Christian Sauvé
Exclusif au supplément Internet (Adobe Acrobat, 1 438Ko) d’Alibis 10, Printemps 2004
Pour les cinéphiles, l’hiver est une saison d’exaltation et de frustration puisque les films dédiés aux distinctions de fin d’année chevauchent ceux que les studios préfèrent faire oublier dans la cohue. Les cinéplex deviennent alors des endroits où le sublime côtoie le ridicule… et c’est sans parler de la qualité parfois fort variable de ces chouchous de l’oncle Oscar, souvent plus prétentieux qu’efficaces. Heureusement, Camera oscura est là pour vous aider à y voir plus clair.
Machines à voyager dans le temps
Que l’on ne s’y trompe pas : Camera oscura ne recommande pas à ses lecteurs de parfaire leur éducation en regardant des films hollywoodiens. Mais sans prendre la place des bouquins de référence, les bons films historiques peuvent offrir une vitrine fascinante sur une tout autre époque. Gangs of New York , Saving Private Ryan ou bien Titanic ont beau être truffés d’anachronismes, ils n’en demeurent pas moins des aperçus prenants de la vie dans un contexte très différent.
Trois épopées historiques ont dominé le box-office américain à la fin 2003, trois films dans lesquels le souci du détail historique a atteint des sommets admirables, peut-être même aux dépens d’une intrigue complexe. Les forces et faiblesses du premier film de cette « trilogie historique », Master and Commander , ont été abordées en détail dans Camera oscura 9. Passons donc à The Last Samurai et Cold Mountain pour compléter le tableau.
The Last Samurai [ Le Dernier Samouraï ], d’abord. Ici, on nous convie à revisiter le Japon de la fin du XIXe siècle, une période de changements dramatiques : le règne des samouraïs achève et tout le pays est en voie de s’unifier sous la bannière d’un empereur unique. De plus, les occidentaux débarquent en plus grand nombre, amenant avec eux des coutumes étranges et des nouvelles technologies dangereuses. Mais c’est également une ère de changements profonds de l’autre côté du Paci- fique. La guerre civile américaine est terminée, la période du far-west s’achève elle aussi et Nathan Algren (Tom Cruise), vétéran aigri des guerres indiennes, est un de ces laissés-pour-compte du nouvel ordre naissant. À la recherche de nouveaux objectifs, il n’hésite pas longtemps lorsqu’un représentant de l’empereur japonais vient lui demander de venir entraîner ses nouvelles troupes « à l’occidentale ».
Mû par l’ennui autant que par l’appât du gain, l’Américain s’embarque pour le Japon, où il tente tant bien que mal de former une armée moderne. Mais son premier test échoue lamentablement, se soldant par sa capture aux mains du dernier samouraï rebelle. Coupé du monde, le pauvre Algren réalisera bien vite qu’il a bien plus de traits en commun avec le samouraï qu’avec la nouvelle armée de l’empereur. Hébergé par ses ravisseurs, il profitera d’un hiver pour s’initier au mode de vie traditionnel du guerrier japonais et maîtriser les arts martiaux. La tension entre le moderne et le traditionnel trouvera sa résolution dans un affrontement final, avec une conclusion aussi prévisible que romantique.
Disons tout de suite que c’est un film qui ne brille pas par une histoire particulièrement raffinée. L’arc dramatique du film est celui de son protagoniste, qui découvre une culture aux valeurs qui lui sont chères. Son apprentissage de la noblesse du samouraï devient vite la leçon principale du film, leçon tellement romantique que la conclusion en devient inconfortable : que tente vraiment de « vendre » ce film ? Le mode de vie samouraï, gage d’accès au paradis sur terre, malgré le refus du progrès qu’il implique ? La vision impériale qui, dans sa forme mutante, allait mener à l’expansionnisme japonais du début du XXe siècle? Dans son empressement à simplifier une époque historique complexe au profit du réconfort du spectateur, The Last Samurai a parfois une morale bien sélective.
Mais n’y voyons pas pour autant une raison d’éviter ce film. Car là où l’idéologie est vacillante, les images compensent. Cette reconstitution historique profite d’un budget généreux : il n’y a qu’à voir l’attention portée au moindre détail pour s’en convaincre. De Tokyo à la campagne japonaise (le tout tourné en Nouvelle-Zélande, on s’entend), The Last Samurai est le genre de film dans lequel la qualité somptueuse des images est une récompense en soi. Une séquence reste particulièrement mémorable : celle d’un combat entre guerriers et soldats impériaux en plein brouillard, avec des combattants qui surgissent de nulle part et disparaissent aussi rapidement. Ajoutez à la bataille à grand déploiement qui conclut le film et rares seront ceux qui diront que The Last Samurai ne vaut pas un coup d’œil.
Des réserves similaires sont de mise pour Cold Mountain [ Retour À Cold Mountain ], un film qui réussit à plaire malgré une intrigue épisodique qui en laissera plus d’un sur sa faim. Adapté du roman à succès de Charles Frazier, Cold Mountain présente un regard peu conventionnel sur la guerre civile américaine. Bien que le tout débute dans les tranchées (avec une représentation cauchemardesque de la bataille du « cratère » de Petersburg), le film s’éloignera progressivement des combats pour s’intéresser au « front domestique » de la guerre alors que le protagoniste de l’histoire, un soldat sudiste (Jude Law), décide d’arrêter de se battre et de retourner chez lui rejoindre sa bien aimée (Nicole Kidman).
Ce ne sera pas un chemin facile : considéré comme déserteur, l’homme devra redoubler d’astuce pour éviter d’être capturé par les patrouilles qui arpentent les kilomètres le séparant de chez lui. De drame de guerre, Cold Mountain se métamorphose soudain en récit picaresque et le héros trouve sur son chemin délateurs, esclaves, charlatans et femmes en détresse. Pendant ce temps, sa dulcinée apprend à survivre seule après la mort de son père, un apprentissage rendu marginalement plus facile par l’arrivée d’une bonne à tout faire (Renée Zellweger) pas très commode.
C’est entre ces personnages que se disperse l’attention du spectateur de Cold Mountain , du fugitif à la pauvre amante laissée pour compte. Chemin faisant, le réalisateur en profite pour jeter un coup d’œil rapide sur l’Amérique sudiste au moment de la guerre civile. Grand espoir déçu du studio Miramax à la soirée des Oscars, ce film renfermait pourtant tous les éléments susceptibles de plaire aux membres de l’Académie : mis à part l’ambition émotionnelle du scénario et la cinématographie exceptionnelle, les nombreux rôles de soutien sont campés par une surprenante cohorte d’acteurs connus. Et on n’a pas pour autant oublié les spectateurs plus jeunes : avec beaucoup de coups de fusil, de la nudité et une très grosse explosion, Cold Mountain s’avère beaucoup plus dynamique que ce que l’on espère habituellement d’une épopée historique.
Hélas, le scénariste et réalisateur Anthony Minghella ( The English Patient ) a la main bien moins heureuse lorsque vient le moment de raconter une histoire satisfaisante. Trop souvent, Cold Mountain n’est qu’une succession d’épisodes superflus qui arrivent au héros pendant qu’à la maison l’héroïne apprend à se débrouiller toute seule. Ajoutons à cela que la reconstitution historique n’est pas aussi minutieuse qu’on l’aurait souhaitée, ce qui suscite bien des questions dont les réponses se trouvent peut-être dans les pages du roman d’origine. Le résultat est un film trop long et désaccordé, souvent prévisible en raison de son conformisme quand aux règles de base des drames romantiques.
Il n’y a aucun doute : Cold Mountain aurait pu offrir bien plus. Malgré sa beauté, le film reste distant et tiède, mais tout comme pour The Last Samurai , l’atmosphère créée par les décors du film est convaincante et vaut le détour. À défaut d’avoir une machine à remonter le temps, ces films demeurent sans doute la meilleure façon d’aller jeter un coup d’œil sur ces époques. Il vous faudra un guide pour comprendre ce qu’il s’y passe vraiment, mais au moins vous aurez pu attraper au vol quelques images de ces temps anciens…
Les favoris de l’Oncle Oscar
Tout comme à chaque année, la cuvée 2004 des Oscars a su bien récompenser les films qui se sont montrés dignes de l’intérêt de Camera oscura . Histoires de crimes et de guerre se sont méritées la bonne part des trophées… surtout si l’on considère Le Seigneur des Anneaux comme un drame de guerre ! Mais n’empiétons pas sur les plates-bandes fantasy de notre consœur Solaris et concentrons-nous plutôt sur deux autres des films choyés par l’académie, deux drames criminels complémentaires, pourrait-on dire : l’un où le drame mène au crime, l’autre où le crime mène au drame.
De ces deux œuvres, c’est The House of Sand and Fog [ Maison de sable et de brume ] qui étonne le plus par la descente aux enfers qui en constitue l’intrigue. Ici, tout commence de façon bien banale, alors qu’une jeune femme dépressive (Jennifer Connelly) est évincée de sa maison pour ne pas avoir payé son compte de taxe. Erreur administrative, lui dit-on lorsqu’elle porte plainte. Malheureusement, il est déjà trop tard : la maison a déjà été vendue et l’acheteur refuse d’annuler la transaction.
Cet acheteur peu accommodant, c’est le Colonel Behrani (Ben Kinsley), un immigrant iranien qui s’acharne en secret dans des emplois de misère pour soutenir le rythme de vie confortable auquel il avait habitué sa famille dans leur pays d’origine. Pour lui, la maison qu’il vient d’acheter (et qu’il planifie revendre à bon prix) est la concrétisation du rêve américain. Pas question de partir, et ce même si pour l’ancienne propriétaire, la maison représente tout ce qu’il lui reste au monde. N’ayant plus rien à perdre, elle n’hésitera pas à prendre des moyens désespérés pour réclamer ce qui lui appartient.
Alors que s’envenime l’affrontement entre les deux personnages, il devient progressivement évident qu’il n’y aura pas de conclusion heureuse à cette histoire. The House of Sand and Fog dérape peu à peu du drame jusqu’au crime, dans un tourbillon qui happera non seulement les deux antagonistes, mais aussi tous ceux qu’ils connaissent.
Difficile de prendre au sérieux pareil mélodrame. La séquence des événements qui suit l’éviction, la vente et le déménagement dans la maison, défie toute logique. L’escalade du drame ignore le bon sens. En fait, le drame perd une bonne partie de son pouvoir choquant dès qu’on saisit qu’il s’agit d’une histoire qui n’ira qu’en s’aggravant. Mais reconnaissons les forces de cette œuvre : le plaisir que semblent prendre auteur et scénariste à dépeindre des personnages aussi peu sympathiques l’un que l’autre défie le manichéisme hollywoodien usuel. Ici, tous sont des victimes de leur fierté. Choix cinématographique intéressant, la maison convoitée n’est qu’un humble bungalow pas particulièrement attirant ; c’est l’idée même de la demeure qui est l’objet de la convoitise.
Sur le plan technique, il y a peu de choses à reprocher à The House of Sand and Fog : la réalisation est d’une efficacité soutenue, qui laisse toute la place au scénario, sans compromis, et aux performances impressionnantes d’acteurs (ce n’est pas un accident si le film, passé inaperçu au box-office, a récolté deux nominations aux Oscars pour la qualité de son interprétation). Peu importe, donc, l’improbabilité des événements, ce sont les personnages qui nous font croire à la situation dans laquelle ils se trouvent, puis aux actes fous qu’ils commettent. Et c’est ainsi que le drame se transforme en crime.
Mais l’inverse est aussi possible, et c’est là qu’entre en jeu Mystic River , l’adaptation du roman de Dennis Lahane, scénarisé par Brian Helgeland ( L.A. Confidential ) et réalisé par Clint Eastwood. Ici, tout commence par un meurtre, celui de la fille de Jimmy Marcus (Sean Penn). Arrivé sur la scène du crime, le détective en charge de l’enquête a la mauvaise surprise de constater qu’il connaît la victime… et son père.
Mystic River se scinde dès lors en deux parties bien distinctes: la première, c’est celle de l’enquête, menée par deux détectives (Kevin Bacon et Lawrence Fishburne) qui savent ce qu’ils font. En matière de polar procédural , on a guère vu mieux en 2003. Il y a un véritable plaisir à voir ces deux fins limiers interroger les suspects, accumuler les indices et parvenir à une conclusion qui n’est pas dénuée d’action. Conventionnel mais satisfaisante, cette enquête aurait pu à elle seule former un bon petit film de série B.
Mais Mystic River offre une deuxième trame, nettement moins ludique. Car Lehane et Helgeland s’attardent aussi à décrire l’impact bouleversant du crime sur la famille et les amis de la victime, un aspect que négligent souvent les polars. Ici, le crime a des répercussions terribles et ne sert pas seulement de prétexte à une intrigue policière : de vieilles amitiés se renouent dans les remous de la tragédie alors que le deuil devient presque insupportable. Tous réagissent différemment, du détachement quasi-catatonique à la rage la plus musclée. Le père ira jusqu’à mener sa propre petite enquête, une investigation officieuse et brutale qui soulèvera des doutes en accumulant impressions et intuitions pas nécessairement correctes… Ici, le crime mène au drame, la vengeance à des tragédies encore plus horribles.
Il va sans dire que ce deuxième volet de Mystic River est celui qui rend le film beaucoup moins facile à aimer sans réserves. En revanche, cette tentative de re-créer une tragédie à saveur shakespearienne en plein cœur de Boston permet au film d’offrir une forte charge émotionnelle. En s’intéressant au drame qui suit le crime, puis aux réactions extrêmes qu’il a suscitées, Mystic River utilise le polar comme prétexte à une exploration approfondie des thèmes universels. Il n’est pas rare de voir critiques et amateurs de littérature noire vanter sa « supériorité » pour cette raison ; reconnaissons que Mystic River peut maintenant faire de même pour le cinéma. Les récompenses de l’Académie passent alors, d’une certaine façon, au second plan.
Crime pour adolescents
Les thèmes abordés par House of Sand and Fog et Mystic River s’adressent bien sûr à un auditoire adulte et réfléchie. Mais le crime n’est pas toujours l’apanage des plus vieux : les jeunes peuvent tout aussi bien dévier du droit chemin. Et comme chez les aînés, la délinquance, chez l’adolescent, est une affaire de degrés, allant du sympathique à l’horrible comme l’illustre un examen comparatif de The Perfect Score et d’ Elephant .
Pour les jeunes Américains, peu de choses ont autant d’importance que le SAT, ce test normalisé qui agit souvent comme barrière d’entrée aux meilleures écoles. The Perfect Score [ Un score parfait ] ne perd pas de temps à critiquer cette pratique : est-il juste de jouer son futur sur un coup de dé lors d’un examen qui dure quelques heures à peine? Après quelques cuisants échecs, un groupe d’adolescents décide de mettre toutes les chances de son côté et d’aller dérober les réponses au test pour s’assurer d’un score… parfait !
Hybride entre le film d’ado et le film de cambriolage, The Perfect Score n’est ni plus ni moins que la version « jeune » de films tels The Score , Heist , ou encore Ocean’s Eleven . Et tout comme eux, The Perfect Score livre sa délinquance dans un enrobage aussi inoffensif que le réseau télé MTV dont il est issu. La véritable question n’est pas : « Réussiront-ils à obtenir ce qu’ils veulent ? », mais bien « Veulent-ils vraiment ce qu’ils veulent ? », et c’est pourquoi le dernier acte du film est si rassurant pour les adultes. Ayant tous eu un aperçu de leur véritable personnalité, les protagonistes sortent de leur aventure fin prêts à revenir dans le droit chemin. L’un d’entre eux trouve même, chemin faisant, une mère d’adoption prête à compenser pour l’absence de la sienne. Hou !
Mais trop résumer l’intrigue et isoler la morale de la fin nie l’efficacité du film en tant que comédie pour adolescents. Il y a eu de pires films dans le genre, ce qui explique peut-être pourquoi même des erreurs de logique particulièrement agaçantes (où sont passées les caméras vidéo?) ne sont pas parvenues à miner complètement mon intérêt pour le film. Il faut avouer que The Perfect Score offre plusieurs moments agréables (dont une énième parodie de The Matrix , celle-ci réalisée avec une fidélité cinématographique étonnante) et un assortiment de personnages fort sympathiques.
En ce qui concerne la vraisemblance, on n’y croit pas une seule seconde. Ceci dit, est-ce là un problème ? Au cinéma, trop de réalisme peut être aussi dommageable que pas assez.
À vue de nez, de concept et de pedigree, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi Elephant a mérité la Palme d’Or du festival du film de Cannes 2003. Ici, le réalisateur Gus Van Sant ( To Die For ) exploite son intérêt pour l’expérimentation (qui avait mené précédemment à une « recréation » couleur de Psycho ) afin de nous présenter un film à la chronologie hachurée, une exploration quasi-documentaire d’un massacre perpétré dans une école secondaire. La sensibilité des Américains étant toujours aussi à vif depuis les événements survenus à la Columbine High School , la prémisse à elle seule a de quoi attirer l’attention. Pourtant, l’exécution suscite encore plus cette attention. Car la caméra se fait intimiste, bien loin des habituels raffinements techniques hollywoodiens. Elle accompagne les personnages, sans coupures, alors qu’ils se déplacent d’un endroit à l’autre. Au fur et à mesure que progresse le film, de longs plans reprennent les mêmes longues minutes qui ont mené au drame, mais selon la perspective d’autres personnages. La caméra suit ces nouveaux personnages alors qu’ils croisent les précédents dans l’école et, en parallèle, la caméra révèle aussi les plans de ceux qui vont canarder leurs camarades…
Les spectateurs les plus attentifs remarqueront des erreurs de continuité gênantes (les déplacements d’un couple ne semblent pas concorder avec la chronologie des événements ; le pavé à l’extérieur de l’école est tantôt sec, tantôt humide…), mais il y a quelque chose d’extrêmement angoissant dans la construction du film. Voir les mêmes événements sous des perspectives différentes crée un sentiment de suspense prenant quand on sait que des personnages se dirigent sans le savoir vers des lieux que nous, nous savons dangereux. Il n’y a pas de tentative d’explications des gestes des tireurs, pas plus que le sort final des personnages ne dépend de leurs qualités intrinsèques ; Van Sant résiste à l’envie de moraliser ou de donner un sens particulier à son film, espérant peut-être ainsi éviter qu’on lui reproche l’exploitation de ce genre de tragédie.
Mais ces compliments peuvent également devenir des critiques : en ne donnant à son film que l’axe narratif de la fatalité, Van Sant s’approche dangereusement de la futilité. Le manque de justifications des actes des tireurs et la fin abrupte peuvent ne pas satisfaire. Et puis, terminer un film parce qu’il manque de personnages n’est pas nécessairement une solution gagnante lorsqu’il est temps de conclure une histoire.
En revanche, personne ne pourra accuser Van Sant d’avoir été trop gentil ou d’avoir simplifié les enjeux pour les rendre plus accessibles à papa et à maman. Peu importe leur appréciation du film, ceux qui verront Elephant s’en souviendront longtemps !
Ce père Noël est une ordure !
Si votre sombre cœur amateur d’histoires criminelles ne supporte plus l’excès de saccharine qui accompagne chaque année le temps des Fêtes, Bad Santa est fait pour vous. Jamais depuis Le Père Noël est une ordure avait-on vu un film manquer autant de respect envers les traditions de Noël. Mais ne vous y méprenez pas : il s’agit là d’une bonne chose !
Dès la première apparition de Billy Bob Thornton en Willie T. Stokes, un homme fichtrement mal foutu comme Père Noël de centre commercial, on comprend qu’il ne s’agira pas d’un banal film du temps des Fêtes. La fausse barbe blanche mal assortie à une véritable barbe poivre et sel, le regard vitreux d’ennui et d’alcool, les répliques cassantes adressées à la marmaille assise sur ses genoux… C’est le 24 décembre et le plan devient clair très rapidement : après avoir étudié le centre commercial où ils travaillent pendant toute la période du temps des Fêtes, Willie et son assistant (Tony Cox) veulent profiter de la nuit de Noël pour tout cambrioler et déguerpir. Un plan génial… et annuel.
Car le manège recommence l’année suivante, mais il y a beaucoup de complications. Occupé comme il l’est à boire, à sacrer, à maltraiter les enfants assis sur ses genoux et à baiser ses groupies dans les salles d’essayage du centre d’achat, Willie semble s’acharner à s’autodétruire. Son complice a donc fort à faire pour le tenir dans le droit chemin et s’assurer que leur coup réussira encore une fois. Pour compliquer les choses, le nouveau directeur de la sécurité (Bernie Mac) du centre commercial où ils travaillent est beaucoup plus futé que les précédents… et il veut sa part du gâteau !
Il n’y a pas à dire, on ne s’ennuie pas en regardant ce film, en grande partie grâce à la performance exceptionnelle de Billy Bob Thornton, superbement décadent. Si le film joue un peu trop souvent la carte de l’inconfort, le réalisateur Terry Zweig a au moins le mérite d’éviter le sentimentalisme de bas étage. Le résultat est un film de Noël qui, comme Die Hard, atteindra ses objectifs tout aussi bien en juin qu’en décembre.
Divertissement jouissif assez rare de nos jours, Bad Santa est d’une irrévérence telle que la sortie du film a été accompagnée par l’indignation outrée de plusieurs groupes conservateurs américains. Dommage, car en présence d’adultes avertis, ce film n’est rien de moins qu’un cadeau de Noël pour tous ceux qui ne peuvent supporter la même vieille routine. Tapissé de blasphèmes, arrosé de sexe et de violence, Bad Santa est dédié à tous ceux qui, vraiment, ne sont pas sages !
Pas si tordu que ça
Personne ne vous blâmera si vous trouvez que l’idée de base de Twisted [ Pistes troubles ] vous semble vaguement familière. Après des films comme High Crimes , Kiss The Girls ou Double Jeopardy , il n’est plus très original de voir Ashley Judd personnifiant une policière combattant un mystérieux tueur en série. Et ce n’est même pas une suite !
Comptez-vous chanceux si la trop grande familiarité de ce point de départ vous pousse à éviter le film, car même après visionnement, Twisted ne vous laissera pas plus d’impression positive. Judd y campe une inspectrice dont les talents de détective ne sont qu’une façade érigée pour masquer une personnalité dangereuse. Sa vie amoureuse est vive et variée, ce qui multiplie les cibles pour le tueur en série qui se met à assassiner ses ex-copains… à moins qu’il ne s’agisse d’une tueuse en série, car l’héroïne a des black-out bien mystérieux avant chacun des meurtres…
Avec un titre comme Twisted , il est cependant élémentaire de comprendre que ce n’est pas le cas. Malheureusement, le très pauvre scénario de Sarah Thorp n’offre pas une explication beaucoup plus originale. Les fins limiers qui se seront glissés parmi l’audience devineront la clé de l’énigme des minutes, voire des heures avant la policière ! Et puis les répliques sont d’une banalité exaspérante, mollement mâchées par des marionnettes sans la moindre conviction. Truffé d’erreurs de procédure, de raccourcis stupides et d’actes inexplicables, Twisted se complaît dans les clichés paresseux jusqu’à sa finale portuaire nocturne.
Film éminemment oubliable s’il en est un, Twisted , faute de mieux, aura meublé la saison cinématographique hivernale 2004. Gaspillage éhonté d’acteurs qui méritent mieux, voilà un film sans intérêt pour ceux qui n’aiment pas les thrillers et à oublier pour les férus du genre.
Bientôt à l’affiche
Que les amateurs de Camera oscura se rassurent, les films promis lors de la chronique précédente ne sont pas les produits d’une imagination enfiévrée. Les aléas de la distribution cinématographique étant ce qu’ils sont, ces films ont tout simplement subi les caprices des studios. C’est ainsi que Taking Lives a été reporté de février à mars, alors que The Alamo et Kill Bill V.2 arriveront finalement sur les écrans en avril prochain.
Mais ce n’est pas tout, car le prochain trimestre promet des émotions fortes à vraiment pour tout le monde. Qu’il s’agisse de remakes de vieilles séries télévisées ( Starsky & Hutch ), de suites ( Agent Cody Banks 2 et The Whole Ten Yards ), d’épopées historiques ( Troy ) ou d’œuvres d’auteurs (David Mamet et Spartan ; les frères Coen et le remake de The Ladykillers ), l’année 2004 recommence en grand après un hiver un peu tranquille. Si un thème annonce le dégel, c’est celui de la vengeance, car pas moins de trois films traiteront de ce sujet en plus de Kill Bill : Walking Tall , Man On Fire et The Punisher .
Préparez-vous : le prochain trimestre va être chaud !
Christian Sauvé est informaticien et travaille dans la région d’Ottawa. Sa fascination pour le cinéma et son penchant pour la discussion lui fournissent tous les outils nécessaires pour la rédaction de cette chronique. Son site personnel se trouve au http://www.christian-sauve.com/
Mise à jour: Mars 2004