Camera Oscura 11

Christian Sauvé

Exclusif au volet en ligne (Adobe Acrobat, 1 607Ko) d’Alibis 11, Été 2004

Ce printemps, il n’y a pas que le temps à l’extérieur des salles de cinéma qui se soit réchauffé. Ça a aussi bardé à l’intérieur des cinéplex, tel que l’illustrent pas moins de quatre histoires sur fond de vengeance, deux drames de guerre épiques et le lot habituel de films à suspense. De plus, les amateurs du cinéma noir québécois ont eu droit à deux offrandes en plus d’un film américain tourné ici…

La vengeance est un plat qui laisse froid

Signe d’une Amérique post-World Trade Center ou pure coïncidence, une mini-tornade de films de vengeance a balayé les cinémas au printemps 2004. Mais quantité n’est pas synonyme de qualité et plus d’un cinéphile est ressorti des salles déçu.

Le premier de ces films, Walking Tall [Justice Sauvage], remake d’un film de série B des années 70, n’a pas plus d’ambition que le film original. Adaptée aux goûts du jour, l’histoire met en vedette l’ex-lutteur Dwayne The Rock Johnson dans le rôle de Chris Vaughn. À son retour dans sa petite ville natale après cinq ans dans les forces armées, Vaughn constate que tout a bien changé en son absence: la scierie n’est plus en service, les emplois ont fui et un vulgaire casino est devenu l’attraction principale du village. Un casino qui, bien sûr, se révèle être un véritable havre de corruption, de violence et de vice. En deux scènes et trois mouvements, notre héros est tabassé par les hommes de main du proprio et laissé pour mort. Sa vengeance… sera terrible. Ou pas. En fait, il serait plus exact de dire que sa vengeance sera inconsistante et occasionnellement ridicule. Après un procès où The Rock obtient la faveur du jury en se dénudant (Camera oscura n’invente rien), notre protagoniste devient shérif entre deux scènes et nettoie le problème de drogue de la communauté durant un montage comique de trente secondes. Entre-temps, il a l’occasion de s’amouracher d’une ex-amie devenue danseuse. Le tout se termine, comme il se doit, mano a mano, avec le propriétaire du casino.

La réalisation de ce digne représentant des films de série B straight-to-video est acceptable, mais sans éclat. Le studio, au moins, semble avoir prévu la réaction tiède de l’audience et la version finale du film – 85 minutes – a été réduite à l’essentiel par un montage zélé qui privilégie la rapidité aux dépens de la cohérence. Ce qui reste du scénario, ordinaire, réussira à peine à satisfaire les âmes indulgentes. Walking Tall recherchait la vengeance ; il récolte l’indifférence.

Mais l’indifférence est impossible devant The Punisher [Le Punisher: Les liens du sang], un film où l’audience se fait punir autant que les antagonistes. Il est facile de souligner qu’il s’agit d’une adaptation d’une bande dessinée de la Marvel Comics, mais que dire d’autre devant un scénario truffé d’autant d’incohérences? En théorie, il n’est pas difficile de concevoir un film de vengeance : il faut simplement montrer un héros sympathique, lui faire perdre tout ce qui lui est cher, puis orchestrer sa riposte contre ceux qui lui ont tout enlevé. Ici, Thomas Jane n’est pas mal dans le rôle d’un agent fédéral qui voit toute sa famille se faire descendre par un trafiquant de drogue. Une production compétente aurait peut-être pu en tirer quelque chose de potable. Malheureusement, le scénariste Jonathan Hensleigh (connu pour avoir écrit des films comme Armageddon) se charge également de la réalisation et le résultat laisse le cinéphile stupéfait. La chorégraphie des scènes n’a aucun sens, les péripéties souffrent d’un manque d’imagination et les dialogues sont d’une naïveté risible. Et pourquoi donc ajouter à une trame déjà très sombre un trio de voisins prétendument rigolos ?

Avec un titre pareil, tout droit sorti des années 80, on pourrait s’attendre à ce que la vengeance soit prompte… et prolongée. Hélas ! il faudra patienter jusqu’à la fin pour avoir droit à la punition tant promise. Elle risque d’ailleurs de provoquer plus de rires que de satisfaction – on n’a qu’à voir le sort du vilain, enchaîné par la cheville à une automobile enflammée, pour réaliser que ce film d’action est plus près de la comédie… accidentelle ! The Punisher réussit donc l’impossible, c’est-à-dire rater une simple histoire de vengeance.

Après un tel navet, même un film aussi médiocre que Man On Fire [L’Homme en feu] peut avoir des airs d’œuvre géniale, car n’en déplaise à ses détracteurs, Tony Scott demeure un réalisateur qui connaît son métier.

 [Poster] Ici, c’est Denzel Washington, aussi inébranlable que d’habitude, qui se glisse dans la peau du vengeur. La première heure du film nous montre, en beaucoup trop de détails, la relation qui s’établit entre lui et la fillette qu’il doit protéger des dangers de Mexico City. Mais ce qui doit arriver arrive et Washington, laissé pour mort (ce qui est une condition sine qua non dans ce genre de film) récupère et jure – eh oui ! – de se venger.

Adaptation libre du roman d’A. J. Quinnell, scénarisé par Brian Helgeland, Man On Fire comporte sa part de moments forts. S’il y a de bonnes raisons de critiquer la première heure molle, le deuxième acte du film laissera peu de cinéphiles indifférents. La violence y est poussée à son paroxysme, ce qui nous mène, paradoxalement, beaucoup plus près de la bande dessinée que The Punisher. Quelques retournements finaux ne plaisent pas autant, mais peu importe : des trois films de notre trilogie vengeresse, Man On Fire réussit le mieux à dépeindre ce qui arrive lorsqu’un homme compétent décide de laisser derrière lui toutes les politesses de la civilisation moderne.

Hélas, Tony Scott ne peut se contenter d’une réalisation efficace et il décide de gâcher la sauce. Ceux qui ont vu son court-métrage Beat the Devil sur le site www.bmwfilms.com se souviennent encore du style chaotique qui y était employé : montage nerveux, pauses aléatoires, palette de couleurs à la limite de la réalité. Man On Fire répète l’expérience, mais sur 135 minutes plutôt que huit. Le résultat est vite exaspérant, d’autant plus que le film assomme plus qu’il ne raconte. Seule exception, l’utilisation des sous-titres comme technique stylistique. Non seulement sont-ils employés pour traduire les répliques espagnoles, mais ils en viennent à mettre en valeur certains dialogues. Lorsque les personnages se mettent à crier, les sous-titres deviennent de plus en plus gros et créent un effet hybride bande dessinée/film.

Mais peu importe cette innovation, la bonne performance de Washington ou les autres qualités d’un scénario moyennement ambitieux sur le plan symbolique, Man On Fire rate autant qu’il réussit. Nous parlerons cependant de déception plutôt que de désastre.

La vengeance de Tarantino

Étrange film que ce Kill Bill, le retour attendu au grand écran du réalisateur culte Quentin Tarantino. Film de plus de quatre heures (!) scindé en deux moitiés parues à quelques mois d’intervalle, c’est un hommage aux films qui exploitent le côté martial de l’existence. Bourré de références cinématographiques, truffé d’expériences uniques, Kill Bill est à la fois une œuvre dérivative et originale, un des films les plus uniques à s’infiltrer dans un cinéplex depuis longtemps. Malgré la prémisse familière (une femme, laissée pour morte, reprend des forces pour – devinez quoi? – se venger !), Kill Bill dépasse les limites du cinema vendetta pour devenir une expérience beaucoup plus riche.

C’est à la fois une question de fond et de construction : Tarantino est un meilleur réalisateur que la vaste majorité de ses collègues et son histoire, même librement inspirée d’autres œuvres, est beaucoup plus intéressante qu’une simple revanche. Ici, la vengeance ne mène pas à la mort, à un nihilisme primaire ou à un vulgaire échange de coups de poings entre vilains et héros. Ici, tout aboutit à une rédemption personnelle, qui modifie le destin de l’héroïne et laisse songeur le spectateur. De plus, l’intrigue est suffisamment fantaisiste pour qu’on ne puisse la réduire à une apologie de la vengeance personnelle que l’on trouve fréquemment dans les films du genre. De toute façon, il n’y a pas de processus judiciaire au royaume des maîtres kung-fu !

Évidemment, il est utile d’être un cinéphile convaincu pour apprécier la richesse de Kill Bill. Face à l’amas informe de thrillers ordinaires que nous sert Hollywood chaque année, c’est un réel plaisir de voir à l’œuvre un véritable artisan du cinéma. Tarantino l’avoue librement : c’est un passionné du septième art qui réalise des films pour d’autres passionnés. Le résultat, tel qu’on le voit ici, est unique et parvient même à repousser les limites de notre conception du cinéma.

Kill Bill ne manque pas de moments forts. Outre les dialogues « tarantinesques » (plus nombreux dans la dernière moitié du film), on restera pantois devant certaines scènes d’action et plusieurs trucs utilisés pour donner vie à l’intrigue – une séquence se sert d’un long plan (parfois aveugle) pour nous mettre aux côtés d’un personnage en difficulté, un segment est réalisé en film d’animation japonaise, un autre montre une bataille gigantesque entre l’héroïne et des douzaines d’assaillants. Peu importe la teneur des péripéties, il est rare de voir s’écouler cinq minutes sans que surgisse une trouvaille ou une autre. Et, bien sûr, c’est sans compter l’agencement chronologique inhabituel (mais diablement efficace) des éléments de l’histoire.

La durée du film compte pour beaucoup dans cette réussite. Dialogues et suspense profitent de quatre heures pour respirer convenablement, pour créer un rythme particulier. Les pauses sont plus longues, la tension et le suspense sont approfondis. Certes, Kill Bill aurait pu être raconté de façon plus succincte et certaines scènes s’égarent dans le superflu, mais on ne regarde pas ce film : on le déguste avec plaisir. Même après plus de trois heures, l’apparition à l’écran du titre « Dernier Chapitre » provoque un pincement au cœur: quoi ! c’est déjà presque terminé ?

Kill Bill est un film conçu pour les lecteurs de Camera oscura. Mémorable, excessif et gratifiant sur presque tous les plans, ce quatrième film de Quentin Tarantino raconte une bonne histoire avec un style impayable qui accroche du début à la toute fin. Que demander de plus ? Précipitez-vous dès maintenant au ciné-club le plus près de chez vous.

La déception au bout du tunnel

Ce n’est pas tout que de dévaliser un magot, encore faut-il réussir à l’emporter avec soi… Une maxime similaire vaut également pour les films : il ne suffit pas de réaliser un bon film, encore faut-il le finir correctement. Conseil élémentaire, mais souvent oublié, du moins dans The Ladykillers et Le Dernier Tunnel, deux films parus au printemps 2004 et qui traitent de cambriolages souterrains, avec des finales malheureuses qui sabotent toute l’entreprise.

Il y a à la fois très peu et beaucoup de similitudes entre ces deux films. The Ladykillers [Les Tueurs de dames] est une comédie qui se déroule au cœur de l’Amérique sudiste, alors que Le Dernier Tunnel est un drame criminel qui se situe à Montréal. Mais dans les deux cas, le plan est familier : un chef de bande rassemble une équipe, qui a pour but de creuser un tunnel pour accéder à une voûte bourrée d’argent. Or, réaliser le coup est la moindre des péripéties lorsque la bisbille s’installe dans l’équipe, et c’est de s’en tirer vivant qui devient l’exploit suprême !

Après Intolerable Cruelty, qui n’avait vraiment pas fait l’unanimité, les frères Coen avaient besoin de redorer leur blason. Hélas, ce n’est pas avec The Ladykillers qu’ils y réussiront. Certes, les traits qui font le charme de leurs films sont de retour : la galerie délicieuse de personnages secondaires tous aussi flamboyants les uns que les autres, l’attention portée à la bande sonore, les dialogues soignés, le poli visuel et l’indéniable atmosphère créée par le film. Et, comme d’habitude, le premier rôle est un bijou : Tom Hanks est impayable dans le rôle d’un intellectuel sudiste mielleux qui décide de tenter sa chance au crime. Mais tout ne roule pas rond au pays des Coens.

 [Poster] Le film est adapté très librement d’un classique très British des années 50, mais rien ne sert de comparer. Le décor londonien cède la place au Mississipi profond et la frêle héroïne du premier film est remplacée par une formidable matrone noire incarnée par Irma p. Hall. Ce dernier choix n’est peut-être pas aussi astucieux que l’on croirait, puisque l’on reste constamment convaincu que c’est elle qui menace les tueurs de dames. Pour le reste, The Ladykillers fonctionne de façon bien sporadique. Certaines blagues passent, d’autres pas; certains moments amusent, d’autres irritent. Et le film perd les pédales une fois le magot acquis. La comédie devient de plus en plus noire et – surtout – de plus en plus moralisatrice. Un jeu d’élimination, aussi prévisible que lassant, remplace alors l’initiale joyeuse anarchie du scénario, puis la blague finale est étirée sur dix minutes, faisant taire jusqu’aux fans les plus indulgents.

Le Dernier Tunnel est autre chose… et pourtant pas autre chose. Il n’y a pas beaucoup de rires dans cette histoire sombre, dans laquelle un criminel d’expérience (Michel Côté, avec une trempe d’authentique action hero) s’affaire à préparer un dernier coup avec une bande de comparses aussi mal assortis qu’instables. C’est loin d’être préparé avec efficacité : durant la première heure, on assiste à une succession de scènes répétitives décrivant la difficulté du coup, les tiraillements entre le personnage principal et sa dulcinée, diverses suggestions de problèmes imminents et ainsi de suite. Puis, révélation, le cambriolage se met en branle et le drame se transforme en film d’action fort potable, complété par un peu d’infographie et un plan bullet-time. Houlà ! Montage, musique, réalisation et acteurs se donnent la main et, pour un moment, il est possible de croire que tout cela va se terminer de façon satisfaisante. Mais c’est sans compter une finale abrupte : la trahison tant annoncée par maintes scènes inquiétantes se produit… et c’est là que tout s’achève, sans surprises.

Pire, le dernier cinq minutes du film étire une résolution qui aurait été plus efficace en trente secondes. Avec sa finale au goût amer, Le Dernier Tunnel rappelle Pouvoir Intime: une vingtaine de minutes brillantes, étouffées par un drame surfait et un refus apparemment délibéré de livrer une finale satisfaisante. Le spectateur sait pertinemment bien quel est l’effet recherché, mais ça risque de ne pas être au goût de tout le monde.

Ce n’est pas parce que c’est au Québec que c’est bon…

… ou ce n’est pas parce qu’on reconnaît les décors que l’on est obligé de s’ébahir sans jugement critique ! Exemple parfait : Taking Lives [Le Voleur de vies], un thriller bien américain, se déroule – attention ! – au Québec. Et un peu partout au Québec, car malgré le sous-titre qui promet « Montréal », voilà qu’apparaît le Château Frontenac, le traversier Québec-Lévis et, bon, là ça fonctionne, le festival de Jazz, mais retour sur… le pont de Québec (voir ci-contre), et il ne faut pas oublier ces policiers francophones qui parlent tous avec un accent européen quand ils ne discutent pas entre eux en anglais, bien sûr !

Malgré ce qui précède, ce ne sont pas ces accrocs évidents à l’intelligence du public québécois qui font de Taking Lives un mauvais film, mais plutôt un scénario peu plausible (un meurtrier en série qui vit les identités de ses victimes), des péripéties ordinaires, des retournements à la fois prévisibles et incompréhensibles, et une finale gratuitement choquante. Avouons-le: le film se laisse regarder sans la moindre pointe d’intérêt, et c’est bien pourquoi il donne amplement le temps de noter les peccadilles de la mise en scène « québécoise ».

Quant à Monica La Mitraille, c’est une biographie romancée de « Machine Gun Molly », la braqueuse de banque qui a sévi à Montréal durant les années 60. Adapté du livre de Georges-Hébert Germain, le film décrit comment, ici aussi, des gens peuvent préférer vivre du mauvais côté de la loi…

Interprété de façon formidable par Céline Bonnier, Monica La Mitraille naît dans les taudis du Montréal de l’après-guerre et elle en sortira sans peur et sans scrupule. Lorsque se présente l’occasion d’épicer sa vie à l’aide de vols de banque, elle n’hésite pas et fonce. Sa vie amoureuse sera tout aussi mouvementée, partagée entre trois hommes différents. Pour le reste, le portrait que les scénaristes Luc Dionne et Sylvain Guy dressent de Monica est intentionnellement flou. La structure épisodique de l’intrigue, qui privilégie la description aux explications, ne laisse pas beaucoup de place à l’élaboration d’un portrait consistant du personnage. Souvent, des scènes n’acquièrent un sens que beaucoup plus tard en raison d’un enchaînement chronologique imprécis. Sur le plan de la mise en scène, les mêmes décors servent de raccourcis dramatiques alors que les personnages semblent toujours se rencontrer sur le même segment de la Main. Peut-être aurait-il été plus indiqué de faire de ce film une mini-série ?

Mais ne soyons pas trop sévères : la recréation historique est intéressante, tout comme le portrait de la criminelle. Il y a une véritable fascination à voir agir un tel personnage et le film a l’avantage de toujours mettre Monica au premier plan. C’est cependant dommage que le scénario ne s’enchaîne pas mieux: sans demander du Scorsese (un maître à suivre en matière de biographie criminelle), il aurait été plus intéressant de regarder le film sans avoir constamment l’impression qu’il s’agit d’une bande-annonce de deux heures pour le livre de monsieur Germain.

L’art de la guerre

Les amateurs de carnage historique en ont pour leur argent ces temps-ci. Après des films tels Master & Commander et The Last Samurai, voici que se pointent au vidéoclub The Alamo et Troy, deux films qui décrivent des affrontements épiques entre nations. Mais toutes les épopées ne sont pas aussi intéressantes et si on vous offre le choix, c’est avec la Méditerranée antique qu’il faudra repartir, non le Texas du dix-neuvième siècle.

Bien que l’histoire du fort Alamo soit passée dans la mythologie américaine (Never forget The Alamo, etc.), une précision historique peut s’avérer nécessaire pour les francophones. En 1836, au sommet de l’impérialisme mexicain, la frontière entre les jeunes Etats-Unis d’Amérique et le Mexique est encore contestée. Menées par le général Santa Ana, les forces mexicaines n’hésitent pas à assiéger le fort Alamo, où se sont enfermés une poignée de Texans. La suite de l’histoire est bien connue: aucun Américain ne survivra à Alamo.

Devant un tel résultat, on devinera sans peine que « le gars des vues » (dans ce cas-ci, le réalisateur John Lee Hancock) ne pourra résister à l’envie d’arranger les choses; un des Américains connaîtra une fin héroïque, puis le film se prolongera suffisamment longtemps pour montrer les Mexicains se faire décimer par les forces du général Houston, au son d’une musique qui suggère qu’il s’agit là d’un massacre beaucoup plus acceptable que celui qui a précédé.

Le problème avec The Alamo [Alamo] n’est pas, précisons-le tout de suite, les scènes de combat. Réalisées avec soin, celles-ci présentent la prise du fort Alamo avec une crédibilité cauchemardesque. Il faudra plutôt s’attarder sur ce qui entoure la chute d’Alamo pour comprendre pourquoi ce film ne fonctionne pas très bien. Dans l’ensemble, The Alamo commet les mêmes erreurs qui avaient fait de Pearl Harbour un film tellement frustrant : une défaite militaire est mieux racontée sur un ton élégiaque et y boulonner un happy end triomphant banalise la tragédie. Mais la finale n’est pas le seul problème du film : une première moitié au rythme hésitant sape déjà la bonne volonté des spectateurs. L’amas indifférent de personnages historiques ne fait guère effet, à l’exception notable de Davy Crockett (Billy Bob Thornton), un héros incertain qui se retrouve au mauvais endroit au mauvais moment. Quand le fort Alamo tombe finalement, c’est presque un soulagement tant on a attendu cette fin.

Troy [Troie] n’est pas non plus un film sans fautes, mais il réussit au moins à soutenir l’intérêt des foules pendant toute sa durée. Adapté, bien sûr, de l’œuvre classique, Troy prend cependant des libertés tantôt fâcheuses, tantôt astucieuses avec le texte original.

Dans la catégorie astucieuse, on notera en premier lieu la complexité machiavélique des forces en jeu : ici, Hélène sert de prétexte à une manœuvre de realpolitik qui ne donne pas le beau rôle aux Grecs. Leur roi Agamemnon est un tyran lubrique qui vole de conquête en conquête par pure ambition personnelle. Quant aux Troyens, ils se perdent en palabres alors que l’ennemi est à leur porte et ce malgré les efforts de Hector, un véritable héros qui a le désavantage de souffrir des erreurs de sa famille. Mais c’est quand même le « nouvel » Achille qui frappe l’imagination. Joué par Brad Pitt à la manière d’un rock star capricieux et mercenaire, Achille se révèle être un personnage complexe et torturé. Troy évacue, avec raison, les éléments fantastiques de la mythologie grecque, mais préserve certains éléments moins réalistes tel le cheval de Troie ou la flotte des mille vaisseaux. Le résultat est à la limite de l’épopée historique et du film d’action. Pas tout à fait réaliste, mais suffisamment vraisemblable pour qu’on y adhère sans trop y penser.

D’autres changements à la mythologie sont logiques dans le contexte d’un film de deux heures trente, mais compliqueront sans doute la vie des professeurs d’histoire classique pour des années à venir. Des personnages meurent là où ils ne devraient pas, la durée de la guerre est considérablement raccourcie et Patrocle est… euh… le « cousin » d’Achille ! Les combats dépassent considérablement ceux décrits dans l’œuvre originale, y compris un assaut final qui boucle toutes les intrigues.

Mais quels combats ! Moyennant un peu d’indulgence devant certains effets numériques, il y a quelques séquences absolument spectaculaires dans ce film, qu’il s’agisse de l’affrontement de milliers d’hommes ou du simple duel entre Hector et Achille.

Les connaisseurs en histoire antique et les connaisseurs de l’œuvre originale regarderont sûrement Troy avec une expression médusée, maudissant les producteurs du film pour leur imprudence. Pour les autres, ce film s’avère un spectacle fort intéressant, bien appuyé par des performances d’acteurs chevronnés. Savamment réalisé par Wolfgang Petersen, Troy est un retour dépoussiéré fort satisfaisant à l’ère Cecil B. DeMille : exactement le genre de films que l’on imagine lorsqu’on pense à une épopée historique.

Rigueur. Austérité. Sévérité.

Les fans du légendaire David Mamet ont eu très peu de temps pour aller voir sa dernière œuvre au cinéma. Disparu des cinéplex en quelques semaines, Spartan [vf] devrait déjà se trouver au cinéclub au moment où vous lirez ces lignes. Qui connaît les scénarios précédents de Mamet (Heist, The Spanish Prisoner, Glengarry Glen Ross) saura à quoi s’attendre : une intrigue bourrée de retournements, colorée par un style dur et des répliques cryptiques.

Cette fois-ci, Mamet délaisse les criminels pour s’intéresser au monde interlope de la sécurité nationale. Le protagoniste, superbement interprété par Val Kilmer, est un agent secret aussi doué qu’impitoyable. Lorsque la fille du président américain se fait kidnapper, c’est à lui qu’on fait appel pour résoudre l’affaire avant que les médias s’en mêlent. Mais pourquoi a-t-il l’impression que ses supérieurs lui mentent? Qu’est-ce qui se cache véritablement derrière cette histoire ?

En tant que thriller politique, Spartan n’est pas dénué d’intérêt. Les dialogues drus des personnages sont à la limite de l’intelligible et les talents de réalisateur de Mamet restent un peu statiques, mais le tout est exécuté de façon peu orthodoxe, froide et peut-être un peu plus intrigante que la majorité des films du genre. Mais les bons moments ont tendance à être sporadiques et à se raréfier alors qu’avance le film. Mamet, bien sûr, est un technicien plus qu’un artiste : son style froid et distant fonctionne bien lorsqu’il étudie son héros stoïque, mais devient nettement moins efficace dès qu’on approche du cœur émotionnel de l’intrigue. Et c’est sans parler de la coïncidence assez peu subtile par laquelle se règle la conclusion. Ce qui n’arrange rien, c’est que le budget du film semble diminuer au fur et à mesure qu’avance le film : un voyage intercontinental semble débuter et se terminer au même aéroport. Oups !

Il n’y a rien de strictement mauvais dans Spartan : Kilmer est exceptionnel, les dialogues sont intéressants et on y sert même une critique pointue des excès de la politique américaine. Mais, tout de même, il n’est pas déplacé d’en demander un peu plus quand David Mamet est aux commandes !

Bientôt à l’affiche

Au moment où vous lirez ces lignes, l’été sera déjà amorcé, amenant avec lui la disette habituelle de cinéma à suspense non-fantastique. L’horaire annoncé pour juin-août 2004 s’annonce mince. King Arthur espère sans doute profiter du succès des épopées récentes du genre Troy. Il sera impossible de passer à côté de The Bourne Supremacy, et ce même si cette adaptation ne semble n’avoir que le titre en commun avec le roman original de Robert Ludlum. Et il faudra voir ce que donnera le remake couleur du classique The Manchurian Candidate, étant donné la présence dans ce film du formidable Denzel Washington. Finalement, Collateral suscite la curiosité : Tom Cruise comme assassin peroxydé dans un film de Michael Mann ? Tiens, tiens…

Cinq films, c’est mince. Heureusement, le cinéma non-américain sera au rendez-vous : le mois d’août verra effectivement la sortie longtemps attendue de Rivières Pourpres 2 : Les Anges de l’apocalypse, ainsi que Hero, un drame guerrier chinois mettant en vedette Jet Li.

Sinon, eh bien, on en profitera pour prendre l’air ou aller voir ce qu’il y a sur les tablettes du club vidéo…

Christian Sauvé est informaticien et travaille dans la région d’Ottawa. Sa fascination pour le cinéma et son penchant pour la discussion lui fournissent tous les outils nécessaires pour la rédaction de cette chronique. Son site personnel se trouve au http://www.christian-sauve.com/.

Mise à jour: Juin 2004

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *