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Présentation du numéro 60

LA MORT DANS L’ÂME

Pas très réjouissant, ce titre, direz-vous? C’est bien consciemment que je l’ai choisi. D’abord, parce que la mort et les maux de l’âme ont toujours été une grande source d’inspiration pour les fictions d’Alibis au fil des ans. Surtout parce que ce n’est pas de gaieté de coeur que j’écris cette dernière présentation pour Alibis. Ce soixantième numéro que vous tenez entre vos mains est en effet le dernier que nous aurons eu le bonheur et l’honneur de vous concocter. Pour plus de détails sur cette triste nouvelle, je vous invite à lire le texte de mon collègue Jean Pettigrew, qui suit cette présentation.
Cependant, pas question de fermer les livres la mine basse… Fiers du travail accompli, nous avons plutôt décidé de vous offrir un ultime numéro mémorable.

Le polar est à l’honneur cet automne avec une édition toute noire du festival littéraire Québec en toutes lettres et avec la parution du très attendu Détectionnaire de Norbert Spehner, aux éditions Alire. Dans la foulée de ces deux événements, nous avons pensé contacter des auteurs de polar québécois et leur demander de nous écrire une nouvelle mettant en scène les personnages qu’ils nous ont fait découvrir dans leurs séries. Le résultat est à la hauteur de nos attentes, et plus encore !

Vous retrouverez d’abord le sergent-détective Pagliaro, de Richard Ste-Marie. Dans la nouvelle « Fragile comme des empreintes dans la neige », Pagliaro fait la connaissance d’un habitué des pages d’Alibis, un certain monsieur Hämmerli. Rencontre de deux univers familiers, pour notre plus grand plaisir ! Johanne Seymour nous propose ensuite, avec « Le Faux-cils », un texte mettant en vedette nulle autre que Kate McDougall, que vous avez pu connaître à travers plusieurs romans, mais également grâce à la série télé Séquelles. Cette fois, l’attachante Kate est en période de grands changements, de déménagement, mais elle ne néglige pas le travail pour autant… Puis, au tour d’André Jacques de faire appel au sympathique Alexandre Jobin, antiquaire, et au lieutenant-détective Lucien Latendresse dans « La Ruée vers l’or ». Au menu: canicule, lingots d’or et avocat arrogant ! Jean Lemieux nous propose, pour sa part, « La Tête de violon », avec un autre personnage qu’on aime suivre, que ce soit aux Îles-de-la-Madeleine ou au Lac-Beauport, le sergent André Surprenant. Cette fois, c’est en Irlande que Surprenant nous convie… Pour clore ce volet « Fictions », nul autre que Jean-Jacques Pelletier, qui nous offre « La Burqa de fer », texte sous-titré : « La dernière enquête de Théberge ». Oui, CE Théberge, Gonzague de son prénom, qui nous entraîne dans un univers tordu et fascinant comme il sait si bien le faire. Quand je vous disais qu’Alibis comptait terminer son histoire en beauté… Difficile de demander mieux ! Pour le volet « Essais », Philippe Turgeon s’est entretenu avec Norbert Spehner, grand ponte du polar, collaborateur indispensable de la revue au fil des ans et puits de connaissances qui nous livre une partie de son savoir dans le Détectionnaire, un dictionnaire des personnages principaux de la littérature policière et d’espionnage, une oeuvre colossale qui constituera assurément un incontournable pour tout amateur de polar. Suivent les chroniques habituelles : « Camera oscura », de Christian Sauvé, « Le Crime en vitrine », de Norbert Spehner, et « Dans la mire », avec des critiques d’André Jacques, Morgane Marvier, Norbert et moi-même.

Voilà pour la présentation de ce numéro… Normalement, je vous dirais « Bonne lecture et à la prochaine! » Mais cette fois, un peu la mort dans l’âme, il faut bien l’admettre, je me contenterai de vous dire merci. Merci d’avoir été fidèles à Alibis depuis 2001.

Merci de nous avoir lus et suivis.
Longue vie à la nouvelle et au polar.
Martine Latulippe
pour la rédaction

LA VIE APRÈS LA MORT

C’est effectivement la mort dans l’âme que nous avons pris la décision de cesser la publication de la revue. Après quinze ans et soixante numéros, nous en sommes venus à la conclusion qu’il n’était plus possible de poursuivre l’aventure – car n’en doutez pas, Alibis a toujours été une aventure, demandant temps et énergie à toute l’équipe, mais aussi une implication financière non négligeable de la part des éditions Alire, notre unique commanditaire et principale (voire presque seule) source de revenus publicitaires.

Dès le départ, nous savions que l’entreprise serait risquée – après tout, c’était la première fois qu’elle était tentée au Québec et il n’existait pas de revue semblable en France (et il n’y en a toujours pas!). Mais reportons-nous à l’aube du millénaire, plus précisément en l’an 2000, au moment où Alire publiait simultanément Le Roman policier en Amérique française, de Norbert Spehner, et les premiers romans policiers de Jacques Côté et Maxime Houde… Le polar québécois? À cette époque, on doutait de son existence même! Pour la majorité des lecteurs, le genre était l’apanage des auteurs étatsuniens et des vieux pays (Grande-Bretagne, France, Belgique…) et seuls quelques auteurs d’ici, dont Chrystine Brouillet, écrivaient des romans policiers… mais leurs livres se retrouvaient en littérature québécoise, pas au rayon polar !

L’un de nos objectifs en créant Alibis (pour mémoire, cette création est le fruit de Norbert Spehner, Jean-Jacques Pelletier, Stanley Péan et moi) a été, en parallèle avec ce que nous publiions chez Alire, de faire émerger une véritable communauté (d’auteurs, d’éditeurs et, bien entendu, de lecteurs) autour du polar québécois. En un mot, d’amener ce dernier à ce qu’il est maintenant: un genre connu et reconnu, bien en évidence dans le « bon » rayon du libraire !

Du côté de la création, nous croyons avoir bien rempli notre mission en offrant, pendant toutes ces années, un espace essentiellement dédié aux littératures policières. Des dizaines d’auteurs ont ainsi publié très exactement trois cent deux nouvelles (dont quinze écrites par des Européens et trente-cinq par des Canadiens anglais). Pour la direction littéraire (principalement Martine et moi, Stanley au cours des premières années et Pascale Raud durant les deux dernières), ce fut un plaisir de travailler avec toutes ces plumes, expérimentées ou néophytes, spécialisées ou non. Or, bien que nous n’ayons jamais eu à sacrifier la qualité, force est d’admettre que, parfois, il nous a été difficile de boucler des numéros tant la banque de textes était mince. Manque d’intérêt pour le genre ? Nous ne le croyons pas. Néanmoins, il faut souligner que pour un texte soumis au comité de rédaction d’Alibis, notre consoeur Solaris en recevait quatre. Ce qui, avouons-le, a aussi fait pencher dans la balance d’un certain côté à l’heure des choix. Ce n’est pas de gaieté de coeur que nous avons pris la décision d’arrêter la publication de la revue. Mais s’il y a une partie heureuse dans toute cette histoire, c’est que cet arrêt de publication ne signifie nullement que « Les publications de littérature policière inc. » se saborde. De fait, nous continuerons nos activités afin de mettre de l’avant les littératures policières. Ainsi, nous garderons ouvert notre site Internet – l’une des sources les plus importantes d’information sur le genre en francophonie –, tout comme notre page Facebook. C’est donc dire que vous aurez toujours accès à l’ensemble des dossiers que nos membres ont constitués au fil des années… et à ceux à venir (j’entends soudain des soupirs de soulagement de la part de plusieurs bibliothécaires et professeurs). Nous continuerons également à publier sur le site les commentaires de lecture qui ont fait la renommée du volet « Dans la Mire », car le collègue Spehner le clame en page 113 de ce numéro: « Le seul endroit où il reste une certaine critique, c’est dans Alibis. » Ce sera donc sur www.revue-alibis.com que cet espace de liberté continuera d’exister !

Par ailleurs, je veux rassurer nos fidèles abonnés qui, tout au long de ces quinze belles années, nous ont accompagnés: vous recevrez tous un chèque de dédommagement pour les éventuels numéros payés et, hélas, non publiés.

Voilà. Tout est dit. J’aimerais remercier l’ensemble des personnes (et elles sont nombreuses) qui ont fait d’Alibis un modèle du genre depuis la sortie de son tout premier numéro, et toutes celles, encore plus nombreuses, qui nous ont encouragés au fil des ans. Et je terminerai en affirmant, tout comme Martine, que je continuerai toujours à croire en la nouvelle et au polar.

Jean Pettigrew
éditeur