jima (le complément de Flags of our Fathers) et The Good German (Soderbergh et Clooney à Berlin en 1945), ou bien les premiers jours de la CIA avec The Good Sheperd.
Pour des thrillers plus modernes, il faudra vous rabattre sur Alpha Dog et ses criminels adolescents californiens, ou bien Breach et son histoire d’espionnage moderne. Si c’est la torture qui vous intéresse, vous aurez le choix entre Hostel II, le remake de Black Christmas,ou bien la « comédie » Code Name : The Cleaner, qui attire déjà les foudres de la critique trois mois avant sa sortie.
Et ça, ce ne sont que les films qui sont annoncés pour le prochain trimestre… À plus long terme, nos sources bien informées nous murmurent que le roman de Harlan Coben, Ne le dis à personne, a été adapté au cinéma par une équipe de production française et vient d’être lancé sur les écrans européens en novembre 2006 sous les applaudissements. Toujours aucune date de sortie prévue au Canada français, hélas…
En attendant ce jour, bon cinéma !